Le poids et les actions des syndicats en France paraissent de plus en plus contestés. Plusieurs constats semblent expliquer à la fois l’affaiblissement du syndicalisme et le rôle de plus en plus accentué de l’État sur les droits sociaux des travailleurs : une culture de l’affrontement, un pluralisme syndical qui divise, une représentativité des syndicats toujours plus faible et un État toujours plus interventionniste.
L’opposition « État versus Syndicats » est d’autant plus d’actualité avec les nouvelles régulations intervenant dans le secteur des transports et des mobilités. Le débat semble aujourd’hui complètement cristallisé entre l’exécutif et les syndicats, ces derniers se positionnant comme de réels contre-pouvoirs à l’encontre de la majorité présidentielle. En atteste cette citation d’Emmanuel Macron qui, en mars 2017, soit peu avant son élection, a apporté sa propre définition du rôle des partenaires sociaux : « Je souhaite un syndicalisme moins politique. On a besoin de corps intermédiaires, mais à la bonne place (…) Je fais confiance aux syndicats pour réguler les relations de travail dans la branche et l’entreprise. Mais ils ne doivent pas se substituer aux détenteurs de l’intérêt général » . Emmanuel Macron redéfinit donc les contours des possibilités d’action et d’influence des corps intermédiaires. Autrement dit, les syndicats n’auraient pas à intervenir dans le processus même de la décision politique à l’échelle nationale. Il est vrai qu’en droit social, la jurisprudence distingue « l’intérêt collectif de la profession » selon lequel les syndicats peuvent agir en justice (art. L. 2143-3 du Code du travail), de l’intérêt général, duquel les syndicats ne peuvent pas agir en justice. Rappelons néanmoins que la définition d’Emmanuel Macron de l’intérêt général peut être biaisée, notamment vis-à-vis de la notion polysémique et ambivalente de l’ « intérêt général», qui ne peut se réduire à son aspect idéologique de légitimation de l’action des pouvoirs publics.
La définition d’Emmanuel Macron a alors été particulièrement critiquée par le monde syndical, en atteste la réaction de François Hommeril, président de la CFE-AGC : « Pour l’exécutif, le dialogue social est une langue étrangère » .
Le dialogue social est pourtant censé être au cœur des relations entre syndicats et décideurs publics. Les projets ou propositions de loi concernant le monde de l’entreprise sont généralement envisagés suite à plusieurs processus de consultation et de négociation avec les partenaires sociaux. Pourtant, à la base de ces négociations, ce que l’on appelle les situations d’incommunication ou d’acommunication sont récurrentes. L’incommunication est définie comme « une communication qui débouche sur le sentiment partagé de ne pas arriver à se comprendre (insatisfaction) ou sur la croyance que l’on est parvenu à se comprendre alors qu’il n’en est rien (malentendu) » selon Eric Dacheux , chercheur en communication. Ces situations d’incommunication peuvent aisément se refléter dans le fait qu’à l’issue des négociations collectives, rares sont les syndicats satisfaits des propositions, ce qui explique alors, par exemple, l’émergence de grèves. Ces incommunications mènent aussi à d’autres formes d’expression, à l’image des mouvements sociaux et mobilisations collectives qui se sont tenues en France de décembre 2019 à février 2020 dans le cadre de la réforme des retraites. En ce sens, les situations d’incommunication sont vectrices de nouvelles formes communicationnelles, a priori moins institutionnelles que celles encadrées par le politique ou par le droit social. Eric Dacheux distingue, de plus, la situation d’acommunication définie comme « une relation humaine de partage de sens qui s’inscrit dans une durée et dans un contexte donné entre altérités radicales mais qui refuse l’égalité (un ordre hiérarchique, par exemple) et/ou refuse la liberté de l’autre, que ce refus soit explicite (une interdiction, par exemple) ou implicite (on parle alors de manipulation) » . De même, cette situation peut tout aussi bien refléter les relations entre syndicats et pouvoirs publics, et entre syndicats et directions d’entreprises.
Somme toute, notre situation initiale qui interroge les relations entre syndicats et décideurs publics semble nous amener à un triptyque communicationnel. D’une part, une incommunication, dans le sens où le sentiment de ne pas arriver à se comprendre, pour une partie comme pour l’autre, est bien souvent mise en avant dans le discours de chacun. D’autre part, une situation de non-communication, car le désaccord prévaut bien souvent dans les relations entre les deux parties, menant alors à des manifestations de mécontentement de la part des syndicats. Enfin, une situation d’acommunication, car nous pouvons facilement supposer que l’ordre hiérarchique a son importance au sein des instances de négociation. Ce triptyque communicationnel a contribué à mettre en avant sur le plan médiatique la notion de « crise syndicale ». Du grec « krisis », qui est « l’action ou la faculté de distinguer », autrement dit la décision, et issu du lexique du théâtre et de la tragédie où il représente le moment paroxystique où l’acteur doit faire un choix face à son dilemme, le terme « crise » est aujourd’hui toujours utilisé pour représenter le moment de la décision. Nous entendons par le terme de « crise syndicale », une cristallisation du conflit entre décideurs publics et syndicats. En ce sens, les capacités d’influence des syndicats – leur capacité à faire entendre leurs préconisations et requêtes – sont en forte baisse. Ainsi, la part des partenaires sociaux dans le processus de décision serait fortement amoindrie. Mais nous entendons aussi bien évidemment, par le terme de « crise syndicale », une baisse de la représentativité des syndicats en France, importante depuis les années 1970. En effet, près de 20% des salariés étaient syndiqués à la fin des années 1970, contre 8% en 2016. Cette baisse des adhésions concernent tous les syndicats, même si les confédérations de cadres sont moins touchées.
