La conception de structures complexes dans l’industrie aéronautique, aérospatiale, ou automobile nécessite actuellement une grande quantité d’essais mécaniques expérimentaux afin de comprendre leur comportement et leur tenue en service ; ces essais mécaniques sont très coûteux. Une des tendances actuelles vise à remplacer une partie des essais par des simulations numériques (Virtual Testing) afin de réduire les coûts et temps de développement de nouveaux produits. Dans ce contexte, on observe une évolution de l’intérêt pour les nouvelles méthodes de calcul numérique. Parmi les méthodes les plus avancées, l’Analyse IsoGéométrique (AIG) constitue une alternative intéressante car elle permet d’utiliser les fonctions de la Conception Assistée par Ordinateur (CAO) directement pour faire le calcul . Cette méthode est performante car elle offre une meilleure précision et robustesse par degré de liberté comparée à la Méthode des Éléments Finis (MEF) classiquement utilisée.
Malgré l’engouement de la communauté scientifique pour cette méthode, son développement dans des codes industriels reste à ce jour assez limité et est encore intrusif ce qui en limite son utilisation massive dans le domaine industriel. En effet, les fonctions de forme NURBS utilisées dans l’AIG ne sont pas compatibles avec la structure élémentaire des codes Eléments Finis (EF) classiques. Par ailleurs, l’AIG capture difficilement les phénomènes physiques localisés (telles que de la plasticité, du contact ou encore de l’endommagement), à cause de la mise en place complexe du remaillage local, et ne permet pas de représenter parfaitement des solutions singulières. D’autre part, une approche naturelle pour prendre en compte les phénomènes localisés, en optimisant le temps de calcul, est de limiter la modélisation complexe dans une zone d’intérêt et de considérer des modèles plus simples loin du phénomène d’intérêt.Parmi les nombreuses méthodes multi-échelles développées, le couplage local-global non-intrusif est un outil performant qui permet de réaliser des modifications locales dans le modèle existant (en terme de raffinement de maillage, introduction de phénomène local lié à la géométrie ou au comportement matériau…) sans modifier les opérateurs globaux initiaux .
Analyse isogéométrique : définition et comparaison avec la méthode des éléments finis
Introduction à l’analyse isogéométrique
Dans cette partie, un ensemble d’informations sur l’analyse isogéométrique nécessaire pour la compréhension de la suite du manuscrit est rappelé. Plus de détails sont disponibles dans [44,82]. Dans cette thèse, les paramétrisations B-Splines et NURBS des exemples traités sont considérées comme connues ; pour aller directement de la CAO à une représentation adaptée à une analyse par l’AIG se référer par exemple à [3].
Bases de l’analyse isogéométrique
Vecteurs noeuds et B-Splines
Les fonctions B-Splines sont définies à l’aide d’un vecteur-nœud Ξ = n ξ1, ξ2, …, ξn+p+1o. Ce dernier est constitué de coordonnées paramétriques ξi rangées dans l’ordre croissant, p étant le degré polynomial de la B-Spline et n le nombre de fonctions associées. Les nœuds ξi divisent l’espace paramétrique en éléments (ou « knot-span » en terminologie IG) et l’intervalle [ξ1; ξn+p+1] forme le patch isogéométrique. Par ailleurs, le vecteur-nœud est dit uniforme quand tous les nœuds sont uniformément espacés. Si le premier et le dernier nœud ont une multiplicité de p+ 1, alors le vecteur-nœud est dit ouvert. Dans ce cas, les fonctions sont interpolantes aux bords du patch IG ce qui facilite l’application des conditions aux limites. C’est pour cette raison que dans l’utilisation courante de l’AIG et dans la suite de nos travaux, seuls des vecteurs nœuds ouverts sont utilisés.
Les cas étudiés sont principalement de degré p supérieur ou égal à 2 afin que les fonctions de forme se différencient de celles des éléments finis classiques. En général, une fonction de degré p aura p−1 dérivées continues aux différents noeuds. Par ailleurs, si un nœud ξi a une multiplicité mi, alors le nombre de dérivées continues diminue de mi.
