ANALYSE DE CYCLE DE VIE DES BÂTIMENTS ET DES QUARTIERS
L’analyse de cycle de vie (ACV) est une méthode développée dans les années 1970 pour évaluer les impacts environnementaux des produits manufacturés. Elle intègre toutes les étapes du cycle de vie du système étudié (produit ou service) depuis l’extraction des matières premières jusqu’au traitement en fin de vie. L’objectif est d’éviter un déplacement de pollution d’une étape à l’autre du cycle de vie. Son caractère multicritère (prise en compte d’un large ensemble d’indicateurs environnementaux) vise à éviter également le déplacement d’un problème environnemental vers un autre.
La méthode d’ACV a été standardisée dans les années 90 (norme ISO 14040 et maintenant ISO 26 000,). Après avoir défini les frontières du système étudié en fonction des objectifs et du champ de l’étude, il s’agit de faire l’inventaire des substances émises et puisées dans l’environnement tout au long du cycle de vie, puis d’évaluer les impacts sous la forme d’indicateurs environnementaux.
Aujourd’hui, de nouvelles méthodes ou approches se développent avec pour lien la notion centrale de cycle de vie. Elles permettent d’améliorer la précision de l’inventaire en tenant compte de phénomènes dynamiques (DLCA, Dynamic Life Cycle Assessment), de secteurs économiques habituellement négligés (EIOLCA, Environmental Input-Output Based LCA), d’étendre la méthode au domaine économique (LCC, Life-Cycle cost) ou social (SLCA Social Life Cycle Assessment), etc. Ces nouveaux développements visent à combler les lacunes et limitations actuelles de l’ACV . En parallèle de ces développements, les études ACV sont généralement classées en deux grandes familles dans la littérature scientifique : l’approche « attributionnelle » (ACVA) et l’approche « conséquentielle» (ACVC) qui permettent de répondre à différents objectifs (Halvgaard et al., 2012). L’approche attributionnelle cherche à allouer une part de responsabilité à un système donné alors que l’approche conséquentielle cherche à modéliser les conséquences environnementales d’une décision.
Les objectifs de cette thèse sont d’étudier l’application de l’approche conséquentielle à l’analyse de cycle de vie des bâtiments et des quartiers, en particulier pour répondre à un objectif d’écoconception. Dans ce premier chapitre, le cadre général de l’ACV est d’abord décrit, suivi de précisions concernant l’application de cette méthode à l’écoconception des bâtiments et des quartiers (particularités et indicateurs utilisés). L’analyse de cycle de vie conséquentielle et les méthodes qui lui sont associées sont ensuite présentées plus en détail. L’étude des connaissances existantes permet de définir les lacunes à combler afin de pouvoir appliquer cette méthode aux bâtiments et aux quartiers.
Cadre général de l’ACV
La démarche à suivre pour effectuer une analyse de cycle de vie d’un produit ou d’un service comprend quatre phases : définition et périmètre de l’étude, inventaire des flux entrants et sortants, évaluation des impacts environnementaux, interprétation, le tout dans une démarche itérative d’amélioration continue (Chomkhamsri et al., 2011). Définir précisément l’objectif de l’étude et les questions auxquelles on cherche à répondre est une première étape fondamentale. De là découleront les choix méthodologiques appliqués par la suite. Dès cette étape, la distinction entre ACVA et ACVC semble apparaître. Selon que l’objectif est tourné a) vers un état des lieux, concernant un produit ou une technologie ou b) vers un développement, un changement concernant un produit ou une technologie, on va préférentiellement se diriger vers une approche de modélisation différente : « attributionnelle » dans le premier cas, «conséquentielle» dans l’autre.
L’objectif de l’étude définit la nature attributionnelle ou conséquentielle de l’étude ce qui orientera les choix méthodologiques
La détermination du périmètre de l’étude comprend ensuite le choix d’une unité fonctionnelle et la définition des frontières du système. Ces choix découlent des objectifs de l’étude. L’unité fonctionnelle caractérise le système étudié en lui associant une unité, une fonction principale (son utilité) parfois assortie d’une ou plusieurs fonctions secondaires. Elle correspond à une base de comparaison permettant d’évaluer plusieurs variantes équivalentes. Une unité de référence est définie, par exemple un bâtiment, ou un quartier, des fonctions qui lui sont associées (logements, services, confort…). Les hypothèses de bases (durée de vie, situation géographique…) sont ensuite posées, suivies des limites de l’étude (validité géographique, temporelle, incertitudes). Un choix est effectué parmi les nombreux indicateurs d’impact disponibles. Il est également important d’évaluer l’effort de collecte de données nécessaire et de caractériser l’audience cible.
Une fois le cadre d’étude défini, l’ensemble des émissions et des ressources émises ou consommées par le système étudié au cours de son cycle de vie est inventorié. L’inventaire doit être le plus exhaustif possible. Il est construit de manière itérative en fonction des données collectées. Il couvre le système étudié « du berceau à la tombe », soit de l’extraction des matières premières nécessaires à la réalisation du système étudié jusqu’à sa prise en charge en fin de vie (mise au rebut, recyclage, etc.). Chacune des substances entrantes et sortantes évaluées sur l’ensemble du cycle de vie est affectée à différentes thématiques environnementales. Les différentes substances répertoriées sont agrégées sous forme d’indicateurs environnementaux durant l’étape de caractérisation, qui lie une substance et sa contribution à une problématique environnementale. Suivant les objectifs et le public cible, une représentation en impacts potentiels ou dommages est possible, et on interprète les résultats par rapport à la question posée. Chaque choix (sélection des catégories d’impacts, méthode de caractérisation, classification) doit être justifié.
Une attention particulière doit être portée sur la question des incertitudes et des limitations de l’étude. L’analyste doit, avant toute communication de ses résultats, évaluer la complétude de ses données ainsi que la sensibilité de ses résultats par rapport aux hypothèses choisies. Si la robustesse de l’étude n’est pas satisfaisante, cela peut donner lieu à une remise en question des hypothèses retenues pour la modélisation puis à une nouvelle itération de la phase d’inventaire. La gestion des incertitudes et la robustesse des résultats est un enjeu majeur en ACV de manière générale. Elle est cruciale dans le contexte actuel où la méthode se démocratise et devient un outil de plus en plus utilisé pour l’élaboration de politiques publiques et la prise de décision (Williams et al., 2009). Une revue critique des difficultés liées à cette phase d’interprétation, notamment concernant la gestion des incertitudes, est présentée dans les travaux de Reap et al. (2008).
Particularités des ensembles bâtis
Bien qu’initialement appliquée à des produits industriels, la méthode ACV est aujourd’hui de plus en plus répandue dans le secteur de la construction (Chevalier, 2009). Elle peut être utilisée pour différents objectifs : en aide à la conception, aide à la rénovation, aide à la gestion, certification (Malmqvist et al., 2011 ; Erlandsson et Borg, 2003 ; Zabalza Bribián et al., 2009). Des projets européens comme REGENER se sont attachés à définir une méthodologie spécifique pour prendre en compte les particularités de ce secteur (Peuportier, 2001).
En Europe, un rapport de la SETAC de 2003 fait référence concernant l’application particulière de la méthode ACV au secteur du bâtiment (Kotaji et al., 2003).
Les particularités suivantes ont notamment nécessité une adaptation de la méthode :
❖ Contrairement à un produit fabriqué en série, le bâtiment est en général un produit unique, multifonctionnel, en interaction forte avec son environnement (Peuportier, 2003 ; Chevalier, 2009).
❖ L’importance de la consommation d’énergie en phase d’utilisation dans le bilan global d’un bâtiment oblige à évaluer ce paramètre avec une grande précision, en utilisant par exemple les outils de simulation thermique dynamique (Peuportier, 1998).
❖ L’usage du bâtiment et le comportement des occupants sont également des facteurs critiques qui impactent de façon importante le bilan environnemental (Polster et al., 1996a).
❖ La particularité des matériaux de construction utilisés peut ne pas être parfaitement représentée par des données génériques globales. L‘enrichissement des bases de données par l’intégration de données spécifiques précises affinerait les études actuellement effectuées (Peuportier et al., 2011), d’autant que, si aujourd’hui les matériaux représentent encore une part assez faible des impacts finaux, celle-ci est amenée à augmenter avec la généralisation de la construction de maisons passives, voir à « énergie positive» (Blengini et Di Carlo, 2010).
❖ Sa durée de vie très longue implique de fortes incertitudes sur les hypothèses de fin de vie et l’évolution du système d’arrière-plan (production d’électricité, filières de recyclage, etc.).
En France, après une première adaptation de la méthode pour l’évaluation des bâtiments tournée vers l’aide à la conception dans les années 1990 (Polster, 1995), l’ACV a ensuite été étendue à l’étude des quartiers (Popovici, 2005). Peu d’outils appliquant l’ACV aux projets urbains sont aujourd’hui disponibles ; outre le travail de Popovici, on peut citer les travaux de Robinson et al. (2009) et Yépez-Salmon (2013).
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 1. ÉTAT DE L’ART ET POSITIONNEMENT DU SUJET DE THÈSE
1.1. ANALYSE DE CYCLE DE VIE DES BÂTIMENTS ET DES QUARTIERS
1.2. APPROCHE CONSÉQUENTIELLE EN ACV
1.3. LA QUESTION TEMPORELLE EN ANALYSE DE CYCLE DE VIE
1.4. ENJEUX PROSPECTIFS
1.5. DU BÂTIMENT AU QUARTIER
1.6. CONCLUSION DU CHAPITRE
CHAPITRE 2. MODÉLISATION DYNAMIQUE DU SYSTÈME ÉLECTRIQUE
2.1. INTRODUCTION
2.2. PRINCIPE DE LA MODÉLISATION
2.3. LA DEMANDE À SATISFAIRE
2.4. MODÉLISATION DES MOYENS DE PRODUCTION
2.5. VALIDATION GÉNÉRALE ET RÉSULTATS DU MODÈLE
2.6. DISCUSSION ET CONCLUSION DU CHAPITRE
CHAPITRE 3. ÉVALUATION DES IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX –COURT TERME
3.1. INTRODUCTION
3.2. INVENTAIRES D’ÉMISSIONS ET DE RESSOURCES
3.3. APPROCHE ATTRIBUTIONNELLE DYNAMIQUE
3.4. APPROCHES CONSÉQUENTIELLES COURT TERME
3.5. APPLICATION SUR UNE ÉTUDE DE CAS SIMPLE
3.6. CONCLUSIONS DU CHAPITRE
CHAPITRE 4. VERS UNE APPROCHE PROSPECTIVE POUR L’ÉCOCONCEPTION DES ENSEMBLES BÂTIS
4.1. INTRODUCTION
4.2. ÉVOLUTION CLIMATIQUE
4.3. ÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE
4.4. CALCULS DES IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX
4.5. RÉSULTATS PRÉLIMINAIRES
4.6. ÉTUDE DE CAS SIMPLE
4.7. CONCLUSION DU CHAPITRE
CHAPITRE 5. DU BÂTIMENT AU QUARTIER : TRANSPORTS ET DÉCHETS MÉNAGERS
5.1. INTRODUCTION
5.2. LE TRANSPORT QUOTIDIEN DES OCCUPANTS
5.3. LE TRAITEMENT DES DÉCHETS MÉNAGERS
5.4. CONCLUSION DU CHAPITRE
CHAPITRE 6. ÉTUDE DE CAS : LA CITÉ DESCARTES
6.1. INTRODUCTION
6.2. CITÉ DESCARTES
6.3. CONCLUSION DU CHAPITRE
CONCLUSIONS