Analyse de deux textes du recueil poisson soluble à la lumière de l’esthétique d’ANDRÉ BRETON

ANALYSE DE DEUX TEXTES DU RECUEIL POISSON SOLUBLE À LA LUMIÈRE DE L’ESTHÉTIQUE D’ANDRÉ BRETON

POISSON SOLUBLE, Texte n°23 « Tu sauras plus tard »

Forte de notre recherche sur « La pluie seule est divine », nous devrions pouvoir aborder avec plus d’assurance le second texte faisant l’objet de notre analyse mais le pouvons-nous vraiment quand on sait qu’un texte surréaliste se déchiffre un peu à la manière d’un cryptogramme et qu’aucune clef, malheureusement, ne nous en facilitera l’accès ? Il nous faut donc tout reprendre au commencement sans toutefois faire table rase de la connaissance accumulée puisqu’elle nous permettra, éventuellement, d’établir certaines comparaisons entre les deux textes et, ainsi, de faire jouer l’intratextualité pour mieux cerner celui sur lequel va maintenant porter notre étude. Retrouverons-nous la même atmosphère irréelle et invraisemblable que dans « La Pluie seule est divine » ? Si oui, quelle forme empruntera le texte n°23 pour la faire naître — conte, récit fantastique, récit à saveur autobiographique ou amalgame des genres comme dans le texte précédent ? Au cours de notre analyse, ce que nous prendrons pour acquis, c’est la certitude que le narrateur a dû mettre tout en œuvre pour justifier la place de l’historiette dans le recueil de Poisson soluble, ce recueil que, précisément, Sarane Alexandrian a qualifié de « texte rêve ». Est-il besoin de préciser que, devant un tel texte, l’errance est de mise parce que nous nous trouvons devant une infinité de possibles et que, parfois, interpréter tel indice plutôt que tel autre — sans jamais être sûre de l’hypothèse que nous émettons — ne nous fera pas nous fourvoyer : telle est la gageure de notre entreprise. Entrons donc de ce pas dans les arcanes poétiques de cette seconde œuvre surréaliste que nous avons choisie dans le cadre de notre mémoire.
Comme le texte n°16, le texte n°23 commence — de propos délibéré ou simple fruit du hasard —, par une phrase qui fait appel à « la pluie » mais le rôle de cette dernière est bien différent d’un texte à l’autre puisque, dans le premier, elle est source de vie, et dans le second, source de mort : Tu sauras plus tard, quand je ne vaudrai plus la pluie pour me pendre […] (ligne 1). Cet incipit nous précipite d’emblée au cœur d’une confidence murmurée comme à regret parce que le désespoir a fait son œuvre et que tout semble déjà avoir été consommé. Tandis que le texte nous invite à pénétrer plus avant, nous hésitons comme s’il s’agissait de franchir le seuil d’une maison inconnue où le mystère le disputerait à la curiosité. Pourtant, il n’y a pas à dire, nous reconnaissons bien tous les mots, nous en usons même couramment (pluie, pendre, étoile, bleue, bois, galons, herbes, rêves, rayons, soleil, poire, quatre) mais c’est leur agencement qui nous déconcerte. Partagée entre l’empathie et la surprise amusée, nous parcourons le message d’une vingtaine de lignes qui, imperceptiblement, nous fait décrocher de notre scheme mental habituel pour nous conduire dans un monde intemporel dans lequel se succèdent des tableaux logiquement irréels mais que, contre toute attente, nos sens perçoivent avec une netteté surprenante. C’est là précisément le résultat escompté par Breton qui, dans sa vie comme dans ses écrits, a constamment cherché à transfigurer le monde réel parce que « sous couleur de civilisation, sous prétexte de progrès, on est parvenu à bannir de l’esprit tout ce qui se peut taxer à tort ou à raison de superstition, de chimère; à proscrire tout mode de recherche de la vérité qui n’est pas conforme à l’usage ».
