La compétition sur le marché aéronautique dépend d’enjeux à la fois économiques et écologiques tels que la réduction des coûts, de la masse embarquée et de la consommation de carburant. C’est pourquoi, depuis son origine, l’industrie aéronautique est à la recherche de nouveaux matériaux plus légers aux propriétés thermomécaniques élevées. Dans ce contexte, l’emploi de matériaux composites constitués de matrice organique renforcée par des fibres de verre ou de carbone (CMO) n’a cessé de progresser, dans le but de remplacer peu à peu les matériaux métalliques. D’abord conçus pour la fabrication de pièces de structure (ailes, queue, fuselage), les CMO sont maintenant envisagés pour des applications dans des environnements thermochimiques de plus en plus sévères, comme les zones proches des sources de chaleur (environnements de moteur d’avion).
Actuellement, les matériaux composites utilisés dans l’aéronautique sont principalement constitué de matrices thermodurcissables, en général des résines époxy ou polybismaléimides, renforcées par des fibres de carbone longues ou continues. Cependant, ces matrices possèdent quelques désavantages, notamment en termes de recyclabilité. Au contraire, de par leur structure linéaire, les thermoplastiques peuvent être recyclés et réutilisés. De plus, l’utilisation de telles matrices faciliterait l’intégration de fonctions et l’assemblage par collage/soudage de pièces de même nature ou de natures différentes (hybridation). C’est pourquoi l’industrie aéronautique envisage actuellement les CMO à matrice thermoplastique pour des applications structurales.
Etude bibliographique
Le PEI (polyétherimide) et le PEEK (poly(éther éther cétone)) sont des polymères aromatiques thermoplastiques haute performance. Ils sont envisagés pour être utilisés en aéronautique comme matrice de structures composites renforcées par des fibres de carbone, exposées dans des conditions environnementales sévères, en particulier en environnement moteur. En effet, ils seront soumis à des cycles hygrothermiques complexes, dans une plage de températures s’étendant depuis la température ambiante jusqu’à 180 °C, et à des expositions prolongées de plusieurs heures à 180 °C à un taux d’humidité de l’ordre de 85 % RH.
C’est pourquoi, ce chapitre bibliographique se compose de deux grandes parties. Tout d’abord, la première partie traite des effets du vieillissement thermo-oxydant des deux matrices PEI et PEEK aux différentes échelles structurales pertinentes, à savoir moléculaire, macromoléculaire, morphologique et macroscopique. Ensuite, la seconde partie se concentre sur le vieillissement humide des matrices PEI et PEEK, ainsi que de ses conséquences sur les propriétés d’usage. Enfin, deux principales méthodes de prédiction de la durée de vie seront présentées : une approche empirique basée sur la loi d’Arrhenius, suivie d’une seconde mécanistique réduisant au maximum le nombre d’étapes empiriques. Cette dernière repose sur une analyse multi-échelle et multidisciplinaire de la cinétique de dégradation, et place la cinétique chimique au cœur de la modélisation.
Vieillissement thermique
De la matrice PEI
La dégradation thermique du PEI a été peu étudiée dans la littérature, principalement à l’état caoutchoutique à haute température supérieure à 300°C. Quelques études ont également été réalisées en dégradation photochimique à 60 °C. Cependant, le PEI étant constitué entre autre d’un motif bisphénol A, nous nous intéresserons aussi aux travaux réalisés sur le polycarbonate et ses dérivés. En effet, la dégradation thermique et photochimique de ces derniers a plus largement été étudiée dans la littérature. Nous élargirons également le champ de recherches aux études menées sur d’autres types de polyimide, pour mieux comprendre la dégradation des groupes imides. Les modifications au cours du vieillissement ont été observées par plusieurs auteurs, aux échelles moléculaire, macromoléculaire et morphologique à l’aide de techniques d’analyse complémentaires. Les conséquences de ces modifications sur les propriétés mécaniques ont également été regardées.
Echelle moléculaire
Des modifications de composition chimique ont été détectées pendant le vieillissement thermique du PEI. Sur la base de ces observations, il a été conclu que la dégradation thermique du PEI serait amorcée par la coupure des liaisons plus vulnérables de la chaine macromoléculaire. Celle-ci peut avoir lieu au niveau des groupes CH3 mais aussi du groupe isopropyle de l’unité bisphénol A [1]–[3], au niveau des liaisons éther, entre les unités phényle et phthalimide, ou encore au niveau du groupe imide [2]–[8]. Selon Corres et al [1], l’étape initiale de décomposition est la coupure au niveau des liaisons C-CH3, qui possèdent l’énergie de dissociation la plus basse de la chaine polymère : Ed(C-CH3) = 251 kJ.mol-1. Les autres coupures se font ensuite de façon aléatoire. Ces ruptures de chaine, observées aussi bien sous atmosphère inerte que dans l’air pour différents polyimides, conduisent à la disparition des groupes éther (à 1250 cm-1), des atomes d’H des cycles aromatiques (vers 825 et 885 cm-1) et à la formation de groupes OH (vers 3500 cm-1) [5], [9]. La diminution de la bande d’absorption correspondant à la substitution des cycles imides (à 1500 cm-1) est également constatée par analyse IRTF [5]. A haute température, les coupures de chaine entrainent aussi la formation d’une grande variété de produits volatils. Ceux-ci ont été mis en évidence par analyse gravimétrique (ATG) ou pyrolyse couplée à la spectrométrie de masse (MS) ou la spectroscopie IRTF, ou encore par analyse MALDI-TOF. Il s’agit de CO et CO2 (entre 2100 et 2400 cm-1) , de H2O (entre 340 et 4000 cm-1), du méthane (CH4, attribué à 3015 cm-1) obtenu par élimination des groupes méthyle des unités de bisphénol A [1], [3], [8], ainsi que d’isocyanates (liaisons N=C=O entre 1000 et 2000 cm-1) provenant de la dégradation du cycle imide [8], [10]–[13]. A 850 °C, Perng [12] a aussi mis en évidence la formation d’aniline provenant de coupures au niveau du groupe imide hydrolysé par l’eau de décomposition du PEI (Figure I-1). La Figure I-2 représente les spectres infrarouges à transformée de Fourrier (IRTF) mettant en évidence la formation de plusieurs de ces produits pendant la pyrolyse du PEI dans l’air. Sont également détectés des composés de plus forte masse molaire contenant :
– le cycle phényle des groupes phthalimides substitué par H ou OH,
– des extrémités bisphénol A,
– des extrémités phthalimide ou anhydride phthalique.
Ces différents composés sont obtenus par rupture de la chaine macromoléculaire au niveau des unités diphényléthers et phényl-phthalimides, suivie par le transfert d’un hydrogène [2], [4], [14]. Enfin, la formation de benzène, de phénol et de dérivés alkyle benzène est également observée [2], [4], [5]. Des mécanismes réactionnels ont été proposés pour expliquer la formation de ces différents produits à partir de ruptures de la chaine macromoléculaire .
Echelle macromoléculaire
Des modifications de l’architecture macromoléculaire ont aussi été détectées par chromatographie par perméation de gel (GPC) et par mesure de la fraction soluble [2], [4], [5], [9], [15], [22], [23]. Pour des températures supérieures à 240 °C (soit à l’état caoutchoutique), les auteurs ont observés une augmentation de la masse moléculaire moyenne en poids Mw, ainsi que la formation d’un gel donc d’un résidu insoluble, aussi bien dans l’air qu’en atmosphère inerte. Cela traduit le fait que la réticulation est prédominante sur les coupures de chaine.
Echelle morphologique
Le PEI étant un polymère amorphe, il peut subir un vieillissement physique lorsqu’il est exposé à une température inférieure à sa température de transition vitreuse [24]. En effet, lorsqu’un matériau amorphe est refroidi de l’état liquide jusqu’à l’état vitreux, il n’est pas dans un état d’équilibre thermodynamique. Le matériau tente alors d’atteindre l’équilibre conformationnel. Ce processus est appelée « relaxation structurale ». Le réarrangement spatial des chaines macromoléculaires va entrainer une modification des propriétés macroscopiques à l’état vitreux, qui cesse lorsque l’état d’équilibre est atteint.
