Annonce de la trisomie 21 et ses conséquences

Les fonctions perceptivo-motrices 

   La faculté de perception permet à l’Homme de se construire une vision du monde et de lui-même et de se fonder une identité. « C’est par les perceptions sensorielles et l’interprétation qu’il en fait que l’être humain se construit et bâtit sa vision du monde » (Ammann, 2012). La sensibilité au monde du petit enfant porteur de trisomie 21 est affectée à cause de difficultés sensori-motrices et d’un ralentissement de la vitesse de perception (Bigot-De-Comité, 1999).
La perception visuelle : La fixation du regard et les balayages visuels se mettent difficilement en place chez l’enfant porteur de trisomie 21. Il en découle une altération des fonctions de généralisation, de synthétisation et d’attention. Dès les premiers jours de vie lors des tétées, il éprouve des difficultés à diriger son regard vers les yeux de sa maman. Inconsciemment la mère a tendance à moins échanger avec son bébé alors que ce moment est privilégié dans la fondation de la relation à l’autre. Néanmoins, le contact œil à œil une fois établi, le jeune porteur de trisomie 21 ne parvient plus à le quitter. Il s’attarde sur ce contact visuel et s’autorise moins à expérimenter le monde environnant. Par conséquent la mise en place de l’attention conjointe s’annonce difficile. De plus, quand l’enfant porteur de trisomie 21 a acquis le pointage, il le réalise souvent sans l’accompagner d’un regard vers son interlocuteur. Ce dernier ne se sent pas concerné et n’interprète pas les gestes et les vocalisations de l’enfant comme un langage véhiculant une intention communicative. Selon Isabelle Ammann (2012),« la triangulation entre interlocuteur, référent et enfant est primordiale pour établir un échange de sens, un échange symbolique concernant l’objet ; le mot n’apparaît véritablement qu’au cœur de l’établissement de cette triangulation, sans quoi il reste vain,dépourvu de sens ».
La perception auditive : La perception auditive peut être entravée par une surdité de transmission ou de perception. En raison de l’étroitesse des conduits auditifs externes, des petites malformations dans l’oreille moyenne ou interne, de la trompe d’Eustache, de l’hypotonie du voile du palais et de la respiration buccale, les infections se chronicisent plus facilement que chez un sujet sain. Il s’en suit une difficulté particulière à maîtriser l’articulation du langage et à mettre en place une partie du système phonologique (Ammann, 2012).
La perception tactile : Durant les premiers mois de la vie, la perception tactile est essentielle et permet à l’enfant de conscientiser son schéma corporel. C’est par le toucher qu’il va peu à peu ressentir et comprendre que son corps propre a des limites dans l’espace. Il arrive parfois que l’enfant porteur de trisomie 21 ne réagisse pas ou peu aux chatouilles, aux massages, aux caresses, des parents ; ils auront naturellement tendance à les abandonner, ce qui risque d’impacter sur la fréquence et la qualité des interactions parents-enfant.
Le tonus et la motricité : Chez l’enfant porteur de trisomie 21, la motricité est relativement lente et le tonus diminué. Duffy (1990) et Wishart (1996) parlent d’instabilité sensori-motrice, caractérisée par des conduites atypiques (in Tsao, Céleste, 2006), et impactant sur l’exploration du monde environnant. De plus, l’hypotonie des muscles impliqués dans la phonation se répercute sur la production de la parole. L’enfant a besoin de plus de temps pour s’exprimer et l’interaction peut s’en trouver ralentie (Ammann, 2012). Le retard de développement cognitif, dans le cas d’une trisomie 21, se caractérise par une maturation nerveuse tardive. Les informations sont bien perçues par le sujet, mais avec un temps de latence relativement long. De ce fait, la personne atteinte de ce handicap appréhende le monde environnant différemment d’un individu sain. S’il est vrai que tous les sens sont affectés, la vue est celui qui reste le plus perturbé et le plus responsable du retard de maturation de la pensée et du langage de l’enfant (Ammann, 2012).

Les capacités mnésiques 

   Selon Vicari et coll. (2000, 2001, 2004), la mémoire procédurale implicite des enfants porteurs de trisomie 21 correspondrait à leur âge mental (in Rondal, 2013 a). Cette mémoire serait donc relativement préservée et les difficultés porteraient sur la mémoire explicite. Les études de Carretti et al. (2013) mettent en évidence une faiblesse de la mémoire explicite auditivo-verbale à court terme tandis que la mémoire explicite visuo-spatiale à court terme est préservée (in Rondal, 2013 a). Les difficultés en mémoire auditivo-verbale portent à la fois sur l’amplitude de l’empan, sur la capacité de rafraîchir les traces mnésiques entrées et sur l’aptitude à organiser les informations de façon pertinente. A noter que l’amplitude mnésique du sujet porteur de trisomie 21 dépend du rythme de présentation des items à retenir. L’empan mnésique est d’autant plus réduit que la présentation des items est lente. Hitch (1990) explique ce phénomène par l’absence de l’usage d’un codage intérieur dans les tâches de rappel immédiat (in Rondal, 2013 a). « Il est vraisemblable qu’une certaine lenteur articulatoire liée à une automatisation moins poussée de la production des unités phonologiques, ainsi que des rythmes de paroles plus lents (étant donné la dimension temporelle limitée à la mémoire à court terme) puisse contribuer à rendre moins opérante la boucle phonologique du système auditivo-verbal à court terme » (Jarrold et al., 1999 in Rondal, 2013 a). Ces difficultés auraient une incidence sur le niveau de vocabulaire des enfants (Baddeley, Gathercole, 1989 in Broca, 2013), sur les tâches de compréhension en langage oral et en langage écrit (Daneman, Merikle, 1996 in Broca, 2013), sur les performances en résolution de problèmes (Zheng, Marcoulides, Swanson, 2011 in Broca, 2013) ainsi qu’en résolution mentale d’addition (Hitch, 1997 in Broca, 2013) et prédiraient même les performances des enfants dans ces domaines.

Le développement du pré-langage de l’enfant porteur de trisomie 21 

   Jean-Adolphe Rondal (2013 b) parle de « pré-langage » pour désigner les premiers éléments psycho-comportementaux et affectifs fondamentaux au développement du langage. Il comporte tous les signes vocaux pouvant être produits par l’enfant : pleurs, cris, éructations, premiers échanges verbaux avec les parents, babillage et enfin proto-mots. Ce n’est qu’à partir du début de la deuxième année de la vie que peut être employé le terme de « langage » qui renvoie à l’utilisation de signes linguistiques impliquant les notions de signifié, signifiant et de référent. La question de la qualité de l’input parental adressé à l’enfant en voie d’acquisition de la langue maternelle est essentielle pour Rondal (2013 a). Des études (Rondal, 1978 ;Petersen, Seherrod, 1982 ; Mahoney, 1988 in Rondal, 2013 a) ont montré que le niveau de langage atteint par l’interlocuteur est déterminant. Autrement dit, la qualité de l’input langagier de l’adulte est décisive pour le bon développement langagier de l’enfant porteur de trisomie 21. Suite à diverses observations, Rondal (2013 a) affirme que ces bébés ne disposeraient pas des mêmes « connaissances implicites » des aspects prosodiques de la langue et de la même sensibilité aux stimuli langagiers. Ils mettraient plus de temps et seraient plus distractibles dans le traitement des stimuli auditifs, en comparaison au traitement des stimuli visuels (Pueschel, Sustrova, 1996 in Rondal, 2013 a). De plus, l’attention auditive de ces enfants serait faible, surtout lors de la première année de la vie (Tristao, Feitosa, 2003 in Rondal, 2013 a). Cependant, les premières manifestations expressives (cris, pleurs, borborygmes) ainsi que les premières phases du babillage se développent de manière semblable à celles des autres enfants. Ce n’est qu’à partir du babillage présyllabique (entre 3 et 8 mois) que l’on observe un retard dans le développement prélinguistique du jeune enfant porteur de trisomie 21. « Bien que le développement du babillage soit largement sous la dépendance de facteurs intrinsèques, il est indiqué de porter une attention toute spécifique aux productions vocales, de les accueillir, de les renforcer soigneusement » (Rondal, 2013 a).

Les axes de travail de la prise en charge orthophonique du jeune enfant porteur de trisomie 21 

   Les repérages oculomoteurs. Chez la plupart des bébés porteurs de trisomie 21, le repérage oculomoteur dysfonctionne. Le retard observé dans la coordination oculomotrice est responsable d’une lenteur d’exploration qui gêne la construction du monde environnant (Cuilleret, 2007). Le contact visuel permet également d’installer une communication dite « référentielle », d’après Isabelle Ammann (2012). Réconcilier le regard entre la mère et le bébé va être un des premiers objectifs de l’éducation précoce. Les repérages rythme-temps-espace. Le schéma corporel a une importance dans l’acquisition des notions spatio-temporelles. Souvent perturbée chez l’enfant porteur de trisomie 21, il est fréquent de constater des difficultés au niveau des notions spatio-temporelles puisque l’organisation des données perceptives s’avère perturbée (Morel, Stroh, 1999). « Il faut aider l’enfant à découvrir ‘son’ espace, à l’aide par exemple d’objets-repères de forme et de couleur codées, placés dans des espaces bien précis du bébé et utilisés lors des temps de jeux sur des tapis de couleurs et de dimensions correspondant à son niveau de possibilité » (Cuilleret, Fève-Chobaut, 2008). Parallèlement, il est important d’aider l’enfant à découvrir ses rythmes de vie et à intérioriser ses expériences sensori-motrices afin d’induire progressivement la notion de temps vécu. Le travail pré-langagier. Le but de ce travail est de mobiliser le fonctionnement de la pensée de l’enfant porteur de trisomie 21 afin de lui permettre de « se construire une compréhension interne du monde et de la communiquer à l’autre » (Morel, 2008). Par le travail des mains sur les objets, l’enfant va extraire des régularités du réel et ainsi devenir manipulateur-créateur. En explorant, l’enfant va pouvoir prendre conscience qu’il est « cause de » et qu’il peut parler « à propos de ». Le rôle du thérapeute va consister à proposer à l’enfant porteur de trisomie 21 une coconstruction fondée sur son connu, en ajustant l’étayage afin de le guider progressivement vers l’inconnu. « Si l’adulte suit l’intérêt de l’enfant [porteur de trisomie 21] et fait des propositions conformes à ses intérêts tout en restant à un niveau très proche de ce qu’il peut produire, l’enfant progresse pas à pas dans son exploration » (Sastre, 2001 in Morel, 2008). Dans le jeu, l’échange et le plaisir, l’enfant va devenir créateur de son oralisation. Le thérapeute cherchera tout d’abord à susciter le sourire social et le sourire-échange qui pointent l’entrée de l’enfant dans la communication. Une attention particulière sera portée au développement des compétences socles : mise en place du regard, poursuite visuelle, attention conjointe, attention et orientation aux bruits environnants, utilisation de gestes à visée communicative, pointage, tour de rôle, imitation motrice et élan à l’interaction. L’orthophoniste étayera les productions de l’enfant, des premiers sons aux premiers mots, en passant par le jasis et le babillage. « Il s’agit d’ouvrir la voie pour ainsi dire en s’adressant verbalement à l’enfant au moyen d’énoncés relativement brefs, entrecoupés de pauses assez longues, accompagnés de mimiques et d’attitudes corporelles invitantes pour l’amener à réaliser qu’on attend de lui une réponse et d’encourager toute ébauche de réponse jusqu’à stabilisation des échanges » (Rondal, 2009). Le feed-back et les encouragements reçus par l’enfant seront décisifs sur son appétence à communiquer et à entrer dans l’oralisation. « Les prémots doivent être encouragés, soutenus et répétés par l’adulte en interaction dyadique avec l’enfant, afin d’amener graduellement ce dernier vers les signifiants conventionnels. Le jeu interactif fournit nombre d’opportunités de façon à sensibiliser l’enfant aux représentations symboliques d’entités et d’événements intéressants de l’environnement » (ibid Rondal, 2009).

La structure du rythme musical 

La perception du rythme musical : Selon Fraisse (1974), pour avoir accès à la perception du rythme, il s’agit de percevoir à la fois les structures ainsi que leur répétition, autrement dit, leur périodicité. Une image auditive se crée. Fraisse (1974) exprime l’idée de « présent psychologique ». Derrière cette expression, se cache la notion d’image mentale à travers laquelle « s’organisent des éléments successifs en une suite de formes ».
Une structure similaire à celle du langage : La structure de la musique semble avoir des points de convergences avec celle du langage. Toutes deux organisent du son dans un espace temporel et mêlent à la fois un aspect rigide typique de la structure, du cadre à respecter, et un aspect plutôt souple qui laisse place à la liberté d’expression propre à chacun. « La liberté d’une structure se conjugue avec la rigueur d’une autre » (Fraisse, 1974). L’intonation du langage s’apparente aux variations de hauteurs retrouvées dans un morceau. De plus, les notions d’accentuation, d’intensité, de rythmes, de durées et de timbres sont présentes dans ces deux systèmes.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE THÉORIQUE
1. La trisomie 21 
1.1 Définition
1.2 Annonce de la trisomie 21 et ses conséquences
1.3 Développement cognitif du sujet porteur de trisomie 21
1.3.1 Les fonctions perceptivo-motrices
1.3.2 L’installation d’invariants fondamentaux
1.3.3 Les capacités de mémorisation et d’attention
1.3.4 Le développement cognitif selon les stades piagétiens
1.4 Développement langagier de l’enfant porteur de trisomie 21
1.4.1 Le développement du pré-langage de l’enfant porteur de trisomie 21
1.4.2 La parole de l’enfant porteur de trisomie 21
1.5 Éducation précoce et trisomie 21
1.5.1 Qu’est-ce que l’éducation précoce ?
1.5.2 L’accompagnement parental
1.5.3 Éducation précoce du langage chez le jeune enfant porteur de trisomie 21
2. Les rythmes 
2.1 Le rythme moteur
2.2 Rythme et cognition
2.2.1 Rythme, temps et successivité
2.2.2 La conscience du rythme
2.2.3 Le rythme cognitif de l’enfant porteur de trisomie 21
2.3 Le rythme musical
2.3.1 Définitions
2.3.2 La structure du rythme musical
2.3.3 Les apports du rythme musical
2.4 Le rythme dans le pré-langage et la parole
2.4.1 Définition
2.4.2 Le traitement cognitif du rythme de la parole
2.4.3 Rythmes et pré-langage
2.4.4 Le rythme dans la parole
PARTIE MÉTHODOLOGIQUE
1. Collection 
1.1 Critères de recherche de la collection
1.2 Présentation des enfants
1.2.1 Ma.
1.2.2 Pa.
1.2.3 Mo.
2. Outils méthodologiques 
2.1 Les activités
2.1.1 Echange de la balle
2.1.2 Les contes sonores
2.1.3 Le balancement
2.1.4 Dialogue musical
2.1.5 Marche avec la musique
2.2 Le livret
3. Mode de traitement des données 
3.1 Approche constructiviste
3.1.1 Présentation
3.1.2 Grille d’observation
3.2 Dialogoris 0/4 ans Orthophoniste
4. Précautions méthodologiques et procédure d’exploration 
ANALYSE ET TRAITEMENT DES HYPOTHÈSES
1. Les premières séances d’exploration des conduites 
1.1 Ma.
1.1.1 L’échange de la balle
1.1.2 Le dialogue musical
1.1.3 Le conte sonore
1.1.4 Le balancement
1.2 Pa.
1.2.1 L’échange de la balle
1.2.2 Le dialogue musical
1.2.3 Le conte sonore
1.2.4 Le balancement
1.3 Mo.
1.3.1 L’échange de la balle
1.3.2 Le dialogue musical
1.3.3 Marche avec la musique
1.3.4 Le conte sonore
2. Remise en cause de notre pratique : et si nous imitions ?
3. Les dernières séances d’exploration des conduites 
3.1 Pa.
3.1.1 L’échange de la balle
3.1.2 Le dialogue musical
3.1.3 Le conte sonore
3.1.4 Le balancement
3.2 Mo.
3.2.1 L’échange de la balle
3.2.2 Le dialogue musical
3.2.3. Marche avec la musique
3.2.4 Le conte sonore
4. Travail parallèle : réalisation du livret de conseils aux parents
5. Positionnement personnel 
CONCLUSION
Bibliographie
Annexe 1 : Extrait de la grille Dialogoris 0/4 ans Orthophoniste (Antheunis P.,Ercolani-Bertrand F., Roy S.)
Annexe 2 : Extrait de l’analyse de Mo. du 10 janvier 2014 selon l’approche constructiviste (grille de Lydie Morel)
Abstract

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