Nouvelles dynamiques mondiales
« world-city » et « global-city »
Jusqu’au début du XXème siècle, parler des « villes mondiales » faisait référence à une hiérarchie économique et/ou démographique et non à une quelconque existence d’un réseau international (Arrault, 2006). Depuis la fin du XXème siècle, (plus précisément depuis les années 80 et l’utilisation par Raymond Vernon de l’adjectif « global ») le monde est entré dans une dimension spatiale d’un antre genre, celle d’une nouvelle métrique. Sans parler d’échelle, un nouveau lieu s’est définit, celui du monde entier comme entité spatiale propre. Jacques Levy reprend l’idée que la mondialisation est à la base de cette création spatiale qui définit le monde comme un système de sous-systèmes autonomes mais interconnectés.
En effet, tous les secteurs sont touchés par la « globalisation » traduisant des dynamiques relationnelles mondiales dépassant les limites nationales. Les recherches scientifiques dans la qualification et l’explication de ce phénomène urbain se sont focalisées sur l’importance du monde financier, des centres économiques et le réseau de globalisation des villes connectées, c’est-à-dire l’internationalisation des flux de biens, de capitaux de personnes… Peter Hall est un des premiers à utiliser le concept de ville-monde. Il définit la « world-city » par son poids démographique, son statut de capital, son organisation spatial (agglomération ou conurbation) et sa place dans l’économie mondiale. « They are centers of political power, both national and international, and of the organizations related to governments, centers of national and international trade and all kinds of economic activity, acting as entrepôts for their country and sometimes for neighbouring countries also» [Scoot, 1999].
Le concept de « ville-mondiale » (« world-city ») fut repris et approfondis en 1982 par Friedman et Wolf. Dans leurs études, ils montrent que « l’économie mondiale ne se réduit plus à la somme des économies nationales, celle-ci inclut un nouveau segment, l’ «économie globale » » [Ghorra-Gobin, 2007]. Le modèle capitaliste dépasse alors les frontières nationales et place la ville, dans la prédominance de son secteur financier et tertiaire, au sein d’un système monde, un réseau global d’interconnexion entre les « ville-mondes ». Après la phase de mondialisation « moderne » caractérisée par l’abaissement des frontières, le rapprochement des personnes et les flux d’échanges internationaux, la phase de globalisation a rendu global ce qui était local, la naissance d’un système monde de production, de marché et de consommation créant des interdépendances au niveau mondial et particulièrement dans le secteur économique. En 1991, Saskia Sassen se penche plus sur l’utilisation « global-city » que de « world-city ». Elle définit alors les « global-cities » comme des sites stratégiques dans l’économie globale par leurs concentrations de fonctions commanditaires et leur haut niveau de production de service. Une ville globale doit être non seulement un centre de production mais aussi place d’innovation. La ville globale met donc en évidence l’articulation entre ville et économie globale tandis que la ville mondiale évoque le degré d’attraction d’une ville à l’échelle mondiale par son patrimoine, son passé, ou encore par l’attraction des flux touristiques (Ghorra-Gobin, 2007).
« global city-region » et métropolisation
Plus récemment, le géographe américain Allen Scott, au vue des changements considérable des logiques sociales et des caractéristiques multi sectorielles, décrit le phénomène actuel de l’organisation spatiale des villes dans le système monde en qualifiant ces régions urbaines de « global city-region ». En utilisant ce terme, il exprime une volonté de qualifier les changements contemporains de la ville et la volonté institutionnelle de consolider l’organisation politique locale face à la globalisation. Le phénomène des « global city-region » est un important tournant dans l’analyse spatiale géographique. En effet, l’organisation du schéma des villes a changé. La prédominance du secteur financier et institutionnel dans le centre des agglomérations a « restructuré l’espace du marché du travail qui inclut désormais les univers suburbain et périurbain » [Ghorra-Gobin, 2007]. Allen Scott définit une « global city-region » comme « a geographic area with a city as its centre that has strong impact on the global city region’s growth and development », « l’association des districts géographiques disjoints mais constitués de centres urbains fonctionnant ensemble dans le but de maximiser le bénéfice d’une interdépendance économique ». « L’expression ville-région global met en évidence les inégalités territoriales entre les municipalités composant l’aire métropolitaine ou la ville-région et elle autorise à rendre plus explicite leur statut de rivalité pour attirer les entreprises et les ménages ainsi que la reproduction des inégalités sociales. Ce qui pose la sérieuse question de la gouvernance des entités métropolitaines. » [Ghorra-Gobin, 2007].
La géographie française s’est intéressée aux différents concepts découlant de la mondialisation dans la mesure où sont nées de nouvelles de dynamiques territoriales, économiques, politiques… Le paradigme de ville mondiale et globale est entré dans les représentations géographiques de la ville et de ses influences mondiales. La « global city-region » devenant de plus en plus centrale dans la conduite et les coordinations de la vie moderne (Scoot, 1999). En France, les géographes se sont surtout intéressés et ce depuis le milieu du XXème siècle, au concept de métropolisation, celui-ci ne considérant pas la mondialisation comme simple processus économique mais touchant toutes les sphères. « La métropolisation est la territorialisation urbaine de la globalisation » [Gallas, 2001]. Pour Michel Bassand « le terme métropolisation désigne [quant à lui] deux processus distincts et indissociables qui façonnent les métropoles, à savoir le processus interne de structuration sociale et spatiale d’une métropole ; la formation d’une armature mondiale de métropoles dans le cadre de la mondialisation ». Jean-Paul Ferrier propose une théorie géographique de la métropolisation pour mieux comprendre les dynamiques urbaines depuis le début du XXème siècle. « La mondialisation va entraîner l’évènement d’une nouvelle époque : […] un changement de modernité. »
Pour Siino, la métropolisation est « un processus de répartition de la population et des emplois qui estompe le rapport centre/périphérie au profit d’une réalité plus proche de modèles spatiaux et fonctionnels polycentriques. » La mobilité et l’accessibilité sont les deux articulations majeures de la métropolisation. En effet, proposer une vie locale et métropolitaine par la mobilité et l’accessibilité permet de donner un sens local et global à la ville. Pour Michel Bassand, les deux aspects de la métropolisation sont le local et le global soit le « glocal ». « La glocalité est un aspect important de la métropolité » [Bassand, 2001].
La phase de métropolisation que connaissent actuellement les grandes agglomérations engendre une réorganisation de l’espace. Les sous-espaces spécialisés dans un ou plusieurs domaines ne doivent pas être isolés mais au contraire développés dans une double échelle, locale et globale, la mobilité et l’accessibilité doivent être les garantes des possibilités multiples d’attraction en termes de loisirs, d’habitats, de culture, de travail, de la métropole. Pour cela la phase de métropolisation « forme un nouveau cadres des pratiques quotidiennes ou habituelles » [Ascher, 2009]. « La globalisation réveille le local, à la fois parce qu’elle s’y confronte et parce qu’elle en vit » [Bourdin, 2000]. Dans l’articulation de ces deux échelles locale et globale, les équipements tiennent un rôle majeur dans le poids de l’attractivité d’une métropole. En effet, « le quartier change de nature (…) les centralités se multiplient, se diversifient, se spécialisent, à tel point qu’il semble préférable aujourd’hui de parler de polarités (…) mais celles-ci s’organisent plus que jamais autour des activités commerciales » [Ascher, 2009].
Concept d’ambiance urbaine
L’analyse paysagère fait partie de l’étude géographique. Avant le début du vingtième siècle, l’analyse du paysage était considérée comme un protocole scientifique visant à expliquer le paysage « perceptible » à travers des grilles de lecture, des modèles d’organisations spatiales, des typologies et des nomenclatures strictes. On parle alors de paysage « objet ». Cependant, à partir des années 1900, la prise en compte du problème de l’objectivité du chercheur renouvelle les représentations en géographie. En effet, nos représentations spatiales sont dirigées par nos valeurs et normes culturelles. Le concept de représentation spatiale permet à l’analyse géographique de prendre en compte qu’un espace est vécu, perçu et dans sa description assimilé à des valeurs et des symboles aussi bien individuels que collectifs. A partir des années 1950, la représentation comme acte de création rentre alors dans les moeurs. Le paysage non plus considéré comme simple objet qui réside en dehors de nous, devient parti prenante de l’homme sous une posture interactionniste qui a une signification singulière pour les interlocuteurs avec des déterminants individuels, sociaux, culturels [Thermines, 2001]. Les géographes vont alors prendre en compte le fait est que « nos représentations sont fondées sur l’apparence des objets et non sur les objets eux-mêmes » [Bailly, 1995].
Historique du concept d’ambiance urbaine
Au début des années 1900, l’ambiance urbaine avait une existence marginale et était classée parmi les données climatiques. On parlait alors plutôt d’atmosphère de la ville, ce qui traduisait une certaine expérience de la ville. L’époque contemporaine a permis, par la relation qui lie les villes et les pratiques urbaines, de mettre en avant une analyse sensorielle dans un espace concret. Le concept d’ambiance urbaine est né de la qualification de l’analyse culturelle et des pratiques dans le paysage urbain. Ainsi l’approche des ambiances relève-t-elle du champ sociologique urbain et du champ architectural.
Le concept d’ambiance urbaine est apparu pendant la période du renouvellement urbain dans les années 1960-1970. L’expansion des villes qui s’est traduite par un grand nombre d’aménagements, a donné lieu à un développement du paysage urbain. L’analyse du paysage fait partie de l’analyse des géographes13. En 1960, cette analyse s’est focalisée sur la comparaison entre paysage rural et paysage urbain. Le paysage urbain crée une rupture dans les paysages avec l’utilisation de nouveaux matériaux et d’une nouvelle architecture. Le développement de la notion de paysage urbain est engendré par la mutation que subit l’espace. En effet, l’urbanisation provoque un problème conjoncturel dans la mesure où autrefois le paysage urbain était représentatif de plusieurs décennies, voire plusieurs siècles (fermes familiales…) et qu’à présent, il représente un paysage en construction où les habitations cohabitent avec une ville inachevée. Pierre Georges est un des premiers géographes à avoir décrit les éléments qui personnifient le paysage urbain14. Dans la décennie 60-70, le géographe tente de clarifier la structure des villes en élaborant de minutieuses descriptions des lieux et des infrastructures sans pour autant les évaluer. Il met l’accent sur l’évolution des phases de standardisation, la monotonie du paysage et les immeubles en série.
En 1970, l’analyse du paysage urbain prend ses distances avec la simple description et la comparaison des différents paysages et commence à étudier le paysage perçu et vécu. Les géographes commencent à s’intéresser aux différentes parties du paysage urbain et à leur spécificité. Naissent alors, deux nouveaux champs d’analyse, celui de la relation entre paysage du quotidien, tourisme et visite, et celui de la mobilité intra-urbaine. En effet, les relations qui lient l’homme à la ville, et plus largement l’individu au paysage, caractérisent du paysage urbain. Du fait de la densité de la composition de ce paysage, les individus sont amenés à changer de perception de l’espace au et à mesure de leurs déplacements. Cette différenciation des parties que fonde le paysage urbain permet de faire naitre petit à petit la notion d’ambiance urbaine. En effet, avec l’essor de l’automobile, le paysage urbain se constitue dans une logique de mobilité aussi bien pour les piétons que pour les voitures. On a donc apparition de deux espaces différenciés, les trottoirs et les chaussées. Pierre George montre, en étudiant la répartition des voies de circulation, que la mobilité intra-urbaine découpe l’espace urbain à différentes échelles. D’un côté, « la circulation générale à l’échelle de l’organisme urbain » où la circulation est abondante et omniprésente et, de l’autre, la « circulation locale à l’échelle du quartier » où des périmètres piétons ont été définis. Pierre George annonce qu’ « on obtient une certaine détente de la vie dans les quartiers d’habitations ». Il compare alors deux parties du paysage urbain par l’intermédiaire de son perçu et de son vécu, pour ensuite évaluer son ressenti, qui se traduit par une sensation à partir de laquelle il qualifie l’endroit. De là, la naissance des ambiances urbaines. A partir de ce moment, les géographes passent par un mode d’analyse de partition de l’espace pour expliquer la composition du paysage urbain. Pierre George analyse « la ville du quotidien avec l’accessibilité et la qualification des espaces par leurs pratiques. »15 Par exemple, la fontaine Saint Michel à Paris, dans l’esprit des riverains, est perçue comme le lieu de rendez-vous du quartier et non plus comme l’habillage du mur pignon mis à nu par les aménagements du baron Haussmann.
A l’opposé des années 1960, où le paysage urbain était vu comme un tout dont la description des parties n’était que secondaire, les années 1970 marquent une rupture dans l’analyse géographique dans la mesure où le phénomène s’inverse, les parties du paysage urbain sont étudiées pour décrire un tout. La description est toujours présente mais s’y ajoute une phase d’évaluation qui constitue les parties du paysage urbain en élément fondateur des perceptions de celui-ci. Les différentes activités d’un lieu deviennent partie prenante de la base paysagère. L’évolution qui a marqué les deux décennies de l’analyse du paysage urbain 1960-1970 peut être articulée en cinq phases distinctes : Tout d’abord les géographes vont se baser sur une opposition entre les parties réelles et les parties imaginaires. Le paysage est analysé par l’absence de parties. Ensuite, le paysage urbain va être analysé comme un tout dont on étudie par la suite les parties qui le composent. Dans un troisième temps, la description du paysage urbain va reposer sur une analyse de la base paysagère avec des ajouts qui constituent le paysage vécu (Arrault, 2006). La notion de perçu et de vécu se met alors en place. S’en suit une analyse reposant sur la relation qui lie le tout aux parties. Pour finir, les géographes étudient les parties pour décrire un tout et passer à une phase d’évaluation de ce tout. Depuis les années 1970, l’étude des ambiances urbaines a été clairement identifiée par les écoles d’architecture. La volonté de mieux comprendre et de mieux mesurer les espaces urbains perçus et vécus permet alors de mieux cibler les politiques d’aménagement du territoire. Les études menées sur le concept d’ambiance urbaine regroupent essentiellement les architectes, les ingénieurs et les géographes. La figure 2 présente une synthèse de l’évolution du concept d’ambiance urbaine depuis le début du XXème siècle.
Définition du concept d’ambiance urbaine
« Puiser tel mot dans le corps lexical général de la langue, c’est déjà orienter de telle façon l’organisation du savoir et ses principes » [Labussiere, 2009]. La prise en compte dans un premier temps de la définition générale d’un mot permet de comprendre la façon dont celui-ci est utilisé dans le langage courant. La langue permet de définir le monde qui nous entoure mais aussi d’accroître nos connaissances et notre savoir. Ce monde n’a pas de sens sans les concepts qui le désignent. Pour définir un concept, il est donc important tout d’abord de comprendre sa définition générale pour ensuite mieux interpréter ses champs d’attribution. Pour définir et analyser le concept d’ambiance urbaine, il est nécessaire de rappeler la définition des mots ambiance et urbain dans le langage courant. Du latin ambire (entourer) l’ambiance est définie par Le Robert comme une « atmosphère matérielle qui environne une personne », par le dictionnaire en ligne l’internaute comme « une atmosphère d’un lieu, d’une réunion, entrain, gaieté d’un groupe de personnes », par l’encyclopédie universalis comme « le climat d’un lieu, d’une salle, contexte, ou ce qui caractérise un environnement donné ». Du latin urbanus (habitant de la ville) urbain signifie : relatif à la ville et s’oppose à rural.
Professeur à l’école d’architecture de Grenoble, laquelle s’est intéressée à l’étude des ambiances architecturales et urbaines, Jean-François Augoyard, tente de définir avec précision le concept d’ambiance, le concept d’ambiance urbaine n’étant qu’une partie du concept d’ambiance appliqué à la ville. Pour définir ce concept, il propose en partant des trois types de définition, existante, différentielle ou relative, formelle et génétique ou dynamique, de comprendre tous les champs d’action d’une ambiance pour faire ressortir le contexte global de l’utilisation de ce concept dans le réel. Tout d’abord, il s’intéresse à la définition différentielle ou relative qui permet de définir un mot par sa structure, ses relations et son analogie avec les mots du champ lexical. Dans les définitions du mot ambiance, les noms atmosphère, climat, milieu et environnement sont les synonymes les plus pertinents et les plus évocateurs. L’étude des relations entre ces mots du même champ lexical lui permet de dresser l’organigramme suivant (figure 3). En partant de cette structure des différents noms communs qui définissent le sens d’ambiance, il différencie quatre dimensions de qualifications des renvois analogiques. L’environnement agit sur l’ambiance (dimension causale), une ambiance entretient des relations aussi bien de causalités réciproques que d’effets induits avec le milieu, l’atmosphère et le climat (dimension interactionnelle), une ambiance va influencer l’organisation d’un paysage et sa situation (dimension organisationnelle), et enfin, une ambiance va planter un décor, un cadre (dimension sémantique et représentative).
Ensuite, Jean-François Augoyard s’intéresse à la définition formelle du mot ambiance laquelle permet de classifier tous les attributs qui qualifient le concept. Il définit l’ambiance comme « un ensemble de phénomènes localisés […] qui répond à quatre caractères : les signaux physiques de la situation sont repérables et décomposables, ces signaux interagissent avec la perception, l’affectivité et l’action des sujets, les représentations sociales et culturelles, ces phénomènes composent une organisation spatiale construite et le complexe signaux/ percepts/représentation est exprimable. » Dans cette définition de l’ambiance, la dimension physique mais aussi humaine sont mises en avant. Une ambiance se caractérise d’une part par des traits physiques, des éléments palpables et réels et, d’autre part par une vision subjective et collective d’un lieu, qui fait référence à une expérience sensorielle. Cependant, alors que l’on partage des expériences sensibles, paradoxalement, une ambiance échappe à toute définition formelle dans la mesure où celle-ci se vit au singulier par l’expérience de nos sens. Il est donc plus juste dans sa définition formelle de dire que les espaces diffèrent les uns des autres par les mots qu’ils font surgir en nous pour qualifier des ambiances. La représentation des ambiances manifeste pour l’individu sa perception propre des lieux, qui vient cependant trouver dans le langage des imaginaires culturels, donc collectifs.
Pour finir, Jean-François Augoyard s’intéresse à la définition génétique ou dynamique, c’est-à-dire ce qui produit une ambiance, l’essence même de la création de celle-ci. Pour qu’une ambiance existe, deux conditions sont nécessaires. Un espace donné, pas forcément délimité, composé d’éléments distincts, et un contexte spatio-temporel, social et culturel caractérisé. « Une ambiance architecturale ou urbaine est engendrée par un dispositif technique, le résultat d’une production experte et, par une impression ou organisation perceptive composée d’éléments sensibles et cognitifs. »
L’ambiance est donc une perception immédiate d’un lieu à partir de l’ensemble des phénomènes physiques qui participent à la perception sensible de l’environnement construit. Gerard Hégron, directeur du laboratoire ambiances architecturales et urbaines, explique que «nous appréhendons les ambiances à travers plusieurs dimensions », « Cela va de la caractérisation des paramètres physiques à la dimension esthétique en passant par la dimension psychologique, émotionnelle » La volonté de définir une ambiance urbaine dépasse la notion de nuisance et de confort. Nicolas Tixier, chercheur au laboratoire CRESSON, fait un recensement des différents traits qui définissent le concept d’ambiance urbaine « qualifiant les situations d’interactions sensibles dont on fait l’expérience à un moment donné dans un lieu donné » [Tixier, 2007]. Une ambiance urbaine « implique un rapport sensible au monde synesthésique autant que cénesthésique ». Pour l’étudier, il est nécessaire d’avoir une « approche pluridisciplinaire portant des dimensions construites, sensibles et sociales de l’espace habité ». Du point de vue du périmètre d’étude, une ambiance n’a « pas d’échelle spatiale particulière […] il s’agit d’une notion trans-scalaire qui s’applique à des espaces ordinaires comme à des espaces plus scénographiés. » Enfin, elle permet d’étudier des espaces mais aussi leur conception, « il s’agit par l’attention aux configurations sensibles d’une posture situant l’expérience de l’usager au coeur du projet. »
Mesure des ambiances, outil de compréhension et d’intervention
Une ambiance urbaine peut donc se définir come une perception immédiate d’un lieu à partir de l’ensemble des phénomènes physiques qui participent à la perception sensible de l’environnement construit. Mesurer les ambiances urbaines permet des les utiliser comme des outils de compréhension, révélateur des manières d’habiter l’espace, et, d’intervention. Deux approches différentes ont été menées par des scientifiques pour mieux définir les ambiances urbaines. D’un côté Labussière, Kant, Deleuze et Ruskin ont tenté de comprendre la nature générative d’une ambiance et de l’autre côté, Goffman, Weber et Blum ont dressé une typologie des ambiances urbaines.
Apprendre à mesurer les ambiances urbaines permet de mieux mesurer les dimensions culturelles de l’histoire, de l’usage et l’efficacité de son champ d’action. Jean-Paul Thibaud, sociologue urbaniste, directeur adjoint au laboratoire CRESSON ambiance architecturale et urbaine, vise dans ses travaux à développer une approche pragmatique des ambiances urbaines. Il considère que leur mesure est un outil non seulement révélateur des diverses manières d’habiter l’espace public « outil de compréhension » mais aussi que cette mesure peut permettre d’orienter un espace « outil d’intervention ».
Olivier Labussière, tente de cerner la nature générative d’une ambiance urbaine pour mieux la mesurer (figure 5). Il s’appuie sur plusieurs auteurs tels que Proust, Ruskin ou Deleuze pour définir cette nature générative. Dans ses travaux, Deleuze montre que pour qualifier une ambiance urbaine, il faut percevoir plusieurs signes qui retranscrivent la globalité du milieu urbain. Une ambiance urbaine est une retranscription du paysage urbain où prédomine une analyse culturelle par une approche visuelle, symbolique et sensorielle avec un espace concret. D’après les travaux de Kant repris par Deleuze, Olivier Labussière montre que la perception est une activité de synthèse qui, par la connaissance, débouche sur une compréhension esthétique d’un espace, d’un objet… Cette activité de synthèse s’effectue en trois phases, l’appréhension, la reproduction et la recognition.
La perception est une unité de mesure qualitative. Mais si la perception s’élabore à partir d’une synthèse de l’appréhension, comment identifier et choisir les parties de la chose perçue ou comment est-il possible de définir l’unité concrète des composantes d’une ambiance ? La perception d’une ambiance est définie par Olivier Labussière comme « le squelette qui détermine la forme spatio-temporelle ». Ce processus de qualification d’une ambiance urbaine est décrit et analysé par les rythmes qui produisent le bloc sensible et les mesures qui qualifient l’espace temps. Cette perception permet « une saisie du milieu urbain d’après ses ambiances et ses allures plutôt que par ses formes et ses structures. » L’existence d’une ambiance n’est pas fixe et ne détient pas une définition concrète « elle n’appartient ni au sujet, ni à l’objet mais elle se singularise par l’émergence d’un impensable du sensible dans la pensée. » Cette complexité de la perception singulière opposée à une description culturelle collective pose tout de même des problèmes. Dans un premier temps, s’oppose les éléments physiques qui sont qualifiés objectivement (un immeuble, une rue…) et leur perception qui sont décrites subjectivement (cette rue est morte, cet immeuble est glauque…) Comment une collection de signaux divers, de représentation individuelle et collective compose-t-elle une ambiance ? Comment peut-on relier les différentes composantes de l’ambiance d’un lieu ? Peut-on trouver malgré la multiplicité des cultures des universaux pour tous les genres d’ambiances ?
A partir du moment où la perception est singulière, une des oppositions majeures dans la représentation des ambiances s’effectue au niveau des positions de chaque individu. Comment penser l’ambiance en fonction des modèles techniques et des usages ? Comment peut-on différencier la vision d’un usager qui perçoit un espace et celle de l’expert qui va agir sur cet espace ? Comment articuler action usagère et action technicienne ? Chaque culture est basée sur des valeurs, des normes, des techniques propres. Comment est-il alors possible de maîtriser une ambiance en fonction de ces caractères culturels ?
Le concept d’ambiance urbaine est défini par Pascal Amphoux, architecte et géographe, comme « une notion transversale et interdisciplinaire désignant une situation d’interaction sensible (sensorielle et signifiante) entre le réel (architecturel ou urbain) et sa représentation (technique, sociale et/ou esthétique). Le travail de qualification des ambiances urbaines repose sur une approche pluridisciplinaire qui soulève des questionnements et des polémiques au sein du monde scientifique. Pour qualifier les ambiances urbaines, il est nécessaire de les décrire et de les comparer. Mais quels descripteurs utiliser pour décrire et qualifier les ambiances ? Etant au croisement de la vision subjective et des phénomènes physiques, une ambiance s’inscrit dans un contexte socioculturel particulier. Comment qualifier une expérience de l’immédiateté mais aussi de l’immatérialité ? Est-il possible de faire une typologie universelle d’une impression sensible de la pluralité des cultures ?
Dans le cadre du projet, l’équipe de chercheurs coordonnée par Stephen Sawyer vise à « renforcer les politiques d’équipements culturels par des politiques de valorisation des ambiances urbaines ». Pour cela, elle s’intéresse à la « compréhension des ambiances urbaines dans leurs rapports quotidiens avec les infrastructures. » [Sawyer et Clarks, 2009].
Les ambiances urbaines sont à la ville ce que la scène est au théâtre. Cependant, sans les acteurs des scènes quotidiennes, les ambiances ne peuvent pas évoluer, voire exister. On qualifiera d’ailleurs les quartiers exclusivement résidentiels ou les zones industrielles dépourvues de leurs travailleurs de « lieux sans vie », « de trou » ou encore de « lieux morts». « Les mets ne diffèrent les uns les autres, abstraction faite de leur utilité ou de la quantité de substance nutritive qu’ils contiennent, que par l’idée qu’ils révèlent à la langue. » A partir de cette réflexion de Baudelaire, on peut dire qu’un lieu ne se limite à un espace à vivre ou à travailler mais qu’il est aussi déterminé par une identification de soi dans l’espace. Les espaces diffèrent les uns des autres par les mots qu’ils font surgir en nous pour qualifier des ambiances urbaines. La représentation des ambiances manifeste pour l’individu sa perception propre des lieux, qui vient cependant trouver dans le langage des imaginaires culturels, donc collectifs.
D’après certaines théories récentes sur le rôle de la culture et de la consommation culturelle de la ville, on constate que la culture est un moteur du développement métropolitain. Ainsi, Richard Florida dans « The Rise of the creative Class » montre que l’attractivité d’une ville réside dans sa capacité de production (rôle et importance du marché du travail) mais aussi, depuis quelques décennies dans sa capacité de consommation culturelle. En effet, il constate que les citadins « opposent de moins en moins lieu de travail à lieu de loisir. » Les opportunités culturelles ainsi que les infrastructures mises en place dans un lieu sont donc une condition non négligeable dans le choix de résidence des individus. Les ambiances urbaines que vont dégager ces lieux en fonction de leurs équipements culturels sont pour Richard Florida « un des éléments majeurs de l’attractivité métropolitaine. »
Cependant, les théories récentes sur le rôle de la culture suscitent de grandes polémiques et de grands débats au sein du milieu de la recherche. Une des plus importantes controverse dans le milieu scientifique réside dans la relation entre la culture et la croissance économique (Florida, 2004). D’après les travaux de Max Weber, Edward Banfield et Daniel Bell, lesquels montrent que la culture influe sur la croissance économique en produisant des motivations incitant à l’effort, à l’économie et au travail soutenu, Richard Florida avance l’idée que « l’humain possède un potentiel créatif et que la clef de la croissance économique est de le découvrir et de le libérer.» Pour Alain Bourdin, «l’idée d’une interaction entre des acteurs de l’économie, de l’activité intellectuelle et de la création culturelle» développée par Richard Florida « est au moins digne d’intérêt » [Bourdin, 2005]. Cependant, la démarche de classification et de mesure du développement d’une ville de Richard Florida fait pour Marc Levine « preuve d’élitisme et Florida confond les causes et les conséquences de la croissance. » Il fonde toute son étude sur les « 3T », la technologie, la tolérance et le talent, qui s’appuie sur cinq indices, la haute technologie, soit le pourcentage d’exportations des biens et services liés à la haute technologie, l’indice d’innovation qui décompte les brevets, l’indice de population gaie, qui démontre la tolérance d’une ville, l’indice de talent ou le pourcentage de population ayant au minimum un baccalauréat et enfin l’indice bohémien qui représente la part d’artistes et de créateurs dans la population. Robert Cushing dénonce dans cette classification « la mesure d’un capital créatif qui permet de mieux prédire l’innovation et la croissance que les mesures du capital humain». Pour Ronald Inglebart, politologue étudiant les liens entre croissance économique et culture, une ville est attractive par les attraits construits par l’homme. Pour Florida, la seule différence réside dans la manière de mesurer les compétences. Jusqu’alors, pour les économistes urbains, la compétence d’une personne est représentée par son éducation et ses différentes expériences aussi bien professionnelles que personnelles. Florida pense que cette compétence réside dans l’occupation du actuelle de la personne. N’est-il pas anecdotique de ne pas prendre en compte l’accumulation et l’exploitation continuelle du savoir humain ? Pour Robert Lucas, la croissance découle du capital humain et l’urbanisation est un élément déclencheur de l’innovation et de la productivité. Pour François Ascher, il est évident que « la classe créative est aujourd’hui une des ressources du développement économiques » et « un des principaux leviers du développement des villes compétitives aujourd’hui à l’échelle mondiale » [Ascher, 2009] en outre, il est indispensable de ne pas oublier les catégories les plus modestes et de penser la ville de demain avec tous ses acteurs. « La ville doit disposer des lieux qui attirent des gens différents et pour des raisons distinctes », « il faut des acteurs multifonctionnels et multisociaux ».
Le concept d’ambiance urbaine permet dans le projet Paris 2030 de voir s’il existe une relation entre les ambiances urbaines du Paris-Métropole et les profils socio-économiques des populations. Cependant, d’appréhender les ambiances urbaines et de les mesurer peut conduire à des problèmes de temporalité. En effet, comment peut-on définir une vision d’un espace dans le long terme alors qu’elle n’est qu’une perception des instants ? Les politiques d’aménagement du territoire prévoient aujourd’hui pour demain. Quelles mesures et quelles descriptions d’une ambiance urbaine à l’heure actuelle garantie son maintien et son existence future ? Les individus et les sociétés ne cessent d’évoluer et de se transformer. Les citadins étant acteurs principaux des espaces publics, les ambiances urbaines ne sont-elles pas elles aussi en perpétuelle évolution ? N’est-on pas alors confronté à un vrai problème de temporalité ?
Nouvelles théories urbaines sur les équipements
Représentation du paysage objet, perçu et vécu
Toute étude géographique constitue une étude de la relation entre l’Homme et son milieu. L’étude de la description des paysages a subit une évolution historique. Tout d’abord tournées vers le paysage objet, les recherches géographiques se sont limitées aux descriptions physiques des différents espaces et à leurs explications (Bailly, Ferras et Pumain, 1995). Dans le tournant culturel du XXème siècle, est née une approche représentative du paysage, le paysage perçu18 et l’espace vécu19. Les géographes ont alors distingué trois composantes spatiales d’un lieu, celle de la structure, définie par l’espace concret, « le paysage objet », celle de l’observation, qui correspond la vision du « paysage objet » en fonction du positionnement de l’observateur dans l’espace, « le paysage visible » et celle des significations sociales et culturelles, regroupant les processus cognitifs et subjectifs des représentations, « le paysage des représentations » [Partoune, 2004]. En effet, les études phénoménologiques des représentations individuelles et collectives ont mis en avant l’existence d’un monde matériel d’une part et, d’autre part, celui d’une confrontation au sensible où l’individu donne sens à l’espace. Dès lors, le paysage n’est plus considéré comme seul « support de vie » des individus mais comme production des sociétés dont les représentations divergent selon les idéologies, « le paysage est un système qui chevauche le naturel et le social » [Bertrand, 1978]. Le paradigme des espaces perçus et vécus conduit donc à la double prise en compte d’une part conceptuelle des connaissances et d’une part affective des représentations (Bailly, 1995). « Le coeur perçoit ce que l’oeil ne voit pas » (Al-gazal).
Désormais les représentations individuelles et collectives sont très importantes dans la recherche géographique qui tente de décrypter les complexités d’un espace. Des représentations collectives et/ou individuelles, le géographe doit faire la part entre une perception égocentrée et anégocentrée [Bailly, 1995]. En effet, la perception d’un espace s’effectue au travers de plusieurs « filtres »20, porteurs de valeurs individuelles et collectives, regroupés sous le filtre familial et individuel (âge, sexe, nombre d’enfants…), le filtre socio-éco-politique ou culturel (éducation, profession…) et le filtre d’appartenance à un groupe social (figure 6). L’espace doit donc être interprété dans sa dimension matérielle, fonctionnelle et cognitive.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
SOMMAIRE
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
CONTEXTE GEOGRAPHIQUE
CONTEXTE SCIENTIFIQUE
DEUXIEME PARTIE
AMBIANCE URBAINE, APPROCHE QUANTITATIVE
TROISIEME PARTIE
ANALYSE SPATIALE ET STATISTIQUE
ANALYSE STATISTIQUE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
TABLES DES ILLUSTRATIONS
TABLE DES MATIERES
RESUME
ABSTRACT
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