APERCU SUR LA SITUATION SOCIO-ECONOMIQUE DE LA REGION D’IJENDA AVANT L’INTRODUCTION DU THEIER
La présentation de la région d’Ijenda
Le cadre spatial de la région d’Ijenda
Du point de vue administratif, la région théicole d’Ijenda correspond globalement aux 10 communes dont Muramvya et Kiganda (en province de Muramvya); Ndava, Rusaka, Gisozi et Kayokwe (en province de Mwaro); Mugongo-Manga, Mukike, Nyabiraba et Muhuta (en province de Bujumbura). Néanmoins, seules 3 communes, Rusaka, Mugongo-Manga et Mukike sont entièrement concernées, d’autres pratiquent le thé sur une partie de leurs territoires ou vendent une partie de leur production aux autres usines theicoles, c’est le cas de la commune Gisozi dont une partie de ses exploitations theicoles, le Périmètre Sud, se situe dans la région de Tora.
La région théicole d’Ijenda est l’une des 5 qui constituent le territoire théier au Burundi, du Nord au Sud : Buhoro, Rwegura, Teza, Ijenda et Tora. La région d’Ijenda est alors la «zone» sous l’influence du Complexe Théicole d’Ijenda. Elle se situe sur les versants de la Crête CongoNil. Elle est subdivisée en 4 Secteurs꞉ Mugongo, Mukike, Rusaka et Gisozi -Nord. Située globalement dans les hautes montagnes du Mugamba (au tour de 2 000 m d’altitudes), la région théicole d’Ijenda est délimitée au Nord par la région théicole de Teza, au Sud par la région théicole de Tora, à l’Est par la région traditionnelle du Kirimiro et à l’Ouest par les montagnes des Mirwa.
Les principaux traits physiques
Pour une étude rurale, l’analyse des conditions physiques se révèle très indispensable, car elles font partie des facteurs majeurs qui rythment la vie paysanne.
Le relief
La région théicole d’Ijenda se situe globalement sur les versants montagneux de la Crête Congo-Nil . Elle se caractérise par le relief le plus élevé dans son ensemble (au tour de 2 000 m d’altitude en moyenne). Par rapport à la «ligne de la Crête Congo-Nil» (dite aussi ligne de partage des eaux), notre région d’étude présente 3 principales zones. Premièrement, le versant occidental descend vers les contreforts du Mirwa, son relief est très abrupt et disséqué en de nombreuses collines aux versants retombant en pentes raides sur des vallées étroites et profondes. Du fait même de cet escarpement, de la disparition progressive du couvert végétal et de nombreux cours d’eaux, l’érosion y est très active. L’altitude approche 2 000 m et les sommets sont coniques : c’est le cas des communes Nyabiraba et Muhuta.
Deuxièmement, les paysages du versant oriental de la « crête » constituent en une succession de collines aux sommets plus ou moins arrondis, aux pentes convexes, coupées de vallées à fonds plats s’étalant en larges marais (exemple ꞉ les longs des rivières Mubarazi, Kaniga et Nyavyamo). Le relief de cette partie ressemble et prolonge vers celui des Plateaux Centraux, rappelant celui de «pays aux mille collines» : il s’agit des communes Kiganda, Ndava, Rusaka, Gisozi et Kayokwe. Cette partie a une altitude qui dépasse légèrement 2 000 m.
Troisièmement, du Nord au Sud, la «ligne de la Crête Congo-Nil» passe sur les communes Mugongo-Manga et Mukike, elles sont par là les plus élevés du pays (2 500 m d’altitude). Il convient de signaler que c’est dans cette partie qu’on rencontre les plus hauts sommets du pays. Nous citons par exemples le point le plus culminant du Burundi, le mot Heha (en commune Mukike): situé entre 30′de latitude sud et 290 ′de longitude Est, il atteint 2670 m d’altitude; il en est de même pour le mot Mukike qui culmine à 2 612 m ; d’autres sommets sont Mugongo et Manga.
Les tubercules꞉ la pomme de terre prend le dessus
La pomme de terre, salanum tuberosum (kiraya ou igihaya en Kirundi) est introduite sous l’administration coloniale allemande. Suite à la réticence des paysans, cette culture a eu des difficultés pour s’intégrer dans les exploitations agricoles, en dépits des mesures très strictes de l’autorité coloniale. Elle a fini par gagner les hautes terres par son aspect commercial. Cultivée sur les collines et dans les marais, une importante partie de la production est vendue aux centres de la région pour ravitailler la capitale burundaise (Bujumbura). Cette culture a fait objet de nouvelles innovations grâces aux méthodes modernes introduites par l’ISABU. Exigeant un capital consistant pour sa production, cette culture, bien qu’importante, reste inaccessible aux ménages pauvres. Elle noue vraiment les relations entre la région d’Ijenda et la ville par la commercialisation et les échanges entre parents.
