La noyade est définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 2003 comme une insuffisance respiratoire aiguë résultant de la submersion ou de l’immersion en milieu liquide.(1,2) L’immersion d’eau dans les voies aériennes inférieures est à l’origine d’une atteinte respiratoire qui domine le tableau clinique. Dans 10% des noyades les plus sévères, la symptomatologie respiratoire se complique d’un arrêt cardiaque d’origine hypoxique.
Elle constitue un problème majeur de santé publique car responsable de plus de 200000 décès/an dans le monde. Elle représente ainsi la troisième cause de décès par traumatisme non intentionnel et 7 % de l’ensemble des décès par traumatisme (4) Santé Publique France collige tous les trois ans les noyades survenues dans notre pays du 1er Juin au 30 septembre. La dernière enquête en 2021 recense un nombre total de 1 753 noyades avec 31% de décès. Les deux catégories d’âge les plus représentées chez les noyés sont les enfants âgés de moins de 6 ans (22 %) et les personnes âgées de plus de 65 ans (26 %). La proportion de noyades fatales varie avec l’âge avec 6 % de décès chez les moins de 6 ans et jusqu’à 50% de décès chez les plus de 64 ans (5), en lien probable aux comorbidités et à l’étiologie de la noyade (accident cardio-vasculaire par exemple).
En 1997, Szpilman et al. ont proposé une classification des noyés en fonction de 6 groupes de sévérité. Cette classification se base sur l’existence d’une défaillance respiratoire et/ou hémodynamique.(6,7) Les grades 5 et 6 correspondent à des patients en arrêt respiratoire (grade 5) ou en arrêt cardiaque (grade 6). Les grades 3 et 4 correspondent à la présence d’une insuffisance respiratoire aiguë avec (grade 4) ou sans (grade 3) hypotension artérielle. Les grades 1 et 2 correspondent respectivement à des patients asymptomatiques ou présentant une symptomatologie respiratoire sans détresse.
L’objectif principal de notre travail était de décrire une cohorte de patients noyés pris en charge en soins critiques : SAMU/SMUR – urgences – unités de surveillance continue et réanimations. Les objectifs secondaires étaient de définir les variables clinico-biologiques associées à la nécessité de recours à la ventilation mécanique (VM) invasive chez les patients en détresse respiratoire (grade 3-4 de Szpilman) et celles associées à la mortalité chez les patients en arrêt respiratoire et en arrêt cardiaque (grade 5-6).
MATÉRIELS ET MÉTHODE
PATIENTS
Au sein d’une cohorte multicentrique, nous avons inclus de manière rétrospective des patients adultes et pédiatriques victimes de noyades. Les patients pédiatriques ont été inclus de 2014 à 2020 dans les centres hospitaliers de Bordeaux, Marseille (Timone et Nord), Papeete (Tahiti) et Pointe-à-Pitre (Guadeloupe). Les patients adultes ont quant à eux été inclus de 2014 à 2017 dans les centres hospitaliers de Marseille, Toulon, Antibes, Nice, Montpellier, Bordeaux et Dax. Le critère d’inclusion était la prise en charge pour un motif de noyade par un SMUR et/ou dans un service d’urgence, de soins continus ou de réanimation. Le critère de non-inclusion était l’absence de renseignement du grade de sévérité de la noyade selon Szpilman lors de la prise en charge initiale.
Les variables suivantes ont été renseignées :
– Données démographiques : âge, sexe, lieu de noyade (eau douce ou mer)
– Données médicales générales : antécédents cardiovasculaires (correspondant à l’existence d’une hypertension artérielle ou de tout antécédent cardiologique : arythmie, insuffisance cardiaque, cardiopathie ischémique), antécédents neurologiques (essentiellement des antécédents d’épilepsie), respiratoires (bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et asthme) et psychiatriques (toute pathologie psychiatrique).
– Données cliniques de la prise en charge pré-hospitalière : grade de sévérité de Spzilman, prise en charge ventilatoire (air ambiant, ventilation non invasive ou ventilation mécanique invasive), durée de la prise en charge pré-hospitalière
– Données clinico-biologiques de la prise en charge hospitalière : constantes vitales, modalités ventilatoires, premier bilan biologique à l’admission, devenir (décès, durée de séjour en réanimation) .
Nous avons décidé de regrouper les patients en 3 catégories de gravité décroissante selon la classification de Szpilman afin de pouvoir les comparer :
● Arrêt respiratoire ou arrêt cardiaque: grade 5-6
● Insuffisance respiratoire aiguë sans ou avec hypotension artérielle : grade 3-4
● Absence d’arrêt cardiaque et de détresse respiratoire : grade 1-2 .
ANALYSES STATISTIQUES
Les variables quantitatives sont présentées en médianes et interquartile (IQR25-75) (celles non normalement distribuées). Les variables catégorielles sont présentées en effectifs (%). Pour les variables quantitatives, la comparaison des groupes ventilés et non ventilés a été réalisée à l’aide d’un test de Student ou de Mann-Whitney selon les hypothèses d’applications. Pour les variables qualitatives les comparaisons ont été réalisées à l’aide du test du Chi-2 ou exact de Fisher selon les hypothèses d’applications. L’analyse des facteurs de risque du recours à la ventilation mécanique invasive et du décès ont été explorés au moyen d’une analyse univariée. Les variables ayant un p ≤ 0.2 et non fortement corrélées ont été inclus dans les analyses de régression logistique (analyse multivariée). Les résultats statistiques ont été retenus comme significatifs pour une valeur de p < 0.05.
RÉSULTATS
396 patients noyés ont été recensés. 6 patients n’ont pas été inclus pour données manquantes (score de Szpilman à la prise en charge initiale non renseigné). 390 patients ont donc finalement été inclus dans l’étude (diagramme de flux – Figure 1). 206 patients (53%) étaient en arrêt respiratoire ou cardiaque (grade 5-6), 109 patients (28%) étaient en détresse respiratoire (grade 3-4) et 75 patients (19%) ne présentaient pas de détresse vitale (grade 1- 2).
CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES DES PATIENTS
Sur les 390 patients inclus, 220 (56.4%) étaient des adultes. 240 patients (61.5%) étaient des hommes. L’âge médian était de 25 ans [3-61]. Une majorité de patients n’avait aucun antécédent majeur (cardio-vasculaire, respiratoire, neurologique ou psychiatrique). La durée médiane de prise en charge pré-hospitalière était de 15 minutes [10-21]. Le score de Szpilman médian était de 5 [3-6] avec un total de 136 patients (35%) en arrêt cardiaque inaugural. Un quart des patients étaient hypotendus (pression artérielle moyenne (PAM) < 65 mmHg). La température à la prise en charge était de 36°C [34,8-37]. 50 patients (12.8%) étaient d’emblée en hypothermie (T°C < 35°C). Les modalités de ventilation pré-hospitalière n’étaient pas renseigné dans plus de la moitié des cas (n = 199, 51%). 33 patients (8,5%) étaient sous VNI ou CPAP et 158 (40%) étaient d’emblée pris en charge par ventilation mécanique invasive. A l’hôpital, 182 patients (46.7%) étaient sous ventilation mécanique invasive. 40 patients (10,2%) étaient sous VNI ou CPAP, 96 patients (24,6%) étaient sous oxygénothérapie conventionnelle et 33 patients (8,5%) n’avaient aucune oxygénothérapie. Les paramètres de ventilation hospitalière n’étaient pas disponibles pour 39 patients (10%).
COMPARAISON DES PATIENTS EN FONCTION DE LEUR SÉVÉRITÉ
Nous avons ensuite comparé les 3 groupes de sévérité répartis en fonction du grade de Szpilman à la prise en charge : grade 1-2 versus 3-4 versus 5-6 . Les données démographiques (âge et sexe) n’étaient pas différentes dans les 3 groupes. Les noyades responsables d’une insuffisance respiratoire aiguë isolée (grade 3-4 de Spzilman) survenaient plus souvent en mer (p=0,04). Les critères de sévérité cliniques étaient évidemment plus marqués dans le groupe Spzilman 5-6 avec plus de coma (Glasgow médian à 3 [3-6] pour un Glasgow médian à 14-15 dans les autres groupes, p < 0.001), plus d’hypotension (seulement 138 patients (67%) avaient une PAM > 65 mmHg contre plus de 75% dans les autres groupes, p < 0.001) et plus de ventilation mécanique invasive (plus de 80% des patients contre moins de 10% dans les autres groupes, p < 0.001). Il existait aussi plus d’anomalies biologiques pour ces patients avec plus d’acidémie (pH médian < 7.30 contrairement aux autres groupes, p < 0.001) et une lactatémie artérielle plus élevée (4 [1,9-11] versus 2,8 [1,8-4,15] pour les grades 3-4 versus 2 [1,5-2,9] pour les grades 1-2, p < 0.001). Les décès étaient uniquement observés dans le groupe Spzilman 5-6 : 67 décès au total soit 32.5% de mortalité dans ce groupe.
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Table des matières
I. INTRODUCTION
II. MATÉRIELS ET MÉTHODE
PATIENTS
ANALYSES STATISTIQUES
III. RÉSULTATS
CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES DES PATIENTS
COMPARAISON DES PATIENTS EN FONCTION DE LEUR SÉVÉRITÉ
FACTEURS ASSOCIÉS A LA NÉCESSITÉ DE MISE EN PLACE D’UNE VENTILATION
MECANIQUE INVASIVE CHEZ LES PATIENTS NOYÉS EN INSUFFISANCE RESPIRATOIRE
AIGUË À LA PRISE EN CHARGE – SPZILMAN 3-4
FACTEURS ASSOCIÉS À LA MORTALITÉ CHEZ LES PATIENTS NOYÉS EN ARRÊT
RESPIRATOIRE OU EN ARRÊT CARDIAQUE – SPZILMAN 5-6
IV. DISCUSSION
V. CONCLUSION
VI. REFERENCES
LEXIQUE