La Méditerranée, du latin Medius terrae, est une mer microtidale enclavée entre l’Afrique et l’Eurasie avec une superficie avoisinant 2.5 millions de km2 , ce qui représente seulement 0.8% de la surface mondiale des océans. Depuis l’espace et au regard de l’océan mondial, ce « lac » étroit concentre 150 millions d’habitants et attire de nombreux visiteurs chaque année. Cette forte concentration de population fait de la connaissance de cette mer un enjeu majeur. De plus, elle est assimilable à un modèle réduit d’océan, de par les processus physiques complexes recouvrant un large spectre de variabilité spatiale et temporelle qui s’y déroulent (Send et al., 1999) et sa rapidité de réponse au forçage climatique (Lacombe et al., 1981). Son étude permet donc d’apporter des éléments de compréhension de la physique de l’océan global. Le système climatique méditerranéen, caractérisé par des étés chauds et secs et des hivers doux et humides au Nord et semi-arides au Sud, ajouté au fait que cette mer est considérée comme semi-fermée par sa faible communication avec l’océan Atlantique par le détroit de Gibraltar, profond de 300 m et large au minimum de 14 km, en font un bassin d’évaporation. L’effet des vents et de l’aridité du climat induisent une évaporation qui n’est pas compensée par l’apport des précipitations et des fleuves. Ce déficit en eau et l’excès de sel qui en résultent sont compensés par l’entrée d’eau Atlantique en surface et la sortie d’eau intermédiaire méditerranéenne en profondeur par le détroit de Gibraltar (Millot and Taupier-Letage, 2005; La Violette, 1994). L’apport d’eaux Atlantiques, moins salées et plus froides, est à l’origine de la circulation thermohaline de la Méditerranée. Moins denses que les eaux méditerranéennes et sous l’effet de la force de Coriolis, elles vont s’écouler en surface le long des côtes Africaines jusqu’au détroit de Sicile. À la jonction entre les deux sous-bassins méditerranéens, cette circulation va se scinder en deux branches: l’une d’elle va rester dans le bassin occidental remontant ainsi vers le nord en longeant la Corse, et l’autre va transiter par le bassin oriental avant de retourner dans le bassin occidental. De la mer Ligure à la mer Catalane, la partie nord de la circulation cyclonique du bassin occidental est nommée le Courant Nord (CN) (Millot, 1999). C’est ce courant qui sera étudié dans cette thèse, et plus particulièrement sa circulation au large de la Côte d’Azur et du Golfe du Lion (GdL).
Dans l’océan comme dans l’atmosphère, le mouvement des fluides s’effectue à différentes échelles spatiales et temporelles, allant des échelles moléculaires aux échelles planétaires (Dickey, 1991; Talley, 2011). Entre ces deux extrêmes se situe la méso-échelle, associée à des échelles spatiales de l’ordre de 100 km (10 km en côtier) à plusieurs centaines de kilomètres avec des échelles temporelles s’étalant de plusieurs jours jusqu’à l’année. Les structures à méso-échelle, comme les tourbillons, sont très présents le long des majeurs courants (Stammer, 1997), résultants d’un transfert d’énergie cinétique et/ou potentielle de la grande échelle vers les plus petites (cascade d’énergie). Ces structures à méso-échelle prennent également naissance en aval d’accidents orographiques, comme les caps ou les îles (Doglioli et al., 2004; Arístegui et al., 1997), ou encore sous l’action de l’atmosphère. Une cascade d’énergie est également possible de la méso-échelle à la subméso échelle. La submésoéchelle est caractérisée par des processus de l’ordre de 1 à 10 km comme les petits tourbillons, les filaments ou encore les fronts. Issue du stress du vent ou de l’interaction entre différentes structures à méso-échelle, la subméso échelle est un élément important de la circulation côtière.
La connaissance du milieu côtier, zone de transition entre le littoral et le large, connaît un réel attrait ces dernières années car il est au centre de préoccupations écologiques, socioéconomiques et touristiques, mais également pour améliorer la compréhension de la dynamique à petite échelle, voire la turbulence. Les populations qui interagissent avec ce milieu, l’exploitation des ressources halieutiques et aquacoles, le transport maritime, les activités nautiques, sont directement exposées aux variations des écosystèmes qui y sont présents et au climat. C’est pourquoi la communauté scientifique cherche à comprendre et définir au mieux ces écosystèmes très complexes et sensibles. Le positionnement côtier du fait que ce courant joue un rôle important sur les échanges côte-large (Huthnance, 1995), pouvant agir à la fois telle une frontière entre les eaux côtières et celles du large, mais également ayant un rôle dans les échanges entre les deux milieux par la présence d’activité tourbillonnaire. De nombreuses campagnes d’observations et de mesures in situ ont déjà été menées en Méditerranée nord-occidentale, comme dans le cadre du projet MOOSE dont les objectifs sont d’observer sur le long terme l’évolution de ce sous-bassin dans les contextes de changement climatique et de pression anthropique. Les projets TRANSMED et SAVED , utilisant respectivement des navires d’opportunités et de recherche pour obtenir des mesures le long de leurs trajets, sont d’autres exemples de projets d’observations de la Méditerranée. À toutes ces mesures s’ajoute l’observation satellitale, permettant de couvrir de grandes étendues spatiales et temporelles. L’exploitation de ces observations a permis plusieurs études sur la circulation générale du bassin (Millot, 1999; Taupier Letage and Millot, 1986; Bethoux et al., 1982; Petrenko, 2003; Lapouyade and Durrieu de Madron, 2001) et plus particulièrement sur le CN (Albérola et al., 1995; Albérola and Millot, 2003; Conan and Millot, 1995; Sammari et al., 1995; Flexas et al., 2002; Birol et al., 2010).
Courant Nord : de l’échelle du bassin aux côtes varoises
La circulation du bassin occidental méditerranéen a été étudiée à l’aide de nombreuses campagnes de mesures et d’observations satellites. Les travaux de Millot (1999) ont montré que le CN, qui est la part de la circulation cyclonique méditerranéenne au nord du bassin, est composé des MAW , LIW , WMDW et WIW quand elles existent (la description de la formation et écoulement de ces masses d’eau pourra être trouvée dans la bibliographie de C. Millot et ne sera pas reprise ici). Le CN s’écoule le long du plateau continental, longeant ainsi les côtes françaises et espagnoles jusqu’au îles Baléares (Millot, 1991; Lopez-Garcia et al., 1994) où il se sépare en deux branches: une première longeant la côte jusqu’au détroit de Gibraltar, et une seconde remontant au nord des îles Baléares.
La variabilité saisonnière des courants ECC et WCC qui composent le CN à leur jonction dans le bassin ligure, joue un rôle sur le positionnement et l’intensité du CN. Bien que la variabilité du WCC puisse être considérée négligeable (Astraldi and Gasparini, 1992), la circulation des LIW dans le canal Corse est trois fois plus forte en hiver (La Violette, 1994). De plus, l’ECC étant abrité des vents froids hivernaux, les LIW se refroidissent moins que les eaux qui composent le WCC. Cette variabilité saisonnière implique un CN plus chaud que les eaux du bassin de l’hiver au printemps (figure 1.2). Sur la figure 1.2, représentant la SST satellite moyennée sur un hiver, le CN longe la côte d’Azur, s’écoulant le long des côtes varoises avant de suivre le talus du GdL. Le rôle de barrière que le courant peut avoir entre les eaux du large et les eaux côtières est bien visible ici : une nette différence de température de surface est présente entre les eaux du plateau, qui sont plus froides, et celles de la veine de courant. Cette augmentation du transport de l’ECC en hiver est également à l’origine d’un resserrement (environ 25 km) et d’un approfondissement (450 m) de la veine, accompagnés d’une accélération (0.5 m.s-1) (Taupier-Letage and Millot, 1986; Millot, 1999) et d’une forte activité méso-échelle.