La patate douce, ipomea batatas (ikijumbu) d’origine américaine, est déjà cultivée dans la région des Grands Lacs avant l’arrivée des colonisateurs européens. Elle sera alors beaucoup plus vulgarisée par l’administration coloniale belge durant les années vingt pour faire face au fléau de famines et des disettes. Cette culture dite «anti-famine» ou «obligatoire» gagnera la région du Kirimiro (au centre du pays, à altitudes et températures moyennes). Bien que l’ISABU ait essayé des améliorations pour cette culture, sa production reste insuffisante dans la région d’Ijenda; les gens l’achètent souvent aux marchés, en provenance du Kirimiro.
Enfin, la colocase, colocasta esculenta (iteke) est produite en très faible quantité dans notre région d’étude. On la trouve dans les extrémités Est et Ouest de la Crête Congo-Nil, aux températures moins élevées et aux sols riches. La colocase comme le manioc ont depuis longtemps participé aux échanges entre la région du Mugamba et la plaine de l’Imbo.
Une faible diversité de légumes et l’absence de fruits
Traditionnellement, la région d’Ijenda soufre très sensiblement de la faible diversité des légumes et de l’absence des fruits. En effet, les courges, par ses différentes variétés occupent la première place. Elles sont cultivées sur des terrains en friches mais exigent un tas très important de bouse de vache. On récolte régulièrement les feuilles en attendant le fruit. D’autres sortes de légumes ont perdu peu à peu leur influence dans les habitudes alimentaires, il s’agit de l’épinard amer, isogo (Gynandropsis gynandra) et de la tétragone, inyabutongo(Amaranthus viridis) Le déficit des légumes a toujours été un défi majeur dans le menu de la région. Il convient de signaler que l’absence des légumes contraignait la population à substituer ces dernières par des tubercules ou des feuilles de légumineuses pour accompagner la pâte du maïs, de blé ou du manioc.
A cela, s’ajoute, l’absence totale des fruits dans le système agraire de la région d’Ijenda.
Des problèmes de carences nutritionnelles sont alors à l’origine de la malnutrition chez les enfants.
En plus des problèmes de faible diversité des cultures, la production reste sensiblement faible et sert en gros à la consommation familiale. A. Hatungimana explique la situation : «Leur faible productivité et la méfiance du paysan à l’égard du marché ont écarté les produits vivriers du circuit commercial, d’une manière générale» . Même en cas d’une production relativement satisfaisante, il était très rare de voir le paysan vendre ses récoltes. On préférait voir son grenier de maïs pourrir plus tôt que vendre une partie, faut de l’espoir d’en trouver sur le marché en cas de pénurie. «Manger d’abord», telle est relativement la logique paysanne de production. Produire de la nourriture reste la priorité du paysan pour lutter contre les famines et les disettes, même si une faible quantité peut s’orienter vers le marché. En dépit du recul relatif des famines depuis les années 1950, l’autosuffisance alimentaire reste un défi majeur des paysans burundais.
Les projets de développement rural
Les projets de développement ne sont pas nombreux dans notre région d’étude avant l’introduction de la théiculture. Mais, nous pouvons en citer deux à savoir l’ISABU et la ZAR.
En effet, l’administration coloniale belge fut préoccupée par la question des famines périodiques au Rwanda-Urundi, les unes plus meurtrières que les autres. Dans la logique de produire suffisamment pour nourrir une population en rapide croissance, un vaste programme a été mis en place꞉ la recherche agronomique. Ainsi, en 1929, le service de l’Agriculture du Gouvernement du Rwanda-Urundi fonda la Station de Recherche Agronomique à Kisozi (au versant oriental de la Crête Congo-Nil, à 2 175 m d’altitude). Depuis 1933, elle devait travailler en étroite collaboration avec son « conseiller technique », l’INEAC , qui, en 1949 l’intégra totalement dans son administration. Gérée directement par l’INEAC, la Station agronomique de Kisozi avait à son tour 3 Centres Agricoles Permanents du Service de l’Agriculture (CAPSA)꞉ Nyakararo à 2 200 m, Munanira à 2 250 m et Bururi à 1 950 m d’altitude. Cette station de recherche joua un rôle important par des essais et des vulgarisations des cultures tant vivrières (maïs, blé, petit pois, pomme de terre, patate douce,…) qu’industrielles (le café et le thé). Vers l’Indépendance du Rwanda-Urundi, en 1962, l’INEAC se scinda en 2 Instituts nationaux à savoir l’ISAR (Institut Scientifique Agronomique du Rwanda) et l’ISABU (Institut Scientifique Agronomique du Burundi). L’ISABU, par son encadrement des paysans, donna des résultats relativement appréciables après de longues années d’expérience. Diverses variétés de semences et des méthodes agropastorales modern es ont été vulgarisées par cet Institut.
