Analyse de cycle de vie aux carburants végétaux

Normalisation et phases d’une ACV

      Comme indiqué précédemment, la méthodologie à employer lors de la réalisation d’une ACV a été normalisée à la fin des années 1990. Les quatre normes alors réalisées ont été révisées au cours de l’année 2006, et intégralement remplacées par une révision de la norme NF EN ISO 14040/2006 et une seconde norme nouvellement créée, NF EN ISO 14044/2006 [11, 17]. Ces deux normes, constituant la nouvelle référence, ne remettent pas en cause la majeure partie du contenu technique des quatre précédentes, mais apportent une organisation plus pertinente du contenu, des améliorations et quelques corrections [18]. Cette nouvelle structuration est telle que la norme NF EN ISO 14040 expose les principes généraux de l’ACV et se destine à toutes sortes de public tandis que la norme NF EN ISO 14044 regroupe le contenu technique destiné aux praticiens des ACV. Par conséquent, cette dernière sera plus particulièrement l’objet des descriptions de ce chapitre. Cette normalisation liste les définitions du vocabulaire dédié à la pratique de l’ACV, en fixe les phases de réalisation et décrit les éléments constitutifs de chacune d’elles. Elle formule également des recommandations pour la communication des conclusions d’une étude par ACV et la réalisation de la revue critique d’une telle étude. Les définitions propres à l’ACV, comme signalé à la section I.1, sont regroupées en annexe A pour une meilleure compréhension de ce chapitre. Le cadre des phases constitutives d’une ACV, tel que décrit par le document, ne souffre pas de controverses majeures au sein de la communauté scientifique – contrairement à certains éléments de contenu de celles-ci ; ces phases et leur description sont les suivantes :
– définition des objectifs et du champ de l’étude : cette phase consiste à préciser un certain nombre de points préalables à la lecture de l’étude, tels que les raisons ayant amené à la réalisation de l’ACV ou la frontière du système, l’objectif étant de fournir la base de réflexion et les hypothèses nécessaires à la réalisation des trois autres étapes ; la section II décrit plus précisément les éléments constitutifs de cette phase,
– inventaire du cycle de vie : cette phase regroupe les étapes de recueil, de validation et de traitement des données de l’étude selon les conventions énoncées lors de la phase de définition des objectifs et du champ de l’étude ; les enjeux relatifs à cette phase sont exposés de façon plus précise à la section III,
– évaluation de l’impact du cycle de vie : au cours de cette phase, l’objectif essentiel est de définir des catégories d’impact et leurs indicateurs, et d’y associer les résultats de l’inventaire du cycle de vie afin de calculer les valeurs de ces indicateurs ; les problèmes soulevés lors de cette étape sont abordés plus en détails à la section IV,
– interprétation du cycle de vie : l’ambition de cette phase essentielle est d’établir, à partir des éléments des trois autres phases, les conclusions, limitations et recommandations de l’étude d’ACV ; le détail de cette étape est présenté à la section V.
Il est important de noter que ces quatre phases ne sont pas simplement consécutives, et qu’au-delà du cheminement logique de l’ordre donné ci-dessus, il existe de multiples connexions entre celles-ci. En ce sens, la réalisation d’une étude d’ACV est un travail très souvent itératif. La façon la plus répandue de représenter ces relations est donnée à la figure I.2 [11].
Exemples d’interconnexions entre phases :
– lors de l’interprétation du cycle de vie, il peut être observé que la quantité d’indicateurs retenus au cours de l’évaluation de l’impact soit trop importante et nécessite d’être réduite pour en améliorer la lisibilité, ou qu’un impact, qui avait été supposé comme négligeable et donc n’avait été que peu renseigné, ne le soit pas en réalité, et qu’il soit nécessaire de détailler plus avant l’inventaire sur ce point, ou que la méthode qu’est l’ACV ne soit pas pertinente pour répondre à la question posée au démarrage de l’étude et qu’il faut ainsi préciser ou réduire les objectifs,
– lors de l’évaluation de l’impact du cycle de vie, certains flux nécessaires pour renseigner les catégories d’impact sélectionnées peuvent apparaître manquants, impliquant donc une révision de l’inventaire de cycle de vie,
– lors de l’inventaire de cycle de vie, certaines étapes peuvent se révéler mal connues, ce qui sera un point à prendre en compte lors de l’interprétation du cycle de vie, ou certaines hypothèses peuvent s’avérer manquantes, telles que celles relatives au choix d’une règle d’affectation (voir section III.3), nécessitant un approfondissement des réflexions propres à la définition du champ de l’étude, voire d’un élargissement des frontières, et enfin,
– la phase de définition des objectifs de l’étude influe directement sur la phase d’interprétation du cycle de vie dans le sens où elle définit la question d’intérêt à traiter.
Enfin, les recommandations formulées dans la norme NF EN ISO 14044 quant à la communication des conclusions d’une étude par ACV rappellent les éléments à expliciter afin de garantir la transparence de l’étude, tels que l’ensemble des hypothèses et leurs justifications, les frontières choisies ou les données utilisées [17]. Les recommandations quant aux revues critiques précisent les points de l’étude d’ACV à valider ou réfuter, tels que la cohérence de la méthodologie employée avec la norme ou la transparence du rapport d’étude.