De l’été à l’automne, le CN est plus large (40 km) avec une profondeur de 250 m (Albérola et al., 1995; Petrenko, 2003; Conan and Millot, 1995). Durant cette période où l’activité à méso-échelle est plus faible, le CN ralentit (0.2 m.s-1) et ses propriétés hydrologiques correspondent à celles des MAW. L’activité à méso-échelle du CN, comme les tourbillons et les méandres, est maximum en hiver (Sammari et al., 1995; Conan and Millot, 1995). En effet, s’écoulant très près des côtes en hiver, l’intéraction entre le fond et le courant est plus importante à cette saison, entraînant l’apparition d’instabilités (Sammari et al., 1995; Petrenko, 2003; Flexas et al., 2002) pouvant donner lieu à des méandres atteignant 10 à 100 km (Conan and Millot, 1995). Le CN est un courant géostrophique (Conan and Millot, 1995), dû à l’ajustement isopycnal entre les différentes masses d’eaux qui le composent, fortement influencé par la bathymétrie. Du bassin Ligure aux côtes espagnoles, le courant rencontre une zone où le plateau continental est quasiinexistant avec des fonds très escarpés couverts de profonds canyons jusqu’à l’entrée du GdL où la présence d’un vaste plateau continental peu profond (environ 150 m) va l’éloigner de la côte. Situées entre ces deux zones aux caractéristiques bathymétriques différentes, les côtes varoises sont une zone de transition.
De nombreuses études ont été réalisées sur le devenir du CN en amont (Taupier-Letage and Millot, 1986; Albérola et al., 1995; Sammari et al., 1995; Bethoux et al., 1982) et en aval (Albérola and Millot, 2003; Conan and Millot, 1995; Flexas et al., 2002; Petrenko, 2003; Rubio et al., 2009; Lapouyade and Durrieu de Madron, 2001) des côtes varoises. Bien que cette zone soit considérée comme importante dans l’accélération et l’orientation du CN (Ourmières et al., 2011) et un lieu de génération d’instabilités du courant dû au trait de côte (Guihou et al., 2013), peu d’études ont été menées au cœur de cette zone. Concernant la circulation dans la baie de Hyères, très peu d’observations sont disponibles. Cependant, cette baie peu profonde et semi-fermée par la présence de trois îles est sujette aux vents dominants dans la zone ainsi qu’au CN passant au Sud. L’utilisation de bouées dérivantes, dans le cadre d’une campagnes d’observations menée au laboratoire MIO, a permis de mettre en évidence l’influence du vent sur le transport dans cette région, comme par exemple les lâchés réalisés les 11/03 et 21/07/2015 par un vent à dominance Est (figure 1.4). L’impact des fleuves locaux, comme le Gapeau ou encore la Maravène, est négligeable dans la zone d’étude sauf en période de fortes pluies où la crue peut engendrer un apport considérable d’eau dans la baie. Ces crues lorsqu’elles sont suivies d’un vent à dominante Nord entraînent un export d’eau vers le Sud avec des vitesses pouvant atteindre en moyenne 40 cm/s (figure 1.4, lâchés de bouées les 16/02 et 18/03/2015). Le 18/02/2015 avec un vent de Nord (figure 1.4), la bouée a pris une direction Sud-Est avant de virer de cap et de partir plein Ouest vers la côte, mettant en évidence des cisailles horizontales de courant très proches des côtes, à moins de 2 km. Il ressort de ces observations une circulation dans la baie très influencée par les conditions météorologiques, interagissant aussi avec le courant de bord (CN) et sa variabilité..
