INTRODUCTION
La schizophrénie et les troubles de la mémoire
La schizophrénie est une pathologie fréquente en psychiatrie. C’est une maladie mentale qui débute vers la fin de l’adolescence, début de l’âge adulte. Elle affecte un peu plus les hommes que les femmes et touche toutes les classes sociales.
La grande diversité des symptômes cliniques qui la caractérisent, font qu’elle reste encore mal comprise et qu’il n’existe pas à ce jour de modèle satisfaisant permettant de rendre compte de cette diversité clinique. Néanmoins, les troubles de la mémoire qui sont fréquemment observés chez les patients schizophrènes, rendent pertinente l’étude des anomalies de la mémoire autobiographique dans cette pathologie. En effet, une défaillance dans la construction des souvenirs ou dans l’organisation de la mémoire autobiographique pourrait permettre d’expliquer certains symptômes cliniques tels que l’altération du sentiment même de soi ou le délire.
Au cours des dernières décennies, les données se sont accumulées montrant que la schizophrénie est associé à une altération significative du fonctionnement cognitif. Plus précisément, les déficits de l’attention, la mémoire et les fonctions exécutives ont été régulièrement rapportés chez des patients atteints de la schizophrénie. La mémoire est considérée comme l’une des principales zones de déficit cognitif dans la schizophrénie.
Bien que les pionniers de la recherche sur la schizophrénie, Kraepelin et Bleuler, ont considérés les fonctions de mémoire comme étant relativement préservées dans cette pathologie, de nombreuses études menées dans la seconde moitié de ce siècle ont montré que les patients souffrant de schizophrénie ont de mauvais résultats sur un large éventail de tests sur la mémoire.
L’étude de la mémoire a conduit à l’identification de différents types de mémoire, dans la suite nous nous focaliseront sur deux types : la mémoire spécifique et la mémoire épisodique.
La mémoire spécifique désigne des souvenirs d’événements qui se sont passés sur moins de 24 heures(et non un souvenir général d’une période de vie ou d’événements qui se sont répétés à l’identique). Quand à la mémoire épisodique, elle désigne les souvenirs d’événements vécus avec leur contexte, que ce soit la date et lieu mais aussi l’état émotionnel. En effet, la récupération d’un souvenir épisodique s’accompagne d’une expérience de « remémoration consciente », elle se réfère à un état subjectif de conscience particulier. Celle-ci correspond à la capacité à voyager mentalement dans le temps et à revivre mentalement l’événement.
La méta-analyse
La méta-analyse est une synthèse systématique et quantifiée. Elle est systématique car elle implique une recherche exhaustive de tous les essais publiés et non publiés. Elle est quantifiée car elle se base sur des calculs statistiques permettant une estimation précise de la taille de l’effet de la pathologie. L’utilisation des statistiques permet de prendre en compte le fait que les conclusions d’un essai se basent sur des tests statistiques et que les résultats obtenus dans plusieurs essais peuvent être différents, uniquement du fait du hasard.
La méta-analyse est une démarche ayant plusieurs avantages par rapport aux méthodes narratives traditionnelles. En combinant quantitativement les résultats d’un certain nombre d’études, la puissance du test statistique est augmentée considérablement, on obtient une précision optimale dans l’estimation de la taille de l’effet et en cas de résultats apparemment discordants on a une vue globale de la situation. Enfin, en extrayant les données quantitativement des études, la méta-analyse permet d’examiner plus précisément l’influence de variables potentielles sur la taille de l’effet.
Le but du stage
Le but de mon étude est double. Le premier objectif est de déterminer l’ampleur, l’étendue et la forme de troubles de la mémoire dans la schizophrénie par méta-analyse des données provenant d’études publiées au cours des deux dernières décennies. Le deuxième objectif est d’examiner l’effet des variables modératrices potentielles, comme les variables cliniques (l’âge, la durée de la maladie du patient…) et les caractéristiques des études (méthode de récolte des données utilisée, proportion de femme…), sur l’association schizophrénie et troubles de la mémoire.
Le présent rapport présente deux méta-analyses, une pour chaque type de mémoire : mémoire spécifique et mémoire épisodique.
METHODES
Recherche bibliographique
La recherche bibliographique et la sélection des articles s’effectuent en deux étapes :
• une recherche primaire, basée sur des mots-clés se référant au sujet : « autobiographical memory », « remote memory », « schizophrenia ».