Tel le signal attendu qui fera s’élancer le coureur placé sur la ligne de départ, le syntagme « Tu sauras plus tard » sert de déclencheur et nous transporte immédiatement au cœur de l’intrigue sans que notre faculté raisonnante n’interfère, occupée qu’elle est à considérer la consigne l’intimant de lire sans essayer de comprendre, du moins, pas encore. Venu à point nommé, le temps futur a différé l’explication jusqu’à un énigmatique « plus tard » et c’est pourquoi nous absorbons presque sans y penser le lieu commun « quand je ne vaudrai plus la pluie pour me pendre ». Cependant, notre raison — routine oblige — se remet vite en fonction et. vient immédiatement buter sur la substitution du mot « corde » au mot « pluie ». Étrangement, cette altération semble s’intégrer merveilleusement à l’image que nous suggère la pluie utilisée comme moyen de pendaison : il y a là une douceur inusitée, comme si le point de non-retour produit par la corde se trouvait à être momentanément suspendu; comme si, contre toute attente, un mince filet d’espoir était sous-jacent aux paroles criantes de désespoir. Cette pluie dont le narrateur du texte n°16 n’a cessé de faire l’éloge, allant jusqu’à la choisir comme sujet principal de l’histoire et n’hésitant pas à en faire, métaphoriquement, son « amante », la voici qui devient, pour le narrateur du texte n°23, la consolatrice suprême de tous ses maux. À l’ultime instant et comme en dernier recours, l’être blessé au point que l’existence lui soit devenue insupportable, appelle à la rescousse son amie la pluie, afin qu’elle l’aide à mettre fin aux souffrances qu’il éprouve en ce monde. La pluie plutôt que la corde pour se pendre, sûr que 173 André Breton, « Manifeste du surréalisme », 1924, Manifestes du surréalisme, op. cit., p. 19.
c’est illogique, mais ô combien plus « parlant » ! Nous la voyons, cette pluie qui s’échine à tomber dru du ciel jusqu’à ce qu’il pleuve des cordes pour que le narrateur puisse se pendre, si tel est toujours son désir : mourir par la pluie plutôt que par la corde, c’est comme si on arrêtait de respirer, doucement, presque naturellement, et si ce n’est déjà plus tout à fait la vie, ce n’est pas encore tout à fait la mort, parce que l’amie fidèle, que l’on aime et qui nous aime, se tient à nos côtés, atténuant l’affliction du cœur… Déjà, à ce stade-ci de notre analyse, il nous a paru intéressant de faire jouer l’intratextualité parce que, dans les écrits de Breton, nous retrouvons un grand nombre de poèmes associant pluie, ennui et peine de cœur. La synthèse parfaite de cette détresse associée à un amour absolu pour la pluie se retrouve dans le poème « Non-lieu174 » : Art des jours art des nuits La balance des blessures qui s’appelle Pardonne Balance rouge et sensible au poids d’un vol d’oiseau Quand les écuyères au col de neige les mains vides Poussent leurs chars de vapeur sur les prés Cette balance sans cesse affolée je la vois Je vois l’ibis aux belles manières Qui revient de l’étang /acé dans mon cœur […] Art des jours art des nuits Je suis à la fenêtre très loin dans une cité pleine d’épouvanté Dehors des hommes à chapeau claque se suivent à intervalle régulier Pareils aux pluies que j’aimais Alors qu’il faisait si beau […] Le désespoir est artistiquement175 traduit en images par une succession de jours et de nuits plus monotones les uns que les autres, le poids intolérable des blessures, la quête d’un improbable pardon, le vide d’une existence qui balance entre l’épouvante et les regrets, le tout admirablement concrétisé dans le syntagme « l’étang /acé dans mon cœur » que nous Nous trouvons que le texte nous donne à voir le désespoir de la même manière que le ferait une peinture figurative.
