Anesthésie en période périnatale
Contexte d’utilisation des agents anesthésiques
Des progrès significatifs ont été réalisés en termes de prise en charge des enfants prématurés, qui se traduisent par une amélioration de leur survie, ainsi qu’une diminution significative des handicaps neurologiques d’origine périnatale, diminution plus marquée chez les enfants de petit ou très petit poids de naissance (Sellier et al., 2016). La prévalence de ces handicaps a progressivement diminué jusqu’à atteindre environ 1,8/1000 naissances (Sellier et al., 2016). La naissance prématurée, qui intervient pour environ 7 % des grossesses est responsable de la moitié de ces handicaps (soit 4 000 naissances par an en France) (Hagberg et al., 2001; Zeitlin et al., 2013). Parmi les facteurs de risque, les enfants prématurés ou nés à terme peuvent être exposés à une asphyxie néonatale (Reid et al., 2006). Un tiers de ces asphyxies est anténatal et n’est pas diagnostiqué lors de la naissance. La prématurité concerne 60 % des enfants nés par césarienne sous anesthésie générale (AG). De plus, lorsque la césarienne se pratique sous AG, dans 80 % des cas le contexte est celui de l’urgence, avec un risque d’hypoxie fœtale accru (contexte de retard de croissance intra utérin, défaut de perfusion ombilicale par hématome rétroplacentaire ou procidence du cordon ombilical …)(MacLennan, 1999). L’impact sur l’enfant à naître des agents anesthésiques utilisés lors du protocole anesthésique de la mère n’est actuellement pas clairement établi (Wilder et al., 2009 ; Kalkman et al., 2009). La conduite de recherches orientées vers ces aspects cliniques revêt une importance considérable pour les enfants et leurs familles et pourrait avoir un impact économique majeur, sachant que les enfants prématurés sont susceptibles d’être porteurs de handicaps définitifs .
Les aspects histopathologiques majeurs observés dans le cerveau des enfants prématurés sont les hémorragies intra-crâniennes (qui conduisent à l’hydrocéphalie avec atrophie de la substance blanche) et les maladies de la substance blanche périventriculaire parmi lesquelles les leucomalacies périventriculaires (LPV) sont les plus fréquentes (Pavlova and Krägeloh-Mann, 2013). Les prématurés (nés à moins de 37 semaines de grossesse, SG) et les grands prématurés (< 32 SG) sont des populations à risque de développer des lésions destructrices (clastiques) détectables par échographie ou par imagerie à résonance magnétique (IRM) et responsables de troubles moteurs et/ou cognitifs. Ces lésions affectent entre 5 et 15 % des prématurés et représentent l’une des formes les plus courantes de lésion cérébrale constituant la principale cause de paralysie cérébrale chez les prématurés. En s’approchant du terme, la nature des lésions cérébrales va évoluer et progressivement impacter la substance grise en cours de maturation (Mukerji et al., 2015; Pavlova and Krägeloh-Mann, 2013).
En période néonatale, les nouveau-nés peuvent bénéficier d’une anesthésie générale pour diversesraisons : des chirurgies mineures telles que des réductions de hernies inguinales, ou des chirurgies plus complexes, comme des prises en charge d’omphalocèles ou bien des prises en charge de cardiopathies congénitales. Il peut également être nécessaire de sédater des nouveau-nés au cours de leur prise en charge en réanimation, afin de permettre des soins invasifs, des imageries nécessitant une immobilité prolongée (IRM) ou afin d’optimiser une ventilation mécanique (Lee et al., 2015). Le fait est que les enfants nécessitant ces différents actes sous anesthésie générale sont par définition des enfants fragiles, souvent nés prématurément. Les difficultés de prise en charge de ces enfants sont réelles. En premier lieu, ce qui préoccupe les anesthésistes intervenant chez ces enfants sont les complications immédiatement identifiables. Les complications hémodynamiques et respiratoires sont identifiées comme étant les premières causes de morbi-mortalité en anesthésie pédiatrique (Murat et al., 2004). Un élément apparaissant comme facteur de risque prépondérant est l’âge de l’enfant. Un enfant de moins de 1 an a 10 fois plus de risques d’avoir une complication cardiovasculaire (bradycardie) au cours d’une anesthésie générale par rapport à des enfants âgés de 3 à 4 ans . De même, les complications respiratoires per-opératoires sont 4 fois plus élevées chez les enfants de moins de 1 an par rapport à des enfants plus âgés (Bordet et al., 2002; Keenan et al., 1994; Murat et al., 2004; Tay et al., 2001) .
Les complications neurologiques, par toxicité des différents agents anesthésiques utilisés ont été évoquées depuis de nombreuses années (Dahmani et al., 2012; Ikonomidou et al., 1999; Soriano and Anand, 2005; Wilder et al., 2009). Les conséquences se traduisant par des troubles de l’apprentissage plusieurs années suivant l’anesthésie, rendent compliquée l’analyse de ce phénomène par rapport aux complications hémodynamiques et respiratoires, aux conséquences immédiates, en termes de morbidité voire de mortalité. Les modes d’action même des agents anesthésiques, utilisés lors d’une phase active du développement cérébral, ont conduit à soupçonner d’éventuelles conséquences sur le neurodéveloppement (JevtovicTodorovic et al., 2013).
Modes d’action des agents anesthésiques
Schématiquement, il existe 3 types de molécules potentiellement utilisées lors d’une anesthésie générale : des agents induisant la narcose, des antalgiques (la plupart du temps des opiacés) et des curares, agissant au niveau des plaques motrices. Parmi ces molécules, celles interagissant avec le système nerveux central (SNC) sont donc les 2 premières, les curares ayant une action tout à fait périphérique (Rudolph and Antkowiak, 2004). Les agents induisant la narcose ciblent des récepteurs ionotropiques et peuvent être classés en deux grandes catégories : 1) les inhibiteurs du récepteur glutamatergique sensible au N-méthyl-D-aspartate (R-NMDA) et fortement perméable aux Ca2+ , comme la kétamine ou le protoxyde d’azote qui bloquent l’activité excitatrice du glutamate ; 2) les potentialisateurs du récepteur à l’acide gamma-aminobutyrique de type A (R GABAA) couplé à un canal Cl- , comme les benzodiazépines ou les barbituriques qui renforcent l’inhibition synaptique GABAergique (Lee 2015).
Enfin, les morphiniques vont également pouvoir agir au niveau du SNC via l’activation des récepteurs métabotropiques aux opiacés mu (μ), kappa (κ), et delta (δ) couplés aux protéines G (Kieffer and Evans, 2009; Mansour et al., 1995; Martin et al., 1976; Pleuvry, 1993). La majorité des analgésiques opioïdes sont des agonistes du récepteur µ (MOR) couplé à la protéine Gαi/o (Tableau 3). Son activation induit une baisse des taux intracellulaires d’AMPc (adénosine monophosphate cyclique) pouvant initier une diminution de l’influx calcique dans la cellule et une hyperpolarisation cellulaire, aboutissant à une inhibition de la transmission synaptique (Matthes et al., 1996). Le but est d’obtenir une analgésie : en effet, la douleur n’est pas contrôlée en cas d’activation des R-GABAA et ne l’est que superficiellement en bloquant les R-NMDA. L’utilisation de morphinique en addition des agents inducteurs de narcose se justifie d’une part par cette optimisation de l’analgésie, mais également par la potentialisation de l’effet anesthésique des hypnotiques par les morphiniques (Lysakowski et al., 2001). Par leurs interactions sur différents récepteurs impliqués dans le neurodéveloppement, l’utilisation des agents anesthésiques impose donc de soulever la question de leur impact sur le cerveau en développement.
Neurodéveloppement et agents anesthésiques
La chronologie des évènements du développement cérébral commence par la neurulation, puis se poursuit pendant la période prénatale par la prolifération, la migration, la différenciation cellulaire, la synaptogenèse et enfin la myélinisation . Ces deux dernières phases se poursuivent après la naissance. Ainsi, le synaptogenèse est maximale de 34 semaines d’aménorrhée (SA) à 2 ans de vie et la myélinisation se poursuit jusqu’à l’âge adulte (Monk et al., 2001; Sinner et al., 2014; Tau and Peterson, 2010). Aux trois dernières étapes, se superpose le processus de mort cellulaire programmée : l’apoptose. Cette mort programmée est un événement important dans le développement normal où elle permet l’élimination de cellules endommagées, anormales ou excédentaires et contrôle ainsi le nombre de neurones et de cellules gliales (Naruse and Keino, 1995). Toutefois mal contrôlée, elle peut également promouvoir et même aggraver un processus pathologique (Hetts, 1998) .
Les signalisations glutamatergique et GABAergique sont particulièrement importantes tout au long du développement cérébral (Herlenius and Lagercrantz, 2004; Nguyen et al., 2001). Les R-NMDA et les R-GABAA, cibles de la plupart des molécules utilisées en anesthésie, y jouent un rôle prépondérant. Ainsi, les R-NMDA interviennent dans la différenciation neuronale, la plasticité synaptique et la survie cellulaire (Dingledine et al., 1999; Paoletti and Neyton, 2007). La présence de R-NMDA sur les cônes de croissance favorise le guidage axonal et la formation initiale des synapses (Wang et al., 2011b). L’activation des R-GABAA chez l’adulte est associée à une inhibition synaptique, mais la situation est différente au cours du développement. Dans le cerveau immature, l’activation des R-GABAA provoque une dépolarisation. Cette action dépolarisante ou « excitatrice » du GABA est due à une concentration intracellulaire élevée en ions chlorure et à un potentiel de repos plus hyperpolarisé que le potentiel d’équilibre du chlore dans les neurones immatures (Galanopoulou, 2007; Owens et al., 1996).
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Table des matières
I. INTRODUCTION
1. Anesthésie en période périnatale
a. Contexte d’utilisation des agents anesthésiques
b. Modes d’action des agents anesthésiques
c. Neurodéveloppement et agents anesthésiques
c.1 Potentialités délétères et/ou neuroprotectrices : données expérimentales
c.2 Potentialités délétères et/ou neuroprotectrices : données cliniques
2. Rémifentanil
a. Propriétés pharmacocinétiques
b. Utilisation du rémifentanil chez les nouveau-nés
c. Rémifentanil et récepteur au NMDA
3. Le glutamate : acteur du neurodéveloppement et de l’excitotoxicité
a. La neurotransmission glutamatergique
b. Les récepteurs sensibles au N-méthyl-D-aspartate
c. Récepteur NMDA : un signal de survie pour les neurones en développement
d. Le glutamate : un acteur clé dans la cascade excitotoxique et les lésions cérébrales du nouveau-né
4. Choix du modèle d’étude : parallèle physiopathologique cérébral Homme-Souris
II. Objectifs de la thèse
III. Résultats
The Antiapoptotic Effect of Remifentanil on the Immature Mouse Brain: An Ex Vivo Study
Neuroprotective Effects of Remifentanil Against Excitotoxic Brain Damage in the Newborn Mice
Répercussions sur l’Adaptation à la Vie Néonatale de l’Utilisation du Rémifentanil au cours d’un Protocole d’Anesthésie Générale pour Césarienne dans un Contexte de prématurité
IV. Discussion et perspectives
CONCLUSION
V. Références bibliographiques