Définition des histosols
Les histosols sont des sols composés majoritairement de matière organique accumulée sous des conditions très particulières (saturation en eau, anoxie, acidité…) à partir de résidus végétaux et animaux avec un taux de carbone organique minimal compris entre 12 % et 18 % selon la teneur en argile (Eswaran et al., 2003). Selon la FAO (2014), les histosols sont des sols caractérisés par une couche dont la teneur en matière organique est supérieure à 30 % sur au moins 40 cm de l’épaisseur du profil. La couche ou l’horizon avec de telles propriétés peu se présenter de manière continue ou discontinue. L’USDA (2014) définit les histosols comme étant des sols qui se forment à partir d’une dominance relative de la fraction organique par rapport à la fraction minérale. Dans cette classification, la règle générale est qu’un sol sans permafrost est classifié comme un histosol si la moitié ou plus des 80 cm supérieurs est organique. Dans ce sens, un sol est aussi considéré comme un histosol si les matières organiques reposent sur la roche ou remplissent partiellement des vides fragmentaires. Dans certains cas où la densité apparente est inférieur à 0.1 g/cm3, les trois quarts ou plus (et non la moitié) des 80 cm supérieurs doivent être de nature organiques.
L’eau
En conditions naturelles, il y a une forte corrélation entre le type de matériel végétal, son degré de décomposition et la circulation de l’eau dans un histosol. L’eau intervenant par sa composition et son niveau, en conditionnant d’abord l’installation des végétaux vivants, mais aussi en affectant la vitesse et le mode de décomposition des débris et restes organiques directement liés au degré d’anoxie (AFES, 2008). L’eau joue un rôle primordial dans la pédogenèse d’un histosol, par sa quantité, sa répartition annuelle, sa qualité chimique et sa circulation verticale et latérale. L’eau intervient quantitativement par son niveau moyen annuel, nécessairement proche de la surface en cas de formation actuelle d’histosols. L’amplitude et la fréquence des fluctuations de la nappe règlent le bilan entre la matière produite et la matière décomposée lors de périodes d’anoxie. Sous des conditions de saturation hydriques, les matériaux tourbeux peu transformés ont une teneur en eau comprise entre 85 % et 95 % (Richardson et Vepraskas, 2001).
Mise en pâture et assainissement
Les tourbes ont souvent été utilisées pour les activités agricoles (pâturage et fauche). Celles-ci entraînent une limitation des apports en matière sèche nécessaire à l’édification de l’horizon histique de surface. Par ailleurs, le piétinement des animaux modifie la structure des histosols en surface par fractionnement des fibres et tassement. Les pratiques agricoles changent le fonctionnement hydrique des histosols. Certains histosols sont utilisés pour la culture, après un apport de sable ou tout simplement après pompage de l’eau. Ce dernier cas a été étudié par Yule (2010) dans les tourbières de la forêt marécageuse indonésienne. Cette étude met le point sur l’assèchement de ces systèmes originaux provoquant un remplacement progressif par l’air des vides occupés initialement par l’eau conduisant à une disparition de l’asphyxie et une destruction de la tourbière. En conséquence de l’élimination progressive de l’eau liée, les matières organiques s’oxydent et se restructurent et un phénomène de subsidence intervient. Dans le cas d’un horizon fibrique (Hf) (sphaignes, bois), il y a également fractionnement des fibres ; dans le cas d’un horizon saprique (Hs), il y a évolution des matières organiques (AFES, 2008).
Diagramme sporo-pollinique
Globalement, le diagramme pollinique issu de l’étude de la séquence sédimentaire d’Aïn-Boubrous (alt. 934 m) a beaucoup de traits communs avec des diagrammes issus d’études précédentes dans la même région notamment (StambouliEssassi et Roche, 2001). Dans le cas de Aïn-Boubrous, le diagramme reflète un paysage marqué par une chênaie mixte (suber-caduc) alternant entre phases d’ouverture et de densification. La forêt en question semble très dégradée au delà de 25 cm à 30 cm au profit d’un milieu herbacé ouvert dominé notamment par des herbacées et des Poacées. La régression de la forêt mixte s’accompagne également d’une régénération d’Erica et d’Ephedra ; deux taxons thermophiles qui caractérisent le paysage contemporain de la région méditerranéenne là où la chênaie mixte a reculé. (Stambouli-Essassi et Roche, 2002 ; Stambouli-Essassi et Roche, 2001).
Au moyen âge
Vers le début du 10ème siècle (au environ de l’an 900 A.D.), une période d’ascension de la température moyenne s’enclenche touchant l’hémisphère nord dont la région méditerranéenne, c’est la période chaude médiévale. Selon Reille et al. (1997), cette époque aurait favorisé l’extension du chêne à feuillage persistant en méditerranée occidentale, ce qui semble être le cas au Djebel El-Ghorra au niveau des moyennes altitudes (plus de 800 m). A cette époque, le paysage autour du dépôt tourbeux se caractérise par une forêt caducifoliée qui semble avoir entamé une phase de recul, le milieu est plutôt dominé par une strate herbacée formée par des Poacées et des Composées. Ces herbacées auraient occupé les parcelles non plus occupées par Quercus caduc mais, seraient également très présentes dans les prairies et les pelouses sommitales du Ghorra profitant des températures plus élevées. Par ailleurs, dans son étude réalisée dans le même secteur (coté tunisien) en 1995, Ben Tiba attribue l’ouverture de la forêt du Djebel El-Ghorra à cette époque au nomadisme des tribus bédouines et des pratique de Beni Hilal. Les mêmes conclusions ont été données par Stambouli-Essassi et Roche (2001) et Stambouli-Essassi et Roche (2002). Toutefois, cette hypothèse ne peut pas être vérifiée ici d’autant plus que les groupes humains en question n’ont pas occupé les zones montagnardes de la région (Brun, 1992). L’autre élément du paysage végétal est constitué de thermophiles à l’image d’Erica et Cistus vraisemblablement présentes de manière fragmentée. Alnus, taxon inféodé aux zones humides et bien arrosées, est timidement présent à cette période. Ce constat pourrait avoir un lien avec le réchauffement du climat à cette époque (Martin-Puertas et al., 2010; Calo et al., 2013) Pour ce qui est de la présence de l’Homme, cette période correspond à l’arrivée des tribus yéménites (Brun, 1992), qui succèdent aux byzantins eux-mêmes ayant succédé aux romains. Dans beaucoup de région à travers le bassin méditerranéen, l’époque romano-byzantine s’est marquée par la céréaliculture et l’oléiculture (Brun, 1992) dont l’indice est observé à la base de la carotte (Cerealia et Olea). Ces cultures étant délaissées par les tribus arabes qui ont préféré s’installer en plaine en professaient surtout le pâturage, ce qui expliquerait la disparition de Cerealia avec le départ des byzantins et dans une moindre mesure Olea. Vers l’an 1200 après J.C., le climat devient plus clément avec une baisse des températures; l’optimum médiéval est en phase de déclin. Cette période, qui dure entre 2 et 3 siècle, se traduit par un climat doux avec davantage de précipitation (Jalut et al., 2000 ; Martin-Puertas et al., 2010; Schutt, 2005; Julia et al., 2007). Au niveau du Djebel El-Ghorra, l’augmentation de la pluviométrie et la baisse des températures permet à la forêt caduque à moyenne altitude de s’étendre et de se densifier. Ce constat a déjà été fait par Stambouli-Essassi (2007) du coté tunisien du massif. La présence du chêne à feuillage persistant est limitée alors que les Poacéees, plus ou moins thermophiles, régressent au profit du chêne caduc. La régression des herbacées s’accompagne par une meilleure présence d’Osmunda et d’Isoète puis leur chute, ce qui constituerait une autre évidence en faveur d’une augmentation des précipitations et une sédimentation plus organique (Salamani, 1991). L’aune est un élément bien présent dans le paysage montagnard à cette époque, non sans rapport avec une hygrométrie et des températures favorables à l’extension de ce taxon. Les arbustes thermophiles progressent timidement. Ce nouveau paysage qui commencerait à se manifester vers l’an 1200 A.D., semble avoir été l’image de la végétation locale jusqu’à 1500-1600 après J.C.; période qui correspond au début de ce que les glaciologues appellent « Little Ice Age » ou « Petit âge de Glace », documenté par de nombreux travaux récents (Luthi, 2014 ; Kaniewski et al., 2011).
