Enjeux de la fiabilité des examens de biologie médicale
La qualité des soins a toujours été un élément crucial dans le domaine de la santé et est devenue une priorité afin d’améliorer la qualité de prise en charge des patients. Elle est définie par l’Organisation Mondiale de la Santé comme « le moyen de garantir, à chaque individu, un ensemble d’actes diagnostiques et thérapeutiques qui assureront le meilleur résultat en termes de santé, conformément à l’état actuel de la science médicale, au meilleur coût pour un même résultat, en moindre risque et pour la plus grande satisfaction en termes de procédure, de résultats et de contact humain à l’intérieur du système de soins » (1). L’erreur médicale, définie comme un acte involontaire, une erreur d’exécution, une erreur de planification, une erreur de diagnostic, une déviation d’un protocole de prise en charge, un surdosage de médicaments ou un problème de communication, est l’un des facteurs les plus impactant de la qualité des soins (2). Une étude de 2016 a montré que les erreurs médicales sont la troisième cause de décès aux Etats-Unis, juste derrière les maladies cardio-vasculaires et les cancers avec environ 250 000 décès chaque année (3). De plus, elles représentent un enjeu économique important lié aux surcoûts dans la prise en charge des patients. Ainsi, le coût lié aux erreurs médicales est estimé entre 17 et 29 milliards de dollars américains par an aux Etats-Unis selon une étude menée par Berwick et Leape en 1999 (4). Dans la lutte pour la réduction des erreurs médicales, la majorité des mesures vise particulièrement à diminuer les erreurs humaines et à améliorer le système de communication, que ce soit entre le patient et le personnel de santé ou au sein du système de santé (5). Cependant, peu d’attention est en général accordée aux erreurs d’examens de biologie médicale. Ceci peut être expliqué par le nombre important d’étapes et les délais importants entre la prise en charge des patients, les analyses faites au laboratoire, la communication des résultats et les actions des cliniciens, rendant ainsi l’évaluation des erreurs difficile (6).
Un examen de biologie médicale est défini par le Code de la santé publique (art. L. 62112) comme « un acte médical qui concourt à la prévention, au dépistage, au diagnostic ou à l’évaluation du risque de survenue d’états pathologiques, à la décision et à la prise en charge thérapeutiques, à la détermination ou au suivi de l’état physiologique ou physiopathologique de l’être humain, hormis les actes d’anatomie et de cytologie pathologiques, exécutés par des médecins spécialistes dans ce domaine ». Un rapport publié en 2005 a montré que les résultats de tests de diagnostic in vitro influençaient 60 % à 70 % des prises de décision médicale (7). Cependant, l’utilisation d’examens de biologie médicale est extrêmement hétérogène en fonction de la structure clinique et des conditions des patients, et il est difficile de généraliser ces chiffres (8). En effet, une étude basée sur les données de 72 196 patients a montré que seuls 56 % des patients admis aux urgences recevaient une prescription pour au moins un examen de biologie médicale à visée diagnostique tandis que le taux s’élève à 98 % pour les patients hospitalisés (8). En cancérologie et cardiologie, une étude menée aux Etats-Unis et en Allemagne a montré que 66 % des décisions médicales étaient basées sur les examens de biologie médicale (9).
L’ensemble de ces études montre une forte implication des examens de biologie médicale dans la prise en charge des patients. Il est donc important d’évaluer l’impact des erreurs liées aux examens de biologie médicale dans les erreurs médicales pour l’amélioration de la qualité de soin des patients. En effet, ces erreurs peuvent avoir de nombreuses conséquences : erreur de diagnostic, arrêt de traitement ou prescription de traitements inappropriés et susceptibles d’aggraver l’état des patients ou d’augmenter la survenue d’effets indésirables liés au traitement. Selon une étude publiée en 2010, 24,4 % à 30,0 % des erreurs liées aux examens de biologie médicale entrainent des problèmes de soins aux patients et 2,7 % à 12,0% de ces erreurs provoquent des effets indésirables et des soins inappropriés (10). De plus, elles entraînent généralement des analyses supplémentaires et inutiles, engendrant une augmentation des coûts associés à la prise en charge du patient et une mobilisation injustifiée du personnel médical. De nombreux contrôles qualité interviennent pourtant entre la communication des résultats d’un examen de biologie médicale et l’action réelle sur les patients. Afin de réduire les désagréments causés aux patients par les erreurs liées aux examens de biologie médicale, d’autres mesures de qualité ont été mises en place non seulement au niveau analytique mais également au niveau pré et post-analytique entre la prescription du test, la collecte et la réception des échantillons et la communication des résultats d’un examen de biologie médicale (10,11). En effet, les erreurs liées aux examens de biologie médicale peuvent survenir dans chaque phase de l’examen de biologie médicale :
▪ La phase pré-analytique comprenant les étapes allant de la prescription de l’examen jusqu’à la mise à disposition de l’échantillon au laboratoire.
▪ La phase analytique comprenant la mise en application des processus techniques permettant l’obtention d’un résultat d’analyse de biologie médicale.
▪ La phase post-analytique comprenant la validation et l’interprétation contextuelle du résultat et la communication appropriée du résultat aux cliniciens.
Les phases pré-analytique et post-analytique représentent une source importante des erreurs liées aux examens de biologie médicale (Figure 1). En effet, selon une étude de 2007, les phases pré-analytique et post-analytique sont respectivement à l’origine de 61,9 % et 23,1 % des erreurs. Le taux élevé d’erreurs en phase pré analytique est expliqué par la difficulté de pouvoir contrôler cette phase, car elle est souvent externe au laboratoire, nécessite plusieurs étapes et fait intervenir différents acteurs. La phase analytique est, quant à elle, à l’origine de 15 % des erreurs liées aux examens de biologie médicale. Ce taux d’erreur en phase analytique a considérablement diminué passant de 464 erreurs par million d’examens en 2006 à 617 erreurs par million d’examens en 1996 (12). Ce progrès est lié à une meilleure fiabilité des examens de biologie médicale suite à l’évolution des technologies utilisées pour les méthodes analytiques en laboratoire, l’automatisation et l’harmonisation des méthodes en termes de réactifs et instruments (13). Pourtant, même à faible fréquence, les erreurs en phase analytique peuvent avoir un fort impact sur la prise en charge des patients (14). En effet, la clinique Mayo aux Etats Unis a montré qu’un biais de 3 % sur le résultat d’analyse du cholestérol total engendre une augmentation de 10 % du nombre de diagnostics erronés (15).
Assurance qualité en biologie médicale
Contexte normatif et règlementaire
Dans une optique d’amélioration de la fiabilité des examens de biologie médicale, il est possible d’envisager différentes actions relatives à la gestion de la qualité selon les normes internationales et les règlementations. L’organisation internationale de normalisation pour les laboratoires est l’ISO (International Organization for Standardization). Plusieurs normes ISO reprises au niveau européen et français visent à assurer la qualité des examens de biologie médicale. Elles s’appliquent non seulement aux laboratoires de biologie médicale (NF EN ISO 15189) mais également aux fabricants de dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (DIV) (NF EN ISO 17511) et aux laboratoires de référence et d’étalonnage (NF EN ISO/IEC 17025).
La norme NF EN ISO/IEC 17025, dont la dernière version a été publiée en 2017, concerne tous les laboratoires effectuant des étalonnages et des essais, y compris l’échantillonnage. Cette norme partage de nombreux points communs avec la norme NF EN ISO 9001, une norme internationale décrivant les exigences relatives au management de la qualité, mais elle inclut une partie concernant les exigences techniques spécifiques relatives aux essais et étalonnages (personnel, équipement, validation de méthode, traçabilité des mesures…). L’accréditation selon la norme NF EN ISO/IEC 17025 n’est pas obligatoire pour les laboratoires d’étalonnage.
La norme NF EN ISO 17511 décrit les exigences relatives à l’établissement de la traçabilité métrologique des valeurs attribuées aux étalons et aux matériaux de contrôle de la justesse utilisés par les fabricants de dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (DIV). Cette norme a été révisée en 2020 afin de décrire des procédés de raccordement alternatifs à l’utilisation de méthodes de référence et de matériaux de référence certifiés lorsque ceux-ci ne sont pas disponibles. En plus des exigences relatives à la norme NF EN ISO 17511, tout dispositif médical de DIV devra prochainement être conforme au règlement 2017/746/EU du Parlement européen, qui remplacera la directive européenne 98/79/CE, pour pouvoir être mis sur le marché de l’Union Européenne. Ce règlement décrit les exigences techniques pour permettre une reconnaissance mutuelle au sein de l’Union Européenne et disposer du marquage CE (conformités à toutes les directives ou règlements concernés) apposé par les organismes notifiés. Comme la norme NF EN ISO 17511 et la directive 98/79/CE, le règlement 2017/746/EU impose que les valeurs attribuées aux étalons et matériaux de contrôle soient établies par des procédures de mesure de référence et/ou des matériaux de référence disponibles avec le plus haut niveau métrologique possible.
La norme NF EN ISO 15189 détaille les exigences relatives à la qualité et à la compétence des laboratoires de biologie médicale (LBM). Cette norme est largement basée sur les normes NF EN ISO/IEC 17025 et NF EN ISO 9001. Ces exigences imposent aux LBM de réaliser non seulement des contrôles de qualité interne (CQI) mais également de participer aux évaluations externes de qualité (EEQ). De plus, selon cette norme, les LMB doivent assurer la traçabilité métrologique des résultats rendus et évaluer les incertitudes de mesure. Pour les examens de biologie médicale délocalisée (EBMD) la norme NF EN ISO 15189 est complétée par la norme NF EN ISO 22870 décrivant les exigences relatives à l’évaluation des compétences du personnel réalisant les EBMD et à la comparabilité des résultats obtenus par les EBMD à d’autres systèmes au sein du LBM.
De plus, les laboratoires réalisant des mesures de référence et les instituts nationaux de métrologie peuvent choisir d’assurer la conformité de leurs activités par rapport aux exigences de la norme NF EN ISO 15195, ainsi que la norme NF EN ISO 15193 sur les procédures de mesure de référence et la norme NF EN ISO 15194 pour la production de matériaux de référence certifiés. Une autre organisation internationale de normalisation pour les laboratoires est le CLSI (Clinical and Laboratory Standard Institutes), qui développe des guides et des recommandations pour la gestion de la qualité. Le processus de rédaction de ces documents est identique à celui des normes ISO, en se basant sur le consensus obtenu au sein des groupes de travail. Il peut exister également des normes/règlementations qui sont spécifiques à chaque pays ou régions.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I Apport de la métrologie en biologie médicale
I.1 Enjeux de la fiabilité des examens de biologie médicale
I.2 Assurance qualité en biologie médicale
I.2.1 Contexte normatif et règlementaire
I.2.2 Contrôle qualité dans les laboratoires de biologie médicale
I.3 La métrologie en biologie médicale
I.3.1 Traçabilité métrologique
I.3.2 Matériaux de référence certifiés et procédures de mesure de référence
I.3.3 Commutabilité
I.3.4 Standardisation/Harmonisation
Chapitre II Sepsis et résistance aux antibiotiques
II.1 Sepsis
II.1.1 Historique et définition
II.1.2 Epidémiologie
II.1.3 Etiologie
II.1.4 Physiopathologie et conséquences du sepsis
II.1.4.1 Physiopathologie du sepsis
II.1.4.2 Manifestations cliniques du sepsis
II.1.5 Diagnostic du sepsis
II.1.6 Prise en charge thérapeutique des patients
II.2 Résistance aux antibiotiques
II.2.1 Antibiothérapie
II.2.2 Résistance aux antibiotiques
II.2.3 Consommation des antibiotiques et risque de développer une résistance aux antibiotiques
II.2.4 Antibiothérapie et résistance aux antibiotiques dans le cadre du sepsis
Chapitre III Procalcitonine
III.1 Généralités sur la procalcitonine
III.1.1 Structure et biogenèse de la procalcitonine
III.1.2 Production de la procalcitonine en cas de sepsis d’origine bactérienne
III.1.3 Utilisation de la PCT pour le diagnostic du sepsis, la stratification des patients et l’antibiothérapie
III.1.4 Bénéfices des dosages de la PCT dans la gestion et la prise en charge des patients
III.1.5 Limites des dosages de la PCT
III.2 Méthode de dosage de la procalcitonine
III.2.1 Méthodes utilisées par les laboratoires de biologie médicale
III.2.2 Autres méthodes de dosage de la PCT
Chapitre IV Quantification de protéines en matrice complexe par ID-LC-MS/MS
IV.1 Sérum et protéines du sérum
IV.2 Quantification par chromatographie en phase liquide couplée à la spectrométrie de masse
IV.2.1 Séparation par chromatographie en phase liquide
IV.2.2 Détection par spectrométrie de masse
IV.2.2.1 Modes de fragmentation
IV.2.2.2 Mode d’acquisition
IV.2.2.2.1 Analyse en masse intacte
IV.2.2.2.2 Acquisition en mode dépendant des données
IV.2.2.2.3 Parallel reaction monitoring
IV.3 Quantification de protéines par ID LC-MS
IV.3.1 Approches protéomiques
IV.3.2 Stratégie de quantification de la PCT
IV.3.2.1 Principe général
IV.3.2.2 Quantification par dilution isotopique
IV.3.2.3 Etalonnage
IV.3.2.4 Caractérisation des étalons légers par l’approche PICAA
IV.4 Traitement de l’échantillon
IV.4.1 Dénaturation des protéines
IV.4.2 Précipitation des protéines
IV.4.3 Ultrafiltration des protéines
IV.4.4 Extraction en phase solide
IV.4.5 Déplétion des protéines
IV.4.6 Immunoaffinité
Conclusion générale
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