Analyse des pratiques de dimensionnement des mesures compensatoires en France

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Emergence du besoin de méthodes d’évaluation des mesures compensatoires (ME)

Le calcul du ratio compensatoire à l’aide d’une ME constitue une nouveauté dans les Lignes Directrices. En effet, jusque-là, des ratios fixes, déterminés à l’avance étaient utilisés.
Ces ratios fixes s’appliquent aux surfaces des zones aménagées et des zones de compensation sans tenir compte d’aucun paramètre écologique propre à ces zones. Un ratio de 1 pour 2 signifie que la surface de la zone de compensation doit être deux fois plus grande que la surface de la zone impactée, sans tenir compte de l’état écologique des zones en question ou du niveau des impacts. La Doctrine Nationale insiste pour abandonner cette pratique : « En dehors des cas où leurs minimums sont prévus au niveau de textes ou de documents cadre (SAGE, SDAGE, etc.), les ratios ou coefficients d’ajustement ne sont pas utilisés de manière systématique et ne constituent pas une donnée d’entrée. Lorsqu’ils sont utilisés pour dimensionner une mesure compensatoire, ils doivent en effet être le résultat d’une démarche analytique visant à atteindre les objectifs recherchés et intègrent :
la proportionnalité de la compensation par rapport à l’intensité des impacts ;
les conditions de fonctionnement des espaces susceptibles d’être le support des mesures
les risques associés à l’incertitude relative à l’efficacité des mesures ;
le décalage temporel ou spatial entre les impacts du projet et les effets des mesures. »
(Extrait de : Commissariat Général au Développement Durable (CGDD), 2013, p. 11)
En effet, on retrouve dans les documents guidant les pratiques avant la parution des Lignes Directrices, des références à ces ratios fixés à l’avance. La doctrine de la DIREN PACA8 qui date de 2009 (Cf. figure 8) fait référence à des ratios fixes, déterminés a priori, de même qu’une note de la DREAL Franche Comté et du Ministère de l’écologie de 2011.
Pour la compensation des zones humides, les SDAGE9 imposent des ratios qui varient de 100% 200% de la surface de zone humide impactée. Ainsi, un guide de la DREAL Bretagne de 2012 rappelle les ratios fixés par le SDAGE du bassin Loire-Bretagne (DREAL Bretagne, 2012, p.15)
En fonction de la qualification de l’impact, la mesure devra intégrer des « ratios ». Ces ratios demandent des calculs dont les unités doivent être les mêmes que celles utilisées lors de la quantification ou la qualification des impacts. Aujourd’hui, il est clair que l’unité de mesure reste essentiellement la surface. Pour autant, cette unité est loin d’être unique car d’autres facteurs interviennent dans l’évaluation de la sensibilité des milieux et des espèces à un projet.
Les facteurs suivants doivent être également analysés même si ceux-ci ne peuvent pas faire l’objet d’une quantification :
– La diversité et la patrimonialité des habitats ou espèces impactées, le maintien de la fonctionnalité, en favorisant la connectivité entre des espaces naturels au lieu de stimuler des îlots de conservation,
– la cohérence écologique des aires de répartition de ces espèces et habitats, celles impactées par le projet et celles bénéficiant des mesures compensatoires,
– le maintien ou le développement de services rendus par les milieux ainsi compensés (production, Tourisme)…
Si ces facteurs sont importants, la surface de la mesure compensatoire reste le principal élément de discussion. Elle exprime « la valeur patrimoniale » de la perte observée. Plus un habitat ou une espèce a une valeur patrimoniale forte, plus la surface à compenser sera multipliée par un ratio important, et ce quelle que soit la valeur de la surface consommée. Les ratios observés jusqu’à présent peuvent atteindre une valeur de 10 ha compensés pour 1 ha consommé. »
Ainsi, au début des années 2010, si sur le terrain les mesures compensatoires sont dimensionnées à l’aide de ratios surfaciques fixes, les instances nationales commencent à recommander de recourir à des méthodes de dimensionnement, au travers des Lignes Directrices.
Ces recommandations s’inscrivent dans la lignée des réflexions menées au sein des institutions et s’inspirent notamment des pratiques d’autres pays, celles des Etats-Unis en particulier. En effet, deux rapports institutionnels rendent compte des pratiques en vigueur à l’étranger, notamment en ce qui concerne l’utilisation de méthodes. Le rapport de l’Onema10 sur la compensation des zones humides (Barnaud et Coïc, 2011) décrit une vingtaine de méthodes utilisées aux Etats-Unis. L’étude de parangonnage réalisée à la demande du ministère en charge de l’écologie sur la mise en œuvre de la séquence ERC dans le monde (Morandeau et Vilaysack, 2012) décrit également plusieurs méthodes, autres que pour les zones humides notamment. Ce dernier document relève la nécessité d’y recourir tout en reconnaissant le challenge que représente leur développement : « Mettre en place des mesures compensatoires requiert une méthodologie d’évaluation des pertes et des gains écologiques qui, à ce jour, fait défaut dans la plupart des pays étudiés. »
La nécessité d’une méthode robuste scientifiquement s’oppose au besoin d’une méthode accessible pouvant être mise en place dans un temps court et à moindre coût. » (Ibid, p. 56)
Sur le terrain, la préoccupation pour les ME ressort également. C’est le cas en Languedoc-Roussillon dans lequel un groupe de travail piloté par la DREAL réunit les différentes parties prenantes de la séquence ERC avec l’objectif d’améliorer les études d’impacts. Dans le compte-rendu de la réunion du 19 juin 2014, il est fait état de la « difficulté à déterminer les surfaces à compenser, leur emplacement, les modalités de compensation, le mode de gestion, suivi. Double compétence nécessaire: foncier et écologique. Manque de méthode partagée pour l’évaluation. Problème de compréhension des méthodes de dimensionnement. » (p. 11). Il conclut qu’ « il convient de continuer à travailler sur ces aspects dans la lignée du groupe de travail mis en place par la DREAL, ou des travaux du CEFE – CNRS. » (p. 4). Ce constat a d’ailleurs conduit à une collaboration avec le laboratoire du CEFE pour le développement d’une méthode baptisée « Méthode d’Evaluation Rapide de la Compensation des Impacts écologiques » (MERCIe) en 2015-2016, collaboration qui a contribué à faire émerger ce projet de thèse ( Mechin et Pioch, 2016; Jacob et Pioch, 2014). Il est intéressant de noter la remarque que fait ce groupe de travail sur la difficulté à comprendre les méthodes de dimensionnement. Cela fait écho au constat exposé dans l’introduction sur l’hétérogénéité des compétences, des connaissances et des parcours des agents des services de l’État.
Ainsi, dans le courant des années 2010, le ministère en charge de l’écologie, l’Onema puis l’AFB, et les acteurs de terrain sont unanimes sur la nécessité de se doter de véritables méthodes pour évaluer l’atteinte de l’absence de perte nette par les mesures compensatoires. Ce besoin a été repris, au sein du parlement, par le rapport de la mission sénatoriale Dantec présenté au sénat en 2017 (Dantec, 2017). La figure 9 met en parallèle les évolutions réglementaires et l’évolution des modalités d’évaluation des mesures compensatoires.

Des difficultés de mise en œuvre de la séquence ERC à relier au manque de méthode d’évaluation des mesures compensatoires

Le fait que la doctrine française ne propose pas de méthode d’évaluation des pertes et de gains est critiqué (Quétier et al., 2014). De même, Bull, Lloyd, et al., (2016) recommandent que les politiques publiques soient accompagnées de guides pour déterminer les ratios compensatoires ou les coefficients d’ajustement, constatant la faiblesse des ratios mis en œuvre sur le terrain dans de nombreux pays. Vanpeene-Bruhier et al., (2013) et Jacob et al., (2015) relèvent la faiblesse scientifique des argumentaires des maîtres d’ouvrages dans les dossiers et le manque de méthodologie. Billy et al. (2015) analysent le cas du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes ; ils insistent sur l’importance d’évaluer correctement les états initiaux des sites aménagés pour bien évaluer la dette compensatoire, de justifier solidement le choix des méthodes d’évaluation des pertes et des gains et enfin d’utiliser des ME « intelligibles pour le public » (p. 33)
Plusieurs travaux de recherche portant sur la situation française soulignent l’absence de méthodes d’évaluation des mesures compensatoires et les effets que cela peut entraîner. Bigard et al. (2017) ont montré les confusions sémantiques entre les définitions des mesures d’évitement, de réduction, de compensation et d’accompagnement dans une quarantaine études d’impacts, en France. Au total, 77% des mesures d’ E, de R et d’accompagnement ne respectaient pas les définitions de la doctrine française et des Lignes Directrices. En effet, des mesures présentées comme compensatoires ou d’évitement relevaient en fait, de la réduction ou de l’accompagnement. Ces confusions révèlent une mauvaise compréhension des définitions et du concept central, sous-jacent à la séquence ERC, d’atténuation puis de compensation des impacts biophysiques d’un projet d’aménagement. Elles peuvent s’expliquer par le manque de définitions claires et d’exemples (que la publication du guide d’aide à la définition des mesures ERC par le CGDD en 2018 avait pour but de combler) mais également par l’absence de ME de référence permettant de guider le raisonnement des mesures compensatoires (la période étudiée dans les recherches de Bigard et al. est 2006-2016).
L’étude de Weissgerber et al. (2019) sur des projets autorisés en France entre 2012 et 2016 montre que la compensation se fait en majorité sur des sites naturels ou semi-naturels choisis en raison de la présence d’indicateurs permettant de conclure que l’état final attendu sera atteint (par exemple : présence sur le site de l’espèce ciblée par les mesures compensatoires). Cela sous-entend en réalité que les gains sont très faibles. En outre, la qualité initiale des sites de compensation est dans la majorité des cas non évaluée. Dans ce cas, les gains ne peuvent pas l’être non plus. Cette analyse montre clairement le défaut de méthode (et d’exigence) en termes d’évaluation de la compensation écologique en France.
Si le besoin de ME est clairement exprimé sur le terrain, au niveau institutionnel et dans les publications scientifiques, les derniers travaux de recherche analysant la mise en œuvre de la politique ERC en France renforcent encore ce constat.

Les mesures compensatoires, un sujet de société

La compensation écologique et les notions d’équivalence écologique et d’absence de perte nette (voire de gain net) qui lui sont associées font l’objet de controverses (Devictor, 2018 ; Moreno-Mateos et al., 2015) et peuvent donner matière à discussions et à différentes interprétations ( Bull, Gordon, et al., 2016 ; Bull et al., 2013 ; Quétier et Lavorel, 2011).
En outre, les mesures compensatoires concernent la biodiversité protégée d’une façon ou d’une autre (zones humides, listes d’espèces et d’habitats protégées, zone Natura 2000), donc la biodiversité « mesurée », « perdue » ou « gagnée » est reliée à des valeurs humaines (Moreno-Mateos et al., 2015). De même, le choix des références à partir desquelles sont calculées pertes et gains correspond aux choix de la politique de conservation. Alors que les écosystèmes ne sont pas substituables, mettre en œuvre le dispositif de la compensation implique d’accepter que certaines pertes sont inévitables, la définition du type de perte acceptable » dépend de choix sociétaux (Maron et al., 2016 ; Gardner et al., 2013). Enfin, Bull, Lloyd, et al. (2016) et Maron et al. (2016) proposent, de manière originale, de tenir compte dans les calculs d’équivalence de considérations sociales ou éthiques, par l’utilisation de coefficients multiplicateurs spécifiques.
Ces publications nous alertent sur le fait que des acteurs de terrain amenés à collaborer sur un projet peuvent avoir des positions ou des interprétations différentes. Cela peut rendre l’application de la séquence ERC plus compliquée que prévu en l’absence de méthodes normalisées et solides sur le plan scientifique, ou bien constituer un obstacle à l’adoption d’une méthode qui ne coïnciderait pas avec le point de vue de l’utilisateur potentiel. Ainsi, ces questions font partie intégrante des enjeux liés à l’utilisation des méthodes.

Opérationnalité des ME développées en France

Alors que le besoin de ME en France est clairement avéré, quelles ME existent ou sont en cours de développement, aujourd’hui en France, et comment se situent-elles par rapport aux enjeux opérationnels ?

Les différentes ME développées en France

Dans ce contexte d’abondance de travaux scientifiques sur les modalités d’évaluation des pertes et des gains écologiques, et dans lequel le besoin de ME fait l’unanimité chez les acteurs de la compensation en France, différentes démarches de développement ont vu le jour, sous l’impulsion notamment de l’Onema dès 2013-2014 (Cf. tableau 3).
L’Onema, en collaboration avec le MNHN12, le bureau d’étude Biotope et l’IRSTEA13 a produit une méthode d’identification des fonctions des zones humides. Il ne s’agit pas d’une méthode d’évaluation de ratio mais d’une méthode pour démontrer l’équivalence fonctionnelle entre zones humides détruites et zones humides de compensation. Elle a été publiée en 2016 et est devenue la méthode nationale de référence pour l’identification des zones humides (Gayet et al., 2016a).
L’Onema a également financé les travaux du CEFE pour identifier puis développer une méthode expérimentale complémentaire destinée, quant à elle, spécifiquement au dimensionnement de mesures compensatoires en zones humides. Il s’agit des travaux d’état des lieux des besoins et attentes en France (Jacob et al., 2015 « Vers une politique française de compensation des impacts sur la biodiversité plus efficace : défis et perspectives ; Jacob et Pioch, 2014 : Protocoles expérimentaux d’aide aux services instructeurs dans l’analyse de dossiers compensatoires) et de recherches aboutissant à la méthode MERCIe (Mechin et Pioch, 2016) développées en préalable à cette thèse.
D’autres équipes de recherche, en France, ont également pris l’initiative de développer des méthodes en collaboration avec des acteurs de terrain (aménageurs ou bureaux d’études) :
Le CEFE et le bureau d’études Créocéan pour une méthode de dimensionnement des mesures compensatoires en milieu marin : Mitimed (Jacob, 2017 ; Bas et al., 2016)
Le CEFE, l’Ifrecor14 et le bureau d’études Marex pour une méthode de dimensionnement des mesures compensatoires en milieu corallien : MERCI-Cor (Pinault et al., 2017 ; Pioch et al., 2017)
L’IRSTEA et EDF pour une méthode d’évaluation de l’équivalence écologique : Ecoval (Bezombes et al., 2018)
Ces méthodes n’ont pas exactement le même périmètre d’utilisation. En effet, plusieurs d’entre elles ciblent des milieux spécifiques (milieu marin, écosystèmes coralliens…). En outre, certaines ont vocation à calculer un ratio compensatoire, via le calcul des gains et des pertes
Museum National d’Histoire Naturelle ‘Institut National de Recherche en Sciences et Technologies pour l’Environnement et l’Agriculture Initiative Française pour les Récifs Coralliens, programme piloté par le Ministère en charge de l’écologie écologiques (approche quantitative), d’autres ciblent l’équivalence fonctionnelle (approche qualitative). Ces deux approches sont complémentaires et nécessaires pour évaluer l’atteinte de l’absence de perte nette de biodiversité. Enfin, elles ne sont pas toutes au même stade d’avancement. Si la méthode nationale de référence pour l’identification des zones humides (MNZH) est finalisée et recommandée d’utilisation par les services de l’État, les autres sont encore à des stades expérimentaux (excepté Mitimed).
Parallèlement, certains bureaux d’études ont développé leur propre méthode pour les dossiers de leurs clients. Parmi eux, on peut citer ECO-MED, Egis et Biotope, dont les méthodes étaient identifiées dès 2013 par les services instructeurs du Languedoc-Roussillon (Pariente, 2013). Les bureaux d’études Ecosphère et Naturalia disposent également de leur méthode. Il est difficile de citer ces méthodes de façon exhaustive, étant donné leur foisonnement, leurs variations possibles d’un dossier à l’autre, leur adaptation au cas par cas, d’autant qu’elles ne sont pas publiées.
Il existe également une méthode d’évaluation des dommages écologiques développée sous le pilotage du ministère en charge de l’écologie par un groupe d’experts, entre 2014 et 2017 (CGDD, 2017b). Cette méthode ne rentre pas dans le cadre de la mise en œuvre de la séquence ERC, mais dans celui de la loi de Responsabilité Environnementale (loi n° 2008-757 du 1er août 2008 sur la responsabilité environnementale). Elle permet de déterminer quelles mesures sont à réaliser en compensation d’un dommage environnemental accidentel de faible gravité. Elle reprend les mêmes principes que les ME à la différence que l’état initial de la zone dégradée est inconnu (par définition, s’agissant d’accident, donc non autorisé), mais a contrario, on dispose de son état final. Enfin, l’AFB et le MTES ont lancé un groupe de travail en 2018 pour définir une méthode nationale, dont l’objectif a évolué vers la définition d’une approche standardisée nationale. Le groupe de travail devra définir une approche de référence pour toutes les méthodes utilisées (socle commun). Cette approche complète les Lignes Directrices qui brossaient des objectifs et principes généraux.