En deuxième lieu est créée la Zone d’Action Rurale (ZAR) en 1957 par l’administration coloniale belge, en collaboration avec l’INEAC. Ce projet a contribué à l’encadrement des paysans pour l’amélioration des systèmes de cultures : lutte anti-érosive, semis en lignes, boisement, etc.
Le Projet Cultures Villageoises des Hautes Altitudes (CVHA) viendra plus tard, au début des années 1980.
Une région confrontée à la «faim chronique»
Les famines et disettes ont toujours été une réalité en Afrique. Dans certaines régions comme les côtes atlantiques, les gens étaient remis aux négriers, vendus par leurs maîtres, voire par leurs parents pour survivre en dépit de mauvaises récoltes . Les famines sont trop meurtrières,C. Coquery-Vidrovitch en parle꞉ « Aujourd’hui, globalement, et à l’exception d’unetoute minorité de privilégiés, l’Afrique noire est le continent où on meurt de faim».
La région des Grands lacs n’a pas été épargnée. Suite aux problèmes climatiques et écologiques, la région a toujours connu des crises alimentaires catastrophiques ; de la fin du XIX ème à la première moitié du XX ème siècle, le Burundi a connu une succession de calamités dont les famines. En effet, de 1891 à 1897, la peste bovine Muryamo, l’épidémie de variole et de pian ont été suivi par la famine Uruganda ; de 1903 à 1911, la trypanosomiase (humaine et animale), la famine appelée Gakwege et la sécheresse connue sous le nom de Kazuba (soleil) ont fait rage. Des famines très meurtrières ont marqué le Burundi au cours de la première moitié du XX e siècle : Ruyaga (1920-1926), Rwakayihura (1928-1930) ainsi que la fameuse Manori (1943-1944) . Les calamites naturelles et la mobilisation coloniale sont les principaux facteurs de ces crises qui mirent en cause le système agraire et emportèrent ainsi plusieurs vies humaines. Les paysans burundais ont dû alors adopter la bananeraie dans la majeure partie du pays, exceptées les hautes altitudes (dont notre région d’étude, à plus de 2 000 m).
Parlant de la région d’Ijenda J. Gahama écrit que «les gens mangent ce qu’ils trouvent, souvent des produits achetés non par soucis de diversifier mais pour pallier à la faim» . La situation s’aggrave pendant la période de soudure, c’est juste au moment où la production du maïs et du froment (récoltés en avril et en août) est épuisée et qu’on attend désespérément la récolte suivante. Le souci du paysan est de «produire pour manger», mais la production reste insuffisante. Pour cela, l’argument d’H. Cochet selon lequel «ces pays [le Rwanda et le Burundi] ont conquis leur indépendance alimentaire à la fin des années 1940, autonomie alimentaire qu’ils auraient conservée s’ils n’avaient pas été plongés dans la guerre civile » , mérite, à notre avis, une certaine nuance, car pour certaines régions, la « faim » reste une question très préoccupante. Généralement, de janvier à mi-mars, les gens trouvent à manger difficilement ; ils sont contraints à s’adapter à une ration constituée principalement par la pâte de manioc ou les patates douces, qu’ils achètent à des prix élevés aux marchés, souvent éloignés. La région des hautes terres ont toujours profité de sa proximité avec l’Imbo (région de la nourriture) pour s’approvisionner en cas de carences de vivres. Les déplacements des populations au cours de la période contemporaine dans la région des Grands Lacs méritent une étude sérieuse, car bien que les mobiles sécuritaires viennent en premier lieu, la faim et la pauvreté y sont également pour quelque chose.
