Analyses sociologique et expérimentale de la contribution de profanes-néophytes à la démocratie technique

« Contrairement à ce que l’on aurait pu penser il y a encore quelques décennies, le développement des sciences et des techniques n’a pas apporté avec lui plus de certitudes. Au contraire, d’une manière qui peut paraître paradoxale, il a engendré toujours plus d’incertitudes et le sentiment que ce que l’on ignore est plus important que ce que l’on sait. » . Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe, Agir dans un monde incertain, [2001] 2014, p. 38.

Avant même la fin des Trente glorieuses, la science et la technique auparavant synonymes de progrès, ont été questionnées et même fortement remises en cause par des acteurs de la société civile. La naissance d’un mouvement environnementaliste d’opposition à l’utilisation de l’énergie nucléaire est considérée comme le premier indicateur d’une exigence de démocratisation des choix scientifiques et techniques (Gaudillière et Bonneuil, 2001, p. 74). Ce n’était certes pas la première fois que des personnes se mobilisaient contre un projet industriel ou d’infrastructure, mais comme le soulignent Jean-Paul Gaudillère et Christophe Bonneuil, le mouvement antinucléaire faisait naître pour la première fois en France « une mobilisation de masse [prenant] pour cible un programme technologique émanant des agences et entreprises d’État » et lançait un débat national mettant en exergue « les risques associés à la mise en opération d’objets industriels à la pointe du progrès ».

La mise en débat public, au sens large , est l’une des réponses apportées aux incertitudes et aux risques accompagnant la mise en place d’innovations technologiques. L’engouement pour les dispositifs participatifs dans le champ de la démocratie technique depuis au moins 20 ans en France s’explique par le fait qu’il a fallu trouver des réponses à la multiplication des controverses sociotechniques dans un contexte tout à fait particulier, celui de l’affaiblissement conjoint de la démocratie représentative et de l’autorité de la science (Lascoumes, 1998 cité dans Bonneuil et Joly, 2013 ; Sintomer, 2007 ; Blondiaux, 2008).

Pourtant, le bilan n’est pas satisfaisant selon de nombreux auteurs. La participation du public à la démocratisation des choix scientifiques et techniques oscille entre l’«outil d’ingénierie de l’acceptation du public » et « un instrument pour reconstruire la confiance dans la science et la technique, mais aussi dans les institutions qui la produisent » (Bonneuil et Joly, 2013, p. 90 et 92). Selon Testart et al., des choix fondamentaux concernant les sciences et les techniques échappent largement «non seulement aux tentatives de démocratie participative, mais en partie aussi à la démocratie représentative, au profit de structures expertales ne répondant pas à des procédures institutionnalisées » (Testart et al., 2007, p. 3). Les dispositifs de démocratie participative ne sont pas envisagés comme pouvant infléchir le projet technologique et sont assimilés à des techniques de gouvernement. Ils n’incluent d’ailleurs que rarement des citoyens « profanes » en dehors des conférences de consensus (Talpin, 2014, p. 31). Pour Jean-Marc Lévy-Leblond, si la conférence de citoyens organisée en 1998 sur les OGM a été une expérience tout à fait prometteuse, les conférences de consensus « sont restées marginales, et n’ont pas eu d’impact politique réel » (Lévy-Leblond, 2014, p. 5). Elles sont d’ailleurs souvent accusées d’être des entreprises de communication pour lesquelles la mise en scène de l’intention de faire participer remplace l’objectif d’une participation réelle (Blondiaux, 2008, p. 74, Mohorade, 2011, p. 2).

La démocratie participative, et peut-être plus encore la démocratie technique, sont peu utilisées voire carrément dévoyées .

De nombreux indicateurs montrent pourtant une forte attente de démocratie participative au sein de la société française, concernant notamment des choix scientifiques et techniques . Dans le même temps, des lois visant à améliorer la participation ont été promulguées ces 40 dernières années, y compris dans le champ de la technique, et de nombreux dispositifs participatifs ont été mis en place sous l’impulsion d’autorités politiques . Ces deux mouvements — une attente forte accompagnée d’outils législatifs et techniques — auraient dû converger vers une banalisation de la participation. Mais l’attente des uns n’a pas rencontré la volonté des autres, et ce, même dans des dispositifs conçus théoriquement pour favoriser cette rencontre. L’« impératif participatif » (Blondiaux, 2008 ; Blondiaux et Sintomer, 2009) ne s’est pas concrétisé par une participation accrue des citoyens lambda , même s’il a pu modifier les rapports entre pouvoirs et corps intermédiaires . Comme le rappelle Guillaume Gourgues, « aucune “démocratie participative” de quelque forme que ce soit ne semble exercer une influence significative sur le gouvernement des affaires collectives » (Gourgues, 2013, cité dans Rui, 2016, p. 59) .

Nous faisons l’hypothèse que les causes des dysfonctionnements des dispositifs de démocratie participative, en particulier ceux ayant trait aux incertitudes et aux risques accompagnant la mise en place d’innovations technologiques, n’ont pas simplement pour origine des manœuvres politiques au service de techniques de gouvernement ou d’acceptation sociale par la participation, mais qu’elles sont plus profondément les conséquences d’une rupture entre « sachants » et «nonsachants». Nous faisons l’hypothèse qu’il y a quelque chose dans la relation entre experts et profanes, comme une perturbation, qui rend difficile voire impossible la « montée en compétence de la société civile » (IRSN, 2014, p. 9).

SUR LES CAPACITÉS DES PROFANES-NÉOPHYTES

« Tout le monde peut savoir, dit Hegel ; tout le monde doit savoir, dit Comte ; tout le monde pourrait savoir si…, dit Renan ; tout le monde sait, dit enfin Bergson.» Baudouin Jurdant, Les problèmes théoriques de la vulgarisation scientifique, 1973, p. 165.

Les traces de pertinence des profanes-néophytes dans des dispositifs de démocratie technique

Notre objectif n’est pas d’analyser toutes les procédures de type mini-public organisées en France depuis un peu plus de 20 ans, qu’elles se soient appelées conférence de consensus, conférence ou convention de citoyens, jury citoyen, etc., et d’y recenser les traces tangibles de pertinence des profanes-néophytes. Ce travail serait fort intéressant et pourrait certainement faire émerger une typologie d’apports profanes. Mais nous n’avons pas besoin d’un grand nombre de traces ou de témoignages pour envisager la recherche de preuves par la voie expérimentale.

Nous avons choisi de rechercher ces traces dans un seul et unique événement : la conférence de citoyens des 20 et 21 juin 1998, au sujet de « l’utilisation des organismes génétiquement modifiés en agriculture et dans l’alimentation ». Pourquoi ce choix ? Tout d’abord, il est facile de trouver de la documentation sur cette première conférence de citoyens organisée en France, que ce soient des documents liés à l’organisation (comme le protocole technique utilisé et l’avis des citoyens), des articles de recherche sur cet événement ainsi que des sources non institutionnelles assez variées. Ensuite, de l’avis de nombreux observateurs, cette conférence fut saluée comme étant de grande qualité tant sur le choix de la procédure suivie que de son organisation et de ses résultats (Gaudillière et Bonneuil, 2001). Dans son livre « L’humanitude au pouvoir. Comment les citoyens peuvent décider du bien commun », Jacques Testart critique assez fermement cette conférence de citoyens — il déplore notamment l’ambiance « délibérément scientiste [des] débats » et la non mise en œuvre des préconisations des citoyens —, mais il note également que les séances de formation du panel de citoyens ont été l’occasion d’exposer des positions contradictoires et « qu’il n’en demeure pas moins que des avancées considérables furent proposées, dont beaucoup, redécouvertes à l’occasion de chaque nouveau débat sur les PGM » (Testart, 2015). En 2009, nous avons pu constater lors de nos observations du troisième forum citoyen organisé dans le cadre des États généraux de la bioéthique et du premier débat public sur le développement et la régulation des nanotechnologies, que la présentation de positions contradictoires n’était pas systématique alors qu’elle constitue la base évidente à tout débat. Il y aurait tellement de critiques à formuler sur ce genre de dispositifs faisant partie d’une stratégie d’acceptabilité sociale, qu’il ne nous a pas semblé opportun d’y rechercher des traces de pertinence de profanes-néophytes. En revanche, en plus de l’analyse de la conférence de 1998 sur les OGM, nous avons relevé au gré de nos lectures des témoignages complémentaires relatés par différents observateurs dans les analyses qu’ils ont faites d’événements dans le champ de la démocratie technique.

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Table des matières

INTRODUCTION
Objet d’étude
Hypothèse zéro
Du profane au profane-néophyte
Question de recherche
Plan de la thèse
Du profane-néophyte au généraliste
Les attentes du financeur
Notre définition du social et ses conséquences
CHAPITRE 1 – SUR LES CAPACITÉS DES PROFANES-NÉOPHYTES
I – Introduction
II – Les traces de pertinence des profanes-néophytes dans des dispositifs de démocratie technique
III – Les effets de la vulgarisation sur le chercheur qui vulgarise son propre sujet d’études
IV – L’hypothèse de la catalyse profane
V – Conclusion du chapitre 1
CHAPITRE 2 – LES TRAITEMENTS DES PROFANES-NÉOPHYTES COMME SYMPTÔMES DE LA RUPTURE
I – Production des savoirs et séparation des êtres
II – Le traitement du profane-néophyte dans les dispositifs de vulgarisation scientifique
III – Le traitement du profane-néophyte dans les dispositifs de démocratie technique
IV – Le traitement du profane-néophyte dans le champ de l’acceptabilité sociale
V – Conclusion du chapitre 2
CHAPITRE 3 – LE TRAITEMENT DES PROFANES-NÉOPHYTES DANS LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE
I – La transition écologique n’a pas eu lieu
II – L’échec de la démocratie
III – La « revanche » des territoires
IV – Pas de transition démocratique chez les Manchot.e.s
V – Conclusion du chapitre 3
CHAPITRE 4 – MODALITÉS DE RECHERCHE ET DISPOSITIFS EXPÉRIMENTAUX
I – Cadrage méthodologique de la recherche
II – Dispositifs expérimentaux
III – Conclusion du chapitre 4
CHAPITRE 5 – LES GÉNÉRALISTES COMME « GROUPE D’ENQUÊTEURS »
I – Introduction
II – La place du public dans le déploiement de la filière hydrogène selon les acteurs manchois
III – La place des profanes-néophytes à l’échelle de la Normandie
IV – L’activité des généralistes en autonomie
V – Résultats des dispositifs expérimentaux 2 et 3
VI – Suite et fin de l’observation du terrain
VII – La figure du généraliste
VIII – Conclusion du chapitre 5
CONCLUSION GÉNÉRALE

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