Les biocides oxydants à base de chlore tels que le chlore gazeux (Cl2), l’eau de Javel (NaClO), le dioxyde de chlore (ClO2) ou la monochloramine (NH2Cl) sont largement utilisés pour le traitement des eaux. Ils sont utilisés en tant que « désinfectants » pour prévenir le développement des pathogènes d’origine hydrique et/ou comme produits « antifouling » pour limiter l’encrassement biologique des installations industrielles en contact avec de l’eau. Le traitement des eaux aux biocides concerne un nombre important de secteurs industriels. Citons, à titre d’exemple, la potabilisation des eaux (désinfection), la production d’électricité (désinfection des eaux de refroidissement), le transport maritime (traitement des eaux de ballast pour empêcher le développement de pathogènes et le transport d’espèces envahissantes), les eaux de piscines (désinfection), l’aquaculture (désinfection), la gazéification du gaz naturel liquifié (antifouling), les stations d’épuration des eaux usées (désinfection), etc.
A la fin du XIXème siècle, les épisodes épidémiques (ex. fièvre typhoïde, choléra) liés à l’exposition à une eau impropre à la consommation faisaient encore des ravages dans les pays occidentaux, aux Etats-Unis comme en Europe. L’utilisation du chlore pour la désinfection des eaux a permis des progrès considérables en termes de santé publique. Son emploi à cette fin s’est généralisé dans les pays industrialisés au cours du XXème siècle. De nos jours, le chlore, principalement sous forme d’hypochlorite de sodium, est l’oxydant le plus utilisé au monde pour le traitement des eaux. Il doit sa grande popularité à son faible rapport coût/efficacité et à sa facilité d’utilisation.
Cependant, l’usage du chlore pour le traitement des eaux n’est pas dépourvu d’effets secondaires. En effet, les années 1970 ont marqué un tournant important dans l’histoire de la désinfection des eaux, en révélant le revers de cette technique : la formation, lors du processus de chloration de l’eau, de produits chimiques potentiellement dangereux pour la santé. Ces sous-produits, appelés usuellement sous-produits de désinfection (SPD), résultent de la réaction entre le chlore et la matière organique naturelle (acides humiques et fulviques, par exemple) présente dans toute eau de surface naturelle [1]. Rook (1974) et Bellar et al (1974) furent les premiers à relater, d’une part la formation de SPD dans l’eau potable traitée au chlore et, d’autre part, l’identification des trihalométhanes (THM) en tant que SPD [2,3]. Une étude réalisée par l’US EPA (United States Environmental Protection Agency) sur l’ensemble du territoire des USA en 1976 a révélé l’omniprésence des THM dans les réseaux de distribution de l’eau potable traitée au chlore [4]. Peu après, le National Cancer Institute (NCI) a publié les résultats d’un essai biologique de cancérogenèse du chloroforme, composé faisant partie de la famille des THM, révélant ainsi un problème de santé publique émergent lié à l’exposition aux SPD. Les tumeurs du rein et du foie observées chez le rat et la souris ont conduit à classer le chloroforme parmi les substances présumées cancérogènes pour l’Homme [5]. Ces premiers résultats ont conduit la communauté scientifique et les décideurs de santé publique à formuler l’hypothèse selon laquelle d’autres SPOX potentiellement toxiques pourraient être formés lors de la désinfection des eaux. Dès lors, un nombre important d’études ont été menées afin de mieux caractériser les sous-produits formés et d’en évaluer les risques sanitaires et environnementaux. Les études ont principalement concerné le domaine de l’eau potable traitée au chlore, comparativement aux autres types d’eaux et produits biocides. A l’heure actuelle, environ sept-cents sous-produits de chloration ont été identifiés. Connaissant les éventuels risques pouvant être associés aux SPD, des recommandations et des normes ont été établies par les autorités pour certains SPD traceurs (ex. THM). Dans les eaux de robinet, les THM réglementés au niveau national par le code de la santé publique (arrêté du 11 janvier 2007) sont le chloroforme, le bromodichlorométhane, le dibromochlorométhane et le bromoforme.
Sites d’étude et plan d’échantillonnage
Choix des sites CNPE d’étude
Les sous-produits organohalogénés (SPOX) différent par leur nature et leur concentration en fonction des caractéristiques physico-chimiques de l’eau de rivière et des modalités de traitement employées. Ainsi, pour prendre en compte les particularités relatives à la qualité de l’eau, trois sites CNPE ont été échantillonnés : Cattenom, Saint-Laurent et Chooz. Les raisons ayant motivé la sélection de ces trois CNPE relèvent à la fois de leur localisation géographique (CNPE alimentés par trois cours d’eau différents), et de leurs teneurs en AOX relativement élevées (environ 50 µg éq. Cl/L) comparativement aux autres sites d’EDF traitant à la monochloramine.
Positionnement des points de prélèvement Pour chaque site d’étude, les échantillons d’eau ont été prélevés en deux endroits : (i) dans la rivière, en amont de la CNPE et, (ii) dans le circuit de refroidissement (CRF) au niveau du « bassin froid ». Les prélèvements ont été effectués à des emplacements équivalents en amont des sites d’étude.
Période et fréquence d’échantillonnage
Afin de mieux prendre en compte l’influence de la variabilité temporelle des échantillons d’eaux sur la formation des SPOX, les prélèvements se sont déroulés de fin juillet à début d’octobre 2016, avec des intervalles intra-prélèvements compris entre 6 et 16 jours. Six campagnes de prélèvements ont eu lieu pour les CNPE de Cattenom et de Chooz, et quatre pour la CNPE de Saint-Laurent, soit 16 campagnes au total. Pour chaque site, les dates de prélèvements ont été planifiées de façon à respecter les périodes de début de traitement et les dates préétablies d’arrêt des tranches. Notons qu’un prélèvement hors période de traitement a été effectué pour les CNPE de Saint-Laurent et Chooz afin d’obtenir un point « 0 ». Pour des raisons pratiques et logistiques, les sites n’ont pas été échantillonnés en parallèle mais à tour de rôle. Les prélèvements ont été effectués les lundis et mercredis des semaines ne comportant pas de jours fériés. En dépit de quelques difficultés ponctuelles dues à des arrêts intempestifs du traitement à la monochloramine sur les tranches présélectionnées, les prélèvements ont été réalisés conformément au planning préétabli.
Prélèvement, conditionnement et expédition des échantillons
Les prélèvements d’eaux ont été confiés à l’entreprise prestataire CARSO qui a mobilisé son personnel en charge des prélèvements pour les programmes de suivis réglementaires des sites d’étude ; les recommandations de la norme ISO 5667-3 ont été suivies [1]. Dans le but d’éviter tout risque de « contamination croisée », des flacons-types ont été attribués à chaque site et chaque point de prélèvement. L’échantillonnage a consisté en la réalisation de prélèvements manuels, ponctuels, au moyen de sceaux. Les échantillons ont été prélevés dans des flacons de verre de 2 L pré-conditionnés avec une solution d’acide ascorbique à 1,6 g/L (2 mL par 2 L d’eau). Les flacons ont été remplis à rasbord, sans débordement (perte de réactifs) et sans aucune bulle d’air afin d’éviter la perte de SPOX volatils. Des échantillons d’eau ont également été prélevés dans des contenants en plastique de 5 L sans conditionnement préalable. Pour les deux points de prélèvement (amont et bassin froid), un volume total de 40 L d’eau a été échantillonné.
Analyses physico-chimiques des paramètres classiques
Les échantillons d’eau prélevés ont fait l’objet d’analyses réalisées à la fois sur le terrain et au laboratoire. Trois catégories de paramètres ont été suivies :
(i) les paramètres relatifs au fonctionnement des CNPE,
(ii) les paramètres relatifs à la qualité physico-chimique de l’eau,
(iii) la nature des SPOX produits et leurs paramètres globaux.
Chacun des paramètres a été mesuré sur l’ensemble des points d’échantillonnage ou sur une partie de ceux-ci, selon que cela ait été jugé pertinent ou non en termes d’intérêt scientifique et de ressources disponibles.
Paramètres liés au fonctionnement des CNPE
La première catégorie de paramètres a été déterminée sur le terrain par les préleveurs de la société CARSO (Venissieux, Lyon) parallèlement aux opérations de prélèvements. Elle comprend les paramètres suivants : pH, température, chlore résiduel libre (CRL) et chlore résiduel total (CRT). Le dosage du CRL et CRT a été effectué à l’aide de la méthode colorimétrique à la N,NDiéhylphénylène-1,4-diamine (DPD) par dissolution de pastilles pour l’analyse du CRL (DPD1) et du CRT (DPD3), selon le principe de la méthode normalisée NF EN ISO 7393-2 [2]. La limite de quantification de cette méthode est de 50 μg éq. Cl2/L. La coloration produite a été mesurée grâce à un spectrophotomètre HACH (Pocket Colorimeter II) avec des cuves de 1 cm. La température de l’eau a été mesurée à tous les points à l’aide d’un thermomètre à alcool standard. Le pH a été déterminé par électrochimie avec un pH mètre ProfiLine Multi 3320, WTW, selon la norme NF EN ISO 10523 [3].
Paramètres relatifs à la qualité physico-chimique de l’eau
Les mesures relatives à la qualité physico-chimique de l’eau ont concerné principalement deux paramètres : la matière organique (naturelle et anthropique) et les ions halogénures.
Les indicateurs de la présence de matière organique qui ont été suivis sont le carbone organique dissous (COD) et l’absorbance dans l’ultraviolet à la longueur d’onde 254 nm, noté UV254. Ces deux paramètres sont complémentaires : le COD renseigne sur la quantité de matière organique disponible dans le milieu et l’UV254 indique sa réactivité et donc sa tendance à former certains SPOX. Globalement, pour une eau donnée, plus la concentration en COD et l’absorbance UV254 sont élevées, plus la réaction entre la matière organique et la monochloramine est importante. L’absorbance spécifique SUVA254 qui correspond à la valeur de l’absorbance UV254 divisée par la teneur en COD permet de déterminer l’aromaticité de la matière organique contenue dans un échantillon d’eau. Cette grandeur peut donc être utilisée en théorie comme un moyen d’estimer le potentiel de formation des SPOX d’une eau donnée. La concentration en ions halogénures joue un rôle important dans la spéciation des SPOX. Plus une eau est riche en ions bromure, plus les sous-produits bromés seront en quantité importante relativement aux chlorés.
Ces analyses ont été confiées au laboratoire d’analyse de la société CARSO. L’absorbance UV a été mesurée à une longueur d’onde de 254 nm à l’aide d’un spectrophotomètre UV-visible DR/4000 U (HACH) en cuve de 5 cm, après filtration membranaire à 0,45 µm. Le COD est dosé dans la phase dissoute issue de la filtration sur filtre de cellulose (HVLP, Millipore) de diamètre de pores 0,45 μm, suivant la méthode normalisée NF EN 1484 [4]. Le filtrat contenant le COD est acidifié à pH = 2 avec de l’acide orthophosphorique à 5% afin de transformer les ions carbonates et bicarbonates en dioxyde de carbone (CO2). Ce dernier sera éliminé par barbotage à l’azote. Cette étape permet l’élimination du carbone inorganique dissous. Ensuite, le COD est dosé par détection infrarouge du CO2 libéré suite à une réaction d’oxydation chimique du COD présent dans l’échantillon avec le persulfate de sodium à 100 °C. La quantité de CO2 détectée est proportionnelle à la quantité de COD. L’appareil utilisé est un COT-mètre de marque Shimadzu (TOC 5000A), calibré à l’aide d’une solution standard de phtalate de potassium diluée à différentes concentrations. Les résultats obtenus sont exprimés en mg éq. C/L. La limite de quantification de cette méthode est de 0,3 mg éq. C/L. Les ions chlorure et bromure ont été mesurés par chromatographie ionique selon la norme NF EN ISO 10304-1, tandis que les iodures ont été analysés par spectroscopie d’émission optique sur plasma induit par laser (ICP/AES) sur une chaine Optima 7300 (Perkin Elmer, Villebon-sur-Yvette), suivant la norme NF EN ISO 11885 [5,6]. La limite de quantification est de 100 µg/L pour les ions chlorure, 50 µg/L pour les ions bromure et 1 µg/L pour les ions iodure.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
Références bibliographiques
CHAPITRE I – SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
Formation and determination of organohalogen by-products in water – Part I. Discussing the
parameters influencing the formation of organohalogen by-products and the relevance of estimating their concentration using the AOX (adsorbable organic halide) method
I.1 Introduction
I.2 Origin of organohalogen by-products in water
I.2.1 Influence of the nature of organic matter
I.2.2 Influence of the nature and dose of the halogen-based oxidant
I.2.3 Influence of the nature and concentration of halide ion
I.2.4 Influence of the contact time between water and halogen-based oxidants
I.2.5 Influence of the temperature and pH value
I.3 Main organohalogen by-product families and some regulatory limits for drinking and surface waters
I.4 Quantitative analysis of OXBPs
I.4.1 Integrative analysis – the AOX parameter
I.4.2 Integrative analysis – the EOX and POX parameters
I.4.3 Integrative analysis – the AOCl, AOBr and AOI parameters
I.5 Conclusion
References
Supplementary Materials (SM)
Formation and determination of organohalogen by-products in water – Part II. Sample
preparation techniques for analytical approaches
II.1 Introduction
II.2 Water sample types: natural vs synthetic (reconstituted) water
II.3 Sample preparation
II.3.1 Sample preservation
II.3.1.1 Quenching agents effect
II.3.1.2 pH effect
II.3.1.3 Antimicrobial agent effect
II.3.2 Enrichment and selective extraction of organohalogen by-products
II.3.2.1 Isolation and fractionation of natural organic matter and OXBPs
II.3.2.2 OXBP extraction methods
II.4 Conclusion
References
Supplementary Materials (SM)
Formation and determination of organohalogen by-products in water – Part III.
