Le pilotage d’un avion mobilise des capacités cognitives de haut niveau. En effet, les tâches de pilotages s’inscrivent dans un environnement complexe et changeant, qui implique un processus de prise de décisions rapide. De plus, un effort attentionnel important est nécessaire pour intégrer en permanence les diverses informations affichées sur les instruments du cockpit ou provenant du monde extérieur [17].
La règle d’or du pilote, que ce soit en aviation générale (c’est-àdire l’aviation civile qui n’est pas destinée au transport commercial de passagers) ou commerciale, est l’ANC : Aviate (Fly), Navigate, Communicate (voler, naviguer, communiquer) [25]. Dans le domaine de l’aviation commerciale, les équipages utilisent la gestion des ressources de l’équipage (CRM – Crew Ressource Management) et les procédures associées pour répartir la charge de travail et les tâches liées à la gestion du vol ; assurant ainsi un haut niveau de sécurité. Dans l’aviation générale, le pilote peut opérer son avion seul et sans automatismes rendant la problématique de l’application de cette règle d’or plus importante encore et la gestion de la charge de travail et la distribution de l’attention critique [26]. En effet, on observe un nombre relativement elevé d’accidents d’aviation générale par rapport à l’aviation commerciale, qui est aussi renforcé par le fait que les pilotes ont souvent moins de formations et d’expérience.
Lors d’un vol à vue (VFR, Visual Flight Rule) le pilote doit pouvoir se repérer dans l’espace grâce à des repères visuels au sol, par exemple des villes, des rivières, ou encore des lignes de chemin de fer. La préparation du vol est une étape cruciale, elle doit permettre au pilote de prendre en compte tous les éléments nécessaires à la bonne conduite du vol : la météo, la route, les zones traversées, l’activation des zones prohibées, le bilan de carburant de masse et de centrage (nous identifions ici un besoin « préparation »). Une bonne préparation a un impact direct sur le déroulement du vol et la charge de travail du pilote. Lors de la phase de vol, le pilote doit assurer le ‘voir et éviter’ c’est-à-dire sa séparation avec les autres aéronefs, le suivi de sa route avec des repères visuels et l’assistance de moyen de navigation (besoin « navigation »), la gestion du carburant (il peut être amené à changer de réservoir de façon périodique, besoin « gestion carburant ») et les interactions avec le contrôle qui peut lui demander de reporter sa position ou de rappeler sur des points identifiés (besoin « interaction contrôle »). Le pilote devra en outre accéder à des services d’informations par radio ou téléphone (comme le Service d’Information de Vol ou le service Automatic Terminal Information Service, besoin « information »). Il peut cependant arriver que le pilote doive faire face à des situations imprévues comme le déroutement vers un autre aéroport ce qui demande de changer le plan de vol (besoin « changer plan de vol »). Dans cette situation il lui sera nécessaire d’accéder à des cartes VAC (« Visual Approach Chart » ou carte d’approche visuelle en français) lui permettant de prendre connaissance du terrain (besoin « accès VAC »).
Les instruments et les procédures de vol des avions de l’aviation générale ont subi une transformation importante au cours de la dernière décennie avec la généralisation du GPS à bord et le changement de l’avionique qui est passée de six instruments électromécaniques à des écrans intégrés. Cette évolution s’est également accompagnée de l’arrivée d’assistants sur tablette pour la documentation, la préparation et le déroulement du vol : les EFB (Electronic Flight Bag). Les analyses d’accidents du NTSB (National Transportation Safety Board) montrent que les pilotes qui sont distraits par des tâches moins essentielles peuvent perdre le contrôle de leur appareil [5]. En aviation générale les EFB vont bien au-delà de la documentation électronique puisqu’il s’agit également d’applications de navigation utilisant le GPS de la tablette. Ces applications peuvent être gratuites et limitées à la France comme SDVFR [32] et Mach7 [27] ou mondiales et sur abonnement comme Skydemon [35] et Foreflight [16]. Certaines d’entre elles préviennent le pilote lorsque la trajectoire de l’aéronef l’amène trop près du relief ou d’une zone prohibée. Dans ce papier nous présentons le travail que nous avons mené pour concevoir une application pour tablette pour accompagner les pilotes avant et durant le vol. Nous avons appliqué des méthodes de conception participative avec des pilotes issus de l’aviation générale pour concevoir cette application dans une démarche iterative. Nous avons validé l’application en simulateur de vol et dans un vrai avion. Pour finir, nous proposons des recommandations de design qui peuvent guider les développeurs de telles applications mobiles.
ETAT DE L’ART
Applications mobiles d’aide à la navigation aérienne
Différentes applications mobiles d’aide à la navigation aérienne sont déjà utilisées par les pilotes de l’aviation générale. Les applications mentionnées ici offrent des interactions simples, essentiellement basées sur le principe du single tap (les utilisateurs naviguent en touchant les éléments). Les applications qui intègrent une carte (AirMate [1], SDVFR [32], SkyDemon [35], etc.) permettent d’interagir avec la carte au moyen de gestes tels que le pinch et le pan (les utilisateurs peuvent faire glisser les surfaces verticalement, horizontalement ou de manière omnidirectionnelle pour se déplacer de manière continue dans la carte). Ces gestes sont couramment utilisés pour l’interaction avec les dispositifs tactiles [37]. Certaines applications couvrent uniquement des aspects très précis du vol, comme la gestion du temps ou le déroulement des checklists et d’autres offrent une gestion plus globale du vol.