Typologie des ACV

      Afin de répondre aux polémiques apparues lors de la confrontation des résultats de plusieurs études d’ACV sur un même produit (voir section I.2), et surtout, lors de l’opposition des justifications des différentes méthodologies ayant mené à ces résultats, des travaux de recherches ont débuté pour tenter d’expliquer la cause de ces problèmes. Il en a résulté la naissance d’une typologie des études d’ACV [20, 21, 22, 23, 24, 25, 15]. Une des conclusions est qu’une grande part des controverses est injustifiée, ces méthodologies différentes ayant la même validité, en regard de leurs objectifs différents. Deux catégories de types d’ACV ont ainsi été distinguées ; les dénominations de chacune ont varié suivant les auteurs mais leur caractérisation, donnée ci-après, est commune :
– une première catégorie désignée en anglais sous les noms de ‘Attributional LCA’, ‘Retrospective LCA’, ‘Accounting LCA’ ou ‘LCA with an accounting perspective’, que l’on désignera ici sous le nom d’ACV attributives : le souci principal de telles ACV est d’établir un bilan exhaustif d’un système,
– une seconde catégorie désignée en anglais sous les noms de ‘Consequential LCA’, ‘Prospective LCA’, ‘Change-oriented LCA’ ou ‘LCA modelling the effects of changes’, et que l’on désignera ici sous le nom d’ACV consécutives : de telles études d’ACV ont pour ambition de décrire les effets que pourra avoir un changement au sein du système étudié. Si la norme ISO 14044/2006 fait apparaître que le choix de la méthodologie d’ACV à appliquer pour une étude donnée dépend de la question posée, cette distinction plus précise de deux familles d’objectifs en est absente. Ce point est pourtant essentiel dans le sens où lors de la réalisation d’une ACV, identifier le type auquel elle se réfère permet de disposer de recommandations plus précises que le cadre général fourni par la norme quant à la méthodologie à employer. La section III.4 exposera notamment les différences de recommandations quant à la réalisation de l’inventaire du cycle de vie. De par sa nature, l’ACV attributive présente un point de vue généralement global, particulièrement utile à l’identification des points potentiels d’amélioration d’un système par exemple. L’ACV consécutive complète cette approche en visant à mesurer les effets occasionnés par tel ou tel choix de modification afin de les comparer et d’identifier l’option la plus pertinente. Ainsi, une démarche classique d’amélioration d’un système est de mener une ACV attributive pour identifier les éléments les plus propices à une diminution d’impact, d’étudier les possibilités d’optimisation ou d’amélioration de ces processus, et enfin de comparer ces modifications potentielles via une ACV consécutive.

Règles d’affectation fondées sur un paramètre physique

        Dans le cas de l’application d’une méthode fondée sur un paramètre physique, tel que, par exemple, la masse, le contenu énergétique, le volume ou le nombre de moles, le problème d’affectation est résolu en répartissant les impacts entre les produits au prorata du paramètre choisi. Chaque impact du cycle de vie est alors alloué de la même façon. Le principe d’une telle affectation fondée sur la masse des produits, dite affectation massique, est schématisé à la figure I.5. Exemple : un procédé, auquel on s’intéresse dans le cadre d’une étude d’analyse de cycle de vie, produit de façon commune un bien A et un bien B. On décide de résoudre le problème d’affectation qui se pose  alors en se fondant sur la masse de ces biens : pour chaque unité de masse de bien A sont produites trois unités du bien B, on va donc allouer les trois quarts des impacts calculés au bien B, tandis que le bien A supportera le quart restant. On parle alors d’affectation massique. Cette méthode présente l’avantage de la simplicité d’emploi. L’évaluation du paramètre choisi peut être réalisée assez facilement, voire être déjà effectuée au cours de l’inventaire de cycle de vie pour d’autres raisons, comme la vérification des bilans de masse ou d’énergie. Cependant, la première limitation de cette méthode, inhérente à sa définition même, est qu’elle ne peut s’appliquer qu’à la production de biens concrets et non de services. Exemple : à la suite de l’acquisition d’un espace de terrain important, une collectivité locale souhaite comparer, à l’aide de l’outil d’ACV, les différences en termes d’impact environnemental de sa mise à disposition et de son agrément pour la population sous différentes formes : parc, parc floral, forêt gérée, etc. Certains de ces systèmes comparés seront multifonctionnels : l’entretien d’une forêt gérée par exemple pourra susciter, en plus de l’agrément pour le public étudié, une activité économique due aux résidus ; dans ces cas, une affectation fondée sur un paramètre physique ne pourra pas être appliquée. Enfin, cette méthode peut paraître arbitraire du fait que le paramètre d’affectation, à l’exception, généralement, des cas où il constitue un facteur limitant du processus, ne porte en lui-même ni raisonnement logique, ni lien de causalité justifiant les ratios d’affectation appliqués. Exemple : l’exploitation d’une mine de diamant produit de façon commune le diamant en lui-même et des gravats, qui, selon le contexte local, peuvent être valorisés (construction d’une digue, etc). Une résolution du problème d’affectation selon un paramètre physique, tel que la masse, qui conduirait à n’allouer qu’une partie infime des impacts de la mine à la production de diamant, ne serait alors que difficilement justifiable.

Attribution des résultats de l’inventaire aux catégories d’impact

        Chaque composé comptabilisé lors de l’inventaire du cycle de vie possède une cascade d’effets. Cette cascade représente l’ensemble des effets sur l’environnement qu’un composé peut avoir, en en distinguant les effets successifs des effets parallèles. Un exemple partiel d’une telle cascade, relatif au dioxyde de soufre SO2, est présenté à la figure I.7 [56]. En effet, et la figure I.7 en est un exemple, chaque substance peut contribuer à plusieurs impacts, et ceci de trois façons [47] :
– en parallèle : une substance peut contribuer à plusieurs impacts selon des mécanismes différents ; les effets parallèles ainsi définis s’excluent alors généralement entre eux, mais il existe certains cas, tels que lors d’un effet de catalyse, où cette règle ne s’applique pas, Exemple : sur la figure I.7, la molécule de SO2 émise peut, soit par contact avec l’humidité de l’air, former de l’acide sulfurique, qui sera une cause d’acidification via les pluies, soit par inhalation, contribuer à la toxicité humaine. Dans ce cas, la molécule de SO2 ne pouvant pas à la fois être inhalée et réagir pour former de l’acide, les effets décrits sont exclusifs.
– en série, directement : les impacts dus à une même molécule de la substance considérée peuvent apparaître l’un après l’autre, et Exemple : une pollution par des éléments tels que le mercure Hg, le plomb Pb ou le cadmium Cd peut posséder un effet relevant tout d’abord d’écotoxicité, via un empoisonnement des sols et de bétail, puis de toxicité humaine, à travers la chaîne alimentaire.
– en série, indirectement : les impacts dus à la substance considérée peuvent apparaître l’un après l’autre mais sans que la molécule initiale soit impliquée dans le deuxième effet. Exemple : le méthane peut contribuer à la formation de photo-oxydants, ce qui constitue un premier impact [56]. L’ozone ainsi formé possédant un impact sur l’effet de serre, le méthane a eu un effet indirect, en plus de son effet direct, sur l’effet de serre. Suivant la cascade d’effets, un double comptage des substances est possible lors de la classification des résultats de l’inventaire ; c’est notamment le cas des chaînes d’effets parallèles. Cependant, ce double comptage n’est pas recommandé dans le cas d’effets en série [13].

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Table des matières

Introduction
Situation du secteur des transports
Intérêt des carburants liquides issus de la biomasse
Problématique et démarche de la thèse
Chapitre I – Méthodologie de l’Analyse de Cycle de Vie
I. Descriptif de la méthode
I.1. Définitions
I.2. Historique
I.3. Normalisation et phases d’une ACV
II. Définition des objectifs et du champ de l’étude
II.1. Objectifs et champ de l’étude
II.2. Typologie des ACV
III. Inventaire du cycle de vie
III.1. Qualité des données
III.2. Le problème d’affectation
III.3. Description des règles d’affectation
III.4. Lien entre méthodologie de l’inventaire et objectifs de l’ACV
IV. Évaluation de l’impact du cycle de vie
IV.1. Sélection des catégories d’impact
IV.2. Classification des résultats de l’inventaire
IV.3. Caractérisation des indicateurs d’impact
IV.4. Étapes optionnelles de l’évaluation de l’impact
V. Interprétation du cycle de vie
V.1. Identification des enjeux significatifs
V.2. Vérification de l’étude
V.3. Conclusions, limitations et recommandations
Conclusion
Chapitre II – Description et première analyse des filières de carburants végétaux de 1ère génération
I. Les carburants végétaux au sein de la biomasse énergie
I.1. La biomasse
I.2. La photosynthèse
I.3. Valorisation de la biomasse
I.4. Les filières de carburants liquides
I.5. Principaux acteurs des filières de carburants végétaux
II. Analyse de Cycle de Vie des filières de 1ère génération
II.1. État des lieux
II.2. Socle commun d’hypothèses des études
II.3. Méthodologie d’analyse
II.4. Résultats d’ACV médians des carburants végétaux
III. Origines des disparités des ACV des carburants végétaux
III.1. Méthodologie d’analyse
III.2. Influence des paramètres d’ACV sur les résultats finaux
III.3. Déterminants d’une application adéquate de l’ACV aux carburants végétaux
III.4. Utilisation pertinente de la bibliographie
Conclusion
Chapitre III – Analyse des procédés de première génération de transformation de la biomasse en carburants liquides
I. Méthodologie d’analyse
I.1. Approche appliquée
I.2. Analyse Énergétique des Procédés
I.3. Variantes de procédés étudiées
II. Description des procédés
II.1. Filières de production d’éthanol
II.2. Filières de production d’EMHV
II.3. Voies de valorisation des co-produits
III. Données et bases théoriques de simulation des opérations unitaires et des calculs d’ACV
III.1. Hypothèses générales et données des corps purs
III.2. Hypothèses et données relatives aux calculs d’ACV
III.3. Chauffage et refroidissement
III.4. Compression de vapeur
III.5. Fermentation
III.6. Distillation
III.7. Évaporation
III.8. Séchage
IV. Résultats de simulation et d’ACV des procédés
IV.1. Production d’éthanol à partir de betterave
IV.2. Production d’éthanol à partir de blé
IV.3. Production d’éthanol à partir de canne à sucre
IV.4. Production d’EMHV à partir de colza
IV.5. Intérêt des variantes vis-à-vis des filières globales
V. Analyse des coûts de production des carburants végétaux
V.1. Structure des coûts de production
V.2. Marché de l’énergie
V.3. Marché des produits agricoles
V.4. Analyse des résultats de coûts de production
Conclusion
Chapitre IV – Intégration de composantes dynamiques à la pratique de l’ACV
I. Stockage de carbone dans les sols et la biomasse
I.1. Définition et caractérisation des sols
I.2. Niveaux de stocks de carbone des sols
I.3. Dynamiques d’évolution des stocks de carbone des sols
I.4. Stockage de carbone dans la biomasse aérienne
I.5. Références d’émissions des filières de carburants végétaux
II. Intégration des dynamiques d’émissions de GES en ACV
II.1. Prise en compte classique des effets dynamiques en ACV
II.2. Effet et comptabilisation des émissions de GES
II.3. Méthodologie développée d’intégration des dynamiques d’émissions de GES en ACV
III. Applications des PRG dynamiques à l’évaluation de scénarios d’émissions
III.1. Méthode générale d’évaluation de scénarios d’émissions à l’aide des PRG dynamiques
III.2. Changements d’usages indirects liés aux co-produits
III.3. Effet du déstockage de carbone lié à un retournement de prairies sur les bilans d’ACV des carburants végétaux
III.4. Définition d’objectifs de réduction d’émissions de GES des carburants végétaux représentatifs d’un usage optimal des terres
Conclusion
Conclusion
Cadre d’analyse de la thèse
Adaptation de l’ACV aux valorisations de la biomasse
Intérêt des carburants végétaux pour le secteur des transports
Enjeux des carburants végétaux vis-à-vis de l’aménagement du territoire
Bibliographie

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