Au niveau social : l’éducation, la santé et l’habitat rural
De l’éducation familiale à l’« école des blancs »
Avant l’introduction de l’ « enseignement européen » (amashure y’abazungu=l’école des blancs), c’est l’éducation familiale qui était dominante: l’enfant apprenait, autour du foyer, les grandes valeurs de la famille, du clan et de la société.
Le christianisme s’est accompagné de l’enseignement formel. L’enseignement religieux, par le système Yagamukama (une sorte de formation catéchiste, relativement de 6 ans, donnée aux nouveaux convertis, pour se préparer aux ordres religieux) apprenait aux nouveaux adeptes catholiques quelques notions rudimentaires de lecture et de calcul . La région a intéressé l’administration coloniale et les missions catholiques, qui y installèrent des écoles. C’est ainsi que l’enseignement formel de base y sera relativement développé. Des centres comme Ijenda, Buhonga, Kiganda et Kibumbu seront les premiers à bénéficier des écoles pour avoir connu à temps l’évangélisation catholique. Fondée en 1946, la paroisse catholique d’Ijenda a vite multiplié des salles de classes dans ses différentes succursales; jusqu’en 1976, sept avait déjà étaient construites꞉ Mayuyu, Rukina, Nyakararo, Bukwavu, Mugongo, Kibimba, en plus de celle d’Ijenda. L’année scolaire 1964-1965, ces établissements comptaient 2 259 élèves dont 1 658 étaient des garçons; une inégalité se faisait remarquer en défaveur du genre féminin (26,6%). La mentalité faisait que la fille devrait rester à la maison pour s’occuper très tôt des affaires domestiques et champêtres. Des élèves devaient parcourir de longues distances pour arriver à l’école. A la fin des années 1980, le nombre d’habitants par école était estimé à 3000, tandis que l’indicateur du nombre d’élèves par enseignant tourne au tour de 90.
Il faut signaler que des établissements secondaires sont restés rares avant de connaître un essor remarquable avec la création des collèges communaux, au début des années 1990. Le Lycée Etoile de montages d’Ijenda sera fondé en 1965 par les Sœurs Annonciades d’Heverlé. Il fut reconnu comme école subsidiée par le Gouvernement du Burundi l’année scolaire 1968-1969.
Comme pour le lycée de Buhonga, il devait accueillir dans l’internat des jeunes filles qui terminaient le niveau primaire. Seul le lycée Kiganda, l’ENEFA de Kibumbu, l’Ecole Normale de Kibimba et plus tard le lycée Mwaro (en 1987) étaient mixtes. Une tentative d’alphabétisation des adultes a été tentée dans la région, comme en 1963 à Rukina et à Mayuyu, ainsi que dans les années 1990 àRusaka. Elle rencontra des difficultés financières pour son fonctionnement.
Le domaine sanitaire : de la tradition à la modernité
Dans le domaine sanitaire, en l’absence de la médecine moderne, la «traditionnelle » a toujours occupé sa place de choix. Même si diverses maladies étaient soignées grâce aux plantes médicinales, il n’empêche que l’on enregistrait des cas de décès provoqués par des maladies plus compliquées. Une liaison très complexe se remarque entre la médecine et la religion; il s’agit par exemple du fameux culte initiatique d’Ukubandwa (une façon d’entrer en contact avec les divinités par le biais d’un principal appelé Kiranga, où un malade ou quelqu’un frappé par un malheur, comme la stérilité, pouvait recourir à ce culte) qui avait une place non moins importante; par ailleurs, l’Agasumo ka Mwaro (au chef lieu de la province Mwaro) est l’un des sites historiques de cette religion
Il faut signaler que ni le christianisme ni la médecine moderne n’a pas chassé automatiquement le recours aux méthodes traditionnelles et la période contemporaine a perpétué l’influence de la religion dans le domaine sanitaire, car on a vu des prêtres catholiques qui s’intéressent à la médecine traditionnelle et des « cultes de guérison », chers aux confessionsprotestantes.
Même avec l’installation des centres de sanitaires, des gens devaient parcourir des dizaines de kilomètres avant d’atteindre l’hôpital de Rwibaga , celui d’Ijenda ou celui de Kibumbu; cette situation ne faisait qu’empirer leur état de santé. En l’absence des moyens de communications et de transport modernes, le portage à l’aide d’une civière (inderuzo) est utilisé pour faciliter l’accès des malades aux centres sanitaires. L’hôpital privé d’Ijenda est crée en 1974 et ses prestations restent chères par rapport aux revenus des populations de la région. A la fin desannées 1980, les communes de la région avaient entre 1 et 2 centre de santé.
L’introduction du théier au Burundi
Le théier꞉ l’enfant pauvre de la politique coloniale belge
L’administration coloniale belge devait se préoccuper du sort économique de l’Urundi.
L’amélioration et l’introduction des méthodes de cultures modernes étaient les éléments majeurs de sa politique agricole. En effet, dans l’accomplissement de son devoir, la Belgique s’est attelée à améliorer les cultures vivrières existantes comme l’introduction d’autres, en l’occurrence le manioc et la patate douce, mais le café, culture de monnaie, devait prendre les devants et avait lavaleur d’école.
La mise en valeur de la colonie visait le développement de cette dernière par elle-même; pour la faire entrer de gré et de force dans une « logique capitaliste de production ». Ainsi, des sociétés de plantation qui opéraient déjà au Congo belge étendirent leurs actions sur le Burundi . Toute une gamme de cultures fut timidement essayée dont les plus importantes sont le café, le thé, le coton, le palmier à l’huile, le quinquina, le sisal, le tabac, le tournesol, le ricin et le piment. Cependant, l’irruption de la crise économique de 1930 tint en échec ces sociétés. Les plantations coloniales théicoles du Kenya trouvèrent des difficultés dues aux effets de la crise économique . Au Burundi, l’administration coloniale belge trouve une solution alternative à double intérêt꞉ introduire elle-même les cultures de rente dans le milieu paysan, ce qui visait l’exportation sans lourds investissements d’une part, et l’accès de l’indigène au numéraire pour s’acquitter des différentes charges fiscales d’autre part. Le café, pouvant se pratiquer sur de grande étendue du territoire national, par ailleurs moins exigeant en termes d’investissement, deviendra la culture maitresse de l’entrée de l’Urundi dans cette «économie moderne». Certaines cultures ne retiendront pas l’attention du colonisateur même si les conditions physiques étaient remplies ꞉ il s’agit ; à titre d’exemples, du théier et du quinquina, qui s’adaptent facilement aux altitudes élevées. Le premier, introduit en 1930 à la station de recherche de Kisozi, restera plus de 30 ans au «stade d’essai» tandis que le second sera vulgarisé mais laissé par après, à son compte. Il convient de signaler que le théier était bien pratiqué depuis les années 1920 en Afrique orientale britannique (Tanzanie, Kenya et Ouganda), aux conditions physiques similaires avec le Burundi mais avec les expériences et les traditions britanniques avancées en matière du thé (ce qui manquaient à la Belgique). Les recherches sur le théier à la station de Kisozi donnèrent des résultats satisfaisants et l’INEAC proposa au vice-gouverneur du Territoire du Rwanda-Urundi de passer à la généralisation de cette culture, mais ce projet fut écarté du plan décennal élaboré en 1949-1951 , pour intégrer l’Etude Globale du Développement du RwandaUrundi de 1960, menée par l’Association Européenne des Sociétés d’Etudes pour le Développement (AESED). La région des hautes terres d’Ijenda a profondément et longuement souffert de cet absence d’une culture « moderne ». D’un côté, on pourrait parler d’une « politique de tâtonnement », du fait d’un manque d’expériences de la part de la Belgique en matière des exploitations theicoles ; de l’autre, il s’agissait d’une logique spéculative dans un contexte international difficile (crise économique et Guerres Mondiales), qui fait que la Belgique s’intéressait au plus offrant, c’est-à-dire le café , avec moins d’investissement. Le statut de « territoire sous mandat » du Rwanda-Urundi, les défis fonciers et les problèmes financiers,limitèrent aussi certaines initiatives coloniales dont la politique théicole. Ainsi, exigeant plus des moyens matériels et financiers importants pour la mise en place des plantations et des infrastructures de traitement, le théier est resté l’enfant pauvre du système colonial belge. B.
Cappechi est de cet avis꞉ «La culture du thé […] nécessite un traitement immédiat de la feuille.
Cela entraine donc l’obligation de gros investissement. La politique d’exploitation de l’époque, c’est-à-dire d’investissement minima et de profit maxima interdisait donc cette culture» . Avec sa réapparition dans les programmes de développement depuis 1960, le programme théier intégrera les politiques publiques agricoles des gouvernements postcoloniaux, avec l’appui de leurs partenaires financiers, l’Union Européenne en tête.
