Anthropologie des « Alawy » et des « Beduwy »: entre silences et confusions

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Al-‘Ulā passée : l’engouement archéologique

Analyser les connaissances sur l’oasis d’al-‘Ulā mène à un constat : les aspects archéologiques et épigraphiques concentrent presque toutes les publications sur l’oasis et sur la zone alentour, en faisant une zone « grise » de connaissances par ce déséquilibre. Cette prédominance peut s’expliquer par deux dynamiques intellectuelles. Tout d’abord, celle des Européens y ayant mené des missions au tournant du xxe siècle : c’est principalement l’établissement de connaissances archéologiques et épigraphiques qui les motivent (Huber 1891, Euting 1896, Jaussen & Savignac 1914, Doughty 1921, Musil 1926). Il y a ainsi un fort déséquilibre dans les connaissances établies sur al-‘Ulā, avec une abondance de connaissances archéologiques et épigraphiques dans la littérature plus récente (Winnet & Reed 1970, Farès-Drappeau 2005).
Ensuite, il faut s’intéresser à la dynamique intellectuelle saoudienne, l’un des principaux vecteurs de connaissances sur al-‘Ulā. À l’échelle nationale, le développement actif du tourisme pour préparer l’après pétrole s’incarne dans la « Vision 2030 » du prince Mohammed Bin Salman al Saud. Cela se traduit à al-‘Ulā par le projet de développement touristique de grande ampleur mené par la Royal Commission for al-‘Ulā (RCU) en partenariat avec la France, projet qui met l’accent sur la mise en valeur des vestiges archéologiques. Il s’agit principalement de valoriser le patrimoine historique sur le site d’Hegra ainsi que le site de Dedan (Pukas 2018, Rigoulet-Roze 2018). Il y a donc une vraie insistance sur l’établissement de connaissances archéologiques dans la région d’al-‘Ulā, avec un but de développement touristique.
Cette profusion d’études archéologiques permet néanmoins d’établir des connaissances sur d’autres domaines de la vie locale, notamment l’agriculture oasienne, car elles s’accompagnent d’analyses archéobotaniques. Les recherches effectuées à Hegra montrent ainsi la présence d’un agrosystème de type oasien, centré sur la culture du palmier dattier (Bouchaud 2013). D’autres plantes cultivées peuvent être identifiées et permettent de dessiner un tableau de l’agriculture : des oliviers, des grenadiers, mais aussi des céréales telles que l’orge et le blé ainsi que des légumineuses, comme des lentilles et des pois, faisaient partie de l’agriculture de l’oasis ; la culture du coton est également supposée. L’agriculture oasienne dans la région proche d’al-‘Ulā est donc ancienne, puisque attestée pour toute la période d’occupation d’Hegra, entre le IVe siècle av. J.-C. et le VIIe siècle ap. J.-C. (Bouchaud 2010, 2013, Bouchaud et al. 2011).

Une oasis en changement

De al-‘Ulā à al-Dīra : l’abandon des habitations traditionnelles

Al-Dīra [A.3.a.1] est située en dehors des jardins ; tous les auteurs l’ayant visitée au tournant du XXe siècle notent l’étroitesse des rues, due en partie aux maisons à deux étages se rejoignant parfois par-dessus la voie, surmontées d’une terrasse [A.3.a.2] (Euting 1896, Jaussen & Savignac 1914, Doughty 1921). Concernant les matériaux de construction, tous s’accordent à voir que les habitations sont faites de pierres rapportées de Dedan et sont maçonnées avec de la « boue ». Un élément central est l’utilisation du tamaris et surtout du palmier dans la construction, impliqués dans les poutres, portes, serrures et sols [A.3.a.3, A.3.a.4] (Jaussen & Savignac 1914, Doughty 1921). Ces éléments (pierre, mobilisation de bois et stipe) sont typiques de l’architecture traditionnelle du nord de la région du Hedjaz (King 1998), et les connaissances du début de siècle se recoupent bien avec des propos plus récents (Nasif 1988, King 1998, Farès-Drappeau 2005). Il faut cependant noter le caractère assez vague de ces connaissances; la simple boue décrite par les auteurs serait plutôt un mélange contenant de l’argile, du tīn, à la couleur jaune dans l’oasis d’al-‘Ulā, et les simples « briques séchées au soleil » décrites par Jaussen & Savignac (1914 : 43) résultent d’un processus plus complexe de maturation de l’argile (King 1998). Cet aspect est à rattacher aux motivations de ces Européens venant à al-‘Ulā pour les connaissances archéologiques : c’est principalement parce qu’ils cherchent des pierres antiques incorporées dans les habitations qu’ils décrivent l’habitat traditionnel. C’est donc un aspect assez périphérique de leurs observations voire, comme dans les écrits d’Huber (1891), inexistant. Il faut aussi noter la dynamique intellectuelle d’un auteur plus récent, celle de Nasif. Auteur local originaire d’al-‘Ulā, ses connaissances sur la construction sont néanmoins imprécises : sa connaissance de l’oasis se fait par l’entrée du système traditionnel d’irrigation, les qanats, et non de l’habitat (Nasif 1988, 1995).
Les connaissances sur la répartition spatiale des habitations sont particulièrement « grises » ; peu de sources traitent de cet aspect. Seul Nasif (1988, 1995) indique que la population se répartit selon les affiliations de clan qui sont distribués en deux groupes, Shuqaiq et Ḥilf. Dans les années 1970, les clans Shuqaiq vivaient encore autour de la colline Umm Nāṣir, au cœur d’al-Dīra, tandis que les Ḥilf vivaient au sud de cette colline. Al-Dīra est abandonnée au cours des années 1980, et l’extension de l’oasis par l’exploitation de la zone d’al-Manshiyyah au sud commence vers 1890 [A.3.a.5] (Jaussen & Savignac 1914). La vieille ville abandonnée, les habitants d’al-‘Ulā se trouvent aujourd’hui majoritairement au sud, en partie dans les anciens jardins d’al-Manshiyyah (Salles 1996, Farès-Drappeau 2005). Cette évolution rapide et profonde de l’habitat pose des questions auxquelles il n’y a pas de réponse encore établie, et met en avant l’absence d’étude sur l’habitat moderne à al-‘Ulā. Qu’en est-il de la division spatiale entre clans Shuqaiq et clans Ḥilf ? Il est permis de penser que cette répartition spatiale particulière s’est faite différemment, al-Manshiyyah étant déjà habitée par sa famille fondatrice quand al-Dīra s’est vidée des autres habitants. Il semblerait également que de nouveaux habitants, ni Shuqaiq ni Ḥilf, se soient installés à al-‘Ulā (Nasif 1988, 1995).

L’eau à al-‘Ulā : ce qui s’est vécu, s’est écrit et s’oublie

Les sources sur l’utilisation de l’eau au niveau local sont très réduites : exhaustives mais confuses à propos du système traditionnel, le système actuel est décrit par quelques phrases éparses dans la littérature. Au niveau national, il ne semble pas y avoir d’études des systèmes traditionnels d’irrigation et des changements qu’impliquent le passage de systèmes traditionnels, fonctionnant sur la base de la propriété collective, à des systèmes fonctionnant sur celle de la propriété privée. Ainsi, chercher sur l’eau à al-‘Ulā dans les publications contemporaines mène à des articles traitant de la qualité de l’eau du gouvernorat (Toumi et al. 2013, Toumi et al. 2015).
Dans les écrits des Européens qui visitent l’oasis au tournant du XXe siècle il est difficile de savoir s’ils décrivent des sources naturelles ou des qanats. Ce mot n’est jamais évoqué malgré leurs observations d’éléments typiques de ce système d’irrigation, c’est-à-dire un ensemble de tunnels souterrains en pente, permettant l’acheminement de l’eau d’une nappe souterraine en hauteur à l’oasis située plus bas (Globot 1979). Cela s’explique probablement par une confusion linguistique entre ‘ayn pour dire source et ‘ayn pour dire qanat6. Cependant des connaissances se recoupent : la pratique consistant à creuser le sol de certaines plantations pour le mettre à la hauteur du tunnel du qanat est présente dans toutes les descriptions de l’ancienne oasis (Jaussen & Savignac 1914, Doughty 1921, Nasif 1988).
Seul Nasif (1980, 1981, 1988, 1995) rapporte en détails les règles de gestion liées à ces qanats. Ces connaissances précises sont sans doute à relier avec sa propre situation puisque son père était impliqué dans la gestion des qanats. Cependant, cette position de producteur local de connaissances l’amène à voir des règles spécifiques à al-‘Ulā ; en réalité elles sont assez typiques de zones musulmanes oasiennes appliquant la charia dans la gestion de l’eau (Wilkinson 1977, 1978, 1990, Charbonnier 2014). La division entre clans Shuqaiq et clans Ḥilf intervient également dans la propriété de l’eau : seuls les Ḥilf ont droit d’irrigation concernant le qanat principal de l’oasis, Tid’il, alors qu’il traverse les terres Shuqaiq. Les règles de gestion montrent qu’il s’agit de connaissances partagées, mais aussi de savoir-faire qui se vivent et s’ancrent dans la vie de la communauté (Nasif 1980, 1988, 1995).
Entre les années 1960 et 1980 les techniques d’irrigation évoluent rapidement, passant des qanats collectifs aux pompes individuelles mécanisées (Winnet & Reed 1970, Nasif 1980, 1988). Les règles orales liées aux qanats tendent à disparaître et à s’oublier : seule une partie minime a été mise à l’écrit (Nasif 1981). Ces savoirs liés à l’eau sont dynamiques : ils s’établissent à partir de connaissances, s’institutionnalisent, évoluent au cours du temps et s’oublient aussi. Wilkinson (1980) évoque la situation à al-‘Ulā, qui préfigure pour lui le futur de l’irrigation des oasis omanaises : une exploitation de l’eau trop importante, mal contrôlée par des pompes mécaniques dont la propriété est privée, brisant les cadres de vie et de sociabilité. Deux questions se dessinent : tout d’abord, qu’implique, concernant les droits d’irrigation entre Shuqaiq et Ḥilf, ce passage des qanats aux pompes individuelles ? Ensuite, quels changements cela induit dans l’unité sociale de ce « socio-écosystème » (Battesti 2005) qu’est l’oasis, alors que le système des qanats pouvait mobiliser l’entièreté de la population via leur entretien par volontariat ? S’il n’y a aucune étude directe, la situation en Oman dans les années 1980 offre des pistes de réflexion pour comprendre à la fois les changements traversés une vingtaine d’années plus tôt à al-‘Ulā, et la situation actuelle.

Développement touristique en zone « grise »

Comme vu précédemment, al-‘Ulā est une oasis changée, mais aussi en changement, étant l’objet du projet de développement touristique mené par la RCU. Il est cependant difficile d’appréhender par les sources écrites la perception locale de ce projet. Il s’agit ainsi d’une zone « grise » de connaissances : grise par une absence de connaissances sur les discours locaux vis-à-vis de ce projet imposé de Riyad, grise parce que les seules connaissances disponibles sont issues des discours officiels, grise enfin parce que comprendre la perception locale amène à des suppositions basées sur l’identité de la région du Hedjaz.
Al-‘Ulā appartient en effet à cette région, une bande à l’ouest du royaume comportant les lieux les plus saints de l’Islam, La Mecque et Médine. Cette zone, historiquement sous contrôle ottoman et qui fut également un royaume indépendant, n’a plus de réalité géographique puisque les découpages administratifs saoudiens l’ont effacée de la carte (Yamani 2009). Ainsi, lorsque Doughty (1921) voyage à al-‘Ulā en 1876-78 il lui est rapporté que l’oasis est le début du Hedjaz, tandis que Jaussen et Savignac (1914) ne peuvent y entrer car ils ne peuvent pénétrer dans le royaume du Hedjaz.
Sous couvert d’un royaume homogène uni derrière la famille Saoud, l’Arabie saoudite cache des disparités régionales fortes : le Hedjaz a une identité bien différente de la région du Nejd dont est originaire la famille régnante et est probablement l’une des zones du royaume avec l’identité la plus cohérente et la mieux définie de toutes (Beranek 2009). C’est également un royaume historiquement opposé au pouvoir saoudien, incorporé définitivement dans le nouveau royaume en 1932. Depuis quelques années, il y a une mobilisation de cette identité du Hedjaz qui se construit en opposition à l’identité saoudienne (Yamani 2000, 2009, Beranek 2009). Cette dynamique touche différents domaines : la langue, l’habit, la religion 7 et la famille avec une absence de mariages entre « Nejdi » et « Hijazi » (Bedos 2006, Yamani 2009).
Cette culture de la différence est particulièrement forte dans les grandes villes, mais qu’en est-il d’al-‘Ulā ? cette différence d’identité marquée, qui se traduit chez beaucoup d’ Hijazi par un rejet de la culture Nejd, serait-elle suffisante pour catalyser un discours d’opposition face à des décisions extra-locales imposées de Riyad ? Ces questions sont sans réponses, et cette absence de connaissances est probablement à replacer dans une dynamique intellectuelle saoudienne reflétant un discours national qui met en avant une identité saoudienne homogène (Thiollet 2010). Il faut ainsi noter que les connaissances principales établies sur cette mobilisation de l’identité hijazi sont celles d’une chercheuse originaire du Hedjaz par son père, Mai Yamani.
L’absence de discours locaux invite à s’intéresser aux discours nationaux. Les acteurs du projet de la RCU insistent sur l’implication des « locaux » dans le projet : il y a ainsi le « Hammayah programm » avec deux mille cinq cents emplois pour les habitants du gouvernorat d’al-‘Ulā ou encore des bourses d’études pour deux cents étudiants (Pukas 2018, Rigoulet-Rose 2018). Selon les mots de Rami Al-Sakran, responsable développement de compétences à la RCU, le projet est avant tout à propos « des locaux, des locaux, des locaux » (Gannon & Nugali 2019). Il y a ainsi une volonté officielle d’impliquer les « locaux » qui sont en fait les habitants du gouvernorat et non les habitants directs de l’oasis d’al-‘Ulā. Il est difficile de sortir des discours touristiques opaques et des propos des journaux officiels. Dans ce domaine il faut mettre en avant l’intérêt probable de la littérature grise locale pour dépasser ces discours homogènes ; la limite linguistique de ce mémoire est ici rapidement atteinte.

Anthropologie des « Alawy » et des « Beduwy »: entre silences et confusions

Al-‘Ulā et l’anthropologie en Arabie saoudite : zones blanches et zones noires de connaissances

Visualiser une carte des connaissances anthropologiques en Arabie saoudite donnerait à voir des zones noires et des zones blanches de connaissances : au sein du peu de connaissances établies certains aspects sont particulièrement étudiés, tandis que d’autres ne le sont pas.
L’anthropologie du Moyen-Orient est principalement réalisée à ses débuts par des chercheurs occidentaux, s’intéressant à l’étude de populations isolées organisées en tribus pastorales nomades, mettant l’accent sur l’étude de ce mode de vie et de la parenté (Gilsenan 1990, Lindholm 1995). La discipline s’est peu voire pas intéressée aux sédentaires citadins. Il faut attendre le milieu des années 1990 pour que l’anthropologie des communautés urbaines devienne plus fréquente, sans être abondante (Altorki 2015). L’anthropologie en Arabie saoudite s’inscrit dans ce schéma : jusque dans les années 1960-70 c’est l’étude des populations nomades qui intéresse, puis, avec les changements économiques profonds du pays, les connaissances sont concentrées sur l’évolution des modes de vie des communautés bédouines dans un État qui s’oppose à elles (Katakura 1977, Cole 1980, 1981, 2003, Lancaster 1981, Kostiner 1990, Fabietti et al. 1993, Pouillon 1995, 2017)8. Il semblerait que la seule étude anthropologique d’une communauté urbaine saoudienne soit celle de la ville oasienne d’‘Unayzah. Il serait tentant de penser y trouver de quoi inférer sur la situation à al-‘Ulā ; cependant les mutations traversées par les deux zones n’ont rien de semblable (Altorki & Cole 1989). Face à cette absence de connaissances il est difficile de savoir ce qu’impliquent, au niveau anthropologique, les changements vécus à al-‘Ulā.
La dynamique intellectuelle saoudienne explique également ces connaissances lacunaires : au peu d’intérêt national pour l’anthropologie se rajoute une difficulté pour les chercheurs étrangers à faire du travail de terrain (Pouillon 2017). Il y a donc peu d’études disponibles, et s’il y en a elles sont anciennes et s’intéressent principalement aux communautés bédouines. Il est possible d’y voir un lien avec un discours national d’homogénéité culturelle et religieuse mis en avant par le gouvernement saoudien, excluant certains aspects trop différents pour être intégrés à cette identité nationale (Thiollet 2010). Si cela est particulièrement fort envers les communautés bédouines dont l’image est « saoudisée » (Pouillon 2017) il convient de se demander ce que ce discours national implique en termes de production anthropologique, à même de faire ressortir des aspects culturels hétérogènes au sein du territoire saoudien.
L’anthropologie de l’environnement est peu présente : cet aspect de la discipline se traduit par des inventaires ethnopharmacologiques (Rahman et al. 2004, Ghazali et al. 2010, Saganuwan 2010, Youssef 2013, Shabasy 2016) ou des monographies se concentrant là encore sur les composantes bédouines de la société saoudienne (Mandaville 2010). La quasi-absence de données anthropologiques sur al-‘Ulā peut donc se comprendre dans des dynamiques de production de connaissances plus larges, nationales et extra nationales, où les connaissances anthropologiques sont soient occultées, soient concentrées sur quelques aspects, particulièrement les communautés bédouines.

L’anthropologie d’al-‘Ulā : confusions et cohérences des sources

À la lecture des sources établissant des connaissances anthropologiques sur al-‘Ulā il convient de distinguer deux groupes de populations : les sédentaires habitant dans la ville d’al-‘Ulā et les Bédouins (Beduwy), nomades ou sédentarisés aux alentours.
Les cartes de répartition territoriale selon les affiliations tribales n’étant pas disponibles en Arabie saoudite (Pouillon 2017), il faut se pencher sur les sources du début du XXe siècle [A.4.b.1]. Deux tribus nomades y sont mentionnées : les Baliyy et les Fuqarā’ (Euting 1896, Jaussen & Savignac 1914, Doughty 1921, Musil 1926)9. Les Fuqarā’ y sont omniprésents — une étude ethnographique complète existe (Jaussen & Savignac 1997) — mais absents des sources plus récentes (Nasif 1988, 1995). Cet écart pose la question des mouvements de cette tribu. Les affiliations tribales de villages aux alentours d’al-‘Ulā dans les années 1970 montrent que certains se rattachent aux Fuqarā’ (Nasif 1988) : l’hypothèse d’une sédentarisation est probable et ne serait pas surprenante au regard de la tendance nationale de détribalisation par sédentarisation (Farra 1973, Pouillon 1995, 2017). Cette surreprésentation des Fuqarā’ dans les sources des Européens est probablement liée aux conditions de production de connaissances. Les Fuqarā’ sont souvent leurs guides, les rendant plus accessibles que les habitants d’al-‘Ulā à l’inverse assez hostiles. La situation est probablement la même pour les Baliyy (Musil 1926). Ces derniers sont encore présents aujourd’hui autour d’al-‘Ulā et sont l’objet d’études, notamment linguistiques, mais il est difficile de savoir s’ils sont encore nomades ou sédentarisés dans des villages qui se revendiquent de cette affiliation tribale (Nasif 1988, Albalawi 2015).
Les origines de ceux que les écrits appellent « Alawy », habitants de l’oasis, sont changeantes. Ils se disent descendre à la fois de colons maghrébins, mais aussi des tribus Jeyheyna, Harb et Bany Sokhr (Doughty 1921) et plus récemment se rattachent principalement à la tribu Harb, bien que chaque clan mette en avant son propre récit généalogique (Nasif 1988, 1995). À cette apparente unité d’« Alawy » il faut en effet opposer une division en clans : les familles originaires d’al-‘Ulā se regroupent en quinze clans répartis en deux groupes Shuqaiq et Ḥilf [A.4.b.2]. Cette division a été traitée de manière lacunaire par les sources européennes du tournant du XXe siècle : elle y est soit passée inaperçue (Euting 1896, Doughty 1921, Musil 1926), soit vue de manière superficielle, Jaussen & Savignac (1914) associant les noms qu’ils notent « Šeqeiq » et « Ḥilf » à des quartiers et non à des clans. Elle semble cependant avoir été centrale dans la vie administrative d’al-‘Ulā jusqu’à récemment et l’arrivée de nouveaux habitants n’appartenant à aucun de ces deux clans pose la question de leur incorporation dans ce système (Nasif 1988, 1995).
Il est difficile de voir une unité dans les connaissances établies concernant les pratiques culturelles ou religieuses. Le seul point sur lequel s’accordent les sources est la description de triangles noirs ou rouges sur les portes d’al-Dīra, accompagnés d’un verset coranique [A.4.b.3] (Jaussen & Savignac 1914, Doughty 1921, Nasif 1988). L’unique source établissant plus de connaissances dans ce domaine est Nasif (1995).
Les connaissances anthropologiques des « Alawy » sont particulièrement confuses, et il faut les replacer dans les dynamiques intellectuelles dont elles découlent. L’anthropologie est périphérique chez les auteurs du tournant du XXe siècle, et le peu de connaissances établies se nourrissent d’une pensée évolutionniste : tous s’attachent avant tout à décrire le physique de ces « Alawy » pour les rattacher à une race établie (Huber 1891, Euting 1896, Jaussen & Savignac 1914, Doughty 1921). S’ajoutent une certaine distance entre ces Européens et les habitants, due à leur position d’étrangers mais aussi à l’hostilité des locaux, et un mépris prégnant de ces auteurs envers les « Alawy ». Il convient également de comprendre la dynamique de production de connaissances au niveau local. Nasif (1988, 1995) est particulièrement exhaustif dans ce domaine anthropologique. Son travail s’apparente à un travail de mémoire sur sa communauté, avec une volonté d’exhaustivité et peu d’analyse : il est permis de se demander s’il ne met pas en avant des aspects anthropologiques anecdotiques ou disparus au moment où il écrit. Son travail questionne les prismes qu’implique la production de connaissances anthropologiques sur sa communauté. Ainsi, pour faire une analyse critique de cet objet d’étude familier dans lequel l’anthropologue est impliqué — le père d’A. Nasif est chef de clan — encore faut-il être conscient des biais que sa position entraine dans sa compréhension du réel, et construire une nécessaire autonomie et une certaine distance vis-à-vis de sa communauté (Ouattara 2004).

Phœniculture et agriculture oasienne, entre discours nationaux et situation locale

 Agriculture : cohérences et imprécisions des sources

Les connaissances sur l’agriculture à al-‘Ulā existent mais sont vagues : il n’y a pas d’indication sur les propriétés de parcelles, les techniques, les espèces exactes cultivées ou la quantité de production. Seules les statistiques agricoles nationales sont disponibles en anglais, mais n’étant pas séparées en régions administratives elles ne sont pas exploitables pour une étude locale (General Authority for Statistics 2015). Il semble cependant que des statistiques agricoles sur al-‘Ulā existent (Nasif 1988, 1995 en utilise), probablement disponibles en arabe.
Il est néanmoins possible de connaître les plantes cultivées à al-‘Ulā à partir de la littérature. Les arbres fruitiers seraient les figuiers et grenadiers, mais al-‘Ulā est principalement connue pour ses agrumes. Ainsi les citrons doux et amers, cultivés à proximité des palmiers, étaient particulièrement présents jusque dans les années 1970 où ils sont presque tous remplacés — à l’exception du citron « al muss » — par l’orange et la tangerine qui apparaissent dans les années 1950. Le cédrat serait également cultivé (Jaussen & Savignac 1914, Doughty 1921, Nasif 1988, 1995). Plus récemment les citrons, comme les autres agrumes, sont cultivés comme une culture de rente (Battesti 2019, pers. comm) après cette diminution des années 1970. Le raisin est présent dès 1876-78, tandis que la culture de la pêche commencerait après : lors du passage de Doughty (1921) à cette date le seul fruit à noyau est la prune, tandis que les sources postérieures confirment la présence de pêchers (Jaussen & Savignac 1914, Nasif 1988, 1995).
Les légumes et fruits cultivés sous les palmiers seraient les tomates, aubergines, poivrons, petits oignons, pastèques et melons (Jaussen & Savignac 1914, Doughty 1921, Nasif 1988). Nasif (1995) mentionne le gombo (Abelmoschus esculentus), la corète potagère (Corchorus olitorius L.), l’ail, la bette (Beta vulgaris subsp. Vulgaris), la coriandre, le cresson, « peppergrass » (Lepidium virginicum), le concombre, la carthame des teinturiers (Carthamus tinctorius L.) ainsi que des radis et légumineuses (du genre Vigna). Ces informations permettent de faire ressortir un assemblage entre palmiers dattiers, arbres fruitiers et maraîchage au sol, montrant ainsi l’organisation classique d’une oasis en trois niveaux d’exploitation (Battesti 2005).

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Table des matières

Introduction
I- Interroger l’acte de connaître
a) Connaissance : tentatives de définitions
b) Connaître : un processus
c) Que pouvons-nous connaître ?
II- Al-‘Ulā antique, al-‘Ulā moderne : le déséquilibre archéologique
a) Histoire lacunaire d’une oasis changeante
b) Al-‘Ulā passée : l’engouement archéologique
III- Une oasis en changement
a) De al-‘Ulā à al-Dīra : l’abandon des habitations traditionnelles
b) L’eau à al-‘Ulā : ce qui s’est vécu, s’est écrit et s’oublie
c) Développement touristique en zone « grise »
IV- Anthropologie des « Alawy » et des « Beduwy »: entre silences et confusions
a) Al-‘Ulā et l’anthropologie en Arabie saoudite : zones blanches et zones noires de connaissances
b) L’anthropologie d’al-‘Ulā : confusions et cohérences des sources
V- Phœniculture et agriculture oasienne, entre discours nationaux et situation locale
a) Agriculture : cohérences et imprécisions des sources
b) Phœniculture, un dialogue entre sources locales et générales
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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