Après une douzaine d’années de cours particuliers en mathématiques, dispensés à de nombreux élèves de tous niveaux scolaires, je me suis posé des questions sur l’apprentissage des élèves, et en particulier, je me suis demandé quelle était la nécessité pour eux d’avoir recours à un tel soutien. Pourquoi tous ces élèves avaient-ils besoin de prendre des cours en plus de ceux qu’ils suivent au collège ou au lycée ? Faut-il aller chercher du côté de la classe, ce qui a pu leur manquer dans les cours dispensés par leur professeur de mathématiques, et qui aurait permis que certains apprentissages se fassent ? Leur travail personnel est certainement aussi à mettre en cause, mais que leur donne-t-on à faire à la maison, et comment apprennent-ils à travailler seuls et correctement ? En particulier – et c’est à cette occasion que beaucoup d’élèves se décident à prendre des cours de soutien – comment préparent-ils les contrôles ? Comment expliquer la nécessité de cette aide, devenue si courante en mathématique pour éviter l’échec aux évaluations ?
Toutes les particularités liées à la situation privilégiée des cours individuels expliquent peut-être en partie leur efficacité, ou du moins leur popularité auprès de ceux qui y ont recours. Mais à l’origine de ce succès, il y a aussi une stratégie didactique d’apprentissage liée au cours particulier de mathématique. C’est ce que nous avions mis en évidence dans une première recherche (Horoks, 2002) qui avait pour but d’analyser les déroulements de quelques cours particuliers afin de mieux comprendre ce qui en faisait la relative efficacité .
Nous nous étions appuyé sur les travaux de Vygotski (1934, 1978) non pas dans le cadre mathématique ni même scolaire, mais dans celui du développement de l’enfant. Il considère très schématiquement que l’apprentissage comporte deux phases : l’apparition de nouvelles structures et le perfectionnement des anciennes. Le niveau présent du développement de l’enfant correspond aux éléments qui sont chez lui au stade de maturation.
Vygotski émet l’hypothèse de l’existence d’une zone proximale de développement (ZPD) qui caractériserait chez un individu, son niveau de développement actuel et ses possibilités d’apprentissage d’une connaissance donnée, à travers des interactions éventuelles avec un tiers, enseignant ou autre. Grâce à cette collaboration en effet, l’enfant pourra résoudre des problèmes qu’il n’aurait pas su résoudre seul. L’enfant est capable d’imiter ce qui est déjà dans son stade de connaissance, et à l’aide d’un tiers il est capable d’imiter ce qui est suffisamment proche de ce stade. Ainsi s’il y a imitation possible, il y a apprentissage possible. Vygotski suggère de ce fait l’analyse de l’aide apportée par ce tiers dans l’apprentissage de l’élève.
La théorie de Vygotski nous paraissait convenir à une analyse de séance de cours particulier, dans la mesure où celui-ci est justement constitué d’une suite d’interactions entre deux individus, professeur et élève, et que l’échange a pour but l’apprentissage d’une ou plusieurs connaissances données. Schématiquement, tout se passe comme si le professeur mettait en évidence, pendant le cours particulier, pour une notion précise et à un moment donné, la ZPD de l’élève. Pour peu qu’il sache définir le niveau de connaissances de l’élève, en se plaçant « juste au-dessus », le professeur lui permet ainsi l’apprentissage de notions nouvelles. Le cours particulier tel que nous l’avons modélisé se déroule alors en deux temps importants : le repérage de la ZPD de l’élève sur une notion donnée, puis l’utilisation du niveau de connaissances de l’élève pour la résolution des tâches successives, avec éventuellement une démarche en sens inverse, un retour à des tâches plus compliquées, lorsque le niveau de l’élève est suffisant pour l’envisager .
D’après nos analyses, cette méthode permet visiblement un travail effectif de l’élève, et selon le modèle de Vygotski, peut mener à un apprentissage des notions étudiées, mais la simple observation de trois séances de cours particuliers ne nous permettait pas de démontrer un bénéfice à plus ou moins long terme pour chaque élève. Nous ne savons donc pas dans quelle mesure il y a eu apprentissage, ni même si cet apprentissage aura eu lieu ; tout au plus, peut-on espérer avoir transmis à l’élève une méthode de travail plus efficace. C’est en considérant les résultats de ces élèves en classe qu’on aurait pu avoir une réponse partielle à cette question, ce qui n’a pas été le cas dans cette recherche. La variété des contenus mathématiques étudiés par les trois élèves au cours de ces séances limitait aussi la recherche. Ce modèle didactique d’apprentissage est-il toujours valable quelle que soit la notion ?
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Table des matières
Introduction
I) Questionnement, cadre théorique et problématique
1) Nos objectifs initiaux, (abandonnés rapidement en cours de route)
2) Un premier travail de recherche sur les cours particuliers
3) Les difficultés d’une telle recherche : public et privé sont opaques
4) Quelques changements de stratégie du chercheur : retour au public
5) Notre cadre théorique
6) Problématique : tâches, activités, contrôle sur les triangles semblables
II) Eléments de méthodologie : outils pour les analyses
1) Méthodologie pour l’analyse de la notion
2) Méthodologie pour l’analyse des tâches
3) Méthodologie pour l’analyse du déroulement
4) Méthodologie pour la comparaison avec les contrôles
5) Méthodologie pour l’analyse des exercices des manuels
6) Méthodologie pour l’analyse des pratiques et pour la comparaison entre les professeurs
7) Méthodologie pour la description raisonnée
8) Méthodologie pour l’utilisation de la vidéo dans l’analyse des pratiques : un outil récent en didactique
III) Analyse de la notion de triangles semblables et de triangles isométriques
1) Analyse épistémologique
2) Analyse des programmes scolaires
Conclusion
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