Analyse de la contribution des systèmes laitiers au développement durable des territoires

Considération historique et dynamique de la production laitière à travers le monde A ce jour, 27 % de la population active mondiale est impliquée dans une activité agricole (World Bank, 2018). En parallèle, un rapport conjointement rédigé par la FAO, le GDP et l’IFCN (2018) estime que sur les 900 millions de pauvres dans le monde qui vivent avec moins d’1,9 US$/jour, environ la moitié dépendent directement de l’élevage pour leur subsistance. L’élevage laitier n’est pas en reste puisqu’il est estimé qu’environ 150 millions de ménages – et plus de 750 millions de personnes – sont engagés dans une activité laitière, la plupart habitant dans des pays en développement (FAO, 2010).

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’agriculture dans le monde a connu des décennies de développement productiviste – basé sur l’utilisation d’engrais minéraux et de pesticides, l’amélioration génétique et les progrès technologiques de la mécanisation – modèle appliqué là où les conditions techniques et économiques le permettaient (Benhammou, 2009 ; Cochet 2011). Au niveau européen, ce modèle de développement a eu pour conséquence l’agrandissement et la spécialisation des exploitations, l’intensification de l’usage du sol avec l’augmentation des intrants (fertilisants, pesticides) et la simplification des systèmes agricoles (Dubs et al., 2003), l’utilisation croissante de processus type industriel ainsi que l’élévation continue de la productivité physique du travail et de la production (Gambino et al., 2012). Si les pays en cours de développement ont encore peu profité de cette évolution, cette « révolution verte » a permis le développement de pays considérés comme émergents, qui ont ainsi vu leur production agricole considérablement augmenter dès le début des années 70. En effet, les rendements moyens en céréales en Inde et au Brésil sont passés respectivement de 947 et 1346 kg/ha en 1961 à 1350 et 1575 kg/ha en 1980, pour ensuite plus que doubler pour atteindre 3150 et 5208 kg/ha en 2017 (FAOSTAT).

Cette intensification de la production agricole a également touché le secteur laitier, qui est en pleine mutation. La croissance de la population couplée à celle de la consommation de produits laitiers par habitant (dans les pays en développement, la consommation de lait par habitant est passée de 37,5 kg/an en 1987 à 55,2 kg/an en 2007 ; FAO, 2013) sous-tend à une augmentation de la demande, surtout dans les pays émergents. Alexandratos et Bruinsma (2012) estiment ainsi que la production mondiale laitière devrait augmenter de 62% entre 2005 et 2050. On assiste également à une mondialisation des échanges et à l’accroissement de la pression concurrentielle entre les différents acteurs des systèmes agroalimentaires. Les 20 groupes laitiers leaders du secteur, au rayonnement international, accumulaient plus de 180 milliards d’euros de chiffre d’affaires sur leurs seules ventes de produits laitiers (Coppes et al., 2018). En outre, ces groupes ont favorisé la concentration de l’activité – production, transformation et distribution – au sein de quelques acteurs (Napoléone et al., 2015). La structuration du secteur laitier s’est faite à l’échelle mondiale, que ce soit dans des pays aussi vastes que l’Inde, désormais le premier producteur mondial avec environ 170 millions de tonnes de lait produit en 2017 (FAOSTAT), ou encore dans des micro territoires insulaires isolés comme l’Île de La Réunion.

Lait et territoires
L’agriculture est fortement ancrée au territoire. Les interactions sont nombreuses et souvent réciproques. L’élevage laitier bien évidemment n’échappe pas à ces considérations. En effet, les exploitations laitières ont de multiples effets sur les écosystèmes et sociétés où elles s’inscrivent et à ce titre elles peuvent ainsi être considérées comme parties prenantes du développement des territoires.

Le territoire est ici défini comme un concept qui relie le paysage à la communauté (Caron, 2015). Il peut être défini comme « un espace socialement conçu qui représente, dans une même référence identitaire et temporelle, un cadre réglementaire et un périmètre pour l’action publique » (Vanier, 2010). Pour Caron et al. (2017), l’intérêt croissant pour le concept de territoire en agriculture est impulsé par la préoccupation de prendre en compte les niveaux d’organisation spatiaux, plus inclusifs que le seul niveau de mise en œuvre des pratiques, c’està-dire l’exploitation agricole.

De l’organisation locale des filières laitières découle d’ailleurs l’orientation productive des exploitations ainsi que le fonctionnement des services associés tels que l’assistance technique, le crédit ou l’accès aux intrants. S’y ajoutent les dynamiques d’utilisation des terres ainsi que l’intégration entre activités et les aménagements. En parallèle, les caractéristiques des territoires – physiques, culturelles, mais aussi socioéconomiques et socio-écologiques – pèsent sur les orientations productives des activités (Alavoine et Madelrieux, 2015 ; Napoléone et al., 2015). Bien que le marché laitier soit mondialisé, les systèmes de production restent pour une large majorité ancrés dans leurs territoires (Perrot et al., 2015) et dans certains cas l’ancrage territorial – au sens d’un processus d’apprentissage collectif localisé et orienté vers la création de ressource – fait partie de la stratégie de structuration de la filière (Frayssignes, 2001 ; Moity Maïzi et Bouche, 2011).

