Réflexion sur les enjeux liés à la maîtrise des prévisions de dérive en milieu océanique
Les corps dérivants dont il peut être nécessaire ou utile d’évaluer le devenir sont nombreux, mais peuvent pour les applications pratiques se séparer en deux catégories. La première catégorie englobe les polluants marins, qu’ils soient rejetés accidentellement ou générés par le trafic maritime, alors que la seconde est relative aux éléments solides naviguant sans le contrôle humain (embarcation en perdition, marchandises perdues, etc.). Les deux cas sont caractérisés par une assistance ou une gestion de crise ponctuelle, l’objectif étant une récupération des corps et des substances à plus ou moins court terme. Les mêmes outils permettant de traiter ces problématiques trouvent également un intérêt pour des études scientifiques ou des applications moins opérationnelles, comme par exemple l’étude des déplacements de populations d’espèces marines plus ou moins passives ou des macrodéchets.
La lutte contre les polluants marins et les marées noires
Les images relayées par les médias lors de grandes catastrophes ont fait du pétrole l’exemple phare des pollutions marines, si bien que l’on oublie parfois que d’autres produits néfastes à l’environnement peuvent se retrouver à naviguer librement à la surface de l’océan. Les matières fossiles, le plus souvent les minerais de fer et le charbon, sont de fait parmi les espèces polluantes les plus rencontrées en mer. Divers produits de synthèse de l’industrie chimique tels que les phosphates, l’acide sulfurique et le méthanol s’y ajoutent également pour les composés les plus déversés.
Les sources
Les sources peuvent être nombreuses mais sont pour 90 % des cas d’origine anthropique. L’océan peut ainsi être souillé par des composés issus tour à tour :
– de l’apport de l’activité du littoral : 40 % de la population mondiale vit sur une bande littorale de 60 km de largeur et cette densité implique des besoins d’habitat, d’industrie, d’agriculture et de transports qui sont de par nature producteurs de déchets. Les résidus contaminent l’océan au travers des rejets atmosphériques, du charriage par les rivières et du drainage des sols par les pluies, ou plus directement par des déversements industriels à la mer ainsi que dans les cours d’eau ;
– des déversements offshores, qu’ils soient accidentels ou de nature volontaire. Un exemple récent est l’explosion de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon dans le Golfe du Mexique au cours de l’été 2010. L’accident fait ainsi état d’un déversement continue de 5 000 barils de pétrole par jour pendant au moins trois mois qui a causé un traumatisme écologique sans précédent pour les États-Unis ;
– de la pollution naturelle, qui est produite par suintement au niveau des sites riches en hydrocarbures fossiles (Alaska, Californie, Golfe du Mexique, côtes Vénézuéliennes,Mer rouge, Mer Caspienne et Mer de Bornéo). Une évaluation grossière de la pollution naturelle annuelle est de l’ordre de 250 000 tonnes .
– Enfin, moins présente à notre quotidien, mais avec une contribution qui vaut la peine d’être mentionnée, la guerre est aussi connue pour être une source significativement polluante. On peut d’ailleurs citer la pollution exceptionnelle de la guerre du Golfe en 1991 comme étant la plus grande marée noire de l’histoire humaine, avec 800 000 tonnes d’hydrocarbure relâchées dans les eaux persiques lors du sabotage des puits du Koweit par l’armée irakienne.
Malgré cette diversité des sources, la plus grande partie des pollutions survient lors de l’acheminement des produits par transport maritime, au large. La mer est en effet un moyen d’échange pratique et peu coûteux des matières premières. 40% du trafic marin global concerne à lui seul la distribution du pétrole, la pollution la plus rencontrée en plein océan. À toute activité de transport sont liés des risques d’accident, et les routes commerciales sont des zones de surexposition aux pollutions. Il n’est pas rare pour un observateur naviguant le long des routes de transits d’apercevoir des boulettes d’hydrocarbure ou des effets d’irisation à la surface de l’eau qui sont la signature d’une pollution récente. Pour l’Europe, ces circuits de distribution s’étirent depuis le Golfe Persique (zone production) vers l’Asie, l’Europe et l’Amérique (zones de consommation) en passant par le détroit Malacca, le canal de Suez et le Cap de Bonne Espérance.
La pollution accidentelle
La pollution accidentelle est un rejet occasionnel qui est le résultat d’erreurs humaines (comme de mauvaises coordinations et décisions, d’états de fatigue, etc.) que l’on peut souvent associer à des circonstances défavorables telles que le vieillissement du matériel ou un état de mer impraticable. La gravité de l’incident est variable en fonction de la quantité de produits déversés, des biens humains et matériels mis en jeu, ainsi que les conséquences à long terme.
Les épisodes les plus extrêmes et lourds de conséquences sont sans conteste les naufrages de pétroliers. Certains noms ont marqué les esprits, comme celui de l’Amoco Cadiz (220 000 tonnes près des côtes Bretonnes en 1978), de l’Erika (20000 tonnes de fioul lourd relâchées dans le Golfe de Gascogne en 1999) et du Prestige (5 à 10 000 tonnes sur les côtes Galiciennes en 2002). Dans tous les cas de figure, des questions de prise de décision, de mobilisation des moyens, et d’urgence sont intimement mêlés aux pollutions accidentelles : il faut agir vite, à partir de la meilleur estimation possible de la situation et de sa probable évolution afin de limiter et de contrôler au mieux les dégâts.
