Analyse épistémologique du concept de biodiversité

L’intérêt pour la diversité du vivant

La diversité dans l’antiquité

Cette première époque s’inscrit dans un cadre cosmologique. Dans l’Antiquité, la diversité est admirée voire sacrée, car reflet de l’ordre du divin. Ainsi dans ce cadre, le problème des penseurs est d’inventorier et de décrire la diversité d’une part et d’expliquer la diversité du vivant d’autre part. Il ne s’agit pas encore de chercher à en expliquer l’origine, car l’idée de « causalité fléchée » (ou «finalisme», une causalité extérieure en tant que principe organisateur) empêche de concevoir cette question. De même, la question de l’évolution de la diversité ne se pose pas dans ce contexte, car les idées d’immuabilité (éternité des espèces) et d’équilibre de la nature (par la réincarnation ici) ne le permettent pas. Nous verrons que le rapport d’homme-environnement se conçoit, dans ce cadre, sousla forme de « l’homo contemplator ». L’homme semble, dans l’Antiquité, davantage spectateur de sa destinée ou des manifestations naturelles (qu’elles soient d’origine naturelle ou en partie anthropique) qu’acteur potentiel.

Le concept actuel de diversité est né dans un contexte d’urgence et de nécessité de protection de l’environnement (Y. Girault & Alpe, 2011; Maris, 2010). Mais l’intérêt pour la diversité est plus ancien et remonte à l’antiquité (Maris, 2010). Pourquoi remonter si loin ? Nous verrons que l’analyse des différentes étapes qui ont marqué l’évolution de l’idée de diversité va nous fournir de précieux éléments concernant les problèmes pris en charge par les scientifiques et penseurs des différentes époques. Cela nous permettra également d’identifier des idées qui ont pu fonctionner comme des obstacles. À titre d’exemple, l’idée de plénitude aura de ce fait longtemps fait fonction d’obstacle, car dans le contexte de l’Antiquité, l’idée d’une perfection du monde à travers la diversité de ses parties était une idée qui fonctionnait très bien. Elle s’intégrait parfaitement dans le paradigme de l’époque, marqué par une vision du monde comme un tout parfait, figure du cosmos et du divin. Cette analyse permettra également de montrer comment la construction de savoirs a donné naissance à un nouveau processus de recherche avec de nouveaux problèmes à résoudre. Ainsi, la résolution partielle de la question de la résilience écologique, par les idées, entre autres, de diversité fonctionnelle, de biodiversité à tous les niveaux (et de variabilité génétique en particulier), de potentiel adaptatif ou encore de niche écologique , a fait émerger de nouveaux problèmes comme celui de la marchandisation de la nature, de la pleine connaissance de la diversité génétique ou de celle des seuils de tolérance. Cette recherche est donc nécessaire, car il nous semble y avoir un lien entre cette construction historique du concept et les constructions de savoirs chez les élèves sur cet objet d’étude . Enfin, une dernière raison serait de tenter d’identifier les étapes qui ont permis au concept de biodiversité, dans le climat d’inquiétude actuel pour sa protection, de supplanter la notion traditionnelle de diversité.

La diversité dans la cosmologie platonicienne

Le parfait et le divin dans la diversité

Si nous remontons dans le temps, la première idée qui a fait obstacle dans la compréhension de la diversité du vivant fut donc l’idée de plénitude et bien qu’elle ne soit que véritablement construite par Aristote, on en retrouve des prémisses chez Platon. Dans la deuxième section du Timée (Platon, 1969b), Platon aborde le thème de la formation du monde. Timée commence par expliquer qu’il « est impossible que quoi que ce soit prenne naissance sans cause » (Platon, 1969b, p. 27b) et puisque le monde sensible est beau et varié et puisque l’architecte de l’univers (le démiurge) est bon, exempt d’envie , alors il doit avoir fait toutes choses aussi parfaites que possible. Il a ordonné le monde sensible et pour ce faire, doit avoir pris modèle sur quelque chose de parfait également (raisonné et intelligent). Cette perfection du monde sensible pourrait apparaître, à première vue, surprenante dans le cadre d’une théorie qui invite à se détourner des formes sensibles, pâles reflets des formes immuables pour aller vers la connaissance des formes intelligibles. Cependant, dans ce même dialogue, Platon ajoute (à travers le personnage de Timée) qu’il ne faut pas confondre l’image et le modèle. Les choses sensibles sont des parties d’un tout qui lui seul est parfait, mais ce sont des parties les plus parfaites possible pour se rapprocher de la perfection, former un tout et échapper à la vieillesse et la maladie. Il s’inscrit donc dans une conception holiste . L’idée de perfection chez Platon, est donc associée à celle d’un monde où toutes les espèces sensibles figurent ; s’il manque des parties alors le tout n’est pas parfait. Telles sont les racines du principe de plénitude repris par Thomas d’Aquin. Il s’agit là d’une définition autarcique ou autosuffisante de l’idée de perfection, une réalité à laquelle il ne manque quantitativement rien (Auroux, 1990). Nous pouvons donc rejoindre V. Maris lorsqu’elle avance l’idée qu’il y a déjà dans la pensée platonicienne une « esquisse d’une valorisation de la diversité biologique qu’il considère comme un témoignage de la perfection du monde. » (Maris, 2010, p. 14) et nous pouvons raisonnablement penser qu’il accorde une valeur intrinsèque à la diversité. Ces différents éléments montrent bien en quoi on peut y voir les racines de l’idée de plénitude, qui se comprend dans un contexte d’une pensée cosmologique, religieuse « expliquant tout à la fois l’unité du monde suprasensible et la diversité du monde sensible. » (Maris, 2010, p. 16).

Ainsi, nous voyons déjà chez Platon comment l’idée de perfection du monde s’accompagne de l’idée d’une nature ordonnée et d’une causalité fléchée. Nous comprenons cette idée de causalité fléchée comme une causalité extérieure « dirigée vers », qui serait à l’origine de cette diversité. C’est l’idée selon laquelle il y aurait un principe organisateur. Ces idées fonctionneront comme des obstacles à la construction de nouveaux savoirs pendant longtemps. Nous constatons également que la valorisation de la diversité se fait d’abord pour des raisons esthétiques et religieuses plus que scientifiques, y compris pour la recherche de la Vérité qui se comprend comme accès au divin. Le problème qui semble occuper la pensée de Platon est d’expliquer l’origine d’une telle diversité du monde sensible et de montrer en quoi il y a un ordre, malgré une apparente confusion, pour rendre compte d’une perfection (d’un ordre parfait), d’une causalité fléchée qui existe dans l’essence de la nature d’abord (principe de causalité ontologique) puis plus tard, chez d’autres penseurs, dans la description des phénomènes (principe de causalité objective).

Cependant, si Platon accorde une si large place à sa cosmologie dans le dialogue du Timée, c’est qu’il tient à clarifier la place de l’homme dans l’univers avant de se pencher sur les problèmes sociaux et politiques de gouvernance d’un état conçu comme un microcosme régi par des règles à peu près similaires. Cela tendrait à appuyer l’idée que notre compréhension du monde et des raisons pour lesquelles on valorise ou non tel élément dépend intrinsèquement de la façon dont nous nous situons dans ce monde .

Platon et la place de l’homme dans la nature

V. Maris présente l’idée d’une vision assez moderne pour l’époque de la façon de concevoir le rapport de l’homme avec la nature. Parce que l’homme est un être fini, et ce en raison de son caractère imparfait , Platon le place presque au même rang que les animaux (Le Politique). L’homme, bien qu’étant l’être ressemblant le plus au divin, restera à jamais moins puissant et intelligent que le divin . C’est pour cela qu’il place l’homme dans le règne des animaux sensibles, une partie du tout au même titre que tous les animaux. Mais parce que l’homme peut toucher à cette vérité (par la réminiscence), il est différent des autres animaux mortels. Après avoir distingué quatre espèces d’êtres vivants (les dieux, les races ailées, aquatiques et qui marchent), il établit d’autres distinctions entre l’homme et la femme (la réincarnation en femme serait une punition pour les hommes qui se montreraient lâches et mauvais ) et l’homme et les autres animaux : « L’espèce des animaux pédestres et des bêtes sauvages est issue des hommes qui ne prêtent aucune attention à la philosophie » ! (Platon, 1969b, p. 91b‑92b). Il ajoute même que plus les animaux vivent au sol ou dans l’eau, plus cela témoigne de leur stupidité .

Il y a donc un lien entre l’idée de plénitude et celle d’un ordre de la diversité. L’ordre participe de l’idée de perfection, mais il n’est pas une construction humaine, il doit être le reflet de l’ordre naturel préexistant, immuable et universel. Il s’agit donc de le redécouvrir. Nous avons, dans ce dialogue, les prémisses de l’idée d’Unité et de Vérité qui vont aussi fonctionner comme des obstacles, ce que nous verrons par la suite. Selon que l’homme choisit d’être bon ou mauvais, il peut donc accéder à l’intelligence ou baisser dans la hiérarchie des vivants à la génération suivante. C’est également cette marque de l’imperfection, qui ouvre a priori, l’idéede responsabilité vis-à-vis de la nature puisque nous sommes susceptibles de choisir nos actions. V. Maris note qu’on « trouve également chez Platon le constat fort bien documenté de ce que l’on décrirait aujourd’hui comme la dégradation de certains services rendus par les écosystèmes » (Maris, 2010, p. 13). Toutefois concernant l’origine des bouleversements écologiques de l’Attique que Platon présente dans le Critias (problème de déforestation, ruissellements des eaux et d’appauvrissement des sols), nous n’avons pas relevé d’éléments qui nous permettraient d’avancer que ces bouleversements seraient d’origines anthropiques. Il nous semble que ces dégradations soient plutôt d’origines naturelles (des grandes inondations et tremblements de terre), potentiellement d’origine divine, ce qui n’a pas grand-chose à voir avec la compréhension contemporaine de la notion de « dégradation » de l’environnement. Nous pouvons en revanche relever que dès l’antiquité, certaines fonctions assumées par un milieu (pallier le ruissellement des eaux par exemple) étaient connues.

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Table des matières

INTRODUCTION
Chapitre 1. Analyse épistémologique du concept de biodiversité
Partie 1. L’intérêt pour la diversité du vivant
1. La diversité dans l’antiquité
1.1. Introduction
1.2. La diversité dans la cosmologie platonicienne
1.3. La diversité admirée et les débuts du naturalisme chez Aristote
1.4. Homo Contemplator
1.5. Synthèse sur l’antiquité
2. Diversité et Modernité
2.1. Introduction
2.2. L’objectivation de la nature
2.3. L’exaltation de la nature
2.4. De l’homo contemplator à l’homo dominator
2.5. En synthèse
3. Conversion de regard et contexte de naissance de la biodiversité
3.1. Que regarder ?
3.2. Les premiers témoins
3.3. Le « cri » est lancé
3.4. Synthèse
Partie 2. Le concept de biodiversité
1. De la diversité écologique à la biodiversité
1.1. Préservationnisme et conservationnisme
1.2. Deux visions de l’homme inconciliables ?
1.3. Le début de la saga de la biodiversité
1.4. Synthèse sur la naissance du concept de biodiversité
2. Les enjeux contemporains de la biodiversité
2.1. Approche biologique de la biodiversité
2.2. Mesurer la biodiversité
2.3. Biodiversité et protection
2.4. Diversité fonctionnelle et gestion des ressources
2.5. Vers un nouveau modèle de rapport homme-nature ?
2.6. Synthèse
Conclusion du chapitre
Chapitre 2. Les enjeux de l’étude de la biodiversité à l’école
Partie 1 : Quelles finalités pour l’enseignement de la biodiversité ?
Introduction
1. Les finalités éducatives poursuivies dans l’enseignement de la biodiversité
1.1. Des difficultés spécifiques à cet enseignement ?
1.2. État des lieux de la biodiversité dans des manuels scolaires du primaire
1.3. Interprétation des enjeux éducatifs et d’apprentissages
1.4. Analyses des extraits sélectionnés
1.5. Synthèse de ces premières analyses
1.6. Conclusion de la section
2. Des approches toutes légitimées ou légitimes ?
2.1. « Méthodologie » de lecture des textes
2.2. Des textes qui réaffirment la double mission d’instruction et d’éducation comme émancipation
2.3. Description des attendus de « savoirs » dans les programmes de l’école primaire
2.4. Aux textes qui ouvrent à l’idée de « bien » et de « responsabilité »
2.5. La notion de responsabilité
2.6. Première synthèse des analyses de textes institutionnels
2.7. Conclusion de la section
3. Discussion des textes règlementaires
3.1. Une stratégie nationale de politique environnementale publique ?
3.2. Transformation ou intégration sociale ?
4. Conclusion de la première partie
4.1. Le problème que pose la poursuite de finalités « hétérogènes »
4.2. Finalités instructives et éducatives : des visions antagonistes ?
4.3. Première formulation de la problématique
Partie 2 : Education à l’environnement et valeurs
1. À propos des finalités éducatives
1.1. Instruire et éduquer
1.2. Pour qui éduque-t-on ?
1.3. Communautés sociales et scolaires
1.4. Les valeurs en éducation
1.5. L’idée d’engagement, entre technicisme et activisme
1.6. Synthèse et conclusion de la section
2. Neutralité et idéologie
2.1. Laïcité et neutralité vis-à-vis des valeurs
2.2. Sciences et idéologies
2.3. Différentes attitudes possibles par rapport aux idéologies dans les pratiques enseignantes
3. Discerner des registres
3.1. Différents jeux de langage
3.2. Éducation à la citoyenneté : à quelles valeurs former ?
3.3. Éducation à la citoyenneté et normativité
3.4. Catégoriser différentes attitudes ou postures
3.5. Synthèse
Conclusion du chapitre
Chapitre 3. La didactisation de la biodiversité
Partie 1. Légitimation des savoirs scolaires
Introduction
1. Légitimité des savoirs scolaires
1.1. Les modèles de légitimation des savoirs scolaires
1.2. La transposition remise en question
2. Qu’est-ce que la transposition didactique ?
2.1. Première définition de la transposition didactique
2.2. Le recours à la notion de « pratique sociale de référence »
2.3. Des conditions à la transposition
3. Le statut de la transposition didactique
3.1. Une « obsolescence programmée » ?
3.2. Transposition et principe de vigilance
3.3. Renoncer à la transposition ou la repenser ?
4. La transposition comme outil de vigilance
4.1. Passer d’un mode d’étude « rétroactif » à un mode « proactif »
4.2. Les problèmes liés à une centration épistémologique
4.3. L’activité du didacticien
4.4. Entre dédisciplinarisation et positivisme
5. Un dialogue nécessaire ?
5.1. Différentes perspectives pour les articulations ou « collaborations » disciplinaires
5.2. Une fausse alternative
5.3. Interdisciplinarité, controverse et savoirs
6. Synthèse
6.1. Des opportunités
6.2. Des questions à prendre en considération
6.3. Reprise de la formulation des questions de recherche
Partie 2. « (Re)problématiser » la biodiversité
Introduction
1. Quels « savoirs » viser ?
1.1. Nature(s) des savoirs visés selon différents didacticiens
1.2. Elémentation de la biodiversité : des repères pour le(s) analyse(s) pour le(s) didacticien(s) ?
1.3. Savoir élémentaire et savoirs non stabilisés
1.4. En synthèse, une question qui continue de diviser
2. Savoirs et obstacles
2.1. Comment se forment les obstacles ?
2.2. Formation et fonctionnement de l’obstacle
2.3. Des obstacles de différentes natures dans l’étude de la biodiversité à l’école primaire
2.4. Carte de synthèse
3. Conclusion du chapitre : des jalons pour une transposition
3.1. Sur le plan philosophique
3.2. Sur le plan didactique
3.3. Sur le plan épistémique
3.4. Enjeux pour une recherche
Chapitre 4. Méthodologie pour une recherche empirique
1. Formulation des questions de recherche
1.1. Présentation des questions et du cadre de recherche
1.2. Enjeux de la recherche
1.3. Critique de la première méthodologie utilisée pour interpréter des finalités dans un cadre strictement scolaire
1.4. Analyser les représentations des enseignants sur leur conception de l’éducation scientifique
1.5. Synthèse
2. Présentation du recueil
2.1. Observer des situations ordinaires
2.2. Présentation et fonction des entretiens
2.3. Présentation du guide d’entretien
2.4. Présentation du panel
2.5. Synthèse
3. Présentation de la méthodologie d’analyse macroscopique
3.1. Analyser des représentations
3.2. Présentation des catégories
3.3. Les fonctions de la carte comme outil macroscopique
3.4. Synthèse analyse macroscopique
4. Présentation de la méthodologie d’analyse microscopique
4.1. Seconde réduction de corpus
4.2. Présentation des analyses microscopiques
4.3. Produire une interprétation des représentations enseignantes
4.4. Synthèse analyse microscopique
5. Premières limites de la recherche
5.1. Sur les enjeux de la recherche
5.2. Sur les analyses
5.3. Sur les interprétations
Conclusion du chapitre
CONCLUSION

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