Anesthésie sans opioïde, consommation en morphine et faisabilité en chirurgie cardiaque

L’utilisation de la morphine et ses dérivés est largement répandue depuis les années soixante dans le contexte périopératoire. Historiquement, l’anesthésie générale reposait sur l’obtention d’un coma artificiel permettant la réalisation d’un geste chirurgical au moyen d’un hypnotique puissant. Ces médicaments, administrés à très fortes doses en monothérapie, causaient quasi systématiquement un effondrement du débit cardiaque, plus ou moins associé à une histaminolibération. L’emploi de dérivés de la morphine, en association avec l’hypnotique au cours d’une intervention chirurgicale, a permis de prévenir les stimuli nociceptifs liées à la protection des voies aériennes, notamment la laryngoscopie, et de contrôler ceux directement liés au processus chirurgical, atténuant ainsi les variations hémodynamiques liées à la perturbation du système sympathique . Cette association hypnotique/morphinique est devenue la « norme» de l’anesthésie moderne en limitant les posologies d’hypnotiques, diminuant de ce fait leurs effets secondaires, notamment cardiovasculaires, et assurant l’analgésie des patients en postopératoire.

Cependant les dérivés morphiniques sont également source d’effets secondaires qui leur sont propres. Ces effets indésirables sont multiples, à la fois immédiats, sur le plan respiratoire ou encore digestif, et retardés, notamment sur le plan cognitif. Ces molécules possèdent également des propriétés immunosuppressives et d’altération de la fonction surrénalienne pouvant favoriser l’apparition d’infections post-opératoires . De plus, même si à court terme leur usage procure un puissant effet antalgique, il a été démontré à moyen terme, mais également parfois dès les premières utilisations, le développement d’hyperalgésies secondaires, corrélées à la dose et la durée d’administration . Enfin, il existe actuellement une suspicion d’augmentation de l’invasivité et de la récurrence des processus néoplasiques lors de l’exposition aux morphiniques, mais dont l’impact clinique reste incertain  . Cette constatation des effets secondaires liés aux opioïdes a d’abord conduit dans les années 1990 au développement de l’analgésie multimodale, reposant sur une association d’antalgiques non basés sur la morphine, dans le but de diminuer son administration. Ce concept d’analgésie multimodale postopératoire a ensuite été élargie par la recrudescence des nouvelles techniques d’anesthésie locorégionale. Cependant, ces différentes pratiques ne sont pas toujours applicables pour le temps peropératoire, notamment en chirurgie lourde.

Rappels : Physiologie de la douleur

Généralités

L’association Internationale d’Etude de la Douleur (International Association for the Study of Pain – ISAP) définit la douleur comme « une sensation et une expérience émotionnelle désagréable en réponse à une atteinte tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite en ces termes». Classiquement, plusieurs aspects de la douleur sont ainsi décrits :
– L’aspect sensori-discriminatif, qui correspond au décodage de la qualité (brûlure, piqûre), de l’intensité, de la durée et de la localisation de la douleur.
– L’aspect affectif et émotionnel, qui correspond à l’interprétation directe du stimulus douloureux, son caractère désagréable, pénible, voir insupportable.
– L’aspect cognitif et comportemental qui correspond quant à lui aux réactions de défense, voir l’anticipation d’une douleur, consécutive à une mémorisation.

La douleur repose donc sur un processus conscient, qui fait écho à un phénomène physiologique basé sur la nociception.

Nociception : définition

La nociception correspond à l’ensemble des mécanismes mis en jeu en réponse à une stimulation qui menace l’intégrité de l’organisme. C’est un processus physiologique neurologique permettant d’encoder et de transmettre par le biais du système somatosensitif deux modalités sensitives qui sont la douleur et la sensibilité thermo-algique. Elle aboutit à des réactions comportementales et des réflexes somatiques et/ou végétatifs de défense.

Nociception périphérique

Les récepteurs qui répondent de façon sélective aux stimuli engendrés par les lésions tissulaires sont appelés nocicepteurs. Ils correspondent aux terminaisons libres des fibres A?? et C, qui forment des arborisations plexiformes dans les tissus. Ces récepteurs comportent trois caractéristiques communes :
– Un seuil d’activation élevé (stimulation intense nécessaire au déclenchement du potentiel d’action)
– Une capacité à coder l’intensité du stimulus (réponse proportionnelle à l’intensité du stimulus)
– Une capacité de sensibilisation (répétition du stimulus permettant de diminuer le seuil de déclenchement du potentiel d’action et d’augmenter l’activité des nocicepteurs, à l’origine de mécanismes tels que l’hyperalgésie et l’allodynie).

Il existe 2 types de nocicepteurs selon le type de stimuli et la nature des fibres nerveuses mises en jeu : les mécanonocicepteurs et les nocicepteurs polymodaux.
– Les mécanonocicepteurs prennent en charge les stimuli douloureux mécaniques (pression, étirement). Ils sont situés à l’extrémité des fibres A??, fibres nerveuses de petit calibre et faiblement myélinisées, qu’on retrouve principalement au niveau cutané (épidermique et dermique) et au niveau viscéral (sensibilité à la distension des organes creux). L’information délivrée correspond à une douleur localisée et précise, à type de piqûre, brève.
– Les nocicepteurs polymodaux prennent en charge les stimuli mécaniques, chimiques et thermiques, principalement aux niveaux musculaires, tendineux et articulaires. Ils sont situés à l’extrémité des fibres C, qui sont non myélinisées.

L’information délivrée correspond à une douleur diffuse, mal localisée, tardive, à type de brûlure, durable.

Nociception centrale

Quand un stimulus douloureux déclenche un potentiel d’action via un nocicepteur (transduction du signal), la dépolarisation est conduite le long de la fibre nerveuse vers la corne postérieure de la moelle, via une propagation saltatoire et continue, d’autant plus lentement que la fibre est faiblement, ou non myélinisée. Une fois parvenue à la corne postérieure de la moelle épinière, l’information douloureuse est transmise au système nerveux central via un relai spinal. Les fibres Aδ font synapse (neurotransmission au glutamate) dans la couche I et décussent pour former le faisceau néospinothalamique. Les fibres C font synapse dans la couche V (neurotransmetteur à la substance P), décussent et donne le faisceau paléospinothalamique. Le faisceau spinothalamique rejoint d’abord le tronc cérébral, où il possède des projections au niveau du bulbe rachidien (système neuro-végétatif), de la zone réticulée (éveil), de l’hypothalamus (système neuro endocrine) et du système limbique (mémoire, anxiété). Puis un deuxième relai a lieu au niveau du thalamus homolatéral, pour atteindre le cortex somatosensoriel (aires corticales S1, S2).

Voies descendantes de contrôle

La transmission spinale des messages nociceptifs est sous la dépendance de plusieurs systèmes de contrôle descendants, inhibiteurs et facilitateurs. Ceux-ci sont classés en deux groupes selon l’origine des mécanismes d’inhibition qui leur donnent naissance : segmentaire et supraspinale.

Contrôle segmentaire
L’activation des afférences cutanées de gros diamètre responsables des sensations tactiles peut déprimer les réponses de neurones spinaux aux stimuli nociceptifs. Il est généralement admis que ces phénomènes sont déclenchés par l’activation des seules fibres Aδ, mais c’est bien de l’activation de fibres Aβ que résultent les inhibitions les plus puissantes. Ces effets, d’origine essentiellement métamérique, dérivent directement des propriétés des neurones de la corne postérieure dont une partie est bien excitatrice, mais une autre inhibitrice. Appliquées sur cette dernière, des stimulations non nociceptives mais répétitives sont capables d’inhiber les réponses déclenchées par stimulation de la partie excitatrice du champ récepteur. Ce mécanisme est à l’origine du développement de la théorie dite du « gate control » par Melzack et Wall dans les années 1960  . Selon cette théorie, la transmission des messages nociceptifs est réglée par un effet de balance entre les influences excitatrices et inhibitrices, et la douleur ne survient que lorsqu’il y a rupture d’équilibre en faveur des messages excitateurs, soit par « excès de nociception », soit par déficit des contrôles inhibiteurs. La mise en jeu des afférences de gros diamètre augmenterait l’activité de certains interneurones inhibiteurs au niveau de la corne postérieure de la moelle, qui jouerait ainsi le rôle de “gate control”, tandis que l’activation des fibres fines C et Aδ aurait plutôt pour effet de diminuer ce tonus inhibiteur.

Par ailleurs, les couches superficielles de la corne postérieure sont particulièrement riches en récepteurs opioïdes dont bon nombre sont situés sur les terminaisons des fibres afférentes primaires de tout diamètre. Certains interneurones de ces mêmes couches contiennent également des récepteurs opioïdes, notamment sensibles aux endorphines. Si leur signification fonctionnelle reste encore obscure, leur efficacité potentielle est démontrée sans ambiguïté chez l’homme. Ainsi, une injection intrathécale ou périmédullaire d’un opioïde induit une dépression directe de la transmission des messages nociceptifs dès l’étage médullaire.

Contrôle supraspinal
La plupart des mécanismes de contrôle au niveau supraspinal sont exercés depuis le tronc cérébral. Les contrôles d’origine thalamique, hypothalamique et corticale sont moins bien connus. La stimulation localisée de la substance grise périaqueducale et de la région bulbaire ventromédiane serait ainsi capable d’induire une profonde analgésie sans affecter les autres fonctions sensorielles. Cette analgésie pourrait résulter de l’activation de voies inhibitrices descendantes qui bloquent la transmission spinale des messages nociceptifs, en libérant la sérotonine et les opioïdes endogènes dans les couches superficielles de la corne postérieure de la moelle. De nombreuses autres régions du tronc cérébral seraient également capable d’inhiber la transmission spinale des messages nociceptifs. Certaines de ces voies agiraient notamment au niveau spinal par l’intermédiaire de récepteurs adrénergiques alpha-2.

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Table des matières

1. Introduction
1.1 Justification scientifique
1.2.3 Nociception périphérique
1.2.4 Nociception centrale
1.2.5 Voies descendantes de contrôle
1.3 Physiopathologie de la douleur périopératoire
1.3.1 Douleur postopératoire
1.3.1.1 Mécanismes périphériques
1.3.1.2 Mécanismes centraux
1.3.1.3 Spécificité de la chirurgie cardiaque
1.3.2 “Douleur” per-opératoire
1.4 Pharmacologie des morphiniques appliquée à l’anesthésie générale
1.4.1 Généralités
1.4.2 Mécanismes et sites d’actions
1.4.3 Pharmacodynamie
1.4.3.1 Action sur le système nerveux central
1.4.3.2 Action sur l’appareil respiratoire
1.4.3.3 Action sur l’appareil uro-digestif
1.4.3.4 Action sur l’appareil cardiovasculaire
1.4.3.5 Tolérance et addiction
1.4.4 Pharmacocinétique
1.5 Pharmacologie des analgésiques non morphiniques appliquées à l’anesthésie générale
1.5.1 Anti-inflammatoires
1.5.2 Anesthésiques locaux
1.5.3 Antagonistes spécifiques des récepteurs NMDA
1.5.4 Alpha2-agonistes
1.6 L’OFA en 2020
2. Matériel et Méthodes
2.1 Design de l’étude et population étudiée
2.2 Préopératoire
2.3 Protocole opératoire
2.4 Prise en charge en réanimation chirurgicale cardiaque
2.5 Objectif principal
2.6 Objectifs secondaires
2.7 Critère de jugement principal
2.8 Critères de jugement secondaires
2.9 Analyse statistique
2.9.1 Analyse bivariée
2.9.2 Score de propension
2.9.3 Appariement
2.9.4 Analyse des critères de jugement
3. Résultats
4. Discussion
5. Conclusion
6. Bibliographie
7. Annexes
8. Abstract

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