Face au rรฉchauffement climatique qui sโaccรฉlรจre (Cox, Betts, Jones, Spall, & Totterdell, 2000) et dont les consรฉquences ne sont plus ร dรฉmontrer (Root et al., 2003), une rรฉaction possible est de diminuer la consommation รฉnergรฉtique tant ร lโรฉchelle collective quโindividuelle. Ainsi, on distingue ร lโรฉchelle individuelle diffรฉrents types de politiques : celles qui ciblent les comportements peu coรปteux, et celles ciblant plutรดt les comportements coรปteux. La premiรจre catรฉgorie renvoie par exemple au choix du mode de transport (Klรถckner & Blรถbaum, 2010; Verplanken, Aarts, & Van Knippenberg, 1997), lโutilisation massive de lโautomobile (Abrahamse, Steg, Gifford, & Vlek, 2009) ou encore le suivi des consommations dโรฉnergie (Faruqui, Sergici, & Sharif, 2010). La seconde catรฉgorie renvoie plutรดt aux critรจres pris en compte ร lโachat dโun vรฉhicule (Griskevicius, Tybur, & Van den Bergh, 2010; Belgiawan, Schmรถcker, Abou-Zeid, Walker, & Fujii, 2017; Ungemach, Camilleri, Johnson, Larrick, & Weber, 2017), lโadoption dโappareils รฉlectromรฉnagers ยซ intelligents ยป (Balta-Ozkan, Davidson, Bicket, & Whitmarsh, 2013) ou particuliรจrement coรปteux (Newman & Staelin, 1972; Newman & Werbel, 1973). Un certain nombre de travaux ont รฉtรฉ menรฉs sur des interventions visant ร inciter les mรฉnages ร rรฉduire leur consommation dโeau (Dickerson, Thibodeau, Aronson, & Miller, 1992; Mckenzie-Mohr, 2000) et dโรฉnergie (Faruqui et al., 2010; Allcott & Rogers, 2014). Allcott et Rogers (2014), notamment, rapportent une intervention sur une pรฉriode relativement longue durant laquelle ils ont fourni ร des particuliers des donnรฉes concernant leur propre consommation mais aussi celle de leur voisinage, appliquant ainsi la thรฉorie de la comparaison sociale (Festinger, 1954). Les rรฉsultats de leur รฉtude montrent que leur intervention incite les mรฉnages ร rรฉduire significativement leur consommation dโรฉnergie. Dans un registre sensiblement diffรฉrent, Faruqui et al. (2010), dans une revue de littรฉrature portant sur lโusage des nouvelles technologies permettant aux particuliers de suivre en temps rรฉel leur consommation dโรฉnergie, ont montrรฉ que ces dispositifs incitaient les mรฉnages ร rรฉduire de 7% en moyenne leur consommation. Cependant, un point crucial dans la consommation รฉnergรฉtique des mรฉnages est les dรฉperditions causรฉes par les bรขtiments. On estime en effet que la part de la consommation รฉnergรฉtique liรฉe au fonctionnement des bรขtiments serait de 20 ร 40% dans les pays dรฉveloppรฉs (Pรฉrez Lombard, Ortiz, & Pout, 2008). Ainsi, une des clรฉs pour rรฉduire la consommation dโรฉnergie des mรฉnages pourrait รชtre dโamรฉliorer la performance รฉnergรฉtique des bรขtiments. Dans cette optique, enย France, la rรฉglementation (RT2012) impose un ensemble de contraintes concernant les caractรฉristiques des bรขtiments et propose un objectif dโamรฉlioration de la performance รฉnergรฉtique des bรขtiments existants de 38% dโici ร 2020 (Deneux, 2014). En complรฉment, plusieurs dispositifs ont รฉtรฉ mis en place afin de rendre lโinformation รฉnergรฉtique plus accessible et intelligible, notamment avec la mise en place dโune reprรฉsentation graphique. Dans le domaine du bรขtiment, par exemple, la rรฉalisation dโun diagnostic de performance รฉnergรฉtique (DPE) est obligatoire pour toute vente ou location. Ce DPE concerne dโune part la performance รฉnergรฉtique pure, exprimรฉe en kWhep/m2 /an, et lโรฉmission de gaz ร effet de serre, exprimรฉe en GES/m2 /an .