Etude comparative de plusieurs cadres théoriques

Parallèlement, nous avons exploré divers champs disciplinaires afin d’identifier celui qui serait le plus adéquat pour notre recherche (Cf. tableaux 7 et 8).
Nous avons d’abord envisagé notre sujet comme un problème relatif aux relations entretenues entre utilisateurs et concepteurs. Cela nous a amené à nous tourner vers la sociologie en général, car c’est «la science des relations sociales telles qu’elles sont imposées et transmises par le milieu – les cadres de socialisation – et telles qu’elles sont également vécues et entretenues par les individus. » (Paugam, 2010, p. 3) et plus particulièrement la sociologie de l’innovation (Akrich, Callon et Latour) et la sociologie de l’objet (Star, Griesemer et Vinck).
Nous avons également envisagé notre sujet comme un problème d’outil au sein d’une organisation, ce qui nous a entraîné vers les sciences de gestion (Chiapello et Gilbert, David, Martinet et Pesqueux).
Enfin, nous avons considéré notre problématique sous l’angle des tâches à accomplir dans une situation de travail en référence ici au champ de l’ergonomie (Darses et Montmollin, Falzon, Rabardel, Shackel).
Ainsi selon ces différents cadres théoriques, les ME peuvent être considérées successivement comme :
une innovation sur un objet-technique,
un objet-frontière,
un outil de gestion,
un outil de travail.
Notre ancrage dans la géographie nous a permis cette exploration, avec la liberté de traiter, sous différents angles et avec différents cadres conceptuels, d’un sujet complexe dans un objectif quant à lui bien précis, comprendre les enjeux opérationnels et proposer des solutions pour améliorer l’utilisation des ME dans le cadre de projets d’aménagement du territoire.
Les tableaux 7 et 8 présentent les quatre cadres conceptuels étudiés relatifs à la sociologie de l’innovation, la sociologie de l’objet, les sciences de gestion et l’ergonomie et montrent comment s’est construite la réflexion sur notre question de recherche.
En annexe n°5, le tableau 5 reprend en détail le contenu du tableau 7 présenté ci-après.

Les sciences de gestion : un cadre inapproprié à notre recherche

Le modèle proposé par les sciences de gestion ne correspond pas à notre cas d’étude. Il ne nous semble pas approprié d’assimiler le réseau des acteurs de la mise en œuvre de la séquence ERC à une organisation, dans la mesure où ils appartiennent en réalité à des organisations différentes et indépendantes (bureau d’études, aménageurs privés ou publics, services de l’État). Et si nous assimilons le réseau qu’ils forment lors du développement d’un projet à une organisation, alors cette organisation n’a pas de contours formels comme peuvent l’avoir une entreprise, une administration, une association ; les membres de cette organisation sont changeants d’un projet à l’autre (aménageurs et bureaux d’études différents) et la finalité des uns et des autres est différente.
D’autre part, considérer les ME comme un outil de gestion signifierait qu’on les considère comme des outils permettant de piloter la mise en œuvre de la séquence ERC, avec une visée performative. La question de recherche serait dès lors « est-ce que les ME sont efficaces pour le respect de l’absence de perte nette de biodiversité ? », et l’organisation serait à envisager
l’échelle d’un territoire (la région, la France). Cette question, bien qu’intéressante, ne correspond pas précisément à notre question de recherche. Nous choisissons donc d’écarter les sciences de gestion de notre choix de cadre théorique.

La sociologie de l’objet : une approche partielle de notre question

La sociologie de l’objet apporte une grille de lecture intéressante en considérant les ME comme un objet-frontière entre experts et acteurs de la mise en œuvre de la séquence ERC. Elle peut nous aider à comprendre certains enjeux des relations entre les uns et les autres. Mais elle ne rentre pas dans le cœur des questions qui nous intéressent : l’utilisation de l’objet, sa conception et son adaptation à l’utilisation. En outre, sa portée davantage descriptive nous semble d’un apport limité pour proposer des solutions en lien avec la recherche-action.

La sociologie de l’innovation : une définition à retenir

La sociologie de l’innovation se rapproche davantage de notre problématique en s’intéressant au  processus de conception d’un objet-technique. Mais là encore, si le cadre d’analyse proposé nous permet d’attirer notre attention sur certains enjeux comme la traduction ou les controverses, nous n’y trouvons pas de quoi répondre à nos questions. Nous retiendrons cependant la définition de l’objet-technique proposée par Akrich : « rapport construit entre » le « dispositif matériel » et « l’ensemble des usages qu’il remplit » (2013, p. 160).

L’ergonomie : un cadre conceptuel adapté

C’est finalement l’ergonomie qui par sa finalité-même nous semble la plus appropriée pour répondre à nos questions de recherche. En effet, « pour l’ergonome, le fonctionnement de l’homme et son activité en situation constituent des contraintes qui doivent être intégrées par les concepteurs » (Béguin, 2004, p. 376). Cette affirmation va dans le sens de notre hypothèse initiale n°4. En outre, Rabardel (1995) dénonce l’approche techno-centrée qui a longtemps prévalu. Cette position va dans le sens de nos observations réalisées sur les publications scientifiques traitant des ME présentées au chapitre 1 : les articles traitent en grande majorité d’aspects techniques. Il préfère d’ailleurs le mot « instrument » au terme d’objet technique. Il le définit comme l’addition d’« un artefact matériel ou symbolique produit par le sujet ou par d’autres » et d’ « un ou des schèmes d’utilisation associés résultant d’une construction propre du sujet, autonome ou d’une appropriation de schèmes d’utilisation déjà formés extérieurement à lui » (Ibid., p.117-118). Cette définition, ainsi que la définition d’Akrich sur les « objets-techniques » met en évidence qu’un outil ne se réduit pas au dispositif technique proprement dit.
Dans le cas des ME, on ne peut pas les considérer uniquement sous l’angle des données d’entrée, des indicateurs biophysiques, et des formules de calcul. L’usage qui en est fait, par qui les ME sont utilisées et dans quel contexte ont tout autant d’importance, ce qui conforte et légitime l’intérêt de nos travaux de recherche.
Dans cette perspective, nous considérerons dans la suite de notre analyse que les ME relèvent de deux dimensions (Cf. figure 11) :
Une dimension technique,
Une dimension opérationnelle.
La dimension qui fait l’objet de nos travaux de recherche est la dimension opérationnelle.
Ergonomie
En outre, l’ergonomie permet d’adopter une posture proche de la recherche-actio ;n (Barbier, 1996). En effet, l’analyse ergonomique des situations de travail ou des interactions homme machine a une finalité d’intervention (Darses et Montmollin, 2012b ; Daniellou et Béguin, 2004), soit par la production de normes ou recommandations d’ordre général à prendre en compte dans la conception, soit par la proposition de solutions spécifiques visant à améliorer les conditions de travail dans une situation donnée.
Ainsi, s’inscrire dans le cadre théorique de l’ergonomie nous permet d’une part, de mieux décrire et comprendre les ressorts de nos interrogations de recherche et d’autre part, d’utiliser les outils et méthodes de l’ergonome, pour être en mesure de proposer et tester des solutions d’opérationnalisation des ME (c’est-à-dire de transformer une ME réelle).
Enfin, géographie et ergonomie nous semblent avoir une proximité qu’il est intéressant de souligner. En effet, ce sont toutes deux des disciplines s’intéressant aux interactions entre des hommes et leur environnement. Si la géographie cherche à comprendre « les interactions sociétés-milieux » (Gautier et Pech, 2016, p. 336), l’ergonomie, elle, s’intéresse aux interactions entre les hommes composant ces sociétés et leur environnement de travail. Ainsi, il serait possible de conclure à une certaine logique ontologique s’agissant de recourir à l’approche ergonomique pour traiter de notre question géographique relative à l’amélioration de la protection de la biodiversité dans l’aménagement du territoire.
Nous présenterons le champ de l’ergonomie plus en détail dans la partie suivante, en regard avec notre questionnement de recherche.

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Table des matières

troduction
Chapitre 1 : Le contexte de notre recherche : la séquence ERC et les mesures compensatoires en France
1. La réglementation française
1.1. La séquence ERC et les mesures compensatoires dans le code de l’environnement
1.2. Les acteurs de la séquence ERC
1.3. Des recommandations générales pour définir les mesures compensatoires
1.4. Emergence du besoin de méthodes d’évaluation des mesures compensatoires (ME)
1.5. Conclusion
2. Les enjeux d’opérationnalité des méthodes dans la littérature scientifique
2.1. Les enjeux opérationnels absents de la littérature scientifique sur les méthodes
d’évaluation des mesures compensatoires
2.2. Des difficultés de mise en oeuvre de la séquence ERC à relier au manque de méthode d’évaluation des mesures compensatoires
2.3. Les mesures compensatoires, un sujet de société
2.4. Conclusion
3. Opérationnalité des ME développées en France
3.1. Les différentes ME développées en France
3.2. Prise en compte des enjeux opérationnels
3.3. Conclusion
4. Conclusion du chapitre 1
Chapitre 2 : Démarche de recherche
1. Choix d’un cadre conceptuel
1.1. Exploration de la bibliographie relative aux outils comparables aux ME
1.2. Etude comparative de plusieurs cadres théoriques
1.3. Bilan et choix du cadre conceptuel
2. Présentation de notre cadre conceptuel : l’ergonomie
2.1. Le champ de recherche de l’ergonomie
2.2. Les concepts et approches à retenir pour notre recherche
2.3. Les méthodes de l’ergonomie : l’analyse de l’activité
3. Notre démarche d’analyse
3.1. Analyse des pratiques
3.2. Les terrains d’étude
4. Conclusion du chapitre 2 : résultats intermédiaires et résultats attendus
4.1. Résultats intermédiaires
4.2. Résultats attendus
Chapitre 3 : Analyse des pratiques de dimensionnement des mesures compensatoires en France
Les projets étudiés et leur contexte
Déroulement du dimensionnement des mesures compensatoires
2.1. Les étapes du dimensionnement : un véritable processus
2.2. Une discussion entre aménageur, services de l’État et bureau d’études
2.3. Un processus diffus
2.4. Conclusion
3. Les opérations réalisées dans le cadre du dimensionnement des mesures compensatoires
3.1. Définir – calculer
3.2. Préconiser
3.3. Argumenter
3.4. Vérifier
3.5. Conclusion
4. Les typologies d’acteurs du dimensionnement
4.1. Typologies des aménageurs
4.2. Les services de l’État
4.3. Les bureaux d’études
4.4. Conclusion
5. Les conditions de réalisation des opérations
5.1. Les contraintes
5.2. Les ressources
6. Place des méthodes d’évaluation dans le processus de dimensionnement
6.1. Leur utilisation
6.2. Position des acteurs sur les ME
6.3. Place des ME dans les différentes opérations du dimensionnement
6.4. Conclusion
7. Conclusion du chapitre 3 : résultats intermédiaires
Chapitre 4 : Résultats : caractérisation de l’opérationnalité des ME et repères pour la conception
Caractérisation de l’opérationnalité
1.1. Utilité et usage
1.2. Critères d’utilisabilité
1.3. Critères d’acceptabilité socio-organisationnelle
1.4. Bilan : des ME à décliner selon les usages ?
2. Evaluation de l’opérationnalité
2.1. Résultats attendus de l’évaluation de l’opérationnalité des ME
2.2. Protocoles de tests
2.3. Bilan et discussion
Conclusion du chapitre 4 : des repères méthodologiques pour une conception orientée vers l’opérationnalité
3.1. Synthèse des résultats
3.2. Repères méthodologiques pour une conception orientée vers l’opérationnalité
Chapitre 5 : Application de nos résultats de recherche : opérationnalité des ME françaises et améliorations de MERCIe
L’opérationnalité dans le processus de conception des méthodes d’évaluation françaises
1.1. Matériel et méthodes
1.2. Résultats
1.3. Synthèse des résultats et discussion
2. Application du cadre d’analyse de l’opérationnalité et des repères de conception sur un cas d’étude, MERCIe
2.1. Test théorique
2.2. Tests terrains
2.3. Tests utilisateurs
2.4. Conclusion et discussion
2.5. Propositions de modifications de MERCIe pour une meilleure opérationnalité
3. Conclusion du chapitre 5
Conclusion et perspectives
Bibliographie

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