Antibioprophylaxie de l’endocardite infectieuse
Physiopathologie
L’endocardite infectieuse est dรฉfinie par l’inflammation de l’endocarde qui tapisse les cavitรฉs cardiaques, les valves et les cordages et qui se prolonge par lโendothรฉlium des gros vaisseaux. Par extension, les infections de matรฉriel รฉtranger tels que les prothรจses valvulaires ou les dispositifs intracardiaques (stimulateur cardiaque, dรฉfibrillateur) sont assimilรฉes ร ce diagnostic. Les agents les plus souvent responsables sont d’origine bactรฉrienne ou fungique. Les streptocoques, staphylocoques et entรฉrocoques sont les pathogรจnes le plus souvent rencontrรฉs ; plus rarement, certaines endocardites peuvent รชtre d’origine non infectieuse et reliรฉes ร des phรฉnomรจnes immunologiques ou nรฉoplasiques. La faible incidence de cette maladie comparativement ร la forte incidence des bactรฉriรฉmies suggรจre que l’endocarde sain est assez rรฉsistant aux colonisations par les micro-organismes. La lรฉsion รฉlรฉmentaire ร lโorigine des endocardites est initialement stรฉrile, formรฉe de dรฉpรดts fibrino-plaquettaires. Lors d’une bactรฉriรฉmie, les bactรฉries vont se fixer sur l’endocarde lรฉsรฉ et former les vรฉgรฉtations.
Lโinflammation locale de lโendocarde entraรฎne lโexpression par les cellules endothรฉliales de protรฉines de la famille des ยซ bรชta 1 ยป reconnues notamment par S. aureus, ainsi que par d’autres agents pathogรจnes responsables d’endocardites infectieuses. En effet, ces bactรฉries sont porteuses de protรฉines de surface (fibronectin-binding protein) et, dรจs l’adhรฉsion faite, vont s’internaliser dans les cellules endocardiques pour s’y multiplier [4]. Une fois la colonisation effective, la faible vascularisation de l’endocarde ainsi que l’รฉchappement aux mรฉcanismes habituels de dรฉfense (e.g. les protรฉines microbicides produites par les plaquettes activรฉes [5]) vont mettre l’infection ร l’abri des dรฉfenses de l’hรดte. Par extension locale, d’autres lรฉsions typiques peuvent se produire : rupture de cordages mitraux, abcรจs myocardique (notamment septal en cas d’atteinte aortique), fistulisation intercavitaire. Ces lรฉsions peuvent aussi donner des manifestations infectieuses et immunologiques ร distance tels que des emboles septiques ou des lรฉsions de vascularite via la recirculation d’antigรจnes et de complexes immuns. Enfin, l’association de vascularite et d’emboles septiques peut gรฉnรฉrer des anรฉvrysmes mycotiques, potentiellement responsables dโhรฉmorragies viscรฉrales au pronostic parfois dรฉfavorable.
La tomodensitomรฉtrieย
Le coroscanner est dรฉsormais bien validรฉ dans lโรฉtude coronarienne et, par son caractรจre non invasif, prรฉsente un certain intรฉrรชt par rapport au gold standard qu’est la coronarographie [20]. Les rรฉcentes amรฉliorations en matiรจre de rรฉsolution ont aussi permis d’utiliser le scanner pour รฉvaluer les images cardiaques dans le contexte des endocardites infectieuses. Cet outil a notamment fourni des informations anatomiques plus prรฉcises que l’ETT concernant l’extension pรฉrivalvulaire d’un abcรจs ou d’un pseudo-anรฉvrysme [21]. Enfin, cette technique offre la possibilitรฉ de regarder l’ensemble des autres organes ร la recherche d’emboles septiques ou d’autres complications pouvant interfรฉrer avec la prise en charge. A ce jour, il n’existe pas de recommandation clairement dรฉfinie quant ร son utilisation. Il faut dโailleurs garder ร l’esprit le risque d’insuffisance rรฉnale induite par l’injection iodรฉe, tout particuliรจrement chez les patients en situation hรฉmodynamique instable.
L’รจre des antibiotiques
La premiรจre รฉtude franรงaise รฉvoquant le pouvoir antibiotique de Penicillium glaucum sur E. coli fut menรฉe par Ernest Augustin Duchesne ร l’occasion de sa thรจse de mรฉdecine en 1897 [26]. Ses travaux ne connurent malheureusement pas de suite. Quelques dรฉcennies passรจrent avant la redรฉcouverte, fortuite mais plus cรฉlรจbre, de la pรฉnicilline par Alexander Fleming en 1928 [27]. De faรงon contemporaine, Gerhard Domagk, en 1935, dรฉcouvrait le Prontosil (sulfamidaochrysoidine), un colorant actif contre les streptocoques. Il fallut nรฉanmoins attendre jusqu’ร la seconde guerre mondiale pour voir utilisรฉes les premiรจres pรฉnicillines de synthรจse. Les plus anciennes รฉtudes retrouvรฉes traitant de l’utilisation des antibiotiques pour le traitement des endocardites infectieuses datent des annรฉes 1960 avec des sรฉries de malades guรฉris par ces thรฉrapeutiques [28]. Les 50 derniรจres annรฉes ont vu l’รฉmergence exponentielle de travaux scientifiques conduisant aux derniรจres recommandations internationales de l’ESC en 2009 [6]. La prise en charge microbiologique des endocardites infectieuses y est dรฉsormais codifiรฉe et propose des algorithmes d’antibiothรฉrapie empirique, secondairement adaptรฉe en fonction du germe isolรฉ dans les hรฉmocultures. La prรฉsence chez le patient de valve mรฉcanique ou native est รฉgalement prise en compte (Tableau V).
L’administration la plus prรฉcoce possible est un des piliers de la prise en charge. Elle peut รฉviter l’apparition d’un sepsis sรฉvรจre pouvant mener ร une dรฉfaillance multiviscรฉrale puis au dรฉcรจs. Une รฉtude internationale de cohorte sur plus de 1000 patients a observรฉ que l’instauration d’un traitement antibiotique adaptรฉ permettait une rรฉduction de 65 % du risque d’embolie cรฉrรฉbrale [29].
Malgrรฉ l’รฉmergence de nouveaux antibiotiques tels que la Teicoplanine ou le Linezolide, aucun n’a fait la preuve de sa supรฉrioritรฉ par rapport aux Bรชta-lactamines. Seule la Daptomycine a fait l’objet d’un essai randomisรฉ contrรดlรฉ permettant de conclure ร une non-infรฉrioritรฉ par rapport au traitement classique [30]. En matiรจre de molรฉcules, les Bรชta-lactamines, la Vancomycine et les Aminosides restent donc le traitement de rรฉfรฉrence [6]. Pourtant dรจs les annรฉes 1970, et malgrรฉ une adaptation de plus en plus fine de l’antibiothรฉrapie, peu de progrรจs ont รฉtรฉ rรฉalisรฉs avec notamment la persistance d’une mortalitรฉ enregistrรฉe ร cette รฉpoque de 30 % ร 6 mois. L’idรฉe d’un traitement chirurgical complรฉmentaire, ร l’instar d’autres pathologies, se faisait alors dรฉjร sentir.
L’รจre de la chirurgie Le traitement chirurgical des endocardites a longtemps รฉtรฉ dรฉnigrรฉ ร la phase aiguรซ pour deux raisons : la crainte d’une dissรฉmination septique durant l’intervention et l’hรฉsitation lรฉgitime ร implanter un matรฉriel prothรฉtique en milieu septique. Toutefois, certaines situations d’extrรชme instabilitรฉ hรฉmodynamique ont forcรฉ cette dรฉcision. Plusieurs รฉtudes type ยซย case reportย ยป virent le jour dans les annรฉes 1970 rapportant des prises en charge chirurgicales d’endocardites infectieuses rรฉalisรฉes avec succรจs [31] [32]. Jusqu’au dรฉbut des annรฉes 2000, seules des รฉtudes rรฉtrospectives ont รฉtรฉ menรฉes, ne permettant de conclure ni sur l’efficacitรฉ de la chirurgie, ni sur le dรฉlai entre le diagnostic et la prise en charge chirurgicale. Plus rรฉcemment, trois รฉtudes, ร l’aide d’un modรจle statistique novateur, appelรฉ ยซย propensity matchingย ยป[33] [34], ont pu optimiser leurs rรฉsultats : en 2003, une รฉtude rรฉtrospective amรฉricaine portant sur des patients prรฉsentant une endocardite infectieuse du coeur gauche retrouve une mortalitรฉ de 33 % dans le groupe ยซ antibiotiques seuls ยป vs 16 % dans le groupe ayant eu une chirurgie valvulaire complรฉmentaire [35]. Deux autres รฉtudes de cohorte retrouvent les mรชmes rรฉsultats en terme de diminution de mortalitรฉ ; ร noter que le bรฉnรฉfice maximal รฉtait obtenu chez les patients prรฉsentant une insuffisance cardiaque modรฉrรฉe ร sรฉvรจre [36] [37]. Il faut attendre 2012 pour que soit rรฉalisรฉe la premiรจre รฉtude randomisรฉe contrรดlรฉe sur l’intรฉrรชt d’une prise en charge chirurgicale prรฉcoce (dans les 48 heures suivant le diagnostic) : ร travers un critรจre composite rรฉunissant dรฉcรจs et nouvel รฉpisode embolique, l’รฉquipe corรฉenne de Kang retrouve un net bรฉnรฉfice ร une prise en charge chirurgicale prรฉcoce (3% vs 23%; HR 0.10; IC 95% 0.01-0.82; p=0.003) sans pour autant majorer la mortalitรฉ ou le taux de rรฉcidive d’endocardite infectieuse pรฉriopรฉratoire [38].