Méthodes de raffinement
Grâce à l’analyse isogéométrique, il est facile de raffiner globalement le maillage tout en conservant la géométrie de départ. La supériorité de l’approche par rapport aux EF traditionnels s’explique en majeure partie grâce à cette propriété. Il existe deux techniques de raffinement qui ne modifient pas la géométrie et la paramétrisation initiales :
— L’élévation de degré : le degré des fonctions de forme utilisé pour décrire la géométrie est augmenté ce qui entraîne, afin de conserver la régularité de l’espace initial, l’augmentation de la multiplicité de chaque nœud. Cette technique de raffinement s’apparente à celle du p-raffinement éléments finis permettant l’élévation de degré de fonctions C0.
— L’insertion de nœud : un ou plusieurs nœuds sont insérés dans le vecteur nœud initial. La continuité au niveau du nœud inséré est C p−1 s’il est n’inséré qu’une seule fois. Cette technique de raffinement s’apparente à celle du h-raffinement éléments finis si le nœud est inséré suffisamment de fois de sorte que la régularité des fonctions soit C0 en ce nœud.
Une type de raffinement supplémentaire émerge de ces deux précédentes techniques et est couramment appelée le k-raffinement. Il consiste en l’élévation de degré de p à q sur l’ensemble de la géométrie (grossière), puis en l’insertion d’un nœud interne ¯ξ une seule fois qui aura ainsi q − 1 dérivées continues.
Remarque Les fonctions de base multi-dimensionnelles sont définies par un produit tensoriel pour des géométries de dimension supérieure à deux. Ainsi il n’est pas possible de raffiner un seul élément de l’espace paramétrique sans propager ce raffinement à l’ensemble du maillage. Des techniques se basant sur les fonctions B-Splines mais qui ne sont pas définies par produit tensoriel dans l’espace considéré ont été développées. Parmi elles on trouve les B-Splines hiérarchiques [54, 76, 145, 151], les LRB-Splines [49] ou encore les T-Splines .
Analyse isogéométrique versus méthode des éléments finis
L’idée principale de l’analyse isogéométrique est de modéliser exactement la géométrie avec des fonctions qui servent à approximer la solution. la différence majeure entre les deux méthodes : pour la MEF la base d’approximation donne la géométrie tandis qu’avec l’AIG la base d’approximation découle directement de la géométrie. Même si la philosophie du calcul reste similaire à une étude éléments finis, des modifications conséquentes sont à prévoir dans la routine même du code en particulier car les points de contrôle analogues aux nœuds ne sont pas forcément interpolants et les fonctions de forme NURBS sont définies de façon globale (support élargi).
Exemple d’une résolution isogéométrique
Afin d’expliquer rapidement le principe de l’analyse isogéométrique, on étudie une poutre circulaire avec deux éléments dans la direction de l’arc et seulement un élément dans l’autre direction. Cet exemple est utilisé dans la suite du manuscrit pour expliquer notre approche pour relier l’AIG et la MEF.
La méthode de résolution IG est similaire à celle des éléments finis. Cependant, la définition des fonctions de forme se faisant dans le domaine paramétrique qui recouvre tout le domaine et pas seulement un élément, la quadrature de Gauss est faite dans l’espace parent ce qui ajoute une transformation entre l’espace paramétrique et l’espace parent. L’assemblage des opérateurs se fait alors en utilisant la table de connectivité NURBS, communément appelé IEN (Internal entry number), qui est directement établie à l’aide des vecteurs nœuds et de l’ordre des polynômes. Cette table associe à un élément le numéro des fonctions globales IG non-nulles sur celui-ci.