déchiffrons plutôt comme « l’étang glacé dans mon cœur ». Le regret des jours à jamais perdus, métaphorisé par le syntagme « Alors qu’il faisait si beau », paraît d’autant plus poignant qu’il nous est nostalgiquement donné à voir par la phrase précédente, « Pareils aux pluies que j’aimais », la pluie symbolisant le passé que le narrateur du poème « Nonlieu » aimait tant et qui se trouve à jamais révolu. Ces pluies si ardemment désirées et tombant étrangement, « alors qu’il faisait si beau », ne sont pas sans rappeler la pluie verbale de l’écriture automatique que le narrateur du texte n°16 disait recevoir en vertu d’« un pacte éblouissant » passé entre la pluie et lui : « C’est en souvenir de ce pacte qu’il pleut parfois en plein soleil ». Plus encore, nous nous demandons si le narrateur du texte n°23 n’est pas, tandis qu’il ressasse douloureusement son passé, à la recherche désespérée de cette pluie salvatrice qui semble vouloir faire la sourde oreille. En effet, ces «mains vides » et ce cœur glacé qui s’épouvante que nous donne à voir le poème « Non-lieu » ne se retrouvent-ils pas inscrits en filigrane dans la deuxième proposition circonstancielle de temps de la phrase d’introduction du texte n°23 qui, fidèle au style bretonien, n’en finit pas de rebondir ? […] quand le froid, appuyant ses mains sur les vitres, […] viendra dire […] (lignes 1 à 2). Pourquoi cette suite de mots tout à fait ordinaires imprime-t-elle dans notre esprit une image qui dépasse le niveau de la simple personnification du « froid » ? Sans doute parce que notre esprit a interprété ce qui précède et que, la mort ayant fait son œuvre, c’est la vision d’un corps déjà froid qui prédomine. Dès lors, « le froid appuyant ses mains sur les vitres » a beau jeu d’entrer ostensiblement dans notre vision, comme s’il allait nous interpeller, ce qu’il fait d’ailleurs, puisqu’il « viendra dire ». Réalité ou reflet de notre imagination, peu importe, la narration nous entraîne vers des contrées où tout devient possible et où les mains participent de la vie impalpable que le surréalisme leur a attribué puisque que c’est grâce à elles que s’écoule le flux automatique. Là encore, on peut faire jouer l’intratextualité parce que cette vie impalpable à laquelle les mains participent, Breton n’a cessé, au fil de son écriture, de nous la donner à voir. Par exemple, dans le texte n°30 de Poisson soluble, c’est exactement ce qui se produit, dès que le narrateur se retire de la réalité pour écouter ce que lui disent les objets familiers qui l’entourent. La parole est d’abord donnée aux objets matériels (« le calorifère aux yeux bleus » et aux « grandes mains OX et OY »; « la porte »; « le plafond ») avant que d’être donnée, éventuellement, aux objets immatériels (« l’air creux qui parle dans ses mains ») : Le calorifère aux yeux bleus m’a dit, levant sur moi un regard de coordonnées
blanches sur le tableau noir, croisant sur moi ses grandes mains OX et OY : « Danseur, tu ne danseras plus que pour moi et pour moi seul se déferont tes sandales blanches nouées sur le cou de pied par une fausse herbe […]. Fais tomber ces voiles qui t’environnent encore et passe la main aux saisons pures que tu fais lever dans tes rêves, ces saisons où l’écho n’est plus qu’un grand lustre de poissons qui s’avance dans la mer, ces saisons où l’amour n’a plus qu’une tête qui est couverte de cerceaux de lune, d’animaux en flammes : l’amour, ce stère de papillons. » La porte m’a dit : « Fermemoi à tout jamais sur l’extérieur, cette aiguille que la plus belle de tes illusions n’arrive pas à enfiler tant il fait noir; condamne-moi, oui condamne-moi […] ». Le plafond m’a dit : « chavire, chavire et chante, pleure aussi lorsque la rosace des cathédrales le demande […]. Et promets-moi. » J’allais donner la parole à l’air creux qui parle dans ses mains comme on regarde quand on ne veut pas faire semblant de voir (l’air parle dans ses mains pour ne pas faire semblant de parler) mais la bougie riait depuis un instant et mes yeux n’étaient plus qu’une ombre chinoise.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Résumé
Remerciements
Introduction 
Chapitre I Texte n°16 « La pluie seule est divine 
Chapitre II Texte n°24 « Tu sauras plus tard » 
Conclusion 
Annexe
Bibliographie

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *