Éléments historiques
Dans les années 1960, les impacts environnementaux causés par les nouveaux modes de vie et de consommation ont conduit les pays industrialisés à mettre en œuvre des politiques environnementales en cherchant surtout à limiter les sources ponctuelles de pollutions, tels les rejets d’usine [Potting & Hauschild, 1997]. Malgré le succès de ces mesures, la multiplication des sources de pollutions dans le monde, émettant chacune de faibles quantités de polluants, a conduit à d’autres problèmes environnementaux majeurs comme la diminution de la couche d’ozone ou le réchauffement climatique [Potting & Hauschild, 1997]. Pour agir sur le cumul de ces sources de pollutions diffuses, les pouvoirs publics ont cherché à évaluer et promouvoir les produits les plus respectueux de l’environnement. La nouvelle approche consistait à agir sur le produit final, pour agir aussi indirectement sur tous les procédés amonts, nécessaires à la fabrication du produit [Guinée et al., 2001, Partie 1, p.4]. Les premières évaluations environnementales orientées produit ont été conduites aux États-Unis dans les années 1960 et 1970 et s’attachaient principalement à évaluer les consommations de ressources et d’énergie ainsi que la production de déchets [Wenzel et al., 1997, p.27]. Ces premières Analyses de Cycle de Vie (ACV), baptisées alors Resource and Environmental Profile Analysis, ont bénéficié au cours des décennies suivantes d’importants efforts de développement et d’harmonisation méthodologique sous l’égide de trois organisations internationales : la SETAC (Société de Toxicologie et Chimie de l’Environnement), l’ISO (Organisation internationale de normalisation) et le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’environnement) [Guinée et al., 2001, Partie 1, p.8]. Aujourd’hui, l’ACV peut être considérée comme l’un des principaux outils d’évaluation pour les décisions des politiques environnementales orientées produit [Potting & Hauschild, 1997; Reap et al., 2008a]. Dans le contexte français plus récent, l’ACV a été retenue comme méthode d’évaluation pour l’affichage environnemental des biens de grande consommation, prévu par la loi du Grenelle de l’environnement.
Définition des objectifs et du champ de l’étude
Les objectifs de l’étude. Dans cette étape sont définis les objectifs de l’étude et le système étudié. Il s’agit d’une étape essentielle pour la qualité de l’étude [Jolliet et al., 2005, p.19]. Doivent être stipulés notamment l’application envisagée de l’étude et le public auquel seront communiqués les résultats [ISO 14040, 2006, p.10]. Il est important de s’interroger préalablement sur les décisions opérationnelles qui pourraient découler des résultats ACV [Guinée et al., 2001, Part 3, p 45]. Celles-ci se révéleront souvent en cours d’évaluation et demanderont éventuellement d’ajuster les hypothèses faites sur le système étudié. Pour cette raison l’ACV doit être considérée comme un processus itératif [Wenzel et al., 1997, p.42]. L’unité fonctionnelle. Le champ d’étude d’une ACV doit comprendre plusieurs éléments, notamment les fonctions du système étudié et l’unité de mesure de cette fonction, appelée unité fonctionnelle [ISO 14040, 2006, p.12]. La définition de la fonction est fondamentale car l’évaluation porte sur la fonction des produits ou services étudiés et non les produits et services eux-mêmes. Par exemple, deux types d’ampoules, à incandescence et fluorescente, ne sont pas comparés directement sur la base des matériaux qui les constituent, mais sur la base de leur fonction, dont la principale est l’éclairage, mesurée en lumens. L’unité fonctionnelle est la mesure quantitative de la fonction étudiée, sur la base de laquelle on calcule les impacts. Dans l’exemple des ampoules, extrait de Jolliet et al. [2005, p.26], l’unité fonctionnelle choisie est la fourniture de 600 lumens pendant 6 000 heures. Il est essentiel dans une ACV de comparer les alternatives sur la base d’une même fonction. Celle-ci n’est cependant pas toujours simple à définir : Jolliet et al. [2005, p.26] montrent qu’il est absurde de comparer des sandales et des chaussures de ski, même si leur fonction principale commune est de chausser des pieds. Par contre, on pourra comparer la production et la mise à disposition de pois et de viande de bœuf, comme deux sources possibles d’apports en protéines. Les limites du système. Le système comprend l’ensemble des processus impliqués dans la réalisation de la fonction étudiée [Jolliet et al., 2005, p.33]. Il est souvent représenté sous la forme d’un arbre des processus. A titre d’exemple, la figure 1.2 indique les limites possibles du système pour la comparaison de systèmes d’élevage laitier, conventionnels et biologiques [De Boer, 2003]. Puisqu’il faut de l’énergie pour construire des infrastructures nécessaires à extraire l’énergie, l’arbre des processus est infini. La norme ISO 14044 [2006, p.9] indique les critères pour l’inclusion des processus dans le système étudié, sur la base de leur contribution en masse, énergie ou impact environnemental, soulignant encore une fois le caractère itératif de l’approche
Le sol, un intrant de la production limité dans le temps et l’espace
La définition du statut du sol est un préalable à la réalisation d’ACV de systèmes de production agricoles : est-il un intrant de la chaîne de production ou fait-il partie de l’environnement ? Cette limite entre système de produits économiques et environnement doit être clairement établie car les émissions sont évaluées dès lors qu’elles « entrent » dans l’environnement [Wegener Sleeswijk et al., 1996; Van Zeijts et al., 1999]. La nature duale du sol dans l’approche ACV pose problème : il est source et puit de matière et peut être rattaché aux deux systèmes, économique et environnemental. Cette remarque est applicable à d’autres ressources agricoles (par ex. l’eau ou le bétail) et plus généralement aux ressources du secteur économique primaire (pêche et forêt incluses) [Haas et al., 2000]. Pour prendre en compte l’impact des substances émises dans le sol et l’impact sur les fonctions 3 du sol, Cowell & Clift [2000] et Audsley et al. [2003] l’assimilent à un intrant auxiliaire traversant le système de production agricole, l’intrant auxiliaire étant défini comme une « matière entrante utilisée dans le processus élémentaire de production du produit, mais ne faisant pas partie du produit » [ISO 14040, 2006]. Cette approche est la plus couramment utilisée dans les ACV [Milà i Canals et al., 2007]. Dans cette conception, le sol possède des limites spatiales et temporelles. Cowell & Clift [1997] et Stewart & Weidema [2005] ont proposé des cadres d’analyse pour évaluer les modifications entre les états successifs du sol aux bornes spatiales et temporelles du système d’étude. Lindeijer et al. [2002] évaluent les impacts causés par les altérations du sol à l’intérieur de ces bornes.
Définition et typologie des sources d’incertitude
Plusieurs interprétations de l’incertitude sont possibles, Finnveden et al. [2009] définissent l’incertitude comme la divergence entre une valeur mesurée ou calculée et sa vraie valeur. Björklund [2002] indique qu’elle provient du manque de connaissance de la vraie valeur d’une variable ; l’auteur distingue l’incertitude et la variabilité, qui est attribuable à la fluctuation naturelle des systèmes, et regroupe dans le terme « incertitude » tout ce qui peut affecter la fiabilité de résultats ACV, comme l’inexactitude des mesures, l’utilisation de données incomplètes, l’imperfection des modèles, les hypothèses faites lors de l’ACV. A propos de la définition de l’incertitude, on peut s’interroger sur la pertinence de nommer incertitude les choix et les hypothèses effectués lors d’une ACV, dans la mesure où ces choix et hypothèses sont certains puisqu’ils ont été fixés par le praticien. D’autre part, puisque les résultats d’ACV sont une combinaison d’éléments objectifs et subjectifs, quelle est alors la signification d’une valeur vraie ? Cependant, nous emploierons dans la suite du document le terme incertitude tel qu’il est classiquement défini dans les ACV, à savoir tous les éléments (les manques de données, choix et hypothèses, erreur de modélisation. . .) qui peuvent affecter les résultats d’ACV [Huijbregts, 1998a; Björklund, 2002]. Ces sources d’incertitude ont été regroupées selon une typologie proposée par Huijbregts [1998a] et repris par Björklund [2002] (Tab 1.2). On peut constater que la difficulté à capturer la variabilité intrinsèque des émissions agricoles n’est qu’une source d’incertitude parmi d’autres.
Origine des émissions de NH3 et principaux déterminants
La volatilisation d’ammoniac du lisier, est le transfert dans l’atmosphère du NH3 dans l’air immédiatement adjacent à l’interface sol/lisier l’air à une hauteur qui n’est plus affectée par les émissions de surface [Sommer et al., 2003]. La vitesse de volatilisation dépend du gradient de pression partielle de NH3 entre ces deux hauteurs [Sommer et al., 2003]. Le transfert d’ammoniac depuis la surface peut être décrit par un modèle d’advection locale régi notamment par la vitesse du vent et par la concentration de NH3 dans la couche d’air immédiatement au dessus du sol. La concentration de NH3 juste au dessus de l’interface sol-lisier est en équilibre avec le NH3 dissous dans le lisier [Génermont & Cellier, 1997], qui est elle-même régie par des équilibres physiques et chimiques dans le sol, par les transferts d’eau et d’azote et par la nitrification de l’ammonium NH+4 [Génermont & Cellier, 1997; Sommer et al., 2003]. La volatilisation est maximale dans les premières heures suivant l’épandage [Génermont et al., 1998; Sommer & Hutchings, 2001; Søgaard et al., 2002], 50% de la volatilisation se produisant habituellement dans les 12 premières heures [Pain et al., 1989]. Quinze jours après apport, on peut considérer sans risque d’erreur important que la volatilisation d’azote est terminée [Sommer & Hutchings, 2001]. L’analyse bibliographique et les formalismes des modèles empiriques nous renseignent sur les principaux déterminants de l’émission de NH3 : on peut citer les conditions météorologiques, le pH de l’interface sol/lisier [Sommer et al., 2003], l’infiltration du lisier dans le sol [Brentrup et al.,2000], elle-même notamment régie par l’humidité du sol [Génermont & Cellier, 1997; Le Cadre, 2004; Søgaard et al., 2002]. L’enfouissement du lisier a un effet radical puisqu’on peut considérer que l’ammoniac ne peut plus se volatiliser dès lors qu’il n’est plus en contact avec l’atmosphère. Le tableau 3.1, adapté de Sommer & Hutchings [2001], indique les principaux déterminants de la volatilisation d’ammoniac, les effets possibles des épandeurs sur les émissions de NH3 ainsi que les moyens de les simuler qui seront présentés dans les paragraphes suivants. Les effets indiqués en rouge et en italique sont ceux qui sont simulés par OSEEP. On identifie l’importance des effets : répartition spatiale du lisier apporté, enfouissement du lisier et tassement du sol
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Table des matières
1 L’analyse de Cycle de Vie : une approche globale des impacts environnementaux
1.1 Présentation de la méthode
1.1.1 Éléments historiques
1.1.2 Les phases de la réalisation d’une ACV
1.1.2.1 Définition des objectifs et du champ de l’étude
1.1.2.2 Inventaire de cycle de Vie
1.1.2.3 L’évaluation des impacts environnementaux
1.1.2.4 Interprétation
1.1.3 Aspects méthodologiques de l’ACV
1.2 Application de l’Analyse de Cycle de Vie aux systèmes agricoles
1.2.1 Le sol, un intrant de la production limité dans le temps et l’espace
1.2.2 La variabilité des données d’inventaire agricoles
1.2.2.1 Description des systèmes de production étudiés
1.2.2.2 Estimations des flux
1.3 Traitement de la variabilité et de l’incertitude
1.3.1 Définition et typologie des sources d’incertitude
1.3.2 Représentation de l’incertitude
1.3.3 Propagation de l’incertitude
1.4 Conclusion
2 Analyse de Cycle de Vie des techniques d’épandage de lisier, basée sur des données expérimentales issues de la littérature
2.1 Introduction
2.2 Materials and methods
2.2.1 Goal and scope of the analysis
2.2.2 Life Cycle Inventory
2.2.2.1 N losses estimates
2.2.2.2 Other field emissions
2.2.2.3 Equipment-related inventory data
2.2.3 Uncertainty analysis
2.3 Results and discussion
2.3.1 Relative nitrogen loss factors
2.3.1.1 Relative ammonia emission factors : kNH3,Tech
2.3.1.2 Relative nitrous oxide emission factors : kN2O,Tech
2.3.2 Absolute nitrogen emissions in a given situation
2.3.3 Comparative LCA between the four application techniques
2.3.3.1 Identification of hot-spots
2.3.3.2 Impact category results
2.3.3.3 Overall comparison and uncertainty margins
2.3.4 Discussion
2.3.4.1 Impact of the sample of experiments used to calculate the kN,Tech
2.3.4.2 Impact of the reference situation on LCA results
2.3.4.3 Toward a more refined comparison
2.4 Conclusion
3 OSEEP : un outil de simulation de l’effet des épandeurs de lisier sur les pertes azotées
3.1 Introduction
3.2 Approche générale
3.3 Développement de l’outil de simulation OSEEP
3.3.1 Origine des émissions et principaux facteurs influents
3.3.1.1 Origine des émissions de NH3 et principaux déterminants
3.3.1.2 Origine des émissions de N2O et principaux déterminants
3.3.1.3 Origine des émissions de NO−3 et principaux déterminants
3.3.1.4 Conclusion sur les principaux effets machine à prendre en compte
3.3.2 Sélection de modèles d’émissions azotées
3.3.2.1 Diversité des modèles
3.3.2.2 Cahier des charges pour la sélection des modèles d’émissions azotées
3.3.2.3 Choix du modèle pour NH3
3.3.2.4 Choix du modèle pour les émissions de N2O
3.3.2.5 Choix du modèle pour NO−3
3.3.3 Adaptation et intégration des modèles sélectionnés en vue de la modélisation de l’effet des épandeurs
3.3.3.1 Déformation du sol sous les traces de roue
3.3.3.2 Circulation et rétention de l’eau dans les sols
3.3.4 Intégration des modèles dans l’outil OSEEP
3.3.5 Les effets des épandeurs non modélisés
3.4 CONCLUSION
4 Simulations de l’effet des techniques d’épandage sur les émissions de NH3 et N2O
4.1 Introduction
4.2 Matériels et méthodes
4.2.1 Schéma général de l’outil de simulation OSEEP
4.2.2 Plan de simulation
4.2.2.1 Effet des conditions pédo-climatiques sur les émissions N
4.2.2.2 Effets élémentaires des épandeurs
4.2.2.3 Effets combinés des épandeurs
4.2.3 Evaluation de l’effet des épandeurs sur les émissions azotées
4.3 Résultats et discussion
4.3.1 Emissions azotées sur les cinq sites de 2002 à 2008
4.3.1.1 NH3
4.3.1.2 N2O
4.3.2 Effets élémentaires des épandeurs
4.3.2.1 Enfouissement du lisier
4.3.2.2 Tassement du sol
4.3.2.3 Répartition spatiale du lisier sur la parcelle
4.3.2.4 Conclusion sur les effets élémentaires des épandeurs
4.3.3 Effets combinés des épandeurs
4.3.3.1 Identification d’une hiérarchie des épandeurs
4.3.3.2 Relation entre NH3 et N2O
4.3.3.3 Effet du dimensionnement des équipements
4.3.4 Comparaison des performances environnementales des épandeurs évalués sur la base de résultats expérimentaux issus de la littérature et sur la base des simulations avec OSEEP
4.3.4.1 Comparaison des intervalles de valeurs des kNH3,Tech
4.3.4.2 Comparaison des intervalles de valeurs des kN2O,Tech
4.4 Conclusion
5 Gain de la modélisation pour la réalisation d’Analyse de Cycle de Vie
5.1 Introduction
5.2 Apports et limites d’OSEEP pour l’ACV de la fonction d’épandage
5.2.1 Apport : un outil intégrateur pour l’estimation des données d’inventaire et l’écoconception des épandeurs
5.2.2 Limites : biais d’estimation et attribution des impacts pour l’ACV des épandeurs
5.2.2.1 Estimation des paramètres d’entrée
5.2.2.2 Attribution des émissions azotées aux techniques d’épandage de lisier
5.2.2.3 Conclusion sur le choix des méthodes d’attribution des émissions à l’opération d’épandage
5.3 Avantage de l’utilisation des modèles pour les inventaires ACV
5.3.1 Estimation des flux absolus pour l’inventaire de Cycle de Vie
5.3.2 Exploration de la variabilité, construction de typologies
5.3.3 Changement d’échelle
5.3.4 Recommendation pour l’établissement d’un inventaire de Cycle de Vie
5.3.5 Conclusion
Annexe 1 : Technologies mises en œuvre pour l’épandage, critères de qualité et critères de choix des épandeurs
Annexe 2 : Caractéristiques des épandeurs simulés
Annexe 3 : Code R pour la simulation de l’effet des épandeurs
Glossaire des termes et acronymes
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