L’intégration du théier dans la région d’Ijenda
Les initiatives de l’ISABU
Nous avons déjà montré que la station de recherche agronomique de Kisozi avait commencé les essais du théier en 1930. Plus tard, les résultats des études menées au début des années 1960 sont favorables à l’extension du théier sur les hautes montagnes du Burundi. Dès 1963, quelques parcelles sont installées chez les paysans volontaires des environs de l’ISABU et régulièrement contrôlées par les membres de la Mission de recherches théicoles. La production des feuilles vertes était acheminée à Teza pour le traitement avant la création de l’Usine de Tora.
En août 1963, les premières observations permirent de déterminer certains terrains théicoles favorables à savoir les régions de Rwegura, Remera, Buhoro, Teza, Muramvya, Ijenda,Tora et Gisozi.
Dans la région d’Ijenda, les premiers essais de la théiculture remontent à 1965. Des champs d’expérimentation furent lancés le long de la route Bujumbura-Ijenda à partir de Nyabiraba (1 800 m d’altitude) et de la piste Ruhororo-Rukina-Mayuyu . La parcelle pilote de Rwibaga (en commune Mugongo-Mango, à 3 Km du siège du Complexe théicole d’Ijenda) donna des résultats satisfaisants . Les jeunes plants provenaient également des pépinières, soitde Teza, soit de Rwegura ou de Mulungu au Zaïre. Quelques collines des communes Rusaka etGisozi intègrent timidement le théier à partir de1966 sous l’encadrement de l’ISABU.
Le Projet Thé Villageois d’Ijenda : à chacun sa plantation
C’est la politique du Thé Villageois. Les initiatives entreprises par l’ISABU dans les années 1960 étaient limitées aux essais (expérimentations) éparpillés soit sur les longs des pistes, soit dans quelques exploitations familiales des communes Gisozi et Rusaka. Les résultats satisfaisants des premières plantations et la raréfaction des sites d’établissement des plantations de l’Etat ont permis d’envisager rapidement une extension de la culture du thé dans les parcelles familiales . Dans les régions de Rwegura, de Teza et de Tora, le gouvernement burundais avait mis en avant les «blocs industriels» pour l’Etat, avec quelques plantations familiales chez les paysans des environs. C’est alors dans ce contexte qu’est née le «Projet Thé Villageois d’Ijenda», cette fois ci pour favoriser le thé villageois (théiculture paysanne). Cette initiative permet à l’Eta de gagner des devises par la commercialisation du produit et d’accroître le revenu monétaire du paysan, sans lourd investissement.
En effet, en 1973, démarrèrent les premiers travaux du Chantier Théicole d’Ijenda (appelé également Projet Théicole d’Ijenda ou Projet Thé villageois). Sur un financement du FED, acquis par l’OTB, 1 000 ha en petites tenures devaient être réalisées en milieu rural. Pour la première fois, un projet théicole est mis en place exclusivement pour l’intégration de cette culture dans les exploitations familiales. Il était également prévu l’installation d’une usine de traitement des feuilles vertes achetées aux paysans exploitants. A la suite d’un appel d’offreinternational, l’OTB confie ce projet à une société allemande, l’ AGRAR.
Le financement et la répartition du budget
Il s’agit d’un projet de l’extension du théier dans les exploitations familiales de la région d’Ijenda. Débutant en 1973, il fut le premier projet d’une grande ampleur à être réalisé dans cette région. Son budget global équivalait à 526 millions de franc burundais; la participation du Gouvernement burundais fut de 21 600 000 Fbu (4,1%) tandis que le F.E.D contribua énormément, à hauteur de 504 400 000 Fbu (96%).
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Table des matières
CHAP. I. APERCU SUR LA SITUATION SOCIO-ECONOMIQUE DE LA REGION D’IJENDA AVANT L’INTRODUCTION DU THEIER
I. La présentation de la région d’Ijenda
II. La situation socio-économique avant l’introduction du théier
CHAP. II. LA THEICULTURE DANS LA REGION D’IJENDA
I. L’historique du théier
II. Les exigences et intégration du théier dans la région d’Ijenda
III. Le rôle du Complexe théicole d’Ijenda
IV. Le rôle de l’Office du Thé du Burundi (OTB)
V. La libéralisation de la filière thé au Burundi: la « guerre du thé», la « guerre de monopole»
CHAP. III. L’IMPACT SOCIO-ECONOMIQUE DE LA THEICULTURE DANS LA REGION D’IJENDA
I. L’impact économique
II. La théiculture et la société rurale