Analyse de l’argumentaire des partis politiques dans le contexte des échéances électorales

Les stratégies discursives de Patrick CHARAUDEAU

   Dans un article publié dans la revue revues.org, relatif aux stratégies discursives théorisées par Patrick CHARAUDEAU et repris par Morgan DONOT et qui s’intitule: « Charaudeau, Patrick. 2013. La conquête du pouvoir. Opinion, persuasion, valeur. Les discours d’une nouvelle donne politique», Patrick CHARAUDEAU soutient qu’il s’agit d’un jeu d’attrapesouris où la raison et la logique sont reléguées au second plan, où le réel s’efface devant le rêve et l’utopie. Pour lui, tout se joue dans le registre de l’émotion. Ces stratégies feront l’objet d’une explicitation plus approfondie conformément à l’objectif attaché à l’analyse du corpus dans la dernière partie de ce travail de recherche. En ce sens, d’après l’auteur, le locuteur peut déployer trois types de stratégies: une stratégie de légitimation, une stratégie de crédibilité ou une stratégie de captation.

La stratégie de captation

   Enfin, celles-ci sont des opérations de charme destinées à obtenir l’adhésion de l’allocutaire en créant chez lui l’illusion d’être partie prenante d’une cause ou d’un groupe. A la suite d’AMOSSY et ses co-auteurs, d’éminents chercheurs à l’image de J. GOEBBELS ont fait une analyse des mécanismes et de la finalité du discours politique. Aussi, cet auteur dira-t-il : « nous ne parlons pas pour dire quelque chose, mais pour obtenir un certain effet ». Cette phrase est lourde de sens, elle donne le ton et la mesure : le discours politique repose sur la volonté absolue de convamcre. Pour atteindre cet objectif, selon toujours le même l’auteur, l’homme politique doit développer des stratégies particulières bonnes à savoir par tout chercheur dans ce domaine aux fins d’un examen pointu des produits discursifs :
•!• Le mécanisme de médiatisation : Ici, l’homme politique doit apparaître comme un «communicateur» et pour cela, il doit tenir compte des variations personnelles en élaborant une stratégie du « faire comprendre » qui tient compte d’une représentation du public et d’une utilisation du média.
•!• Les mécanismes d’«individuation et d’identification» : Dans cette posture, le politique doit se montrer à la fois «lui-même» et «porte-parole» de son groupe. De ce fait, il apparaît que les variations suivent l’image que l’homme politique veut donner, bien que le déterminisme de la fonction soit fort.
•!• Le mécanisme de référentialisation : Le leader politique doit être un constructeur de réalité ; à travers une accumulation de faits et causes par rapport auxquels il se positionne et qui lui servent de démonstration de la vérité de son raisonnement, la crédibilité étant assurée par son ancrage ainsi que celui de son parti dans la réalité politique.
Bref, le discours politique, au sens de GOEBBELS, n’a jamais cessé de se réclamer de l’efficacité et son but ultime est bel et bien de faire agir l’autre en usant de mécanismes appropriés. Sur le même registre, DORNA et BROMBERG, (1985), DORNA, (1987, 1989 et 1991), contribuant au débat sur les stratégies discursives, vont théoriser la notion de patterns stratégiques et leurs effets sur le discours politique. Pour ces deux discursivistes de l’argumentation, la stratégie discursive fait référence à tout ce qui précède la production du discours : donc à l’activité cognitive, à la mise en forme et à la mise en scène du discours. A ce propos, leur analyse de la polarisation des propositions des discours a permis de dégager trois types de patterns stratégiques :
./ Le type« monolithe», qui renvoie à l’exposition continue d’une seule alternative connotée positivement ou négativement. La forme monolithique se caractérise par une très grande fermeté et une forte polarité attitudinelle. Elle ne laisse que peu de place à l’ambiguïté en ce que la réalité étant ainsi plus affirmée .
./ Le type «bloc», qui fait allusion à la présentation successive et/ou itérative des différentes alternatives : positives, négatives ou neutres. Cette stratégie présente une faible polarité attitudinelle, car elle suggère une importante ambiguïté. De cette manière, elle permet l’ouverture à des réalités multiples .
./ Le type <<entonnoir», qui s’oriente vers l’élimination progressive de certaines alternatives pour ensuite conclure en termes nets et polarisés (positifs ou négatifs) en faveur de l’alternative.
La stratégie de l’entonnoir est une sorte de compromis entre les deux précédentes en ce sens qu’elle propose une ouverture tout en se polarisant à la fin. De ce fait, elle réaffirme une réalité au fur et à mesure. C’est dans cet ordre d’idées que KRIEG-PLANQUE (2003 et 2006), s’exprimant sur les formules politico-médiatiques telles que « le droit d’ingérence» et « le développement durable», synthétise les principaux acquis de l’approche de l’analyse du discours concernant les stratégies argumentatives. Pour elle, en effet, une formule est à la fois un événement de discours, un syntagme polyphonique, une source de création néologique et un concentré d’enjeux idéologiques. Toutefois, partant de l’idée qu’on admet que l’un des grands enjeux du langage politique est sa dimension argumentative au sens où, cette dernière est inhérente au langage politique. En plus, en ce qu’elle se définit comme un discours de pouvoir et d’action visant à provoquer des conduites, des prises de décision et des partages de valeurs auprès des citoyens ; en cela que le discours politique constitue un agir stratégique, mais aussi un agir dramaturgique en raison de sa spectacularisation dans les assemblées et les médias mais surtout que son argumentation repose entre autres sur des mécanismes pragmatiques. Alors, l’efficacité performative de ce type de discours mobilise conjointement ses phases locutoire (dire), illocutoire (faire en disant) et perlocutoire (susciter des réactions ou des croyances par le fait de dire). Ces paramètres conduisent d’autres chercheurs à préconiser une approche heuristique appropriée à son objet. D’une part, elle ne saurait se satisfaire des théories rationalistes, décontextualisées, atomisées et limitées à l’analyse formelle de tels ou tels raisonnements. A ce propos, comme l’écrivent WINDISCH, AMEY et GRETILLAT (1995 :60), il importe en effet de « déréifier l’argumentation » lorsqu’on la considère dans le domaine politique. Certes, on peut se concentrer sur un argument politique particulier, comme GAUTHIER (1995) qui étudie l’argument ad hominem et ses variantes. Dans le même sens, il est judicieux d’établir des typologies d’arguments, à l’image de BUFFON (2002) qui dénombre les arguments de causalité employés en politique ou de CHARAUDEAU (2005) qui répertorie la force des principaux arguments du discours politique (arguments par le poids des circonstances, par l’autorité de soi, etc.). Mais on doit tenir compte du tàit que de tels arguments ne sont que des constructions discursives qui cristallisent tout un entour contextuel et communicationnel sur des séquences données. D’autre part, les théories argumentatives normatives, comme celles de la pragma-dialectique (EEMEREN et GROOTENDORST, 1996), conviennent difficilement à l’analyse des discours politiques dans la mesure où les paralogismes et lesfallacies dénoncés par ces théories y sont légion, sans être nécessairement des manifestations répréhensibles de manipulation. Simplement, ils font partie de l’arsenal argumentatif variationnel dont disposent les locuteurs politiques, entre rationalité et stratégies plus louvoyantes, dans leurs discours d’influence. Cela n’empêche pas que les analystes de ces procédés puissent fournir des éclairages éthiques sur le caractère extrémiste de certains sophismes, à l’exemple de RASTIER (2006) et de RINN (2008) à propos de l’argumentation négationniste des sites racistes. Vue sous un autre angle, l’étude de la dimension argumentative du discours politique gagne à adopter une conception linguistiquement intégrée de celle-ci. Laquelle conception comporte trois grandes caractéristiques fondamentales dégagées à des degrés divers par AMOSSY (2000), CHARAUDEAU (2005) et PLANTIN (2005) que nous essayerons d’analyser en profondeur en articulation avec le corpus dans les lignes qui suivront plus tard (dernière partie).

Le discours politique de promesse et ses caractéristiques en contexte électoral

   La promesse en tant qu’acte de langage consiste à prendre un engagement oral ou écrit à répondre aux attentes des acteurs de la politique de communication. Dans cette lancée, des verbes comme «prédire», «faire espérer» ou «assurer», entre autres, sont employés pour dire à travers son discours que le nécessaire sera fait. A ce sujet, Kerbrat-ORECCHIONI (1984: 213) parlera de« discours du Parti, donc de parti pris, discours apologétique et polémique, dont l’enjeu est de dévaloriser la position discursive de l’adversaire tout en valorisant la sienne >>, Sur la même mouvance, Fallou MBOW (2003), convoquant le modèle de classification des actes de langage de J. L. AUSTIN, développera la notion d’actes de langage dénommés «actes prornissifs » ou encore «actes commissifs » qui s’insèrent dans le grand type appelé « actes obligatifs ». Pour lui, cette catégorie d’actes de parole permettent de parier, de garantir, de promettre, de convenir de, de contracter, de se lier, de donner sa parole. Autrement dit, l’énonciateur d’un énoncé « promissif » se met dans l’obligation d’adopter un comportement bien déterminé. C’est pourquoi, ces propos d’Idrissa SECK seraient à suffisance illustratifs: Ensemble. nous allons forger un Sénégal et des Sénégalais nouveaux autour du culte du travail bien fait et de la liberté d’entreprendre. Nous allons forger le Sénégal autour des valeurs d’éthique et de morale. Nous allons forger le Sénégal autour du culte du respect du bien public ; pour que ce qui appartient à tout le monde cesse d’être considéré comme n’appartenant à personne. (SECK, Janv. 2012) Aussi. par l’expression «nous allons forger … », revenue à trois reprises dans l’extrait comme un refrain, le leader d’opposition sénégalaise, à la conquête du pouvoir. donne l’engagement sur lui d’assurer, une fois élu à la tête du pays. d’assurer la restauration des valeurs de référence telles que le culte du travail et la liberté d’entreprendre tout en promettant de sonner la fin des comportements irresponsables et anti-républicains. Il use en même temps de la répétition en tant que procédé syntaxique pour atteindre son but de convaincre et de persuader les électeurs à lui accorder leur vote le jour du scrutin. Par ailleurs. dans une autre perspective foncièrement pragmatique, Oswald DUCROT(l984) qualifie les actes de langage qui jouent une fonction argumentative perceptible dans l’intention du locuteur d’ «actes performatifs». Ceci implique la performativité pour laquelle l’énoncé a une « valeur illocutoire.» Par conséquent, DUCROT estime qu’utiliser les mots c’est faire quelque chose ou communiquer quelque chose. En tenant ces lignent qui suivent, Dran1ane DEMBELE semble s’inscrire parfaitement dans ce contexte d’énonciation : Si je suis élu Président de la République, je renforcerai la démocratie, je ferai en sorte que les Maliens, quelle que soit leur conviction politique, cultivent la Fraternité Républicaine. Je consulterai régulièrement les formations politiques pour connaître leurs opinions, leurs avis, leurs points de vue sur les grands problèmes du pays. Je ferai en sorte que l’intérêt général dans notre pays soit au-dessus de tout et que l’on tourne la page des intérêts particuliers. (DEMBELE, 2013) :  A l’évidence, les expressions: «je renforcerai … »,je ferai en sorte … ))’ (( je consulterai … )), ne sont pas sans traduire une promesse tandis que ((l’on tourne la page des intérêts particuliers )) renvoie à une attitude à adopter par tous les citoyens Maliens, une fois que le candidat conquerra le pouvoir. D’après Patrick CHARAUDEAU, le discours politique de promesse consiste, pour le locuteur, à prendre un engagement oral ou écrit, à répondre aux attentes des allocutaires du message. Pour ce faire, il faut annoncer, prédire, faire espérer pour assurer que le nécessaire sera fait. Dans ce type de discours, le politique utilise l’ethos, le pathos et le logos. L’ethos, on le rappelle, participant à la construction de l’image de l’homme politique. Ainsi, l’image des acteurs politiques se construit au travers de l’ethos comme stratégie du discours politique. Par extension, tout acte (discursif ou non) qui contribue à rendre manifeste un tempérament ou des traits de sentiments, participe à l’ethos. C’est pourquoi, ARISTOTE pense en substance que le bon sens, la vertu et la bienveillance sont les éléments facilitant la confiance en l’orateur. Le logos quant à lui représente la logique, le raisonnement et le mode de construction de l’argumentation. Le pathos s’adresse à la sensibilité de l’auditeur; ses tendances, passions, désirs, sentiments et émotions. L’orateur cherche à faire ressentir à l’auditoire des passions telles que la colère, l’amour, la pitié, l’émotion. Cet énoncé extrait de l’allocution de Me Abdoulaye WADE s’avère très révélateur à ce sujet: Je veux saluer et remercier tous mes concitoyens, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes qui ont voté en ma faveur. Que tous les militants du PDS et des Forces Alliées, des mouvements de soutien ainsi que les citoyens sans parti politique, trouvent ici l’expression de ma profonde gratitude. (WADE, 2012) A l’analyse, l’on se rend compte que Me Abdoulaye WADE, et non moins candidat à sa propre succession à la magistrature suprême, est dans la posture d’un démocrate en tant que candidat talonné de près par le premier des candidats de l’opposition, et contraint d’aller au second tour de l’élection présidentielle même, tout en acceptant le choix des citoyens qui n’ont pas voté pour lui au premier tour, cherche à se montrer courtois et reconnaissant afin de gagner la confiance de ses militants ainsi que la sympathie des alignés ou celle de ceux dont les candidats sont déjà vaincus («saluer» «remercier. .. », «les citoyens sans parti politique .. . »). Dès lors, la volonté de soigner son image ou son éthos reste le souci majeur du Président sortant, résolu qu’il, est à se maintenir au pouvoir. Dans le même sillage, et pour rester notamment dans le contexte social ritualisé, le leader de la majorité présidentielle sénégalaise utilise des actes de langage dits« constitutifs» (MBOW, 2003) et plus précisément expressifs par le biais des salutations et des remerciements adressés d’abord à ses compatriotes; ceci, dans l’unique dessein de capter leur attention et par ricochet leurs voix le jour du scrutin. C’est alors dans cette orientation qu’on pourrait comprendre ici, le sens de cette entrée en matière d’ldrissa SECK: « Afes chers compatriotes, Sénégalais. Sénégalaises … Sénégalais !» Cette expression interpellative illustre en même temps, l’interdiscours, consubstantiel à la communication politique. Sa particularité est que cette formule est couramment utilisée par les politiques de l’époque contemporaine dans leurs allocutions. D’une part, on peut dire qu’il y a là un signe que le leader se situe dans un genre discursif particulier dit «les genres situés» et qui implique l’emploi d’actes de langage appropriés : «des comportatifs ».En effet, ce type d’actes de parole permettant d’accomplir des rituels tels que saluer, remercier, s’excuser, rendre hommage ou souhaiter la bienvenue, démontrent le souci qu’a le candidat de montrer son comportement et son attitude qui sont conformes à ceux socialement établis. D’autre part, l’on pourrait se dire que le candidat a conscience qu’il se situe dans un contexte purement social impliquant de se ranger dans l’optique des genres dits instituées puisque l’énoncé rend compte des formes de vie dont parlait Wittgenstein. Patrick CHARAUDEAU poursuit en soutenant que le locuteur ne doit pas se départir de son calme, de son rôle de sage. Sous ce rapport, on peut aisément comprendre le sens global de cet énoncé de Dramane DEMBELE: ( … ) je lancerai un programme national de grandes infrastructures : Barrages, Routes, Ponts, Logements Sociaux, Centres de santé, Grandes écoles, Salles de spectacles, Infrastructures sportives, culturelles et touristiques sur l’ensemble du territoire national. (DEMBELE, 2013) A travers ces lignes, Dramane DEMBELE se positionne en sauveur du peuple malien dont il envisage de mener vers le développement grâce à la mise en place d’infrastructures sociales de base. D’ailleurs, le niveau syntaxique même, avec l’emploi de la première personne du singulier «je .. . », confirme parfaitement cela. Donc, on peut retenir avec lui que dans le discours politique de promesse on utilise l’ethos et le pathos pour séduire l’auditoire; et celui qui parle de séduction parle de sentiments, mais persuade aussi. D’après ces articles, si l’argumentation par les chiffres relève du logos en raison de ses facultés démonstratives, elle confère souvent un ethos de sérieux et de compétence à ses énonciateurs, tout en mobilisant le pathos de ses énonciataires lorsque les chiffres sont excessifs. Ce qui transparaît en filigrane à travers cette portion du discours d’ouverture de la campagne du candidat de l’opposition malienne: ( … ) répondre à la demande des 250.000 ou 300.000 jeunes qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi. Toujours en direction des Jeunes, j’ai prévu de mettre en place un Service Civil Volontaire dont l’objectif annuel est d’engager 30.000 jeunes de 18 à 25 ans dans le monde associatif et les organisations humanitaires. (DEMBELE, 2013) Ici, à travers ces chiffres mis en relief. le candidat DEMBELE veut démontrer toute la détermination, tout le sérieux et la compétence qu’il a, pour parvenir à soulager les populations maliennes face à la crise de l’emploi.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE I : APPROCHE METHODOLOGIQUE
CHAPITRE II : REVUE DE LITTERATURE
CHAPITRE III : CADRE CONCEPTUEL ET THEORIQUE
CONCLUSION
SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES
REFERENCES ELECTRONIQUES
ANNEXES

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