Apprentissage par problématisation et démonstration commentée
Dans ce cadre de la problématisation, nous nous intéresserons en particulier à la construction par les élèves d’une démonstration commentée de la forme technique à apprendre. Faire élaborer par les élèves une démonstration commentée implique davantage l’élève dans une démarche réflexive sur l’apprentissage d’une technique motrice spécifique. En effet, si une démonstration commentée ou tutoriel est, selon le Larousse, un guide d’apprentissage montrant comment réaliser une tâche, alors les élèves devront expérimenter, explorer, questionner leur pratique pour pouvoir formuler des solutions d’action concrètes à définir dans leur tutoriel. Aussi, dans notre recherche, suivre la construction de la démonstration commentée va nous permettre d’accéder au processus d’apprentissage et à l’avancée des contenus chez les élèves. Comme l’indique le Larousse un guide d’apprentissage peut se faire sur support papier ou non et il est constitué d’instructions visuelles (photos, vidéos) montrant comment réaliser la tâche. Dans notre recherche, la démonstration commentée est composée d’une démonstration vidéo de la pyramide et d’instructions sur papier. Ces instructions ne sont pas une simple succession des actions à effectuer, elles sont comparables à des critères de réalisation. Autrement dit, elles permettent de nous aiguiller sur « comment » réaliser les actions pour réussir la pyramide. Si nous reprenons notre cadre de la problématisation, les instructions font donc référence aux solutions élaborées par les élèves sur la base des mises en relation entre données et conditions, si possible de manière chronologique (succession des actions) mais il se peut que certaines actions soient détachées de toute chronologie, et donc à réaliser sur l’ensemble de la pyramide.
Mise à plat des données et illustration d’analyse
Ensuite, il a fallu déterminer les moments où les élèves se retrouvaient dans une situation de problématisation. Comme nous l’avons dit précédemment (cf présentation de la méthode), nous avons cherché à analyser les mises en relation des conditions et des données du problème par les élèves, l’étude des conditions du problème ainsi que les hypothèses d’action émises au regard des données et des conditions. Pour cela, nous avons effectué un codage des transcriptions en associant un élément du discours à une contrainte, ressource ou une condition. Pour analyser avec précision le passage entre les conditions et les données, nous nous sommes appuyés sur le modèle argumentatif de S. Toulmin6 qui a été un des premiers à analyser le discours. Lorsqu’un sujet tient un discours argumentatif il doit partir des données et lier son discours en organisant les arguments pour amener l’interlocuteur à sa conclusion. S. Toulmin a modélisé la progression entre les données et les conditions et a obtenu un schéma argumentatif. Le schéma de S. Toulmin se lit de gauche à droite. A gauche se trouve les données (D) qui sont les faits servant à prouver l’argument. Les données en bleu correspondent dans le cadre de la problématisation aux données qui peuvent être des contraintes ou des ressources. Au milieu du schéma se trouvent les fondements et les garanties. Les fondements sont les arguments servant à prouver les justifications. Les garanties ou justifications sont les affirmations logiques générales souvent implicites qui servent de lien entre les données et la conclusion. Les fondements et les garanties intègrent les conditions dans le cadre de la problématisation, mais elles ne le sont pas toujours. En effet, ces dernières relèvent majoritairement de l’implicite, ce qui nécessite qu’elles soient inférées par le chercheur. La loi de passage qui s’appuie sur des fondements (F) et des garanties (G) est l’expression des nécessités qui permet de passer des données à la conclusion ou hypothèse d’action. Nous les symboliserons tous deux par la lettre « C » (pour condition) dans notre tableau d’analyse. A droite du schéma se trouvent le qualificateur (Q), la conclusion ou hypothèse d’action (CH) et la condition d’exception ou de réfutation (R). Le qualificateur est l’affirmation qui limite la portée de l’argument ou énonce les conditions sous lesquelles l’argument est vrai. La conclusion ou hypothèse d’action est la thèse soutenue en conclusion de l’argument. La condition d’exception ou de réfutation est le contre-argument ou l’affirmation énonçant les conditions sous lesquelles l’argument n’est pas vrai. A droite du schéma en rouge ce sont les éléments qui dans le cadre de la problématisation correspondent aux hypothèses d’actions à entreprendre. Dans notre recherche, Les données sont les constats réalisés par les élèves, la loi de passage renvoient aux conditions nécessaires à la réalisation de la pyramide, et les hypothèses d’action seront donc représentées par les mises en action (tentatives) des élèves lorsqu’elles ne sont pas verbalisées (dans ce cas-là elles sont implicites).
Les mises en lumière de cette recherche
Tout d’abord, abordons les résultats de notre recherche. Les élèves ont utilisé la tablette principalement pour se représenter l’action effectuée, cela rejoint de nombreux travaux dont ceux de Mérian & Baumberger (2007) qui indiquent que le feedback vidéo permettrait de rendre disponibles des informations visuelles sur le mouvement auxquelles l’apprenant n’a pas accès naturellement. Au sujet de la participation de la vidéo dans l’avancée des contenus, ces auteurs ont montré que le feedback vidéo avec indication verbale facilite l’apprentissage d’habileté complexe. Or dans notre étude la vidéo a peu participé à l’avancée des contenus. Nous avons montré que dans la création d’un tutoriel, la vidéo n’a pas facilité l’élaboration des commentaires indiquant comment réaliser la pyramide. Si la vidéo avec feedback est utile dans une tâche d’application où l’élève actif doit corriger son mouvement, nous avons montré que pour ce niveau d’élève la vidéo n’était pas utile dans une tâche où l’élève acteur doit rechercher les facteurs déterminants de l’apprentissage. Dans notre étude, l’utilisation de la tablette par les élèves pour repérer des critères s’est révélée inefficace. Cela rejoint l’idée de Bruchon et Tomaszower en 2015 qui indiquent « si la visualisation constitue une réelle plus-value, le visionnement a posteriori de l’action se doit d’être accompagné d’une analyse critériée sous peine de demeurer peu efficace.». Nous confortons l’idée de Mérian et Baumberger (2007), Laugier (1995), Lafont (1994) selon laquelle il est nécessaire d’orienter les élèves vers les éléments pertinents à observer pour que la vidéo soit utile. Cela est notamment utile chez les sujets débutants, et dans des tâches complexes où la quantité d’information à traiter est importante, comme c’est le cas pour les habiletés sportives (Laugier 1995). Ainsi les élèves n’auraient pas les compétences suffisantes pour repérer les critères pertinents dans l’analyse de la vidéo. Cette idée s’inscrit dans les travaux de Salmoni et al (1984) qui énonçaient qu’un feedback peut présenter un avantage pour l’apprentissage pour autant que le pratiquant ait les compétences cognitives et motrices nécessaires pour interpréter et corriger son mouvement. De plus, l’approche cognitiviste des théories de l’apprentissage montre que l’apprentissage nécessite une adaptation de la quantité d’information à traiter aux capacités actuelles de traitement de l’apprenant. Ainsi, les élèves n’auraient pas les compétences requises pour analyser et ne sauraient pas quel élément regarder dans la vidéo. La tâche était sûrement trop difficile pour les élèves, car elle leur demandait beaucoup d’autonomie sans qu’ils soient passés par des étapes préalables pour apprendre à analyser de façon plus autonome. En effet, si l’on se réfère à l’article de 2010 de Pasquier et Lebrun intitulé « La part des collégiens dans les apprentissages De l’élève actif vers l’élève acteur. », la tâche demandée aux élèves correspondait au troisième et dernier niveau d’autonomie. Dans cet article, il y a trois étapes pour passer à l’élève acteur, dans la première, l’élève choisit la situation qui lui convient le mieux, dans la deuxième étape, il adapte les paramètres de la situation à ses capacités et dans la dernière étape il définit les variables essentielles à l’apprentissage et la manière dont il va les mobiliser. Ainsi, dans notre étude le collégien serait confronté directement à une situation qui nécessite le dernier niveau d’autonomie où les élèves recherchent des facteurs déterminants de l’apprentissage et doivent comprendre et expliciter comment ces variables sont liées. Aussi, l’analyse des vidéos s’est souvent limité à une appréciation globale et la demande de réaliser un tutoriel en y associant une vidéo experte n’a pas abouti dans le sens où les élèves ne se sont pas appuyés sur leur vidéo experte pour décrire ce qu’il fallait faire. La vidéo semble avoir aidé à un apprentissage collaboratif en favorisant les interactions et semble avoir permis d’engager les élèves dans l’activité. De plus, notre étude nous a permis de voir que le numérique favorise la continuité dans la séance et d’une séance à l’autre, notamment par l’enregistrement de vidéos qui peuvent être consultés plus tard. La vidéo sur tablette s’est révélée utile avec l’aide de l’enseignant pour apprécier qualitativement la performance. Les interventions de l’enseignant ont plus fait avancer les élèves dans leur problématisation que la tablette.
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Table des matières
Introduction
1. Cadre théorique
1.1. Problématisation et contenus d’apprentissage
1.2. Apprentissage par problématisation et démonstration commentée
1.3. Apprentissage par problématisation et travail collaboratif
1.4. Utiliser la vidéo pour problématiser
1.5. Problématiser en acrogym
2. Question de recherche
3. Méthodologie
3.1. Situation d’étude
3.1.1. Problème posé aux élèves dans la situation
3.3. Recueil de données
3.4 Analyse des données
3.4.1. Présentation de la méthode
3.4.2. Mise en forme des transcriptions
3.4.3. Mise à plat des données et illustration d’analyse
3.4.4. Mise en chronologie
4. Résultats
4.1. Les hypothèses d’action et les repères envisagées
4.2. Les relations entre vidéo et problématisation
4.3. Synthèse des résultats
5. Discussion
5.1. Les mises en lumière de cette recherche
5.2. Les zones d’ombre de cette recherche
Conclusion
Bibliographie
Annexes
4ème de couverture
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