Contribution de l’élevage laitier au développement durable des territoires Le lait et l’élevage laitier sont donc désormais au cœur de jeux de forces entre le local et le global (Napoléone et Corniaux, 2015 citant Hervieu et Purseigle, 2013), tout comme le développement durable, concept qui a émergé des critiques du modèle agricole productiviste ou « moderne ». Au travers du XXe siècle, l’agriculture mondiale a évolué vers un recours à la motorisation et mécanisation, une utilisation d’engrais synthétiques, une sélection des variétés culturales & des races animales et une spécialisation des productions. Mazoyer et Roudart (2006) définissent cette dernière principale transformation agricole comme « la seconde révolution agricole des temps modernes ». Ce type d’agriculture dite « moderne » nécessite beaucoup de capitaux et peu de main-d’œuvre – qui a été remplacée avec la motomécanisation des activités agricoles – et il est devenu le modèle dominant dans les pays dits « développés » ou du « Nord ». Dans les années 60, les questions environnementales commencent à émerger autour de cette agriculture « moderne » ainsi qu’à propos de projets de développement plus globaux mis en place par les pays du Nord dans les pays du Sud, projets également orientés vers ce type d’agriculture. Des voix s’élèvent pour dénoncer l’impact néfaste à long terme de l’utilisation massive de substances chimiques sur l’environnement (Carson, 1962). D’autres relèvent les nombreux effets néfastes induits par des projets de développement agricole, projets mis en place dans de nombreux pays alors dits « du tiers monde » par des organismes de coopération internationale. Ces impacts négatifs ont pris diverses formes : réduction ou détérioration des productions basées sur l’utilisation de ressources locales ; perte de biodiversité et dégradation des ressources locales ; empêchement d’alternatives de développement ; besoins financiers importants et non anticipés pour garder le projet opérationnel (Farvar et Milton, 1972). Le concept d’agriculture durable fait ici alors référence à une agriculture basée sur des principes d’interaction écologique et on peut ainsi en déduire que la durabilité avait cette époque une définition principalement environnementale (Harwood, 1990). L’ampleur des enjeux ne s’est cependant affirmée que dans les années 80 puis 90 avec la commission Bruntland en 1983, dont le rapport publié quelques années après officialise l’expression «développement durable » comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins » (CMED, 1987 ; Flipo, 2014). Depuis, différents courants de pensée se sont penchés sur le concept, l’orientant soit vers la notion d’efficience d’utilisation des ressources soit vers une mise en avant de l’importance des interactions de nature systémique entre les pratiques de production, les processus écologiques et les processus sociaux (Thompson, 1997 ; Mebratu, 1998 ; Mottet, 2005).

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Table des matières

Introduction Générale
1. Considération historique et dynamique de la production laitière à travers le monde
2. Lait et territoires
3. Contribution de l’élevage laitier au développement durable des territoires
4. Problématique et questions de recherche
Chapitre 1. L’élevage dans le développement durable des territoires : cadre d’analyse
1. Cadre d’analyse global
2. Enjeux de l’évaluation, dynamiques et diversité des systèmes de production laitiers
2.1. Enjeux de développement durable, de l’évaluation et de ses frontières
2.2. Dynamiques et diversité des systèmes de production laitiers par l’approche système agraire
3. Construction de la méthode d’évaluation de la durabilité
4. Evaluation de la durabilité et de la contribution au développement durable : application du cadre d’analyse dans deux territoires contrastés
Chapitre 2. L’élevage laitier et modèles de développement : analyse des transformations et première évaluation technico-économique des systèmes de production actuels
1. Reshuffling the cards of social dynamics in rural India through land rental and dairy farming? Case study of a micro-region in Andhra Pradesh
1.1. Introduction
1.2. Material & methods
1.3. Agrarian dynamics and evolvement of Vinukonda’s social fabric
1.3.1. Context of power relationships in the pre-independence period
1.3.2. Post-independence period (50s – 70s): superiority of large landowner castes and land reform failure
1.3.3. Green revolution (80s – 90s): water for ‘all’
1.3.4. Era of social changes (2000 – 2016): towards upward mobility through agriculture?
1.4. Economic assessment of current production systems
1.5. Discussion – are the cards reshuffled?
1.5.1. Absentee landowners: a way out of agriculture while retaining land ownership
1.5.2. Landless people: the forgotten of agrarian reforms and the victims of inequality in wealth generation
Conclusion Générale

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