Gestion des tâches. Lors d’un vol, les pilotes sont amenés à dérouler plusieurs checklists. Les checklists sont des séquences d’actions ordonnées à réaliser par l’équipage à des moments précis du vol. Elles permettent d’assurer que toutes les actions requises sont effectuées sans omission et de manière ordonnée. Elles peuvent être de différents types, on trouve par exemple des checklists d’urgence, de panne, ou plus simplement des checklists à effectuer à chaque phase de vol. Active Checklist [9] se concentre sur la gestion des checklists organisées en 4 niveaux (type d’avion -> type de checklist -> checklist -> tâches), et permet par exemple de les personnaliser et d’en créer de nouvelles. L’application déduit la phase de vol en cours (décollage, croisière, atterrissage, etc.) en fonction des données du GPS et propose au pilote la checklist adaptée. Pilot Checklists for General Aviation Aircraft [15] permet au pilote d’écouter les checklists grâce à un système de synthèse vocale. Il peut également confirmer oralement (comme il le ferait avec un copilote) la réalisation des tâches.
Gestion globale du vol. Quelques applications offrent la possibilité de gérer le vol dans la globalité. Elles permettent de planifier le vol en amont, d’obtenir des informations pendant le vol, et d’enregistrer les données de vol pour les analyser après coup. C’est par exemple le cas de AirMate [1], SDVFR [32], SkyDemon [35], Foreflight [16] et Mach7 [27].
Limitations. Si les applications existantes couvrent une grande partie des besoins du pilote, il n’y en a aucune à notre connaissance qui couvrent les interactions avec le contrôle aérien (besoin « interaction contrôle » comme identifié dans la section 1) ou la gestion du carburant (besoin « gestion carburant ») ; ces aspects sont gérés par le pilote qui doit alors les mémoriser ou les noter. Les interruptions, l’évolution de la situation météo ou encore la complexité de la situation peuvent amener le pilote à oublier ou ne pas faire en temps et en heure certaines de ces actions. Il nous semble également important de concevoir ce type d’applications d’une manière centrée utilisateur afin qu’ils correspondent aux besoin des pilotes. Nos travaux se concentrent sur cet aspect.
Utilisation de dispositifs tactiles dans le cockpit
Les écrans tactiles, grâce à la modularité qu’ils permettent, sont de plus en plus utilisés dans l’aviation. On les retrouve notemment sur les EFBs des avions commerciaux mais également au sein du cockpit. L’écran tactile, intégré au cockpit, développé par Thales pour l’Airbus A350 a par ailleurs obtenu la certification de l’Agence de sécurité aérienne de l’Union Européenne (European Union Aviation Safety Agency, EASA) pour une utilisation à bord d’avions commerciaux en novembre 2019.
Interactions pendant des situations critiques et turbulences
L’utilisation des technologies tactiles au sein du cockpit font l’objet de nombreuses études dans la littérature. Dodd et al. [13] ont mené une étude sur un simulateur pour identifier l’impact de la taille de la cible tactile, des espacements entre les cibles ainsi que les turbulences sur la performance de saisie d’informations sur un écran tactile. Ils ont également étudié leur impact sur la charge mentale et la fatigue percue par les participants. Les résultats de cette étude indiquent que la taille des cibles tactiles a un impact plus important sur la perception de la charge de travail par les pilotes que l’espacement entre les cibles. D’autres travaux mettent en avant les difficultés d’utilisation des dispositifs tactiles au sein des cockpits, en particulier lors de la saisie d’informations dans un environnement turbulent [12, 36, 38, 39]. Pour pallier à ces problèmes, Cockburn et al. [10] ont mené une étude comparative des performances des utilisateurs avec trois méthodes de saisie de texte sur écran tactile : la saisie au doigt, le trackball (actuellement utilisé dans les avions commerciaux) et un écran tactile recouvert d’un pochoir qui permet de stabiliser les doigts lors de l’interaction. Ils ont testé ces solutions en environnement turbulent et ont montré que l’utilisation du pochoir permettait de réduire les erreurs sur les petites cibles lors de vibrations élevées. Dans une autre étude, Cockburn et al. [11] ont démontré l’utilisabilité du système Brace Touch dans un environnement turbulent. Brace Touch permet aux utilisateurs de stabiliser l’espace d’interaction en plaçant simultanément plusieurs doigts sur l’écran. L’utilisateur interagit au moyen d’un geste, tout en gardant plusieurs doigts au contact de la surface pour stabiliser l’interaction.
Interaction tactile et dispositifs tangibles
D’autres travaux explorent l’utilisation des interfaces tangibles au sein du cockpit pour remédier aux limites des interfaces tactiles [8, 18, 24, 38]. En effet, l’absence d’interacteurs physiques sur les dispositifs tactiles, forcant l’utilisateur a porter son regard sur le dispositif lors de l’interaction, soulève également des problèmes en particulier dans des environnements complexes comme le cockpit, où l’attention visuelle est très limitée. Pauchet et al. [29] ont développé une interface tactile adaptative qui change de forme en fonction de l’emplacement du regard du pilote. Quand le pilote regarde la surface interactive, celle-ci reste plane et se comporte comme une écran tactile. En revanche, des boutons émergent de la surface lorsque le regard du pilote quitte la surface interactive, lui permettant ainsi d’interagir avec cette dernière sans avoir à la regarder.
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Table des matières
I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME