L’intérêt de la communauté scientifique pour le comportement du système de liaison tête/thorax a commencé au sortir de la seconde guerre mondiale. Le nombre important de lésions du cou présentées par les pilotes d’avions américains embarqués lors de décollages assistés par catapultage depuis les porte-avions avait alors alerté (Martin 2015). La thématique a d’autant plus gagné en intérêt au fil des évolutions de la sécurité routière et notamment lorsque le nombre de morts sur les routes explosa avec la démocratisation de la voiture individuelle (Figure 1). En effet, de nombreux systèmes de rétention ont pu être introduits, puis rendus obligatoire afin de limiter les déplacements des occupants du véhicule induits par leur inertie lors d’un choc. Par exemple, la ceinture de sécurité a été ainsi introduite en France vers la fin des années 1960 puis rendue obligatoire par étapes : hors agglomération en 1973, en agglomération en 1979 puis obligatoire à l’arrière du véhicule en 1990. Également, de nombreuses mesures législatives ont été prises notamment en ce qui concerne l’alcoolémie du conducteur ou la réduction de vitesse sur certains tronçons routiers. Dans le même temps, les infrastructures routières et les véhicules ont bénéficié de progrès technologiques améliorant leur sécurité. Grâce au cumul de toutes ces innovations techniques et législatives, la mortalité routière, dont une définition intuitive pourrait être le ratio du nombre de morts par kilomètre parcouru sur les routes françaises , a ainsi pu être drastiquement diminuée.
Cependant, l’apparition des systèmes de rétention, et notamment de la ceinture de sécurité, alertait déjà quant aux potentiels risques d’augmentation du nombre de lésions du cou observées. En effet, le corps des passagers devient alors solidaire du véhicule mais pas leur tête/cou, ce qui entraîne des contraintes mécaniques importantes au niveau du cou ainsi que des mouvements d’hyperflexionhyperextension de la tête lors d’un choc, du fait de son inertie (Bandet 1971).
Les mouvements rapides d’hyperflexion/hyperextension du cou prennent le nom de coup du lapin ou « whiplash ». Le coup du lapin et les lésions qu’il peut entraîner restent des enjeux très actuels puisqu’ils représentent encore un coût socio-économique élevé. En effet, selon le « European Transport Safety Council », le coût économique en Europe des blessures induites par ce mécanisme lésionnel a été évalué à 10 milliard d’euros par an en 2017 (Janitzek 2017). Les blessures liées au coup du lapin ont une étendue de symptômes et des degrés de gravité très vastes. Ainsi, les personnes souffrantes de blessures induites par le coup du lapin peuvent manifester différents symptômes parmi lesquels : douleurs cervicales, maux de tête chroniques, ruptures des ligaments, ruptures musculaires, problèmes neurologiques, paralysies partielles (Barnsley, Lord et Bogduk 1994). Qui plus est, une des difficultés dans la compréhension du mécanisme d’apparition des lésions réside dans le fait que les dommages sur les tissus ne sont pas systématiquement observables en image IRM ou par scanner (Barnsley et al. 1994), (Hillier 2008). Le manque d’imageries médicales valides rend difficile l’établissement du diagnostic mais également l’établissement du préjudice subi par les personnes accidentées et pose ainsi un problème au secteur assurantiel .
La compréhension du mécanisme lésionnel du coup du lapin a de fait suscité davantage l’intérêt de la communauté scientifique. De nombreuses études ont été menées afin de mieux comprendre le mécanisme complexe du coup du lapin. D’un côté, les essais in-vitro utilisant des mannequins de chocs ou des cadavres ne peuvent expliquer les différences inter-individuelles observées en situation réelle. De l’autre les essais volontaires in-vivo sont encore assez rares, doivent être réalisés à des énergies plus basses et les équipes de recherche sont rapidement confrontées à la très grande multiplicité des paramètres pouvant influencer la réponse dynamique du sujet. De fait, le mécanisme lésionnel du coup du lapin n’est pas encore entièrement compris (Chen, Yang et Wang 2009). Celui-ci a notamment pu être appréhendé au travers de l’étude de la stabilisation dynamique de la tête chez le sujet, utilisant des systèmes dynamiques notamment dits « SLED » consistant en un système de chariot uni-axial. Il a pu être ainsi montré que la cinématique de la tête possédait une grande variabilité inter-individuelle (Vibert et al. 2001). De nombreux facteurs physiques, géométriques, dimensionnels peuvent expliquer en partie ces variations (Vasavada, Danaraj et Siegmund 2008). La participation du système neuromusculaire modifie également la réponse cinématique de sujets soumis à une accélération soudaine. En effet, la connaissance et l’anticipation de l’événement jouent un rôle sur la dynamique de la tête en réduisant l’amplitude de cette dernière et potentiellement le risque lésionnel (Kumar, Narayan et Amell 2000). Il a aussi été montré que la pré-contraction des muscles du cou réduisait l’amplitude du mouvement de la tête (Sandoz et al. 2016). De même, la revue d’études cliniques a pu mettre en évidence que la pré-connaissance de l’imminence du choc par les occupants d’un véhicule était associée à un risque lésionnel, des sévérités de blessures et des temps de convalescence moindres (Stemper et Corner 2016), (Sturzenegger et al. 1994). En outre, le facteur psychologique apparaît fondamental dans la prédiction du devenir des troubles liés au coup du lapin chez le patient (Laporte et al. 2016). La cognition des sujets, par ses répercussions sur le comportement neuro-musculaire, a un impact sur la cinématique de leur tête. L’intérêt de la communauté scientifique envers le rôle joué par l’activation musculaire dans la stabilisation de la tête du sujet est grandissant. Ainsi, la compréhension de la cognition et des schémas de recrutement musculaire nécessite des investigations plus profondes (Olszko et al. 2018), (O’Driscoll et al. 2019), (Krašna et Ðorđević 2020).
D’après les chiffres de l’ONISR (ONISR 2020), au moins 75 % des accidents sont imputables en premier lieu à une cause humaine. Ce chiffre monte à 94% dans une publication de la NHTSA (Singh 2015). Or, depuis plusieurs années et en raison de développements technologiques rapides, les véhicules routiers deviennent de plus en plus avancés technologiquement, en suivant une tendance vers l’automatisation complète du véhicule, notamment par l’intégration de systèmes avancés d’assistance au conducteur (ADAS, pour « Advanced Driver Assistance System ») (Fagnant et Kockelman 2015). Dans ce contexte, les ADAS apparaissent comme une rupture technologique ayant le potentiel nécessaire de faire franchir un nouveau seuil en termes de sécurité routière, notamment car ils élimineront progressivement le facteur humain de la tâche de conduite du véhicule. Ainsi, de nombreux experts prévoient que l’automatisation du véhicule réduira graduellement la mortalité routière (Anderson et al. 2016), (Milakis, Van Arem et Van Wee 2017), (Trommer et al. 2016).
L’automatisation progressive des véhicules présente également d’autres avantages. La tâche de conduite étant de plus en plus attribuée à un système robotique, les passagers de tels véhicules auront à terme la possibilité de vaquer à d’autres occupations. Différentes équipes de recherche ont pu travailler sur les activités permises par ces technologies et l’usage qu’en ferait les futurs passagers. Ainsi, il est par exemple envisagé pour les passagers de dormir, d’interagir avec les autres passagers, de regarder des films, de manger ou de regarder le paysage (Kyriakidis, Happee et De Winter 2015), (Schoettle et Sivak 2014), (Wadud et Huda 2019). Dans ce contexte, la réalisation d’autres activités que la conduite induira par définition une cognition différente des usagers de ces véhicules. Le schématype accidentel risque d’en être changé (Subit et al. 2017) et il paraît donc encore plus important de mieux comprendre les effets de paramètres cognitifs sur la réponse dynamique de l’ensemble tête/cou.
|
Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 : Revue de littérature
1. Biomécanique du whiplash
1.1. Anatomie de la mobilité tête/tronc
1.2. Whiplash : définition et épidémiologie
1.2.1. Vocabulaire
1.2.2. Définition
1.2.3. Épidémiologie
1.3. Mécanisme du whiplash
1.4. Risque et critère lésionnels
2. Étude dynamique de la liaison tête/tronc
2.1. Matériels et méthodes
2.1.1. Capteurs utilisés
2.1.2. Grandeurs dynamiques d’intérêt
2.1.3. Systèmes dynamiques
2.1.4. Paramètres expérimentaux
2.2. Principaux résultats
2.2.1. Variabilité des résultats
2.2.2. Différences morpho-anatomiques
2.2.3. Impact du recrutement musculaire
2.3. Implications pour le whiplash
3. Cognition et comportement lors d’une situation inattendue ou menaçante
3.1. Système neuro-musculaire, cognition et physiologie
3.2. Physiologie et paramètres d’étude
3.3. Réaction du corps face au danger ou l’inattendu
4. Les technologies immersives
4.1. Réalité virtuelle : définition et concepts
4.1.1. Définition
4.1.2. Les concepts d’immersion et de présence
4.1.3. Mal du simulateur
4.1.4. Utilisation de la réalité virtuelle
4.2. Dispositifs de réalité virtuelle
4.2.1. Systèmes couramment utilisés
4.2.2. Dynamique des systèmes utilisés
5. Conclusion de la revue de littérature
Chapitre 2 : Problématiques scientifiques
1. Orientation de la recherche
2. Axes de recherche
2.1. Comportement dynamique des passagers d’un véhicule
2.2. Apport de la réalité virtuelle
2.3. Influence de l’état émotionnel
3. Approche proposée
Chapitre 3 : Physiologie et dynamique tête/cou
1. Introduction
2. Matériels et méthodes
2.1. Sujets
2.2. Matériel
2.2.1. Système SLED
Conclusion générale
Télécharger le rapport complet