Apport de l’ingénierie tissulaire et de la médecine régénérative en chirurgie dentaire
En parallèle des techniques classiques de traitements en chirurgie dentaire, les praticiens ont utilisé, depuis les années 1950, des techniques de coiffage pulpaire direct induisant des processus biologiques de cicatrisation tissulaire pouvant se rapprocher de l’ingénierie tissulaire . Cependant, ils n’avaient pas conscience à l’époque d’être des pionniers dans le domaine. Aujourd’hui, ces processus sont mieux connus et de nouveaux matériaux sont apparus sur le marché. La mise au point de membranes et de substituts osseux a permis l’essor de l’ingénierie tissulaire en dentaire. Dans ce chapitre, les principales thérapeutiques en chirurgie dentaire qui font appel à ces techniques vont être détaillées.
Le coiffage pulpaire direct
Le coiffage pulpaire direct est une technique visant à recouvrir une partie de la pulpe dentaire qui a été exposée au milieu extérieur à l’aide d’un biomatériau actif. Le but est de maintenir la vitalité pulpaire. La pulpe peut-être exposée dans deux cas : suite à un curetage carieux profond ou suite à un traumatisme qui a entrainé une fracture dentaire. Si une lésion carieuse n’est pas dépistée et traitée à temps, elle peut mettre en péril le maintien de la vitalité pulpaire. En effet, la diffusion des produits de dégradation tissulaire et des toxines bactériennes va entrainer l’apparition d’une inflammation pulpaire appelée pulpite (1–3). Celle-ci peut-être qualifiée de réversible ou d’irréversible en fonction des signes cliniques (4). La pulpite irréversible est caractérisée par des douleurs aiguës, spontanées, pulsatiles et augmentées au froid (5). Le traitement actuel consiste en une ablation de la pulpe dentaire inflammatoire par différents procédés mécaniques et chimiques. Le système canalaire doit ensuite être obturé de façon hermétique afin de prévenir une éventuelle infection. Ce traitement chirurgical s’appelle « la biopulpectomie ». Sans la pulpe dentaire, la dent ne peut plus répondre aux agressions extérieures et s’en retrouve fragilisée. Il sera vu dans un autre chapitre (2.1.2) que certains auteurs proposent une technique permettant de retrouver dans certains cas un tissu vivant dans le système canalaire. Dans le cadre d’une pulpite réversible, les douleurs sont provoquées et cessent après le stimulus (6). Le traitement classique consiste à réaliser le curetage de la lésion carieuse et à réaliser une reconstitution coronaire à l’aide d’un biomatériau non-actif. Cependant, durant la procédure chirurgicale, une effraction pulpaire peut être réalisée. Auparavant, le traitement était la biopulpectomie car le chirurgien dentiste ne disposait pas de biomatériaux susceptibles de maintenir la vitalité pulpaire après l’atteinte de ce tissu. Le but de ce coiffage est d’induire la production de dentine réparatrice en regard de la lésion et donc d’autoriser la cicatrisation pulpaire (7). Celle-ci suit toujours les mêmes étapes : hémostase, inflammation, prolifération cellulaire et différenciation (8). Ce processus nécessite le recrutement de nouvelles cellules progénitrices (cellules souches pulpaires) qui vont remplacer les odontoblastes détruits en se différenciant (9). Aujourd’hui, différents biomatériaux ont les propriétés adéquates à la réalisation d’un coiffage pulpaire direct. Ceux qui sont le plus couramment utilisés vont être détaillés : l’hydroxyde de calcium et les ciments silicate de calcium.
L’hydroxyde de calcium (OH2Ca)
L’hydroxyde de calcium est utilisé depuis les années 1950 comme matériau de coiffage pulpaire (10, 11). Il se présente sous la forme d’une poudre à mélanger avec de l’eau avant son utilisation. Des préparations commerciales en seringues existent afin de faciliter son utilisation. Il possède les propriétés suivantes :
– activité antiseptique due à son alcalinité (pH=12,5) (12),
– activité hémostatique et anti-inflammatoire (13),
– induction de la réparation pulpaire par agression localisée (14,15) .