Un serveur bibliographique, PubMed, a été interogé avec ces mot-clés. A partir des titres et des résumés, 50 articles ont été présélectionnés.
• une recherche secondaire, qui suit un protocole de sélection des articles : tout d’abord, chaque étude doit inclure des mesures valides sur la performance de la mémoire, c’est-à-dire de la spécificité et de la périodicité. Aussi, les études doivent comparer les performances des sujets témoins sains avec les performances de patients atteints de schizophrénie. Enfin, les études doivent inclure suffisamment de données pour le calcul de l’effet standardisé (que nous verrons plus tard), c’est-à-dire les moyennes et les écart-types du critère étudié et le nombre de patients et de témoins.
Nous obtenons 22 articles qui répondent aux critères de notre méta-analyse.
Collecte des données
Les données recueillies proviennent directement des articles, mais certains auteurs ont été sollicités contactés par mail, lorsque les études ne les fournissaient pas. La plupart des auteurs ont répondu positivement à la demande.6
Pour chaque méta-analyse (et donc pour chaque type de mémoire), les données nécessaires sont les moyennes et les écart-types du critère de jugement ainsi que le nombre de patients et de témoins dans chaque étude. Les moyennes et les écart-types sont calculés à partir des valeurs récoltées pour chaque individu testé. La méthode de test n’est pas la même selon l’étude et selon le type de mémoire. Les méthodes sont :
• pour la mémoire spécifique : AMT et Piolino 34
• pour la mémoire périodique : Borrini, Piolino 04, AMI et BAGI episodic
Chaque étude ne comporte pas forcément les données des deux types de mémoire. C’est pourquoi, chaque méta-analyse ne prendra pas en compte tous les articles sélectionnés.
Enfin, pour évaluer l’influence de covariables sur l’effet calculé, différentes valeurs sont collectés :
• la durée moyenne de la maladie chez les patients
• le niveau de dépression chez les malades (BDI)
• l’âge moyen des patients
• le sexe-ratio dans le groupe patient
• la méthode pour calculer le critère de jugement
• l’échelle des symptômes positifs et négatifs PANSS (Positive And Negative Syndrome Scale)
• le nombre moyen d’années d’éducation dans les deux groupes
Choix du modèle : modèle fixe ou modèle aléatoire ?
Dans le modèle fixe, les vrais effets sont considérés comme identiques quel que soit l’essai.
Cette hypothèse est relativement forte et n’autorise pas de modification de l’effet en fonction des caractéristiques de l’essai. Alors que le modèle aléatoire permet au vrai effet de varier.
Dans notre cas, l’effet étudié est l’effet de la schizophrénie sur la mémoire. Or, cette pathologie varie selon le pays, les patients, la méthode d’étude etc… Ainsi, le modèle aléatoire est choisi pour les méta-analyses.
Effet standardisé
Une définition et les calculs théoriques de l’estimation de l’effet standardisé commun sont donnés dans le « Manuel pratique de méta-analyse des essais thérapeutiques », de Michel Cucherat :
« Un modèle aléatoire pour les effets standardisés a été proposé par Hedges. Ce modèle suppose que les vrais effets standardisés δi de chaque essai ne sont pas tous identiques entre eux, mais au contraire variables et distribués suivant une loi normale. Ce modèle revient à considérer les δi comme des réalisations d’une variable aléatoire gaussienne γde moyenne η et de variance σ². »
Nous estimons l’estimateur de l’effet standardisé pour chaque essai di ainsi que l’estimateur de l’effet standardisé commun d avec la fonction metacont sous R
Biais de publication
La méta-analyse doit, en principe, regrouper la totalité des articles qui traitent du critère étudié. Mais comme il existe des essais non publiés, cette exhaustivité est difficile à atteindre et fait courir le risque d’un biais qu’on appelle biais de publication.
Ce dernier peut être détecté graphiquement dans un graphique en entonnoir (funnel plot).
Un funnel plot est un diagramme de dispersion des estimations de l’effet par rapport à une mesure de précision de l’étude, ici l’erreur type (Standard error). Une asymétrie dans l’entonnoir peut être le signe d’un biais de publication. La fonction sous R utilisée est la fonction funnel. Un test permet également de conclure à une asymétrie, il s’agit du test d’asymétrie metabias sur R, avec comme hypothèse nulle : H0 : « il n’y a pas d’asymétrie ».
Cependant, juger de l’asymétrie dans un funnel plot peut être difficile. On considère donc d’autres moyens d’évaluer le risque de biais de publication. Il s’agit de deux analyses de sensibilité :
• Trim-and-fill
• Fail-Safe N
La méthode Trim-and-fill estime le nombre d’études, en faveur de l’absence d’effet, manquantes dans la méta-analyse. Pour cela on tape la ligne de commande trimfill sous R.
Ces points peuvent être ajoutés au funnel plot grâce à la fonction funnel.
Le Fail-Safe N est le nombre d’études, en faveur de l’absence d’effet, qui doivent être ajoutées pour réduire l’effet obtenu à un niveau négligeable (non significatif). Sous R, la fonction nous donnant ce nombre est la fonction fsn.
Les covariables
La littérature suggère un certain nombre de variables qui peuvent affecter les performances de la mémoire de patients atteints de schizophrénie. Nous évaluons l’influence potentielle de plusieurs facteurs sur l’effet. Les covariables étudiées peuvent être divisées en deux groupes : les variables cliniques et les caractéristiques de l’étude.
Les variables cliniques incluent l’âge moyen des patients, leur niveau de dépression, la durée moyenne de leur maladie, et pour la gravité de la psychopathologie nous utilisons uniquement les études contenant l’échelle des symptômes positifs et négatifs (PANSS).
D’autres mesures de psychopathologie, tels que l’échelle abrégée d’appréciation psychiatrique (BPRS), l’échelle d’appréciation des symptômes positifs (SAPS) et l’échelle d’appréciation des symptômes négatifs (SANS), n’ont pas été incluses en raison d’un manque d’informations dans les essais.
Les caractéristiques des études sont l’année de publication, la taille des échantillons dans chaque groupe, le sexe-ratio, le niveau d’éducation des deux groupes, la méthode de calcul du critère de jugement.
Modélisation de l’effet
La variable Y à expliquer représente l’effet standardisé. Les Xj explicatives sont les covariables représentant les différents facteurs cliniques et caractéristiques des études.
Chaque essai nous donne une valeur de Y et des valeurs de X qui sont les valeurs moyennes de ces variables observées dans cet essai. L’essai représente l’unité statistique. On peut également transformer les variables binaires en variables continues. Par exemple pour le sexe, la proportion d’hommes ou de femmes est assimilable à une variable continue.
A partir des données, les techniques de régression par les moindres carrés permettent d’estimer les coefficients βj et de tester l’influence des variables explicatives sur la valeur de l’effet. Ici, il s’agit du test des coefficients β j à zéro :
H0 : βj= 0
Dans le cas de la régression linéaire simple, le test de Fisher permet d’évaluer le pouvoir explicatif de la variable X. La statistique du test F est souvent calculée dans le tableau d’analyse de la variance de la régression. Les fonctions permettant de faire cette analyse sous R sont les fonctions lm et anova.
Vérification des conditions d’application de la régression des moindres carrés
Nous vérifions trois hypothèses de nos modèles à savoir l’indépendance, la normalité et l’homoscédasticité des données.
Condition d’indépendance
Il n’existe pas de test statistique simple permettant de vérifier l’indépendance. Mais les conditions expérimentalles dans chaque études nous permettent d’affirmer cette hypothèse.
Condition de normalité
Pour vérifier la normalité des variables d’erreur ε, nous utilisons le test de Shapiro-Wilk.
Les variables d’erreur doivent être indépendante et l’hypothèse nulle est la suivante :
H0 : « les variables d’erreur ε suivent une loi normale »
La fonction sous R utilisé est la foncion shapiro.test. Nous utilisons la p-valeur donnée par R pour conclure.
Condition d’homoscédasticité
La régression linéaire fait l’hypothèse de l’homoscédasticité, c’est-à-dire de la constance de la variance de la variable dépendante. Plusieurs tests permet de vérifier cette condition, nous utiliserons le test de White sur R dont la fonction sous R est white.test. Pour cela nous devons charger le package bstats. Nous avons à notre disposition la p-valeur pour conclure.
Si les conditions ne sont pas vérifiées, nous utiliserons un test non paramétrique. Il s’agit du test de Kruskal-Wallis qui est similaire à celui de l’analyse de la variance. La fonction sous R qui permet de réaliser ce test est la fonction kruskal.test.
Faible nombre de points
Le faible nombre de points représente une limite dans ce modèle, chaque point représentant un essai. Ce qui entraîne une puissance assez faible et limite le nombre de variables explicatives que l’on peut introduire dans le modèle. C’est pourquoi, des analyses univariées successives des covariables sont préférables à des analyses plus globales prenant en compte simultanément ces covariables.
Rappel de quelques points relatifs aux tests
Nous effectuons différents tests au cours de cette méta-analyse. Rappelons brièvement quelques points relatifs aux tests : Nous nous proposons de tester l’hypothèse nulle H0contre l’hypothèse alternative H1. La décision d’un test consiste à choisir entre H0et H1, quatre cas sont possibles.
DISCUSSION
Le but de cette étude était de déterminer si et dans quelle mesure la schizophrénie est associée à des troubles de la mémoire et si cette association est influencé par des covariables potentielles. Les résultats des deux méta-analyses indiquent que la schizophrénie et les troubles de la mémoire sont associés de façon significative, comme en témoigne la taille des effets standardisés. La méthode aléatoire étant la technique de mesure utilisée, l’hétérogénéité des deux méta-analyses est pris en compte sans pour autant chercher à l’expliquer. Aussi, le « Fail-safe number » nous réconforte sur la significativité de l’effet étudié.
Parmi les covariables, seule la durée moyenne de la maladie affecte l’association schizophrénie et mémoire spécifique mais n’intervient pas dans l’association schizophrénie et mémoire épisodique. Nous pourrions nous demander pourquoi ce facteur joue un rôle dans un type de mémoire et pas l’autre.
Aucune relation n’a été observée entre l’âge moyen des patients et les troubles de la mémoire. Malheureusement, parce que toutes les moyennes sont inférieures à 50 ans, aucune conclusion ne peut être faite concernant la relation entre le vieillissement cognitif et la mémoire dans la schizophrénie.
Cependant étant donné le facteur de la durée de la maladie, une étude plus précise, avec des moyennes d’âge plus grandes, serait préférable.
Les variables cliniques telles que le niveau de dépression (BDI) ou l’échelle des symptômes positifs et négatifs (PANSS) ne semblent pas influer sur les troubles étudiés. Ainsi, l’altération de la mémoire dans la schizophrénie est d’une robustesse considérable et n’est pas facilement animée par des variables qui peuvent sembler pertinentes. Il est important de noter que nos méta-analyses ne traite pas de la relation entre les
traitements et les performances de la mémoire directement, mais compare les performances de groupes non traités et de groupes malades traités. Les différences de statut de traitements peuvent être causées par des différences dans les facteurs cliniques.
Les résultats de notre méta-analyse ont des implications cliniques. Le déficit de mémoire dans la schizophrénie est susceptible d’avoir des répercussions sur les traitements et les réadaptations. Une compréhension approfondie des déficits cognitifs dans la schizophrénie peut empêcher l’échec des traitements futurs. Par exemple, des thérapies, qui nécessiteraient des fonctions d’apprentissage et de mémoire avancées, seront sans doute inefficaces.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. La schizophrénie et les troubles de la mémoire
2. La méta-analyse
3. Le but du stage
METHODES
1. Recherche bibliographique
2. Collecte des données
3. Choix du modèle : modèle fixe ou modèle aléatoire ?
4. Analyse des données
a) Effet standardisé
b) Test d’association
c) Test d’homogénéité
d) Forest plot
e) Biais de publication
5. Les covariables
6. Modélisation de l’effe
7. Vérification des conditions d’application de la régression des moindres carrés
a) Condition d’indépendance
b) Condition de normalité
c) Condition d’homoscédasticité
d) Faible nombre de points
8. Rappel de quelques points relatifs aux tests
RESULTATS
I. Analyse de l’association entre la schizophrénie et la mémoire spécifique
1. Méta-analyse
2. Forest plot
3. Biais de publication
4. Recherche d’interaction : régression linéaire
II. Analyse de l’association entre la schizophrénie et la mémoire épisodique
1. Méta-analyse
2. Forest plot
3. Biais de publication
4. Recherche d’interaction : régression linéaire
DISCUSSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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