En plus des observations, la modélisation numérique est un outil utilisé pour l’étude du CN le long des côtes françaises et espagnoles mais également pour l’étude de processus, comme la convection profonde en dans le bassin nord-ouest méditerranéen (Estournel et al., 2016; Madec et al., 1991), l’interaction du CN avec le talus du GdL (Echevin et al., 2003) ou encore l’activité à méso voire sub-méso échelle (Bouffard et al., 2012; Garreau et al., 2011). Les travaux de Guihou et al. (2013) (figure 1.5) montrent la concordance des courants de surface modélisés à l’aide de la configuration GLAZUR64 (configuration décrite en section 2.2) avec la température et la concentration en chlorophylle-a issues d’observations satellites lors d’un événement tourbillonnaire au large des îles d’Hyères le 03/04/2011. Le positionnement et le phasage de ce tourbillon modélisé avec les observations montre que la modélisation numérique du CN dans cette zone est correctement établie à cette échelle. Comme le CN est un courant de densité, l’ordre de grandeur de sa méso-échelle est celui du rayon de déformation interne de Rossby Rd (1er mode barocline), déterminant l’échelle à partir de laquelle la force de Coriolis devient aussi importante que la force de flottabilité. À partir de travaux de modélisation, il a été montré que Rd est de l’ordre de 5-6 km en hiver pour le CN (Guihou, 2013), définissant ainsi la résolution minimum des configurations, de l’ordre du kilomètre, nécessaire pour simuler cette méso-échelle. Dans la baie semi-fermée, il a été montré dans les mêmes travaux que le Rd est inférieur à 3 km en hiver, impliquant la nécessité d’une résolution numérique plus fine pour résoudre la méso-échelle, voire la subméso-échelle de la zone.
Dans le but de poursuivre l’étude du CN ainsi que le couplage de celui-ci avec la circulation de la baie, il a été choisi dans ces travaux d’utiliser la modélisation numérique avec un couplage online de deux configurations modèles : une première couvrant la Côte d’Azur et le GdL à l’échelle kilométrique et une seconde, avec une résolution plus fine, couvrant la baie et le large des îles d’Hyères. Les simulations obtenues seront ensuite comparées aux observations disponibles dans les zones d’étude.
|
Table des matières
Introduction
I Problématique et moyens d’étude
1 Courant Nord : de l’échelle du bassin aux côtes varoises
2 Modélisation océanique
2.1 Le code de calcul NEMO
2.2 La configuration GLAZUR64
2.3 La configuration NIDOR192
3 Observations et mesures
3.1 Observations dynamiques
3.2 Observations hydrologiques
II Apport de la dynamique à haute résolution sur la circulation du bassin nord-occidental méditerranéen
Stabilité de la configuration NIDOR192
4 La circulation dans la baie
4.1 Les régimes de courant dans la baie semi-fermée
4.2 Impact des intrusions d’une branche du courant dans la baie semi-fermée
4.3 Le transport entre les passes
5 Le Courant Nord le long des côtes varoises
5.1 Caractéristiques et positionnement de la veine principale
5.2 Représentation de la variabilité à méso-échelle du CN
6 Transfert de la dynamique des côtes varoises sur le CN dans le bassin N-O
6.1 En aval du CN
6.2 Commentaires sur l’impact en amont
Conclusion intermédiaire
III Étude prospective et bilan
7 Optimisation de la configuration à haute résolution
7.1 Amélioration de la bathymétrie dans la baie
7.2 Paramétrisation de l’advection
7.3 Paramétrisation du mélange vertical dans une baie semi-fermée de faible fond
7.4 Apport de la configuration optimum
8 Conclusions et perspectives
Table des figures
Liste des tableaux
A Paramétrisation du transfert de TKE sous la couche de surface (rn_efr)
B Assessment of the coastal dynamics in a nested zoom and feedback on the boundary current : the North-Western Mediterranean Sea case
C Outils de pré-processing développés
C.1 Génération de forçages océaniques et conditions initiales
C.2 Génération de forçages atmosphériques
D Couche éponge pour le domaine AGRIF
D.1 Couche éponge disponible dans NEMO-AGRIF
D.2 Couche éponge codée pour NIDOR192
D.3 Conclusion