La spectrométrie par mobilité ionique (Ion Mobility Spectrometry, IMS) est une technique de séparation des composés gazeux sous formes chargés qui analyse leur mobilité électrophorétique dans un gaz vecteur sous l’influence d’un faible champ électrique (Eiceman et al., 2013). Cette approche s’est énormément développée depuis les années 1960 pour l’analyse de gaz contenant des agents chimiques (Mäkinen et al., 2010) ou encore des explosifs (Ewing et al., 2001). Cet appareillage permet, en effet, une détection rapide (en quelques minutes) des composés d’intérêt et ce même à l’état de traces grâce à la grande sensibilité de la mobilité ionique (Eiceman, 2002). Des instruments portatifs avec des interfaces simplifiés et des composés de calibrations inclus dans l’appareillage ont ainsi été développés permettant leurs utilisations par des personnels non scientifiques et continuent aujourd’hui encore d’être utilisés dans les aéroports, lors d’événements scientifiques ou même sur des zones de combats. Depuis cette époque, le développement des méthodes d’ionisation dites douces telles que les sources ESI (Electrospray ionization) et MALDI (Matrix assisted laser desorption ionization) ont permis d’étendre les applications de cette technique non plus uniquement à des composés gazeux et volatils mais également à des échantillons plus ou moins complexes à l’état liquide ou solide contenant des composés polaires de hautes masses moléculaires. L’analyse par mobilité ionique a ainsi pu s’ouvrir à d’autres domaines tels que l’étude des systèmes biologiques, le diagnostic clinique ou encore les sciences environnementales (Eiceman et al., 2013).
Le développement de la mobilité ionique a également été rendu plus attractif en intégrant les cellules de mobilité avec des spectromètres de masse (ion mobility mass spectrometry, IMMS), où la cellule est implémentée après la source d’ionisation. En effet, la séparation par mobilité ionique s’effectue sur l’échelle de la milliseconde, tandis qu’une séparation par spectrométrie de masse prend quelques microsecondes, rendant le couplage de ces deux techniques idéal. Bien que le principe de séparation de ces deux approches est similaire vu qu’elles utilisent chacune des champs électriques, en spectrométrie de masse elle s’effectue avec des conditions de vide poussé pour éviter tout frottements tandis qu’un gaz vecteur participe à la séparation par mobilité ionique dans des conditions de plus haute pression. Ainsi, ces deux techniques analytiques bien que similaires restent complémentaires, la spectrométrie de masse séparant les espèces chargées selon le rapport masse sur charge tandis que la mobilité ionique selon la charge, la taille et la forme des ions (Eiceman et al., 2013).
Analyse d’isomères d’oestrogènes dans l’urine humaine
Comme évoqué plus haut, la capacité du TIMS à séparer les métabolites isomères a d’abord été évaluée par l’étude de trois couples d’isomères de dérivés estradiols, (i) estradiol-17β (E2β) et son épimère (E2α), (ii) estradiol-3-glucuronide (E2β-3G) et estradiol-17-glucuronide (E2β17G), et (iii) 2-methoxyestradiol (2-MeO-E2β) et 4 methoxyestradiol (4-MeO-E2β). Ces composés ont été choisis en tant que métabolites isomères modèles car ils nous permettent d’étudier des régio- et stéréoisomères ainsi que pour leur intérêt biologique. En effet, les estradiols sont connus pour avoir un effet globalement positif sur le maintien de l’homéostasie (Ikeda et al., 2019) mais ils peuvent également être utilisés dans les traitements hormonaux de substitution (Lobo, 1995). Cependant, certains métabolites d’estradiol peuvent augmenter le risque de développement de cancer (Gonzalez et al., 2019; Rižner, 2013; Rodriguez et al., 2001). Il est, donc, important de pouvoir distinguer et discriminer ces métabolites. C’est pourquoi après évaluation des meilleures conditions analytiques pour la séparation des isomères de ces trois couples, les standards ont été ajoutés à une urine humaine pour évaluer la possibilité par notre approche directe IM-MS de les détecter dans une matrice biologique.
Les résultats obtenus dans ce travail ont fait l’objet d’un article intitulé « An emerging powerful technique for distinguishing isomers : TIMS-TOF for a rapid characterization of estrogen isomers » publié dans Rapid Communications in Mass Spectrometry en 2020 (doi : 10.1002/rcm.8928). Dans cet article, nous présentons la possibilité de distinguer des estrogènes isomères par des analyses directes IM-MS en ionisation négative et positive. L’ajout de lithium a été proposé pour améliorer la séparation des isomères sous forme d’adduits monomères et/ou dimères non covalents cationisés par le lithium. Nous avons également testé l’ajout d’hydroxyde d’ammonium (NH4OH) mais cela n’a pas amélioré la séparation des isomères, ces résultats n’ont donc pas été inclus dans l’article et ne seront pas non plus décrits ici.
Dans cette étude, nous avons pu montrer la distinction de différents types d’isomères de dérivés estradiols grâce à l’utilisation du TIMS-TOF. La séparation des composés ayant de très faibles différences en CCS a été réalisée par l’utilisation du mode ultra de l’instrument qui peut être qualifié de mode d’analyse ciblée. Il permet, en effet, d’augmenter la résolution de valeurs moyennes d’environ 50-80 en mode d’analyse globale (mode detect du TIMS-TOF) à des valeurs de pouvoir résolutifs de 120-180, en mode ultra. Des améliorations analytiques ont, également, été explorées telles que la formation d’adduits lithium et/ou de dimères non covalents. Ces conditions ont, notamment, permis la séparation des épimères E2β et E2α. La robustesse dans la mesure des valeurs de TIMSCCSN2 a aussi été démontrée, avec des mesures répétées présentants des valeurs de RSD largement inférieures à 2% (tolérance généralement appliquée). Les valeurs TIMSCCSN2 expérimentales de notre étude sont également cohérentes avec celles fournies par des instruments de type TWIMS pour les espèces monomériques, néanmoins elles présentent des écarts plus importants pour des valeurs correspondant aux dimères. Ces observations expérimentales avaient également été faites dans les travaux de (Rister et al., 2019a) où des écarts plus élevés ont été reportés pour les formes dimériques détectées par un instrument TWIMS en les comparant aux valeurs mesurées sur un instrument DTIMS. Enfin, l’analyse de ces composés surchargés dans un échantillon d’urine humaine a montré que les mesures TIMSCCSN2 variaient peu (RSD<1%) dans une matrice biologique, ce qui ouvre la voie à l’utilisation des valeurs TIMSCCSN2 comme critère d’identification pour la caractérisation des métabolites présents dans des mélanges complexes et encourage ainsi à la création d’une base de données TIMSCCSN2 .
Analyse des HMOs dans le lait maternel
A la suite de l’étude des dérivés d’estradiols, nous nous sommes intéressés aux oligosaccharides du lait maternel (Human Milk Oligosaccharides, HMOs) qui représente une classe de composés très intéressante de par leur fonction mais également de par leur grande variété structurale. Les HMOs sont la 3ème famille de composés la plus abondante dans le lait maternel après le lactose et les lipides (Plaza-Díaz et al., 2018) et ils sont de plus en plus étudiés pour leur intérêt biologique. Ce sont, en effet, des prébiotiques pour le microbiome intestinal (Bode, 2015) qui participeraient à la protection des enfants allaités face à certaines infections microbiennes et maladies et également au développement de leur système immunitaire (Quin et al., 2020; PlazaDíaz et al., 2018). Or, ces différents bénéfices seraient liés à la composition du lait maternel et notamment à celle en HMOs. Cette dernière est très variable d’une mère à l’autre et a conduit à définir différents types de laits. Les laits maternels se classent, en effet, en plusieurs catégories selon le statut sécréteur ou non et le groupe Lewis de la mère (Kunz et al., 2017). Pour classer les différents laits maternels au sein de ces groupes, certains HMOs sont (semi-)quantifiés car ils sont surexprimés ou absents selon les échantillons considérés . Enfin, il est également important de caractériser les HMOs du lait maternel car la quantité de certains composés serait liée à la durée de lactation, à des caractéristiques maternelles (âge, poids, alimentation, ethnicité) mais également à certains facteurs environnementaux (lieu et saison) (Azad et al., 2018). Cependant, cette classe de molécules reste difficilement analysable car elle contient de nombreux isomères résultant de la manière dont les différents blocs monosaccharides sont branchés sur la chaîne oligosaccharide mais également de la stéréochimie des liaisons des différents blocs entre eux.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE I : APPORT DE LA MOBILITÉ IONIQUE COUPLÉE À LA SPECTROMÉTRIE DE MASSE POUR DANS ANALYSES MÉTABOLOMIQUES
Introduction du Chapitre I
Different ion mobility-mass spectrometry coupling techniques to promote metabolomics
1. Introduction
2. An overview of metabolomics including commonly used analytical techniques
3. IM-MS instrumentation for metabolomics
4. Coupling ion mobility spectrometry with different MS based methods
5. Factors influencing the ion mobility selectivity
6. Data mining and metabolite identification
7. Conclusion and perspectives
Conclusion du Chapitre I
CHAPITRE II : SÉPARATION DE MÉTABOLITES ISOMÈRES ET ANALYSE EN MATRICES COMPLEXES
Introduction du Chapitre II
II-1. Analyse d’isomères d’oestrogènes dans l’urine humaine
An emerging powerful tecnhique for distinguishing isomers: trapped ion mobility
spectrometry time-of-flight mass spectrometry for rapid characterization of estrogen isomers
1. Introduction
2. Experimental
3. Results and discussion
4. Conclusion
Supporting Information
II-2. Analyse des HMOs dans le lait maternel
II-2A. Etude préliminaire sur quatre couples d’isomères
Trapped ion mobility spectrometry time-of-flight mass spectrometry for high throughput
and high resolution characterization of human milk oligosaccharide isomers
1. Introduction
2. Experimental section
3. Results and discussion
4. Conclusion
Supporting Information
II-2B. Etude étendue des HMOs communément présents dans le lait maternel
Conclusion du Chapitre II
CHAPITRE III : CRÉATION D’UNE BASE DE DONNÉES DE VALEURS CCS DE MÉTABOLITES STANDARDS
Introduction du Chapitre III
Creation of a Collisional Cross Section database to support metabolomics analyses and
identification using trapped ion mobility-mass spectrometry
1. Introduction
2. Materials and methods
3. Results and discussion
4. Conclusion
Supporting Information
Conclusion du Chapitre III
CONCLUSIONS
PERSPECTIVES
RÉFÉRENCES