Conclusion
L’étude réalisée sur trois sites tourbeux et semi-tourbeux au niveau du Djebel El-Ghorra permet d’avoir des éléments précieux quant à la dynamique végétale de la région. L’indice d’humification apporte des informations importantes vis à vis des fluctuations hydriques dans les sols et des processus biologiques qui les accompagnent. Les conclusions obtenues suite à l’analyse de ce paramètre renseignent sur une alternance entre phases propices à la minéralisation (moins de précipitations, élévation de la température) et phases de freinage des processus de dégradation de la matière organique dans le sol (cas de l’asphyxie). Pour ce qui est des diagrammes polliniques des trois sites, une reconstitution (même non-exhaustive) de la paléovégétation peut être proposée pour essayer de situer la couverture végétale locale par rapport aux variations climatiques dans la région méditerranéenne. Dans le cas de Aïn-Boubrous, le diagramme pollinique reflète un paysage marqué par une chênaie mixte (suber-caduc) alternant entre phases d’ouverture et de densification. La forêt en question semble très dégradée au delà de 25 cm à 30 cm au profit d’un milieu herbacé ouvert dominé notamment par des herbacées et des Poacées. La régression de la forêt mixte s’accompagne également d’une régénération d’Erica et d’Ephedra ; deux taxons thermophiles qui caractérisent le paysage contemporain de la région méditerranéenne là où la forêt à chênaie mixte a reculé. (Stambouli-Essassi et Roche 2002 ; Stambouli-Essassi et Roche 2001). Le site de Kodiet H’sen se trouve à moins de 100 m d’altitude en dessous de Aïn-Boubrous. Le diagramme pollinique se caractérise par un segment totalement stérile en pollen et spores entre (-30 cm) et (-40 cm) ce qui n’a pas été observé pour les autres sites étudiés dans la même région (Stambouli-Essassi et Roche, 2001). En dessous de cette zone, le diagramme pollinique reflète un paysage dominé par des taxons herbacés et aquatiques où il y a absence quasi-totale des taxons arboréens. La chênaie mixte semble régénérer à -30 cm avec apparition d’Alnus ce qui pourrait suggérer que les conditions hydriques étaient favorable non seulement à la prolifération de la chênaie mais aussi à la progression d’autres taxons révélateurs de conjonctures humides comme Alnus (Stambouli-Assassi, 2007). Le diagramme indique aussi que le paysage actuel est caractérisé par une prévalence d’Erica et d’Ephedra comme c’est le cas pour le site précédent (Aïn-Boubrous). Pour ce qui est de l’empreinte anthropique, la présence d’Olea à la base de la séquence avec Cerealia-type pourrait renseigner sur une présence de l’homme à la période correspondante (indéterminée en l’absence de datation). Pour les couches superficielles, l’expansion d’Olea concomitante avec d’autres taxons arborés pourrait être attribuée à une variation climatique ou à une intensification d’origine anthropique ou les deux à la fois (Brun, 1992). L’investigation palynologique du sédiment extrait à partir du site de GbarHalouf situé au niveau du Djebel el Ghorra a permis la reconstitution d’une brève partie de l’histoire de la végétation locale. Au cours du denier millénaire, la chênaie caduque est l’élément marquant du paysage floristique et alterne entre des périodes de progression et de recul se traduisant par une forêt dense ou fragmentée. Ces fluctuations dans le recouvrement du Chêne caduc semblent se déclencher en même temps que des variations climatiques majeures ayant laissé leurs empreintes sur la région méditerranéenne telles que l’optimum médiéval et le petit âge de glace. Si la période médiévale chaude semble avoir freiné le développement de la chênaie caduque au profit d’un milieu ouvert dominé par les herbacée, le climat propice lors du petit âge de glace serait à l’origine d’une période d’extension et de densification de la forêt entre 550-450 B.P et 200-100 B.P.. La régression de tous les taxons arborés à la fin du Petit Âge de glace pourrait être imputée à une courte période de sécheresse ayant favorisé l’extension d’espèces thermophiles à l’image d’Artemisia et d’Ephedra au détriment de la forêt caduque plus exigeante en humidité. Bien que cette hypothèse soit avancée avec beaucoup de prudence, il y a lieu de noter qu’elle est soutenue par les résultats de l’indice