3. Principes de la chirurgie Le principe de la chirurgie inclut l’excision complรจte de tous les tissus atteints, en passant au large des lรฉsions de faรงon ร ne laisser aucune zone suspecte, la dรฉtersion des cavitรฉs abcรฉdรฉes, puis le rรฉtablissement des relations anatomiques de continuitรฉ (ventriculo-aortique ou atrio-ventriculaire). Plusieurs options existent pour restaurer la compรฉtence valvulaire allant de la plastie au remplacement total de la valve. Concernant les atteintes mitrale et tricuspide, une chirurgie rรฉparatrice, quand elle est possible, est plutรดt prรฉfรฉrรฉe [39] [40]. Dans les cas complexes oรน cette option est irrรฉalisable, un remplacement valvulaire est alors choisi. Trรจs peu de donnรฉes existent sur le type de prothรจse valvulaire ร proposer [41]. L’avantage principal de la valve mรฉcanique est sa longรฉvitรฉ.
En revanche, elle requiert une anticoagulation curative dont les consรฉquences dรฉlรฉtรจres sont malheureusement bien connues. La bioprothรจse n’a pas cette nรฉcessitรฉ mais prรฉsente une durรฉe de vie plus courte, notamment en position mitrale. Les recommandations amรฉricaines pour la chirurgie valvulaire en gรฉnรฉral proposent un choix orientรฉ en fonction de l’รขge du patient : avant 65 ans une prothรจse mรฉcanique, aprรจs 65 ans une bioprothรจse [42]. Les recommandations europรฉennes spรฉcifiques aux endocardites optent plutรดt pour une attitude adaptรฉe ร la situation clinique et au terrain [6]. Une รฉtude observationnelle rรฉcente de lโICE [43], avec une cohorte de 1467 patients ayant eu un remplacement valvulaire par prothรจse, a montrรฉ que la chirurgie par bioprothรจse รฉtait associรฉe ร une mortalitรฉ ร 30 jours et ร un an plus รฉlevรฉes que la chirurgie par prothรจse mรฉcanique, particuliรจrement chez les moins de 65 ans. La raison avancรฉe tenait plus aux caractรฉristiques des patients (comorbiditรฉs associรฉes plus importantes) qu’ร une dysfonction prothรฉtique secondaire.
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Table des matiรจres
LISTE DES ABREVIATIONS
PREMIERE PARTIE : MISE EN PERSPECTIVE
I. Physiopathologie
II. Diagnostic
A. Diagnostic clinique
B. Diagnostic รฉcho-cardiographique
1. Indications
2. Intรฉrรชt dans la dรฉcision chirurgicale
C. Diagnostic microbiologique
D. Investigations complรฉmentaires possibles
1. Investigations microbiologiques
2. Investigations iconographiques
III. Evolution des thรฉrapeutiques
A. L’รจre des antibiotiques
B. L’รจre de la chirurgie
1. Historique
2. Indications actuelles
3. Principes de la chirurgie
4. Scores pronostiques en chirurgie cardiaque
5. Cas particuliers
6. Suivi chirurgical des patients aprรจs la phase aiguรซ
IV. Epidรฉmiologie
A. Situation actuelle en France
1. Population, mode d’acquisition et facteurs de risque
2. Prรฉsentation clinique
3. Diagnostic
4. Traitement chirurgical
5. Mortalitรฉ et facteurs de risque
B. Evolution de l’รฉpidรฉmiologie en France depuis 1991
C. Comparaison internationale
D. Nouveau paradigme
V. Antibioprophylaxie de l’endocardite infectieuse
DEUXIEME PARTIE : ETUDE RENNES ANGERS
I. Justification du projet de thรจse
II. Objectifs de la thรจse
III. Lโarticle
IV. Commentaires sur lโรฉtude
A. Biais de recrutement et de mesure
B. Discussion des rรฉsultats
1. L’obรฉsitรฉ
2. Prothรจses mรฉcaniques et bioprothรจses
3. l’EuroSCORE
CONCLUSION
Rรฉfรฉrences bibliographiques
Table des matiรจres
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