Des affichages similaires sont aussi disponibles pour un certain nombre de biens et de produits. Ce dispositif, apparu en France en 1994, impose aux fabricants de faire figurer sur les emballages le niveau dโimpact de chaque produit sur lโenvironnement. Cela permet au consommateur de comparer les diffรฉrents produits entre eux selon leur impact respectif. Si ces รฉtiquettes sont plรฉbiscitรฉes par les consommateurs (ADEME, 2015), leur impact rรฉel sur les comportements dโachat reste ร dรฉfinir.
En effet, la littรฉrature montre que lโaffichage seul des performances รฉnergรฉtiques des รฉquipements disponibles sur le marchรฉ ne fonctionne pas (Banerjee & Solomon, 2003). Spaargaren, van Koppen, Janssen, Hendriksen, et Kolfschoten (2013) montrent de leur cรดtรฉ que la prรฉsence de labels sur les aliments pour signaler leur impact carbone nโa pas dโimpact sur les comportements alimentaires des individus. Ainsi, en dรฉpit dโune attitude globalement positive vis-ร -vis du dispositif dโaffichage, les participants se sont montrรฉs rรฉticents ร adapter leurs comportements alimentaires, surtout lorsque ceuxci allaient ร lโencontre de leurs habitudes. De mรชme, Frisk et Larson (2011) montrent que les campagnes dโinformations techniques ou รฉcologiques nโont pas dโimpact sur les comportements dโachat des consommateurs. Il semble donc quโun simple label nโait aucun impact sur les comportements du public et que de nombreux facteurs entrent en jeu lors de la conception de messages efficaces. Au final, le dispositif dรฉjร en place semble limitรฉ du point de vue de son impact sur les comportements dโachat mis en place par les individus auxquels il sโadresse. Cela pourrait sโexpliquer de plusieurs faรงons, comme le fait que ces informations ne soient tout simplement pas lues ou comprises. Si lโon veut pousser les individus ร adopter des comportements plus vertueux, il y aurait donc potentiellement intรฉrรชt ร tester dโautres dispositifs.
รtat de lโartย
La question des facteurs rรฉgissant les comportements individuels est cruciale en psychologie et mobilise de nombreux champs de recherche comme les attitudes (Ajzen, 1991), la personnalitรฉ (Higgins, 1997), la motivation (Porter & Lawler, 1968), le contexte social (Sherif, 1936) ou encore lโinfluence et la persuasion (Cialdini, 1987; Cialdini & Trost, 1998). Cette question est multiple puisquโelle sโintรฉresse aussi bien aux raisons qui nous poussent ร agir (les humains sont-ils dominรฉs par des besoins, des pulsions ?) quโaux stratรฉgies que nous employons (ou ยซ comment ยป nous nous comportons). Dans une premiรจre partie nous verrons diffรฉrentes thรฉories qui sโintรฉressent au changement de comportement et nous verrons que les buts semblent รชtre un dรฉterminant clรฉ dans lโapparition des comportements. Dans une deuxiรจme partie, nous aborderons la thรฉorie focale du comportement normatif et nous verrons que la norme sociale oriente les jugements et comportements des individus. Nous verrons รฉgalement que la saillance est cruciale dans lโinfluence quโa la norme sociale. Enfin dans une troisiรจme partie nous prรฉsenterons des approches visant ร adapter le message ร lโutilisateur afin de renforcer la saillance de la norme. Une premiรจre approche sโintรฉresse ร lโappel aux รฉmotions, tandis que la seconde vise plutรดt ร faire appel ร des traits de personnalitรฉ spรฉcifiques.
Les buts comme source des comportements
Thรฉorie du comportement planifiรฉ
Un des modรจles classiques pour expliquer les comportements est la thรฉorie du comportement planifiรฉ (Theory of Planned Behaviour, TPB) dรฉveloppรฉe par Ajzen (1991). Selon cette thรฉorie, un รฉlรฉment central est lโintention quโa un individu de rรฉaliser ou non un comportement. Cette intention traduit ร quel point un individu est prรชt ร รฉmettre un comportement et la quantitรฉ dโeffort quโil prรฉvoit dโy consacrer. Le postulat de base de la TPB est que plus forte est lโintention, plus important sera le comportement et donc meilleure sera la performance. Dโaprรจs ce modรจle, lโintention est influencรฉe par trois grands facteurs (Figure 2.1) :
โ Lโattitude, cโest-ร -dire lโรฉvaluation positive ou nรฉgative du comportement;
โ La norme subjective, cโest-ร -dire la pression sociale perรงue pour la rรฉalisation (ou non) du comportement;
โ Le contrรดle perรงu, cโest-ร -dire la facilitรฉ (ou difficultรฉ) perรงue de rรฉaliser le comportement.
Par exemple, pour lโarrรชt du tabac, ces trois facteurs correspondent dans lโordre ร lโimage quโa lโindividu du tabac, lโinfluence de ses proches et son sentiment dโauto efficacitรฉ (ร quel point il se sent capable dโarrรชter). On pourrait donc raisonnablement faire lโhypothรจse quโun individu ayant une image nรฉgative du tabac, soumis ร une forte dรฉsapprobation de ses proches concernant sa consommation tabagique et ayant un bon niveau dโauto-contrรดle aura plus de chances dโessayer dโarrรชter de fumer et dโy parvenir quโun individu avec une image positive du tabac, peu ou pas de pression de la part de ses proches et une addiction trรจs marquรฉe. Cette thรฉorie, si elle est aujourdโhui encore largement utilisรฉe en psychologie sociale nโest toutefois pas sans limites. La premiรจre de ces limites, ร notre sens, est quโelle est difficilement applicable dans le cas dโune intervention. En admettant que lโintention prรฉdise effectivement les comportements, comment faire en sorte de renforcer lโintention ? De la mรชme maniรจre, faire รฉvoluer les attitudes dโun individu vis-ร -vis dโun comportement donnรฉ est loin dโรชtre รฉvident. Ainsi, dans un contexte expรฉrimental, ce paradigme donne essentiellement lieu ร des mรฉthodologies dโobservation (Parker, Manstead, Stradling, Reason, & Baxter, 1992; Parker, Manstead, & Stradling, 1995; Harland, Staats, & Wilke, 1999) plutรดt que dโintervention. Quelques รฉtudes ont tout de mรชme appliquรฉ ce paradigme dans le cadre dโune intervention. Cโest le cas par exemple de Parker, Stradling, et Manstead (1996) mais les auteurs ne sโintรฉressent quโau changement dโattitude consรฉquent ร leur intervention et pas ร son impact sur les comportements. Plus rรฉcemment, Chatzisarantis et Hagger (2005) rapportent eux aussi une intervention basรฉe sur la TPB mais leurs rรฉsultats indiquent que leur intervention nโa eu un effet significatif ni sur lโintention ni sur les comportements effectifs .
Lโautre limite, plus problรฉmatique, est la question du lien rรฉel entre attitude et comportement. Plusieurs รฉtudes classiques ont รฉtudiรฉ cette relation et ont mis en รฉvidence que les attitudes รฉtaient loin de prรฉdire systรฉmatiquement les comportements des individus (LaPiere, 1934; Wicker, 1969). Plus rรฉcemment, Panzone, Hilton, Sale, et Cohen (2016) ont รฉtudiรฉ les comportements dโachats des clients de la chaรฎne de supermarchรฉs Tesco en Angleterre. Pour cela, ils ont interrogรฉ plusieurs milliers de clients rรฉguliers de Tesco sur leurs donnรฉes dรฉmographiques, leurs attitudes et leur ont fait passer un test dโassociation implicite (IAT; Greenwald, McGhee, & Schwartz, 1998) sur le dรฉveloppement durable. En croisant ces donnรฉes avec les achats des participants, les auteurs montrent que le prรฉdicteur principal dโune consommation durable est le niveau dโรฉducation, et que les attitudes explicites ne sont quโun faible mรฉdiateur de cette relation. Au final, la thรฉorie du comportement planifiรฉ prรฉsente des limites, tant sur le plan applicatif que sur le plan thรฉorique. Cette thรฉorie prรฉsente en outre le comportement comme une fin en soi qui rรฉpondrait ร une intention. Nous nous demandons si, ร lโinverse, les comportements ne seraient pas plutรดt un moyen dโatteindre un รฉtat dรฉsirable. Nous pouvons รฉgalement nous interroger sur le rรดle rรฉel de lโattitude dans la formation des comportements, de nombreuses รฉtudes ayant mis en รฉvidence lโรฉcart parfois important entre lโattitude dรฉclarรฉe et les comportements rรฉels (LaPiere, 1934; Wicker, 1969).
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Table des matiรจres
1 Introduction
1.1 Contexte applicatif
1.2 Contexte thรฉorique
1.3 Objectifs scientifiques et applicatifs
1.4 Contributions
1.5 Organisation du manuscrit
2 รtat de lโart
2.1 Les buts comme source des comportements
2.1.1 Thรฉorie du comportement planifiรฉ
2.1.2 Thรฉorie des buts et modรจle ยซ rocky road ยป
2.1.3 Thรฉorie de la fixation dโobjectifs
2.1.4 Activation du but
2.1.5 Synthรจse
2.2 Normes sociales et buts
2.2.1 Objectif implicite incarnรฉ par la norme sociale
2.2.2 Saillance de la norme
2.2.3 La ยซ force ยป de la norme
2.2.4 Activation de la norme
2.2.5 Synthรจse
2.3 Adapter lโinformation pour rendre le message plus saillant
2.3.1 Cadrage et รฉmotions
2.3.2 Utilisation de la personnalitรฉ
2.3.3 Thรฉorie du focus de rรฉgulation
2.3.3.1 Effet du regulatory fit
2.3.3.2 Focus de rรฉgulation chronique vs. focus de rรฉgulation induit
2.3.4 Synthรจse
3 Problรฉmatique gรฉnรฉrale
4 Premiรจre รฉtude : utilisation des normes sociales injonctives
4.1 Dispositif expรฉrimental
4.2 Procรฉdure
4.3 Mesures
4.4 Premiรจre expรฉrience
4.4.1 Mรฉthodologie
4.4.1.1 Participants
4.4.1.2 Matรฉriel
4.4.1.3 Hypothรจses
4.4.2 Rรฉsultats
4.4.2.1 Performance ร la tรขche
4.4.2.1.1 Budget
4.4.2.1.2 Consommation du logement
4.4.2.1.3 Temps consacrรฉ ร lโamรฉnagement et la rรฉnovation
4.4.2.1.4 Nombre dโactions en lien avec la rรฉnovation
4.4.2.2 Analyse des comportements au cours du temps
4.4.2.2.1 Proportion du temps allouรฉ ร la rรฉnovation
4.4.2.2.2 รvolution de la consommation du logement
4.4.2.2.3 Nombre dโactions en lien avec la rรฉnovation
4.4.3 Discussion
4.4.3.1 Consommation du logement
4.4.3.2 Comportements des utilisateurs
4.4.3.2.1 Temps allouรฉ ร la rรฉnovation รฉnergรฉtique
4.4.3.2.2 รvolution de la consommation du logement
4.4.3.2.3 Nombre dโactions en lien avec la rรฉnovation
4.4.3.2.4 Synthรจse
4.4.4 Conclusion
4.5 Deuxiรจme expรฉrience
4.5.1 Problรฉmatique
4.5.2 Mรฉthodologie
4.5.2.1 Participants
4.5.2.2 Matรฉriel
4.5.2.3 Protocole
4.5.3 Rรฉsultats
4.5.3.1 Performance ร la tรขche
4.5.3.1.1 Budget
4.5.3.1.2 Consommation du logement
4.5.3.1.3 Temps consacrรฉ ร lโamรฉnagement et la rรฉnovation
4.5.3.1.4 Nombre dโactions en lien avec la rรฉnovation
4.5.3.2 Analyse des comportements au cours du temps
4.5.3.2.1 Proportion du temps allouรฉ ร la rรฉnovation
4.5.3.2.2 รvolution de la consommation du logement
4.5.3.2.3 Nombre dโactions en lien avec la rรฉnovation
4.5.4 Discussion
4.5.4.1 Consommation du logement
4.5.4.2 Comportements des utilisateurs
4.5.4.2.1 Temps allouรฉ ร la rรฉnovation
4.5.4.2.2 รvolution de la consommation du logement
4.5.4.2.3 Nombre dโactions en lien avec la rรฉnovation
4.5.4.2.4 Synthรจse
4.5.5 Conclusion
4.6 Rรฉsumรฉ du chapitre
5 Conclusion
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