Le taux de succès est très variable en fonction des études et peut varier avec le temps entre 80 % à un an et 59 % à neuf ans (16, 17). Le succès peut aussi être variable en fonction de la dent traitée avec un taux de réussite meilleur sur les incisives centrales (80 %) que sur les troisièmes molaires mandibulaires (38 %) (18). De plus, le pont dentinaire qu’il permet d’obtenir peut être poreux et donc peu étanche, ce qui peut favoriser une contamination pulpaire secondaire au traitement (19). Sa forte alcalinité entraîne une nécrose superficielle de la pulpe qui est néfaste à la cicatrisation pulpaire (20, 21) (Figure 1). Cependant, cette cicatrisation est longue à se mettre en place. Les processus mis en jeu ont été décrits par de nombreux auteurs (22–25). Une revue de la littérature a été réalisée par Olsson en 2006 sur les matériaux de coiffages pulpaires (26). Il en ressort que le pont dentinaire met 2 à 3 mois à se former grâce à l’hydroxyde de calcium. Ce délai, couplé à la non adhérence de l’hydroxyde de calcium aux tissus dentaires, peut expliquer le taux de succès relativement faible de cette thérapeutique.
Longtemps considéré comme le matériau de référence pour la réalisation des coiffages pulpaires directs, l’hydroxyde de calcium est de moins en moins utilisé dans cette optique depuis la disponibilité sur le marché d’une nouvelle famille de matériau : les ciments silicate de calcium.
Ciments silicate de calcium
Les ciments silicate de calcium sont apparus pour un usage dentaire en 1993 avec la mise sur le marché du Mineral Trioxide Aggregate (MTA). Ce matériau est dérivé du ciment de Portland dans lequel a été rajouté de l’oxyde de bismuth pour le rendre radio opaque. Le MTA est biocompatible, bioactif et permet l’obtention d’une herméticité complète au niveau du joint matériau/tissus dentaires (27–29). En effet, en contact direct avec le tissu pulpaire, il va induire la formation d’un pont dentinaire étanche et adhérent aux bords de la lésion (30) (Figure 2).
Ce matériau est en concurrence directe avec l’hydroxyde de calcium pour le coiffage pulpaire. Cela a poussé de nombreux auteurs à comparer leur efficacité (20). Le MTA aurait une action directe sur la prolifération, la migration et la différenciation cellulaire (31–33). Une barrière minérale se forme rapidement à son contact et de la dentine néoformée a pu être observée après seulement 3 semaines (34). De plus, son excellente herméticité va inhiber la pénétration bactérienne dans la lésion pulpaire (35, 36). Sur des dents immatures, le MTA a montré d’excellents résultats (100 % de réussite) pour des traitements d’apexogénèse (suite à un traumatisme ou des lésions carieuses) où le matériau est en contact direct avec le tissu pulpaire (37, 38). Sur le long terme, Bogen a montré en 2008 un taux de succès de 98 % après coiffage direct au MTA suite à une exposition pulpaire accidentelle après curetage (39). Une autre étude a montré en 2014, un taux de succès pour le MTA de 80,5 % sur 10 ans. Ce taux était statistiquement plus élevé que celui de l’hydroxyde de calcium (59 %). Dans les deux cas, la réussite de la thérapeutique était supérieure si la restauration coronaire définitive était réalisée dans les deux jours suivant le coiffage (40). Plus récemment, la société Septodont a développé un nouveau ciment silicate de calcium appelé Biodentine®. Ce ciment a un temps de prise plus court que le MTA (10 à 15 minutes contre 4 heures) et des propriétés mécaniques proches de celles de la dentine une fois la prise terminée. Ces propriétés permettent de l’envisager comme substitut dentinaire ou comme restauration provisoire sur le moyen terme (41). Les propriétés biologiques et l’étanchéité de la Biodentine® sont comparables en tout point à celles du MTA. Cela permet de l’utiliser dans les mêmes indications cliniques et notamment celle du coiffage pulpaire direct (42, 43). La Biodentine® a montré son efficacité chez le chien et le cochon comme matériau de coiffage direct avec des résultats comparables au MTA (44, 45). Cependant, très peu d’études existent chez l’être humain. Une étude de 2013 a confirmé son efficacité sur des dents immatures qui allaient être extraites pour des raisons orthodontiques. Après une effraction pulpaire intentionnelle et pose de Biodentine® ou de MTA, la formation d’un pont dentinaire avec une palissade odontoblastique régénérée a pu être mise en évidence (46). Ce pont minéral était cependant plus épais dans le cas de l’utilisation de Biodentine®.
Le coiffage pulpaire direct constitue un premier stade de médecine régénérative appliquée à la chirurgie dentaire. La mise en place d’un biomatériau actif entraîne le recrutement et la différenciation cellulaires qui vont permettre la cicatrisation et le maintien de la vitalité du tissu pulpaire. Cependant cette thérapeutique n’est applicable que sur une pulpe légèrement inflammatoire avec un potentiel de réparation encore présent et nous sommes encore loin de la régénération complète de la pulpe. Le coiffage direct est donc à réserver aux enfants ou aux jeunes adultes. De même, il n’est pas applicable sur des dents nécrosées ou en voie de nécrose. Récemment, une nouvelle technique applicable aux dents immatures nécrosées, appelée revascularisation, a été proposée.
La revascularisation
La régénération du tissu pulpaire se heurte aux mêmes impératifs que pour tout autre organe : la mise en place d’un environnement favorable au développement du tissu cible, le recrutement cellulaire, la différenciation de ces cellules et la vascularisation du tissu néoformé. Et ceci dans une cavité minéralisée dont le seul point d’entrée est le foramen apical qui a un diamètre moyen de 200 μm chez l’adulte. Ce dernier point explique pourquoi les premières tentatives de régénération pulpaire ont été tentées chez de jeunes patients avec des dents en cours de croissance. Chez ces dernières, le foramen apical de la racine en formation peut être d’un diamètre supérieur au millimètre ce qui favorise les échanges entre le canal pulpaire et l’environnement apical de la dent. Les premières tentatives de régénération pulpaire complète sur dents infectées ont eu lieu dans les années 1960-70 avec les travaux de Ostby ou de Myers et Fountain (47, 48). Mais la hauteur limitée du tissu régénéré et son origine qui semblait plus parodontale que dentaire n’ont pas permis le développement d’une thérapeutique fiable et reproductible. Plus récemment, une population inédite de cellules souches a été découverte dans la papille apicale des racines en cours de développement (49, 50). Ces cellules sont appelées Stem Cells of Apical Papilla (SCAP). Elles joueraient un rôle dans le développement radiculaire et parodontal et auraient un potentiel de différenciation ostéogénique et dentinogénique. Leur présence pourrait expliquer le succès d’une thérapeutique innovante pour le traitement des dents immatures infectées : la revascularisation.
Le but de la revascularisation est de recruter les cellules souches présentes dans la zone apicale radiculaire afin d’initier le développement d’un néo-tissu au sein de la dent. Idéalement, ce tissu doit être dentinogénique et permettre la poursuite de l’édification radiculaire qui peut se quantifier radiologiquement par l’épaississement des parois radiculaires, l’allongement de la racine et la fermeture du foramen apical. Le recrutement des cellules apicales se fait en initiant une désorganisation et un saignement de la papille apicale. Le sang qui remonte dans le canal contiendrait des
cellules souches qui seraient à l’origine du développement d’un tissu conjonctif dentinogénique. La présence de cellules souches mésenchymateuses dans ce saignement a été confirmée en 2011 par Lovelace et coll. (51). Dans les faits, aucune étude n’a pu mettre en évidence une régénération effective d’une pulpe dentaire génératrice de dentine. Une étude de 2015 chez le chien a montré la présence de tissu ostéoïde ou cémentoïde dans le canal après traitement (52). Le développement d’un tissu osseux au sein du canal pourrait entraîner l’ankylose de la dent et compromettre sa conservation sur le long terme. Cependant il est important de noter que dans les nombreux « case report » publiés depuis ces dix dernières années, une guérison pratiquement systématique des lésions péri-apicales est observée (53–55). De plus, en cas d’échec (subsistance des signes cliniques, non guérison des lésions péri-apicales), il reste toujours possible de ré-intervenir en mettant en place une technique plus classique de traitement radiculaire. Cette thérapeutique permet donc le développement d’un tissu vivant dans le canal et la guérison clinique de la dent traitée. Cette obturation biologique, à mettre en regard de l’utilisation d’un biomatériau inerte, semble être une étape prometteuse pour l’arrivée de thérapeutiques régénératives en endodontie.
