Généralités, anatomie et croissance des bivalves
Les bivalves occupent une place essentielle dans la chaine trophique, à la fois en tant que consommateurs primaire qu’en tant que proies pour certains oiseaux et poissons (Kamermans 1994). Entourés d’une coquille dure comprenant deux valves reliées par une charnière, les bivalves endobenthiques sont habituellement munis d’un pied contrôlé par contraction des muscles adducteurs antérieurs et postérieurs, qui leur permettent de creuser le sédiment pour s’enfouir (Gosling 2003; figure 1). Un siphon inhalant leur permet d’aspirer l’eau environnante tout en restant cachés des prédateurs épi benthiques (Gosling 2003). Les particules de l’eau sont ensuite triées soit par les branchies ou les palpes labiaux, dépendamment des espèces. Celles retenues par le mucus des branchies sont ensuite envoyées par des cils ou filaments branchiaux à la bouche, dans l’œsophage puis dans l’estomac qui est relié par plusieurs canaux au site majeur de digestion intracellulaire, la glande digestive. Le rôle de cette glande, en plus de la digestion des aliments, est le stockage potentiel des réserves énergétiques. Tout ce qui n’est pas absorbé ou qui n’a pas été retenu par les branchies passe ensuite dans la cavité exhalante du manteau pour être expulsé par le siphon exhalant en pseudofèces (Gosling 2003). Les branchies sont soudées au manteau par leurs bases et ces deux organes assurent les échanges gazeux. Lorsque l’eau filtrée passe dans les branchies, l’oxygène est diffusé dans l’hémolymphe, qui circule à l’intérieur des branchies par un système complexe de canaux (Gosling 2003).
Facteurs endogènes
L’énergie qu’ un bivalve peut investir pour sa croissance dépend de sa taille. En effet, puisque l’entrée d’oxygène (nécessaire à la respiration cellulaire aérobique) s’effectue par diffusion, plus la superficie du manteau et des branchies est grande et plus les échanges gazeux sont facilités (Le Moullac 2008). A l’inverse, le coût métabolique associé à la maintenance des cellules est proportionnel à la taille (McIntyre et Eleftheriou 2005). L’allocation de l’énergie produite dépendra aussi de l’âge du bivalve. Par exemple, une fois la maturité sexuelle atteinte, le bivalve commencera à investir de l’énergie pour la production de gamètes. Bien que la croissance ait été décrite par plusieurs modèles, différents taux de croissance peuvent être observés chez des individus du même âge et de même taille dans des conditions environnementales similaires (Mallet et Haley 1983; Dickie et al. 1984). Cette variabilité peut être causée par des facteurs génétiques (Tamayo et al. 20 Il). Par exemple, une hétérozygotie à plusieurs locus influencerait la croissance, la survie et la fécondité chez plusieurs organismes, bien que le plus souvent elle explique moins de 10% de cette variation de croissance chez les bivalves (Bayne et Hawkins 1997; Myrand et al. 2002). De plus, le stade physiologique larvaire peut avoir des conséquences sur les stades morphologiques subséquents, dont le taux de croissance (Pechenick 2006).
Facteurs exogènes
L’ environnement dans lequel le bivalve se trouve aura une influence à la fois sur la croissance et sur la physiologie de cet invertébré. La plupart des bivalves marins vivent à des températures variant entre -3 °C et 44°C (Vernberg et Vernberg 1972), mais chaque espèce possède une fenêtre de température optimale plus ou moins élargie qui est favorable à sa croissance. Par exemple, la palourde Chione cortezi (Carpenter, 1864) peut croître entre 15°C et 31 °C dans le golfe de Californie, mais présente une croissance optimale à 24°C (Goodwin et al. 2001; Sch6ne et al. 2002). Chez les bivalves arctiques, la croissance est presque nulle durant 1 ‘hiver (Richardson 1979). À l’inverse, Ameri et al. (1998) rapporte que les températures estivales de la Méditerranée pourraient faire gonfler la demande énergétique du métabolisme de base des espèces méditerranéennes au-delà de la capacité à compenser par la nutrition, et donc restreindre la croissance. De façon générale, des paramètres de salinité et température stables, tels que des conditions océaniques, favorisent une meilleure croissance (Robert et al. 1993). De faibles variations de salinité peuvent être tolérées (Lorens et Bender 1980), mais lors d’un changement anonnal de salinité, plusieurs bivalves fennent leur coquille afin d’éviter le débalancement de la régulation osmotique des fluides internes (Berger et Kharazova 1997). Si cette période est prolongée, Je manque d’apport de nourriture peut ralentir la croissance. Lorsque le courant est faible (0-3 cm/s), le jet du siphon exhalant dilue le seston et peut causer une réaction d’ inhibition de filtration alors qu’au contraire, un arrêt de pompage peut aussi se produire lorsque le courant est trop fort (Kamennans 1994). En effet, lorsque la pression ambiante force l’eau à entrer par le siphon inhalant, ce dernier se rétracte et se felme pour éviter que des particules se retrouvent dans le système digestif sans qu’elles aient été sélectionnées, la production de pseudofécès étant couteuse en énergie (Wildish et Kristmanson 1997). Certaines espèces de bivalves se sont adaptées afin d’optimiser la filtration dans ces milieux à fort courant, comme la telline Donax variabilis, qui possède des papilles au bout du siphon inhalant agissant comme un filtre pour éviter que le sédiment en suspension soit ingéré en même temps que la nourriture (Ruppert et al. 2004). Un fOl1 hydrodynamisme influence la stabilité du sédiment, pouvant, lors d’une érosion de la partie superficielle du sédiment, déplacer les espèces préalablement enfouies (Rufino et al. 2010). Des déplacements pour se ré-enfouir peuvent être cout eux en énergie pour les bivalves (Urban 1994). L’hydrodynamisme détennine aussi la texture du sédiment, qui a un effet sur la distribution des espèces (Bloom et al. 1972), mais également sur les performances de croissance. Par exemple, la praire Venus verrucosa croît mieux dans les bancs de maërl que dans tout autre sédiment (Djabali et Yahiaoui 1978).
L’archipel des îles Chausey
L’archipel des îles Chausey, situé dans le Golfe Normand-Breton (Normandie,France), est un des plus grands archipels d’Europe et subit chaque jour l’influence d’un régime de marée de type mégatidal, le marnage pouvant atteindre plus de 14 m en viveseaux. Le domaine terrestre, comportant une vingtaine d’îles et 130 îlots sur environ 82 ha, est minime comparé au domaine intertidal qui couvre environ 2000 ha (Godet 2008). Une fois découverts par la marée, ces grands estrans de substrats meubles (1388 ha; Godet 2008) sont constitués d’une mosaïque d’habitats côtiers hautement diversifiés qui sont à l’origine du classement de cette zone en site Natura 2000. Plusieurs habitats d’importance écologiques reconnus y sont représentés, tels les herbiers à Zostera marina, les bancs de maërl, les banquettes à Lanice conchilega, les slikkes à Salicornia sp., les schorres à Halimione portulacoides, etc. (Godet 2008). Les macroalgues telles que les Fucus, les Laminaires et les Ascophylles s’y trouvent en grande abondance (Godet 2008). Cette richesse écologique se reflète aussi par des populations conséquentes de cormoran huppé, d’harle huppé, de goéland marin, d’huîtrier pie ou encore d’eider à duvet, ainsi qu’une grande diversité de macrofaune (Godet et al. 2010). L’ archipel est très peu fréquenté l’hiver par une poignée d’habitants à l’ année, mais est au contraire très soumis au tourisme estival. Les touristes y débarquent en grand nombre durant les journées de grande marée, à raison de plus de 4000 personnes par jour, et la fréquentation est en augmentation de 241 % (entre 1996 et 2005, Le Berre et Brigand 20 Il). Ces personnes viennent en majorité pratiquer la pêche à pieds (Le Berre et Brigand 2011;Le Berre et Peuziat 2012). L’activité conchylicole y est également développée avec l’élevage de palourde japonaise (Ruditapes philippinarum) et de moules (Mytilus edulis) (Godet 2008; Grant et al. 2012).
CONCLUSION
Dans le but de mieux comprendre la cause des différences de croissance des prairesde l’archipel des îles Chausey, deux hypothèses spécifiques ont été testées pendant ce projet de maitrise. La première hypothèse stipulait que les sources d’alimentation de la praire fluctuent selon les secteurs de l’archipel et selon le niveau bathymétrique. La deuxième hypothèse à tester était que les performances de croissance de la praire sont conditionnées à la fois par l’alimentation et par la dynamique hydro-sédimentaire. Afin de répondre à ces hypothèses, plusieurs objectifs spécifiques ont été mis en place. Tout d’abord, l’environnement hydro-sédimentaire et la température ont été caractérisés afin de discriminer leurs effets potentiels sur la croissance de la praire. Le deuxième objectif spécifique consistait à caractériser et identifier les sources d’alimentation utilisées par les praires à l’aide de marqueurs trophiques. La croissance des praires a ensuite été caractérisée par sclérochronologie. Finalement, à l’aide de toutes ces données, le dernier objectif consistait à expliquer les différences de croissance observées entre les sites. De façon-générale, il est attendu que les bivalves filtreurs se nourrissent de la matière organique présente dans la colonne qu’ils filtrent (McIntyre et Eleftheriou 2005). L’analyse de la colonne d’eau a révélé une composition en acides gras de cette ressource significativement différente entre les sites, quoique similaire à plus de 92%. La quantité de chlorophylle a varie aussi entre les sites. Ces variations locales à la fois qualitative et quantitative de la ressource alimentaire de la praire entre les sites semblaient confinner notre première hypothèse spécifique et justifiaient de détenniner ce qui est réellement assimilé par la praire. Pour ce faire, la combinaison des deux approches trophiques s’est révélée judicieuse. Tout d’abord, les isotopes stables du carbone et de l’azote ont pennis d’associer une source d’alimentation théorique aux échantillons de tissus de praire par fractionnement isotopique (Peterson et Fry 1987; McCutchan et al. 2003). Cet outil a permis de révéler que la praire, bivalve filtreur, se nourrissait de la matière organique contenue dans la colonne d’eau. Les acides gras pennettent de retracer la signature spécifique de certains producteurs primaires (Dalsgaard et al. 2003). Les données relatives aux acides gras de cette étude corroborent les résultats isotopiques et révèlent que les praires se nourrissent en effet d’algues photosynthétiques présentes dans la colonne d’eau, leur signature lipidique spécifique étant retrouvée à la fois dans la colonne d’eau et dans la glande digestive. De plus, le chevauchement de la signature isotopique de la colonne d’eau et de celle des macroalgues brunes, particulièrement abondantes dans l’archipel des îles Chausey (Lami 1972, Godet 2008), indiquent que leurs détritus se mélangent à la colonne d’eau. Par contre, les acides gras marqueurs de ces macroalgues brunes ne se retrouvent pas en grande quantité dans la colonne d’eau. La combinaison de ces méthodes a donc pennis de démontrer que ces résidus de macro-algues entraient effectivement dans l’alimentation de la praire mais sous forme dissoute et non particulaire.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
AVANT-PROPOS
RÉSUMÉ
ABSTRACT
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 1 RESSOURCES TROPHIQUES DE LA PRAIRE VENUS VERRUCOSA (L.) DANS L’ARCHIPEL DES ÎLES CHAUSEY (FRANCE, NORMANDIE)
1.1 RESUME EN FRANÇAIS DU PREMIER ARTICLE
1.2 TROPHIC RESOURCES OF BIVALVE VENUS VERRUCOSA (L.) IN THE CHAUSEY ARCHIPELAGO DETERMINED BY STABLE ISOTOPES AND FATTY ACIDS
CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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