d’humification dont les valeurs sont maximales à ce niveau du sédiment. La végétation moderne au niveau du site de Gbar-Halouf est de plus en plus dominée par des arbustes thermophiles tels que Erica et Cistus et même Quercus suber modestement exprimé antérieurement. Nous pensons qu’un tel faciès de la végétation récente et contemporaine est une conséquence du réchauffement climatique que connait notre ère quelqu’en soit les causes naturelles ou artificielles. Ce réchauffement affecte surtout les espèces hygrophiles comme c’est le cas d’Alnus, qui régresse puis disparait complètement du sédiment et n’est plus un élément du paysage floristique de la région d’étude. Ce travail, est une tentative de reconstitution de l’histoire de la végétation des montagnes du P.N.E.K. et de l’Algérie. D’autres travaux doivent être envisagés dans ce sens pour palier au manque de données paléo-écologiques de la région afin de permettre de mieux comprendre le paléoclimat de cette partie de la région méditerranéenne et la dynamique végétale qui leur est liée
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Table des matières
Introduction
Chapitre I- Synthèse Bibliographique
1. Rappel sur les sols hydromorphes
1.1 Morphologie des sols des zones humides
1.1.1. Les traits rédoxiques
1.1.2. Les traits réductiques
1.1.3. Les traits histiques
1.2 Définition des histosols
1.3 Genèse des histosols
1.3.1 Condition de formations
1.3.2 Processus de formation des histosols
1.4 Localisation et évolution des histosols
1.5 Histoire
1.6 Constituants des histosols
1.6.1 La matière organique
1.6.2 La teneur en fibre
1.6.3 Débris décomposés
1.6.4 L’eau
1.7 Typologie des histosols
1.7.1 Les histosols fibriques
1.7.2 Les histosols mésiques
1.7.3 Les histosols sapriques
1.7.4 Les histosols composites
1.7.5 Les histosols leptiques
1.8 Intérêts des Histosols
1.8.1 Mise en pâture et assainissement
1.8.2 Utilisation horticole des tourbes
1.9 Importance et conservation des Histosols
1.9.1 Protection des archives naturelles
1.9.2 Fonction environnementale
2. Analyse pollinique de sédiments
2.1 Définition
2.2 Principes et fondements
2.3 Détermination des taxons
2.4 Limite chronologique de l’analyse pollinique des sédiments
2.5 Le diagramme pollinique
2.5.1 Extraction du matériel sporo-pollinique
2.5.2 La datation
2.5.3 La zonation
2.6 Interprétation des résultats
Chapitre II- Matériels et Méthodes
1. Cadre de l’étude
1.1 Le Park National d’El-Kala (PNEK)
1.2 Situation géographique
1.3 Données géomorphologiques
1.4 Données Pédologiques
1.4.1 Les sols dunaires
1.4.2 Les sols inter-collinaires
1.4.3 Les sols des milieux forestiers
1.5 Données géologiques
1.5.1 Le secondaire
1.5.2 Tertiaire
1.5.3 Le Quaternaire
1.6 Le réseau hydrographique
1.7 Données climatiques
1.7.1 La température
1.7.2 Les précipitations
1.7.3 L’hygrométrie
1.7.4 Le vent
1.8 Synthèse climatique
1.8.1 Diagramme ombrothermique
1.8.2 Climatogramme d’Emberger
1.9 La flore et la faune
2. Présentation des sites d’étude
2.1 Gbar-Halouf
2.1.1 Description générale
2.2 Aïn-Boubrous
2.2.1 Description générale
2.3 Kodiet H’sen
2.3.1 Description générale
3. Démarches expérimentales
3.1 Echantillonnage
3.2 Sondage
3.3 Analyse au laboratoire
3.3.1 Description morphologique
3.3.2 Analyses physicochimiques
3.3.3 Extraction du matériel sporo-pollinique
3.4 Radio-Datation
3.5 Diagramme sporo-pollinique
3.6 Analyses statistiques
Chapitre III Résultats et interprétation
1. Site de Gbar-Halouf
1.1 Résultats de la datation au 14C
1.2 Résultats des paramètres physico-chimiques
1.3 Le diagramme sporo-pollinique
2. Site de Aïn-Boubrous
2.1 Paramètres physicochimiques
2.2 Diagramme sporopollinique
3. Site de Kodiet H’sen
3.1 Paramètres physicochimiques
3.2 Diagramme Sporopollinique
Chapitre IV- Discussion et essai de dynamique végétale du Djebel Ghorra
1. Site de Gbar-Halouf
1.1 L’indice d’humification
1.2 Diagramme sporo-pollinique
2. Site de Aïn-Boubrous
2.1 Indice d’humification
2.2 Diagramme sporo-pollinique
3. Kodiet H’sen
3.1 L’indice d’humification
3.2 Diagramme sporo-pollinique
4. Essai de dynamique végétale du Djebel El-Ghorra
4.1. Au moyen âge
4.2. De 1400-1500 B.P. jusqu’à 1800-1850 B.P.
4.3. De la fin du 19ème siècle jusqu’à nos jours
Conclusion
Références bibliographiques
Résumés
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