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Table des matières
I. Introduction
II. Revue de la littérature
2.1 Apport de l’ingénierie tissulaire et de la médecine régénérative en chirurgie dentaire
2.1.1 Le coiffage pulpaire direct
2.1.1.1 L’hydroxyde de calcium (OH2Ca)
2.1.1.2 Ciments silicate de calcium
2.1.2 La revascularisation
2.1.3 La régénération osseuse ou tissulaire guidée (ROG ou RTG)
2.2 L’ingénierie tissulaire de l’organe dentaire
2.2.1 Cellules souches d’origine humaine utilisées dans l’ingénierie de l’organe dentaire
2.2.1.1 Cellules souches de la pulpe dentaire (DPSCs)
2.2.1.2 Cellules souches pulpaires des dents lactéales (SHEDs)
2.2.1.3 Cellules souches du ligament parodontal (PDLSCs)
2.2.1.4 Cellules souches de la papille apicale (SCAPs)
2.2.1.5 Cellules souches du follicule dentaire
2.2.2 Le modèle de la souris
2.2.2.1 Le germe de 1re molaire mandibulaire de souris
2.2.2.2 Les réassociations épithélio-mésenchymateuses
2.2.3 Les biomatériaux utilisés en ingénierie de l’organe dentaire et leurs méthodes de fabrication
2.2.3.1 Les polymères d’origine naturelle
2.2.3.1.1 Le collagène
2.2.3.1.2 Le chitosan
2.2.3.1.3 La soie
2.2.3.1.4 L’alginate
2.2.3.1.5 L’acide hyaluronique
2.2.3.1.6 Les peptides/protéines
2.2.3.2 Les polymères synthétiques
2.2.3.2.1 Le poly (ethylene glycol) (PEG)
2.2.3.2.2 L’acide poly(lactique-co-glycolique) (PLGA)
2.2.3.2.3 Le polycaprolactone (PCL)
2.2.3.3 Les céramiques
2.3 Mise en œuvre d’une membrane originale
2.3.1 L’électrospinning
2.3.2 La technique des multicouches de polyélectrolytes (LBL)
III. Objectifs du travail
IV. Matériel et méthodes
4.1 Préparation, fonctionnalisation et caractérisation des membranes
4.1.1 Production des membranes par électrospinning
4.1.1.1 Préparation de la solution de polymère
4.1.1.2 Mise en œuvre de l’électrospinning
4.1.2 Fonctionnalisation des membranes par la méthode des multicouches de polyélectrolytes
4.1.2.1 Préparation des membranes
4.1.2.2 Préparation des solutions
4.1.2.3 Préparation des nanoréservoirs
4.1.3 Caractérisation des membranes au microscope électronique à balayage (MEB)
4.1.3.1 Préparation des échantillons
4.1.3.2 Observation au MEB
4.2 Cultures cellulaires et d’organes
4.2.1 Les germes de 1re molaire mandibulaire de souris
4.2.1.1 Prélèvement des germes
4.2.1.2 Culture des germes
4.2.2 Culture d’ostéoblastes primaires de souris
4.2.2.1 Origine des cellules
4.2.2.2 Culture des ostéoblastes
4.2.3 Prélèvement des ganglions trijumeaux (TG)
4.3 Caractérisation in vitro
4.3.1 Culture des ostéoblastes
4.3.1.1 Étude de l’expression des protéines osseuses
4.3.1.2 Étude de la minéralisation
4.4 Caractérisation in vivo
4.4.1 Préparation des échantillons
4.4.1.1 Stérilisation des membranes
4.4.1.2 Implant pour la régénération d’une unité os/dent
4.4.1.2.1 Préparation du collagène
4.4.1.2.1 Préparation des implants
4.4.1.3 Implant pour l’innervation de l’organe dentaire
4.4.2 Expérimentation animale chez la souris ICR
4.4.2.1 Implantations
4.4.2.2 Explantations
4.4.3 Histologie
4.4.4 Immunofluorescence
V. Conclusion
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