La pollution opérationnelle
Avec une composante moins « urgentiste », sans doute à cause d’une banalisation et d’un côté moins spectaculaire des faits, la pollution opérationnelle englobe tous les rejets issus de l’activité navale et du transport. Contrairement à ce que l’on peut penser, tous les déversements ne sont pas illégaux : les rejets dont la concentration en hydrocarbure ne dépasse pas 15 ppm sont autorisés au large pour les produits nécessaires à l’entretien et au fonctionnement des moteurs, par exemple les huiles de vidange et les résidus de carburant.
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Contexte de la thèse
1.2 Motivation des travaux et cadre de l’étude
1.3 Questions et problématiques abordées
1.4 Outils et approches
1.5 Plan du manuscrit
2 Thématique générale
2.1 Réflexion sur les enjeux liés à la maîtrise des prévisions de dérive en milieu
océanique
2.1.1 La lutte contre les polluants marins et les marées noires
2.1.2 Le sauvetage en mer et la sécurisation de l’espace maritime
2.1.3 Le suivi des macro-déchets et la compréhension des écosystèmes
marins
2.1.4 Les réponses offertes par les modèles numériques de prévision de
dérive océanique
2.2 Comportement d’un polluant en milieu marin
2.3 Océan superficiel et processus dynamiques générant des vitesses de surface
2.4 Approche typique de modélisation pour la dérive océanique
2.4.1 La modélisation lagrangienne de type transport de particule
2.4.2 La modélisation de la turbulence lagrangienne
2.5 Historique de la dérive océanique et systèmes prévisionnels modernes
2.5.1 L’évolution des prévisions aux cours de ces dernières années
2.5.2 L’exemple d’un système opérationnel moderne : Met.no, Norvège
2.6 Problématiques mises en avant par des études récentes
3 Approche, outils et processus étudiés
3.1 Cas tests étudiés et le traitement du jeu de données lagrangiennes
3.1.1 L’expérience MERSEA en Méditerranée
3.1.2 L’expérience DALIA en Angola
3.1.3 La particularité des zones d’études
3.1.4 Les bouées dérivantes utilisées pour le suivi de pollutions marines
3.1.5 Le traitement des données lagrangiennes
3.2 Outils pour la modélisation de l’océan
3.2.1 Les équations primitives
3.2.2 Le modèle de circulation océanique générale NEMO
3.2.3 Les systèmes de prévision océanographique opérationnelle de Mercator
3.3 Configurations numériques développées et les simulations océaniques réalisées
3.3.1 Les configurations ANGOLA et MEDWEST
3.3.2 Les paramètres et les options de référence choisis
3.3.3 Le listing des simulations réalisées
3.4 Outils pour la prévision des dérives
3.4.1 Le modèle de prévision de dérive opérationnel MOTHY
3.4.2 L’outil lagrangien Ariane
3.5 Mise en place des diagnostics lagrangiens à partir des modèles et des données
3.5.1 Le déroulement des expériences de dérive
3.5.2 L’évaluation de la qualité des trajectoires prévues
3.5.3 L’ensemencement et la génération de trajectoires avec Ariane
3.5.4 L’ensemencement et la génération de trajectoires avec MOTHY
3.5.5 Le protocole expérimental général de l’étude
4 Prévisions de dérive dans le bassin Ouest-Méditerranéen
4.1 Synthèse des connaissances sur la dynamique de la Méditerranée occidentale
et de sa circulation de surface
4.1.1 Les généralités sur la mer Méditerranée
4.1.2 La dynamique du bassin occidental
4.2 Vents en Méditerranée
4.2.1 Les régimes de vent et leur effets
4.2.2 Le champ de vent moyen pour la période d’intérêt
4.2.3 L’implication du vent dans la trajectoire des bouées
4.3 Validation des simulations d’océan
4.3.1 La description des simulations de circulation océanique de référence
4.3.2 La validation par des données extérieures
4.4 Co-localisation des trajectoires des bouées à partir des sorties du modèle
d’océan : étude de performances eulériennes
4.4.1 La déviation angulaire
4.4.2 L’intensité des vitesses
4.4.3 La caractérisation de l’erreur totale
4.4.4 Les efforts pour discriminer la contribution du vent de celle du courant
4.4.5 Les conclusion sur la partie de colocalisation lagrangienne
4.5 Prévisions de dérive : études de performances lagrangiennes
4.5.1 La visualisation des prévisions
4.5.2 Les tendances statistiques (scores de prévisions)
4.5.3 La dispersion
4.5.4 L’impact de la résolution et de la méso-échelle
4.5.5 Le courant modélisé par MOTHY dans la couche de mélange comparé à celui de NEMO
5 Conclusion
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