Characterization and quantitative approaches
III.1 Introduction
III.2 Chemical derivatization of OXBPs
III.3 OXBP analysis methods
III.3.1 Gas chromatography and GC-MS coupling
III.3.2 Liquid chromatography and LC-MS coupling
III.3.3 High and ultrahigh resolution mass spectrometry
III.3.4 Membrane-introduction-mass spectrometry
III.3.5 Field asymmetric ion mobility spectrometry-mass spectrometry
III.4 Conclusion
References
Supplementary Materials (SM)
CHAPITRE II – MATERIELS ET METHODES
I. Sites d’étude et plan d’échantillonnage
I.1 Choix des sites CNPE d’étude
I.2 Positionnement des points de prélèvement
I.3 Période et fréquence d’échantillonnage
I.4 Prélèvement, conditionnement et expédition des échantillons
II. Analyses physico-chimiques des paramètres classiques
II.1 Paramètres liés au fonctionnement des CNPE
II.2 Paramètres relatifs à la qualité physico-chimique de l’eau
II.3 Analyse des sous-produits organohalogénés par des méthodes physico-chimiques
II.3.1 Extraction des sous-produits organohalogénés sur phase solide (SPE)
II.3.1.1 Principe de l’extraction sur phase solide (SPE)
II.3.1.2 Instrumentation
II.3.1.3 Protocoles expérimentaux
II.3.2 Fractionnement par ultrafiltration (UF) des SPOX
II.3.2.1 Principe de fractionnement par ultrafiltration (UF)
II.3.2.2 Protocole et dispositifs expérimentaux
II.3.3 Analyse des composés organohalogénés via le paramètre AOX
II.3.3.1 Principe de la mesure
II.3.2.2 Protocole et dispositifs expérimentaux
II.3.4 Analyse des composés organohalogénés par C-IC
II.3.4.1 Principe de la mesure
II.3.4.2 Instrumentation
II.3.4.3 Paramètres optimisés et performances analytiques
II.3.5 Analyse « ciblée » des SPOX volatils et semi-volatils par GC-MS
II.3.5.1 Choix des SPOX à suivre
II.3.5.2 Approche analytique et instrumentation
II.3.5.3 Paramètres optimisés et performances analytiques associées
II.3.6 Screening « non ciblé » des SPOX volatils et semi-volatils par GC-MS
II.3.7 Screening non ciblé des SPOX polaires par une approche couplant marquage chimique et analyse par LC-MS
II.3.7.1 Approche analytique
II.3.7.2 Instrumentation
II.3.7.4 Paramètres optimisés et performances analytiques
II.3.8 Screening non ciblé des SPOX de hauts poids moléculaires par FT-ICR/MS
II.3.8.1 Protocole expérimental et instrumentation
II.3.8.2 Méthode d’analyse des données
II.4 Méthodes bio-analytiques – outils d’aide à l’identification des SPOX
II.4.1 Démarche générale
II.4.2 Outils bio-analytiques disponibles
II.4.3 Outils bio-analytiques employés
II.4.3.1 Test in vitro de cytotoxicité sur la lignée cellulaire de truite (RTG-2)
II.4.3.2 Mesure du potentiel génotoxique au moyen du test SOS Chromotest
Références
CHAPITRE III –RESULTATS ET DISCUSSION
Partie 1
I- Développement et validation d’une méthode d’analyse ciblant 11 acides haloacétiques par SPE
et GC-MS
Combination of solid-phase extraction with acidic methanol derivation and GC-MS/MS analysis for the determination of haloacetic acids in aqueous samples
Abstract
1. INTRODUCTION
2. EXPERIMENTAL SECTION
2.1. Reagents and chemicals
2.2. Sample preparation process
2.3. Instrumentation and GC-MS/MS analytical conditions
3. RESULTS AND DISCUSSION
3.1. GC-MS/MS characteristics
3.2. Solid phase extraction
3.3. Method performances
3.4. Application to real river water samples
4. CONCLUSION
References
Supplementary Materials (SM)
II- Développement et validation d’une méthode multirésidus ciblant 26 SPOX volatils par SPE et GC-MS
Development and validation of a multiclass method for the determination of organohalogen disinfectant by-products in water samples using solid phase extraction and gas chromatographytandem mass spectrometry
Abstract
CONCLUSION GENERALE
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