Applications de la méthode de polarisation spontanée en volcanologie 

Quantification du phénomène d’électrofiltration

L’équation d’Helmholtz-Smoluchowski :Lorsque la solution aqueuse s’écoule au travers du milieu poreux, l’excès de charge de la couche diffuse est entraîné par la circulation de la solution. Il se produit une densité de courant dans les pores du milieu poreux, appelé courant d’électrofiltration (e.g., Overbeek, 1952). Le potentiel électrique (microscopique) de la double couche électrique situé sur le plan hydrodynamique où la vitesse entre les grains et l’électrolyte est nulle est appelé le potentiel zêta (ζ). C’est un paramètre fondamental dans la mesure des potentiels d’électrofiltration (potentiel électrique entre les extrémités de l’échantillon). L’équation d’Helmholtz-Smoluchowski décrit le potentiel d’électrofiltration dans le cas d’un flux laminaire percolant à l’intérieur d’un tube où l’épaisseur de la couche de Stern est petite devant le rayon de courbure des grains et la conductivité de surface négligeable devant celle du fluide. L’entraînement par le fluide des ions présents dans la couche diffuse engendre un courant de convection I’. Le déséquilibre des charges causé par ce courant crée un champ électrique et on voit apparaître un courant de conduction I dû à la migration des ions dans ce champ.

Mesure du coefficient de couplage électrocinétique

Nous pouvons facilement mesurer le coefficient de couplage électrocinétique en laboratoire grâce au zetacad. Toutefois si les grains de l’échantillon ont un diamètre inférieur à 50 μm ou si nous voulons faire des mesures sur des échantillons rocheux intacts il faut utiliser un autre dispositif comme celui developpé par Suski et al. (2006).

Le zetacad

Cet appareil est un zêta-mètre conçu spécialement pour la mesure automatique du coefficient de couplage électrocinétique par la technique du potentiel d’écoulement. Il est applicable aux matériaux poreux avec des grains d’un diamètre supérieur à 50 m.
L’appareillage se compose d’une cellule dans laquelle est placé l’échantillon. L’eau circule à l’intérieur de la cellule et on mesure le potentiel électrique et la différence de pression aux bornes de la cellule . Ceci permet de calculer le potentiel zêta moyen de la surface des grains.

Autres dispositifs expérimentaux

L’échantillon, placé en bas d’une colonne de plexiglas de 2 m de hauteur, est en équilibre avec de l’eau à conductivité électrique donnée . Deux électrodes non polarisables Ag/AgCl de type REF321 de chez Radiometer Analytical sont positionnées aux bornes de l’échantillon afin de mesurer la différence de potentiel électrique. Une quantité d’eau est injectée à un temps t, et on mesure la différence de potentiel induite par la différence de hauteur d’eau .

Influence de la Perméabilité

Lorne et al. (1999a) ont étudié le potentiel ζ à partir de mesures de potentiel d’électrofiltration sur des échantillons broyés de grès de Fontainebleau. Ils ont mis en évidence les variations du potentiel ζ apparent (et par extension celles du coefficient de couplage électrocinétique) en fonction de la perméabilité. Afin de démontrer cette dépendance, ils ont utilisé des conductivités de fluides et des pH différents. Pour des perméabilités inférieures à 10 Darcy, le coefficient de couplage reste constant tandis qu’il diminue fortement pour des perméabilités supérieures à 50 Darcy. Comme aucune correction du nombre de Reynolds n’a été appliquée à ces données, il est très probable qu’elles reflètent un effet de ce nombre sans dimension pour les hautes perméabilités.
Moore et Glaser (2007) ont étudié en laboratoire la réponse du potentiel spontané sur des échantillons intacts de granite Sierra soumis à fracturation hydraulique. Ils ont remarqué qu’à des pressions basses, la variation de potentiel spontané en fonction des sauts de pression est linéaire, indiquant un coefficient de couplage constant (comme le prévoit l’équation de Helmholtz-Smolukovski). Cependant pour des pressions d’injection approchant la pression de rupture, la relation n’est plus linéaire et l’amplitude du coefficient de couplage électrocinétique augmente exponentiellement de 80%. L’augmentation du coefficient de couplage et sans doute liée à la dilatance des microfractures à haute pression.

Les origines du potentiel spontané

le potentiel électrochimique

Le couplage électrochimique répond au principe d’une pile de concentration et génère via les échanges ioniques un potentiel électrique appelé potentiel de diffusion. Les potentiels de diffusion sont des gradients de potentiel électrique crées sous l’effet d’un gradient de concentration des porteurs de charges (électrons et ions). Dans le cas des électrons le moteur de la densité de courant est un gradient de potentiel redox. La diffusion respective des anions et des cations, de mobilité différente, va engendrer un déséquilibre des charges et donc un courant électrique qui existe tant que la répartition des charges est inégale et n’assure pas l’électroneutralité du système. De tels effets ont été mis en évidence en prospection minière où des lentilles de minerais sulfurés ont été détectées à l’aplomb d’anomalies de potentiel spontané de plusieurs centaines de mV . Sur les volcans, des observations géochimiques mettent en évidence des concentrations en ions différentes dans les gaz, les évacuations d’eau et les zones de fumerolles. Les réactions chimiques entre les gaz volcaniques contenant principalement du sulfure d’hydrogène (H2S), du dioxyde de soufre (SO2), du dioxyde de carbone (CO2) et les eaux souterraines peuvent générer des ions sulfates (SO4-) à l’origine d’anomalies négatives en surface, des ions hydrogénocarbonates et carbonates (CO3-). En contexte géothermique, ces phénomènes électrochimiques sont considérés comme faibles (de l’ordre de la dizaine de mV) sauf si un conducteur électronique intercepte un front rédox (par exemple la surface piézometrique). On peut également se poser la question de l’effet d’un gradient thermique sur un conducteur électronique en profondeur comme un gisement métallifère). Le signe de ces anomalies (le plus souvent négatives) ainsi que leur longueur d’onde peuvent éventuellement permettre de les distinguer des signaux d’origine thermoélectrique et électrocinétique.

Le couplage thermoélectrique

Si on maintient un gradient de température sur un échantillon de roche, un gradient de potentiel électrique apparaîtra à travers cet échantillon (Nourbehecht, 1963 ; Corwin, 1976 ; Corwin et Hoover, 1979) . Ce phénomène est connu sous le nom de couplage thermoélectrique et est le résultat de la diffusion thermique différentielle des ions dans le fluide poral, des électrons dans un conducteur électronique. Ce processus est connu comme l’effet Soret. Le rapport entre le potentiel électrique et le gradient de température Δφ/ΔT est le coefficient de couplage thermoélectrique qui peut être calculé à partir des propriétés de l’électrolyte et du milieux poreux par le modèle proposé par Revil (1999). La littérature donne des valeurs de ce coefficient de couplage thermoélectrique allant de -0,1 à +1,5 mV/°C (Yamashita, 1961, Nourbehecht 1963, Revil 1999). Pour les roches volcaniques, même si leur connaissance in situ reste dans le domaine de l’hypothétique, on admet en général des valeurs de l’ordre de 0,2 mV/°C. Cet effet n’est donc pas un phénomène prépondérant, toutefois il doit être pris en compte notamment dans les zones géothermales où de forts gradients de température sont observés (Fitterman et Corwin, 1982 ; Fitterman, 1983) et où ce phénomène existe quelque soit l’intensité du couplage électrocinétique.

Les Principaux Types d’Anomalies de Potentiel Spontané

Les anomalies en V

Si la valeur du potentiel zêta dans les systèmes eau-roches de subsurface est négative, on s’attend à une corrélation entre potentiel spontané et altitude. Cette corrélation négative est générée par les écoulements hydrogéologiques sans remontées hydrothermales. La forme en « V » du profil de potentiel spontané est donc la manifestation de l’effet topographique. Cette configuration est présente sur différents volcans comme l’Adagdak en Alaska (Corwin et Hoover, 1979), la Montagne Pelée en Martinique (Zlotnicki et al., 1998) ou encore le Haruna au Japon (Aizawa, 2008).

Les Anomalies en W

La configuration typique du profil de potentiel spontané sur les volcans est la forme en « W » centrée sur la zone sommitale. Beaucoup d’études mettent en évidence ce type de profils (Ishido, 2004 ; Revil et al., 2008) . Zlotnicki et Nishida (2003) expliquent ce type de profil par la coexistence d’anomalies positives et négatives. Dans de nombreux articles scientifiques, la forme en W est interprétée comme la somme d’une anomalie positive associée aux remontées hydrothermales au niveau de la zone sommitale plus une anomalie négative en V liée à l’effet topographique (Nishida et al., 1996 ; Zlotnicki et al., 1998 ; Aizawa et al., 1995). Pour les ïles volcaniques, Ishido (2004) propose toutefois un modèle dans le cas où l’anomalie positive centrale est due à un court-circuit entre la mer et le système hydrothermal de forte conductivité électrique.

Les anomalies positives

Sur le Kilauea à Hawaï, des anomalies positives d’environ 1600 mV, ont été reliées sans ambiguïté à des zones de fumeroles et de fissures éruptives récentes (Zablocki, 1976). Sur l’Etna en Sicile, Massenet et Pham (1985) ont montré que ces anomalies pouvaient être observées au-dessus des zones de fissures si ces dernières étaient connectées à une zone active profonde où une source de pression comme une intrusion magmatique peut générer des mouvements de fluides.
Au contraire aucune anomalie de potentiel spontané n’est détectée au niveau des zones de fumeroles ou de fissures ouvertes quand ces zones ne sont pas situées au dessus d’une fissure profonde. Sur le Piton de la Fournaise, une anomalie positive de potentiel spontané (supérieure à 1000 mV) très caractéristique, en fer à cheval, coupe la Caldeira en deux (Zlotnicki et al., 1994b; Malengrau et al., 1994; Michel and Zlotnicki, 1998; Zlotnicki et al., 2001). D’après Michel et Zlotnicki (1998) les fortes précipitations s’infiltrent dans le massif, puis l’eau est canalisée par les limites de cratères et les failles. Ces écoulements gravitaires sont ensuite réchauffés par les réservoirs magmatiques peu profonds et les dikes récents et des flux guidés vers le haut sont générés par la chaleur et les grandes cellules hydrothermales.
Toutefois l’interprétation des anomalies positives comme étant liées à des remontées de fluides chauds est fondée sur deux hypothèses : (1) les signaux de potentiel spontané sont liés à l’effet électrocinétique et (2) le potentiel zêta est négatif dans les systèmes eau-roches de subsurface. Des études récentes sur la caldera du volcan Aso au Japon, ont montrés que plus de la moitié des échantillons étudiés présentaient des valeurs de potentiel zêta positives (Hase et al., 2003). Les anomalies positives de PS peuvent donc être liées à des valeurs positives de potentiel zêta et donc à des écoulements de fluide gravitaires. Aizawa et al. (2008) montrent également que l’on trouve souvent des roches aux potentiels zêta positifs à proximité d’anomalies positives locales de potentiel spontané.

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Table des matières

Introduction 
Chapitre 1 : Théorie du Couplage Hydroélectrique 
1.1. Introduction
1.2. La Double Couche Electrique
1.3. Quantification du phénomène d’électrofiltration
1.3.1. L’équation d’Helmholtz-Smoluchowski
1.3.2. Les Equations constitutives du couplage électrocinétique
1.3.3. L’équation de Poisson
1.4. Le coefficient de couplage électrocinétique
1.4.1. Définition
1.4.2. Mesure du coefficient de couplage électrocinétique
1.4.2.1. Le zetacad
1.4.2.2. Autres dispositifs expérimentaux
1.5. Conclusion
1.6. Références
Chapitre 2 : Le coefficient de couplage électrocinétique 
2.1. Introduction
2.2. Influence de la Perméabilité
2.3. Influence de la Température
2.4. Influence de la salinité et du pH
2.4.1. La conductivité électrique
2.4.2. Influence du pH
2.5. Influence de la Conductivité de Surface
2.6. Influence du Nombre de Reynolds
2.7. Présentation de deux Articles Scientifiques
2.8. Conclusion
2.9. Références
Chapitre 3 : Localisation de sources hydromécaniques par la méthode du potentiel spontané 
3.1. Introduction
3.2. Localisation de source de courant dans un milieu conducteur
3.2.1. L’analyse en ondelettes
3.2.2. La méthode d’intercorrélation
3.3. Validation Expérimentale
3.3.1. Description de la cuve et propriétés pétrophysiques du sable
3.3.2. Principe des mesures de potentiel spontané
3.3.2.1. Les électrodes
3.3.2.2. Acquisition et traitement des données
3.3.2.3. Expériences d’injection et de pompage
3.4. Résultats
3.5. Conclusion
3.6. Références
Chapitre 4 : Applications de la méthode de polarisation spontanée en volcanologie 
4.1. Introduction
4.2. Les origines du potentiel spontané
4.2.1. Le potentiel électrochimique
4.2.2. Le couplage thermoélectrique
4.2.3. Le couplage électrocinétique
4.2.3.1. L’effet topographique
4.2.3.2. Les Remontées Hydrothermales
4.3. Les Principaux Types d’Anomalies de Potentiel Spontané
4.3.1. Les anomalies en V
4.3.2. Les anomalies en W
4.3.3. Les anomalies positives
4.4. Localisation d’un aquifère à Stromboli
4.4.1. Mesures géoélectriques et géochimiques réalisées sur le Stromboli
4.4.1.1. Les mesures de potentiel spontané
4.4.1.2. Les mesures de résistivité électrique
4.4.1.3. Les mesures de flux de CO2
4.4.2. Signaux de Potentiel Spontané Associés à des Ecoulements Souterrains
4.4.2.1. La surface SPS
4.4.2.2. Le modèle de Fournier
4.5. Résultats et Interprétations
4.6. Etude de la Structure Interne de Vulcano
4.7. Conclusion
4.8. Références
Conclusions et Perspectives 
Bibliographie

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