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Table des matières
Introduction
I État de l’art
1 Analyse isogéométrique : définition et comparaison avec la méthode des éléments finis
1.1 Introduction à l’analyse isogéométrique
1.1.1 Bases de l’analyse isogéométrique
1.1.1.1 Vecteurs noeuds et B-Splines
1.1.1.2 Fonctions Non-Uniform Rational B-Splines
1.1.1.3 Méthodes de raffinement
1.1.2 Analyse isogéométrique versus méthode des éléments finis
1.1.3 Exemple d’une résolution isogéométrique
1.2 Lien entre l’analyse isogéométrique et la méthode des éléments finis
1.2.1 Décomposition de Bézier
1.2.2 Fonctions de Bernstein
1.2.3 Opérateur d’extraction de Bézier
2 Approches multi-échelles
2.1 Etat de l’art des méthodes de calcul multi-échelles
2.1.1 Méthodes multi-échelles micro/macro
2.1.2 Méthodes de couplage avec transfert d’information à l’interface
2.1.3 Méthodes non-intrusives
2.2 Principe des méthodes de couplage
2.2.1 Problème de référence
2.2.2 Résolution couplée classique
2.2.3 Résolution couplée non-intrusive
3 Évaluation de la qualité d’une solution couplée
3.1 Estimation de l’erreur pour les calculs multi-échelles
3.1.1 Introduction à la notion d’erreur
3.1.2 État de l’art des méthodes de certification des méthodes multi-échelles
3.1.3 Estimation d’erreur de couplage non-intrusif
3.2 Technique d’estimation d’erreur en quantité d’intérêt
3.2.1 Quantité d’intérêt et problème adjoint
3.2.2 Estimation de l’erreur en quantité d’intérêt par la méthode des résidus
3.2.3 Estimation de l’erreur en quantité d’intérêt par l’erreur en relation de comportement
3.2.3.1 Fonctionnelle ERC
3.2.3.2 Application de l’ERC sur une quantité d’intérêt
II Couplage entre l’analyse isogéométrique et la méthode des éléments finis
4 Implémentation de l’analyse isogéométrique dans un code éléments finis
4.1 Extraction de Lagrange
4.1.1 Des polynômes de Lagrange aux polynômes de Bernstein
4.1.2 Lien direct entre les fonctions Lagrange et B-Splines
4.1.3 Extraction dans le cas des Non-Uniform Rational B-Splines
4.1.4 Implémentation de l’extraction de Lagrange
4.1.4.1 Dans le cas NURBS
4.1.4.2 Dans le cas B-Spline
4.2 Stratégie non-intrusive développée
4.2.1 Principe
4.2.2 Approximation simple
4.2.3 Autres approximations possibles
4.2.4 Limite de la méthode
4.3 Implémentation non-intrusive dans le cas non-linéaire
5 Résultats numériques de l’implémentation
5.1 Cas-test linéaires
5.1.1 Arc circulaire en dimension 2
5.1.2 Coque 3D
5.1.2.1 Cylindre pincé
5.1.2.2 Hémisphère pincé
5.1.3 Pièce massive 3D
5.2 Cas-test non-linéaire
5.2.1 Besoins pour l’implémentation dans Code_Aster
5.2.2 Application à l’élasto-plasticité
6 Vers un couplage AIG/MEF automatique
6.1 Utilisation du lien AIG/MEF pour le couplage
6.1.1 Séparation global-local
6.1.2 Formulation du couplage et des opérateurs de Mortar
6.2 Exemple d’application du couplage IG/EF
III Certification et pilotage des stratégies de couplage non-intrusif
7 Outils de vérification basés sur les résidus d’équilibre pondérés
7.1 Méthode des résidus pondérés dans le cadre du couplage non-intrusif
7.1.1 Formulation faible du couplage pour l’estimation d’erreur
7.1.2 Estimateur d’erreur en résidus pour un problème couplé
7.2 Stratégie d’adaptation
7.2.1 Définition des indicateurs d’erreur
7.2.2 Implémentation des indicateurs d’erreur
7.2.3 Procédure d’adaptation
8 Application numérique de l’erreur en résidus
8.1 Poutre en traction en dimension 1
8.1.1 Définition des problèmes primal et adjoint
8.1.2 Estimation de l’erreur globale de couplage
8.1.3 Procédure d’adaptation
8.1.3.1 Déplacement moyen en bout de poutre
8.1.3.2 Autres quantités d’intérêt
8.2 Plaque en traction avec inclusion locale d’affaiblissements
8.2.1 Variation homogène du Module de Young
8.2.1.1 Affaiblissement faible
8.2.1.2 Affaiblissement fort
8.2.2 Variation hétérogène du Module de Young
8.3 Plaque trouée en flexion
8.3.1 Quantité d’intérêt en déplacement
8.3.2 Quantité d’intérêt en contrainte
9 Vers une procédure d’adaptation basée sur l’erreur en relation de comportement
9.1 Principe de l’erreur en relation de comportement pour un couplage non-intrusif
9.1.1 Construction d’une famille de solutions approchées
9.1.2 Estimation d’erreur basée sur l’ERC pour un couplage non-intrusif
9.1.3 Indicateurs d’erreur basés sur l’ERC et adaptation
9.1.4 Modification de la procédure d’équilibrage avec un couplage non-intrusif
9.2 Application de l’adaptation basée sur l’ERC
9.2.1 Comportement linéaire dans la zone locale
9.2.2 Comportement non-linéaire dans la zone locale
Conclusion