Le vieillissement physique du PEI a été étudié par plusieurs auteurs [25]–[32], entre 75 °C (≈ 140 °C en dessous de Tg) et Tg (≈ 215 °C). Une des techniques expérimentales la plus utilisée est la DSC, qui permet de mesurer l’enthalpie (H) du pic endothermique associé à la relaxation. Il apparait juste au-dessus de Tg [25]–[27], [30]–[32]. L’aire, la température ainsi que la hauteur du pic endothermique augmentent avec le temps de vieillissement, jusqu’à une valeur maximale correspondant à l’état d’équilibre (Figure I-13). La pente des courbes d’évolution de ΔH avec le temps de vieillissement donne accès à la vitesse de relaxation. La valeur maximale de l’enthalpie (ΔH∞) augmente lorsque la température de vieillissement diminue. En effet, plus on s’éloigne de la Tg, plus la mobilité moléculaire est faible et donc plus il faudra de temps au polymère pour relaxer et pouvoir adopter un état d’équilibre. Biddlestone et al [25] ont déterminé entre 184 et 209,5 °C l’énergie d’activation du temps nécessaire au PEI pour atteindre son état d’équilibre. Elle est de 1470 ± 300 kJ.mol-1 .
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
Introduction
I Vieillissement thermique
I.1 De la matrice PEI
I.1.1 Echelle moléculaire
I.1.2 Echelle macromoléculaire
I.1.3 Echelle morphologique
I.1.4 Echelle macroscopique
I.2 De la matrice PEEK
I.2.1 Echelle moléculaire
I.2.2 Echelle macromoléculaire
I.2.3 Echelle morphologique
I.2.4 Echelle macroscopique
II Vieillissement humide
II.1 Propriétés de transport de l’eau
II.1.1 Mécanismes de sorption d’eau
II.1.2 Cinétique de diffusion
II.1.3 Lien avec la structure chimique du matériau
II.1.3.1 Interactions eau – groupe polaire
II.1.3.2 Impact de l’hydrolyse sur l’hydrophilie
II.1.3.3 Impact du vieillissement thermique sur l’hydrophilie
II.2 Conséquences du vieillissement humide sur les propriétés d’usage
II.2.1 Gonflement et plastification
II.2.2 Effet sur les propriétés mécaniques
III Prédiction de la durée de vie
III.1 Approche empirique : loi d’Arrhenius
Introduction générale
III.2 Approche multi-échelle
III.2.1 Principe de l’approche
III.2.2 Modélisation cinétique
Conclusion
Références bibliographiques
CHAPITRE II MATERIAUX ET TECHNIQUES EXPERIMENTALES
Introduction
I Matériaux
II Conditions d’exposition
II.1 Vieillissement thermique
II.2 Vieillissement humide
III Techniques analytiques du suivi du vieillissement thermique
III.1 Echelle moléculaire
III.1.1 Spectroscopie Infrarouge à Transformée de Fourrier
III.1.1.1 En mode transmission sur films minces
III.1.1.2 IRTF en mode ATR sur échantillons épais
III.1.2 Gravimétrie
III.2 Echelle macromoléculaire
III.2.1 Calorimétrie Différentielle à Balayage
III.2.2 Fraction de gel
III.3 Echelle morphologique
III.3.1 Suivi du vieillissement physique du PEI
III.3.2 Suivi des modifications de la structure cristalline du PEEK
III.4 Echelle macroscopique
Références bibliographiques
CHAPITRE III VIEILLISSEMENT THERMIQUE DU PEI
Introduction
I Modification de la structure moléculaire
I.1 Résultats dans l’air
Introduction générale
I.1.1 Analyse IRTF
I.1.2 Perte de masse
I.2 Effet de la pression partielle d’oxygène sur la cinétique de dégradation
I.3 Mécanismes
I.3.1 Disparition des CH3 et accumulation des alcools
I.3.2 Formation des phénols et disparition des liaisons éther
II Modification de la structure macromoléculaire
II.1 Evolution de Tg dans l’air
II.2 Effet de la pression partielle d’oxygène
II.3 Mécanismes
III Modification de la structure morphologique
III.1 Vieillissement physique dans l’air
III.2 Mécanisme
IV Détermination des épaisseurs des couches oxydées : vers l’échelle microscopique
IV.1 Epaisseur de couche oxydé dans l’air
IV.1.1 Microscopie optique
IV.1.2 Spectroscopie Infrarouge
IV.1.3 Micro-indentation
IV.1.4 Discussion
IV.2 Impact du vieillissement thermique sur les propriétés élastiques
Conclusion
Références bibliographiques
CONCLUSION GENERALE
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