Néanmoins, il nous paraît important de préciser que représentativité et influence sont deux notions à distinguer. D’après Dominique Andolfatto , nous sommes passés en France d’un syndicalisme d’adhérents à un syndicalisme de militants, puis de professionnels. Du fait du plus grand nombre de permanents syndicats, et donc de professionnels, au sein de l’ossature des organisations syndicales, ces dernières peuvent continuer à être influentes malgré la baisse du nombre d’adhérents. Paradoxalement, plus la professionnalisation des syndicats s’intensifie, et plus la désyndicalisation est forte, toujours selon Dominique Andolfatto. Selon l’auteur, « le syndicalisme n’est pas en crise, un nouveau modèle s’est imposé » , selon lequel les syndicats garderaient leurs positions de partenaires et d’interlocuteurs dans la négociation politique ainsi qu’une reconnaissance médiatique importante. Cette conclusion nous permet alors de nuancer la grande question de « crise syndicale » et de considérer l’influence des syndicats comme non négligeable dans différents espaces publics.
De cette « crise syndicale », particulièrement mise en avant par les détracteurs du syndicalisme, nous pouvons donc nous demander légitimement quel est réellement aujourd’hui le ressort politique des syndicats en France, et particulièrement dans le secteur des transports. Notre objet de recherche portera effectivement sur le lobbying syndical des mobilités auprès des décideurs publics dans le cadre de la réforme des retraites. Ce sujet de recherche est né à la suite de plusieurs éléments de réflexion. D’une part, l’année 2019 – 2020 a été le théâtre de la plus longue grève de l’histoire en France, élément symbolique de notre année d’apprentissage professionnel à la SNCF en tant que Chargée de Relations Institutionnelles. D’autre part, plusieurs discussions et débats dans la sphère professionnelle et personnelle nous ont permis de développer certaines convictions par rapport au monde syndical et à la réforme des retraites et de constater que ces deux sujets désintéressent de manière générale la jeune génération.
Quelques éléments de définition sont néanmoins à apporter pour aborder l’angle de notre recherche. Par lobbying, nous privilégierons une définition englobante et simple comme celle développée par Transparency France qui comprend « toute communication, écrite ou orale, entre un représentant ou un groupe d’intérêts et un décideur public dans le but d’influencer une prise de décision ». Cette définition nous permet de cadrer notre sujet en désignant la cible du lobbying syndical : les décideurs publics, qui caractérisent l’ensemble des personnes pouvant jouer un rôle dans le processus politique de décision ou dans la définition même des politiques publiques. Ces décideurs publics englobent donc l’ensemble des élus locaux et nationaux, mais aussi leurs conseillers, les membres de la haute administration, du gouvernement…
La forte particularité des syndicats de salariés dans le champ du lobbying (notamment par rapport aux entreprises privées) est clairement d’être sollicités par les décideurs publics autant qu’ils les sollicitent. En effet, un syndicat n’est pas un lobby comme les autres car il fait partie intégrante du système en tant que tel, présent dans nombre de commissions consultatives et autres instances paritaires. Un syndicat, par définition juridique, est une association de personnes destinée à la défense de leurs intérêts professionnels communs. En droit du travail, il existe des syndicats d’employeurs et des syndicats de salariés. Le statut juridique des syndicats professionnels est régi par les dispositions des articles L411- 1 et suivants du Code du Travail. Précisions que par syndicat, nous pouvons aussi entendre des fédérations professionnelles en chargé de la représentation de tel ou tel secteur, de tel ou tel métier, que nous ne traiterons pas dans notre analyse. Nous nous concentrerons ici sur les syndicats de travailleurs, de salariés. En France, la réforme des retraites peut être érigée en modèle du genre du lobbying syndical. Cette réforme a remis sous les projecteurs les syndicats en France, les positionnant comme partie prenante non seulement sur le champ politique, mais aussi sur le champ médiatique et auprès de l’opinion publique.
En effet, les discussions se sont poursuivies pendant près d’un an, et en date d’août 2020, ne sont toujours pas terminées. Il s’agit d’une réforme particulièrement contestée par le monde syndical, et pour laquelle l’opinion publique s’est particulièrement mobilisée. L’impact des grèves dans le secteur ferroviaire, à la RATP et à la SNCF, a été central dans cette réforme. En effet, la suppression de certains régimes spéciaux, dont ceux de la RATP et la SNCF, est l’une des mesures phares de cette réforme par points des retraites. Pour ce fait, nous nous sommes donc tout particulièrement intéressés au secteur des transports, et au syndicat de l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) qui a occupé une place particulière lors des débats.
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Table des matières
I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME