Analyse du fantasme de retour à la nature et mise en lumière des structures archaiques de l’imaginaire contemporain

En Europe occidentale, la question de la nature est souvent cantonnée à ses aspects passionnels : entre idéalisation du monde naturel et culpabilité liée aux destructions des écosystèmes et aux dérèglements actuels du climat. Pour le sens commun, il semble évident que la coupure avec la nature est à l’origine du développement de l’Europe occidentale et de sa conquête du monde à partir du XVe siècle mais aussi de sa déchéance à venir : la thèse du déclin ressurgit ainsi à intervalles réguliers. Cette supériorité acquise aux dépens des autres hommes et de la nature apparaît comme une sorte de bénéfice indu dont les conséquences devront être assumées par les générations futures. Le sentiment d’une faute irrémédiable semble ainsi hanter les imaginaires contemporains. La prise de conscience des excès et défauts du modèle de développement occidental a entraîné depuis quelques décennies, une focalisation sur le rapport au monde naturel faisant de ce dernier un havre qu’il n’aurait jamais fallu quitter. Ce pli mental est-il spécifique à l’Europe occidentale contemporaine? Le sentiment d’avoir quitté une nature qu’il n’aurait jamais fallu abandonner ne se retrouve-t-il pas dans la plupart des civilisations et des aires culturelles? Que traduit-il? Un retour à la nature est-il réellement envisageable? Est-il même souhaitable?

QUELQUES MANIFESTATIONS DU FANTASME DE RETOUR A LA NATURE (DES ORIGINES A LA REDECOUVERTE DES AMERIQUES)

Le fantasme de retour à la nature s’est manifesté de multiples façons au cours des millénaires. Toutefois, malgré son caractère protéiforme, ses expressions peuvent être, en ce qui concerne l’imaginaire occidental, regroupées pour une bonne partie d’entre elles en deux grands pôles : le premier regroupe les figures du barbare et du sauvage, le second les millénarismes. Le premier pôle constitue l’un des ressorts du mythe paradoxal de la dégénérescence de la civilisation et de la « diabolisation » de la nature sauvage. En observant l’évolution des figures du barbare et du sauvage – connexes mais non confondues – il est possible de parcourir au moins plusieurs millénaires depuis la fracture néolithique jusqu’à la redécouverte des Amériques.

Le second pôle, quant à lui, permet de mieux cerner les espoirs de monde meilleur qui sous-tendent le fantasme de retour à la nature : c’est-à-dire l’espoir de retour à une matrice originelle qui, dans l’Occident chrétien, a souvent pris les traits du paradis perdu de la Genèse. Les répercussions de ce fantasme d’un point de vue politique seront considérables. En effet depuis les débuts de l’ère chrétienne, les millénarismes ont nourri les rêves d’un progrès pour l’humanité dès le séjour terrestre et contribué, de ce fait, à entretenir différents mouvements contestataires à visée utopique. Ils ont aussi encouragé l’essor de la pensée scientifique et participé à l’émergence de l’idéologie du progrès qui sera si déterminante à partir des XVIIe et XVIIIe siècles.

Enfin, pour essayer de comprendre ce fantasme d’une manière plus complète et tenter d’échapper au « provincialisme » occidental, le troisième chapitre sera consacré aux traces attestant d’une probable existence de ce fantasme dès les débuts de l’humanité.

La réinvention perpétuelle des figures du barbare et du sauvage Haute Antiquité 

Le paradis perdu de Gilgamesh : le face à face du héros civilisé avec son alter ego sauvage
L’idée d’un retour à un état antérieur, d’un dépassement de la condition humaine et de la recherche d’un paradis est très clairement identifiable dans les premiers écrits connus de l’humanité. L’un des plus anciens, celui de Gilgamesh, vise, à travers l’histoire d’un roi parti à la recherche de lui-même, à décrypter le sens profond de la condition humaine et s’organise autour des grandes caractéristiques mythologiques qui façonneront l’imaginaire des millénaires suivants. Mais si ce texte est fondateur, notamment aux yeux des lecteurs contemporains puisqu’il est l’un des plus anciens textes connus, il n’est pas sorti du néant. Si tous les aspects ou presque des mythes de la condition humaine s’y trouvent condensés, c’est parce que ce texte se nourrit de la tradition sumérienne antérieure, des traditions orales contemporaines au texte et héritées d’un passé proche, mais aussi de tout l’héritage imaginaire des époques précédentes.

Tout d’abord, le héros n’est pas un homme ordinaire. Quel serait l’intérêt du mythe, et surtout quelle serait sa valeur d’exemple? Gilgamesh est ainsi un homme avec une parcelle de divin. Cette vision de l’homme, détenteur d’un peu du monde des dieux, est révélatrice d’une conception partagée sans doute par toutes les sociétés depuis les origines : l’être humain est plus que sa nature terrestre, il participe d’un monde autre, c’est-à-dire relevant d’un niveau de réalité différent du quotidien, avec lequel s’établissent des correspondances. Comment, avec une telle conception de l’être humain, ne pas vouloir connaître cet autre monde? Comment ne pas s’imaginer, puisqu’il n’est pas possible d’y accéder totalement que l’accès n’est plus autorisé, que l’homme en a été chassé ou s’en est coupé? Comment ne pas en avoir la nostalgie? Car si seul le héros est détenteur dans ses chairs d’une part des dieux, le commun des mortels communique avec eux et se permet même de leur demander des comptes.

En effet, le roi est au-dessus mais il doit mériter sa place. Sa nature divine ne l’affranchit pas du jugement de sa population. Puisque cet être parfait en apparence est un tyran dont le peuple se plaint, les dieux réagissent. Tout exceptionnel qu’il soit, Gilgamesh a pour devoir d’être un bon roi et non pas un faiseur de troubles. Pour l’empêcher de nuire, les dieux préparent son anéantissement en créant une créature dont la force lui serait équivalente, à moins qu’il ne s’agisse plus simplement que d’un stratagème pour détourner Gilgamesh de la cité en lui imposant un combat sans fin avec un double. Renverser la force par la force, déjouer la violence en lui opposant une autre violence : telle est la réponse des dieux. Mais c’est une réponse propre au monde naturel : la loi du plus fort, celle de la domination brute. Le but poursuivi est bien d’arrêter les excès de violence, mais la seule solution envisagée est celle de l’affrontement, de l’anéantissement obtenu grâce à l’affrontement des contraires. L’équilibre recherché repose ainsi sur une sorte de neutralisation des forces en puissance: il ne s’agit nullement de les dépasser pour envisager une autre voie. Pourtant, la stratégie des dieux échoue et cette autre voie, qui n’était pas envisagée, est inventée par le héros.

L’histoire de Gilgamesh montre ainsi, du moins dans cette version, que les contraires n’ont pas vocation à toujours s’affronter et se contredire, mais bien à se compléter, à s’enrichir mutuellement et à ouvrir de nouvelles perspectives. Elle illustre également à quel point la nature de l’homme ne se résume pas à subir la fatalité. Le chemin humain est un chemin de création et de découverte. Il appartient à l’homme de s’arracher au niveau purement terrestre que constitue la loi du talion. Ce travail de l’intelligence n’est pas inné: il demande un apprentissage et une confrontation avec un autre radicalement différent. Car s’il y a bien création d’un double, il ne s’agit pas de créer du même, mais bien un reflet inversé de Gilgamesh. Face à la créature magnifique, solaire, au sommet de sa gloire, apparaît une créature de l’ombre, tout aussi puissante, mais consacrée au monde de la nuit. L’éveil du héros est ainsi provoqué par une rencontre avec un être totalement différent : hors du monde des hommes, en communion avec le monde sauvage, la nature à l’état brut. Cette proximité avec les animaux lors d’un temps primordial se retrouve dans la plupart des récits des origines.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I : QUELQUES MANIFESTATIONS DU FANTASME DE RETOUR A LA NATURE (DES ORIGINES A LA REDECOUVERTE DES AMERIQUES)
Chapitre 1 La réinvention perpétuelle des figures du barbare et du sauvage
haute Antiquité
Le paradis perdu de Gilgamesh : le face à face du héros civilisé avec son alter ego sauvage
Antiquité et Antiquité tardive
Les barbares de Tacite : la fascination du  »civilisé » pour les peuples  »proches de la nature »
Atomisation des structures sociales et  »réensauvagement » du monde
Du Moyen Age à la redécouverte des Amériques
Infidèles, hérétiques, païens : la diabolisation du barbare
L’horizon asiatique, entre réel et reconstruction imaginaire : des invasions mongoles
aux peuples de Gog et Magog, mystifications autour de la figure de Gengis Khan
et du supposé royaume chrétien d’Asie
Les bons sauvages du premier voyage de Christophe COLOMB
Synthèse
Esquisse de définitions
Intérêt des figures du barbare et du sauvage
Chapitre 2 Millénarismes chrétiens et âge d’or
Ressort des millénarismes chrétiens
Mythes de l’âge d’or et pays d’abondance
Le royaume de Prêtre Jean
Le pays de Cocagne
La quête du paradis terrestre dans l’Occident chrétien
Géographie du paradis : le glissement vers l’ouest
La multiplication des centres du monde : quête du paradis et millénarisme
chez Christophe COLOMB
L’abandon progressif du paradis de la Genèse : de la nostalgie de l’âge d’or
au « programme politique »
Synthèse
Chapitre 3 – Avant l’histoire : signes permettant d’entrevoir le caractère
fondamental du fantasme de retour à la nature 105
L’apparition de la pensée symbolique au Paléolithique :
Travail de la pierre et premiers mythes du paradis perdu
La fracture néolithique
Aggravation du fantasme et élaboration de l’idée d’une suprématie de l’homme sur la nature
Quelques figures néolithiques
Ascension et descente sur l’axe cosmique
La montagne : figure de l’ascension et porte ouverte sur le centre de la terre
L’arbre : axe et support du monde, symbole de l’homme
Synthèse
PARTIE II – IDENTITE ET FONCTIONNEMENT DU FANTASME DE RETOUR A LA NATURE
Chapitre 4 Nature du fantasme
Les différentes catégories de fantasmes
Le retour à la nature
Point de contact de tous les fantasmes originaires
Universalité du paradis et spécificité occidentale
Chapitre 5 Immortalité, facilité et perfection : le triptyque fondamental
du paradis occidental
La quête d’immortalité
Le fantasme d’une perpétuelle jeunesse
La fuite de la réalité
De la quête de sens au dépassement de soi
Le fantasme de la vie facile
L’illusion de la liberté
Le fantasme de la vie parfaite
Le fantasme d’une vie supra-humaine
Résoudre les oppositions
Chapitre 6 Réalité de la nature
Identité
Fonction
Fonction pour l’imaginaire
Un bain d’imaginaire primordial
PARTIE III – ORIGINE EVOLUTIVE DU FANTASME DE RETOUR A LA NATURE
Chapitre 7 Un sentiment d’étrangeté
Un cerveau pour échapper aux lois de la nature
Vivre sain et sauf
Une différence revendiquée
« Homo spiritualis »
Expérience de l’ailleurs et émotion esthétique
Origine possible de la pensée symbolique
Chapitre 8 Transformation et maîtrise du monde
La curiosité comme stratégie évolutive
Exploration du milieu et accroissement des capacités cognitives
Connaissance de soi et du monde : entre angoisse et plaisir
Expérimentation et techniques
Un gain de l’évolution
Entre amélioration du quotidien et transgression
La maîtrise du monde
La toute puissance et l’hyper-responsabilité
L’homme érigé en but ultime de l’évolution : une interprétation déviante de l’histoire du vivant
Chapitre 9 Le prix de la liberté
L’obligation d’être libre
L’angoisse et l’illusion de l’invention permanente
Le sens de la liberté
Liberté et sens moral
Origine évolutive de la morale : la nécessité de l’entraide
Le sens moral : gouvernail de la liberté
Liberté et histoire
La redécouverte des structures archaïques de la pensée
Le renoncement et la stratégie du bouc-émissaire
L’origine évolutive de la liberté
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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