Analyse de complexes protéiques
Les protéines sont des composants essentiels de la cellule. En effet, elles assurent l‟immense majorité des fonctions cellulaires responsables de la vie. Les protéines sont responsables de la catalyse enzymatique, du transport des molécules, de la défense de l‟hôte, de la conversion énergétique ainsi que de beaucoup d‟autres processus cellulaires essentiels.
Les protéines sont des macromolécules biologiques de haut poids moléculaire qui comportent différents niveaux de structuration, allant de leur séquence en acides aminés à leur structure tridimensionnelle au sein de complexes protéiques. La structure tridimensionnelle d‟une protéine est intimement liée à sa fonction. Toute l‟information requise pour qu‟une protéine adopte une conformation native particulière est contenue dans sa séquence en acides aminés (1). Les multiples conformations que sont capables d‟adopter les protéines, leur permettent de remplir la variété de tâches qui leur incombent mais en font des systèmes complexes à analyser.
Cependant, aussi puissantes que les protéines puissent être individuellement, leur véritable pouvoir et leur complexité découlent des interactions qu‟elles entretiennent avec d‟autres molécules. Beaucoup d‟entre elles ne remplissent leur fonction que si elles sont liées à des ligands tels que des ions métalliques, des groupes prosthétiques ou à d‟autres protéines (2). En effet, un grand nombre de phénomènes biologiques implique l‟activité de plusieurs protéines à travers la formation de complexes multi-protéiques. Ainsi, la compréhension des processus cellulaires au niveau atomique passe par la détermination de la structure tridimensionnelle de ces complexes.
Structure des protéines
L‟analyse de la structure tridimensionnelle revient à décrire la position relative des différents atomes constituant une protéine donnée. De la séquence de la protéine à la formation de complexes oligomériques, il existe quatre niveaux de structuration de la protéine.
Structure primaire
Les protéines sont des assemblages d‟acides aminés (nombre supérieur à 50) liés entre eux par des liaisons peptidiques. Il existe vingt acides aminés naturels répondant tous à la même structure générale (Fig. I. 1). Ce sont des molécules organiques formées d‟un atome de carbone central (alpha) auquel sont liés : un atome d‟hydrogène, un radical R appelé aussi chaîne latérale (R représente un groupement fonctionnel et correspond à la portion variable d‟un acide aminé à l‟autre) ainsi que deux groupements terminaux conservés, une amine et un acide carboxylique.
Les acides aminés peuvent être distingués suivant les propriétés physico-chimiques de leur chaîne latérale (Fig. I. 2). Un premier groupe est formé par les acides aminés présentant des chaînes latérales aliphatiques tels que la glycine (Gly, G) , l‟alanine (Ala, A), la valine (Val, V), la leucine (Leu, L), l‟isoleucine (Ile, I) et la proline (Pro, P). Ces acides aminés sont apolaires. On peut classer dans une seconde catégorie ceux qui sont aromatiques : phénylalanine (Phe, F), tyrosine (Tyr, Y) et tryptophane (Trp, W). On distingue également les acides aminés basiques (lysine [Lys, K], arginine [Arg, R], histidine [His, H]) et acides (acide aspartique [Asp, D], acide glutamique [Glu, E]). L‟asparagine (Asn, N) et la glutamine [Gln, Q] sont deux acides aminés polaires non ionisables. Les deux derniers groupes sont constitués des acides aminés hydroxylés (sérine [Ser, S], thréonine [Thr, R]) et ceux qui contiennent du soufre (cystéine [Cys, C], méthionine [Met, M]). Chacun des vingt acides aminés possède donc une chaîne latérale avec une fonction chimique qui lui est propre. L‟existence simultanée d‟une grande diversité de fonctions chimiques est en partie à l‟origine de la multitude de fonctions biochimiques que peuvent remplir les protéines dans le monde du vivant.
Les acides aminés peuvent se lier entre eux de manière covalente par la formation d‟une liaison amide, appelée aussi liaison peptidique. Elle s‟établit entre le groupement acide (- COOH) d’un acide aminé et le groupement amine (-NH2) d‟un autre et permet la formation d‟un dipeptide. Au cours de la réaction de condensation, une molécule d’eau est éliminée. Les polymères comprenant un plus grand nombre d‟acides aminés (de 10 à 100) sont nommés polypeptides. Ces derniers servent dans la synthèse des protéines qui sont de longues chaînes polypeptidiques.
La structure primaire d‟une protéine est donnée par la séquence linéaire des acides aminés la constituant. Elle est orientée. Le premier acide aminé de la séquence est, par convention, celui qui possède une extrémité amine libre, on parle d’extrémité N-terminale. De manière symétrique, le dernier acide aminé est celui qui possède une extrémité carboxyle libre, on parle d‟extrémité C-terminale. Cette convention correspond également à l‟ordre de la synthèse de la protéine par les ribosomes. Par exemple, la description AGSLK correspond à l‟enchaînement des acides aminés alanine-glycine-sérine-leucine-lysine.
Cependant, une protéine ne peut être simplement décrite par une structure primaire linéaire. En effet, ses propriétés découlent également de sa capacité à former des structures plus élaborées.
Structure secondaire
La structure secondaire d‟une protéine correspond au repliement local de sa chaîne principale . Il s‟établit alors des liaisons hydrogènes entre des acides aminés qui sont relativement proches dans sa séquence primaire donnant naissance à des motifs structuraux particuliers. L’existence de structures secondaires est due au fait que les repliements énergétiquement favorables de la chaîne peptidique sont en nombres limités et que seules certaines conformations sont possibles. Ainsi, une protéine se décrit par sa séquence d’acides aminés mais aussi par l‟enchaînement de ses éléments de structure secondaire.
En d‟autres termes, certaines conformations se trouvent nettement favorisées car particulièrement stabilisées par des liaisons hydrogène entre les groupements amide (-NH) et carbonyle (CO) du squelette peptidique. Il existe trois principaux types de structures secondaires selon le repliement des liaisons peptidiques et l‟établissement de ponts hydrogène entre les acides aminés : les hélices, les feuillets et les coudes.
L‟hélice est une structure régulière dans laquelle la chaîne principale de la protéine adopte un repliement hélicoïdal périodique. L‟hélice est dite « droite » quand elle tourne dans le sens horaire. Il s‟agit du cas rencontré le plus fréquent. A l’inverse, lorsqu’une hélice tourne dans le sens anti-horaire, elle est dite « gauche ». L’hélice droite de type alpha est un motif structural très retrouvé au sein des protéines (Fig. I. 3). L‟hélice α est une structure très stable, caractérisée par la formation de liaisons hydrogène entre le groupement carbonyle d’un résidu n et le groupement amide d’un résidu n+4. Un tour d’hélice α moyen est constitué de 3,6 acides aminés. Dans une hélice α, les chaînes latérales des acides aminés sont localisées en périphérie de l’hélice et pointent vers l’extérieur, perpendiculairement à l‟axe de la spirale. La structure compacte, énergétiquement favorable de l’hélice α a été prédite par Linus Pauling et Robert Corey en 1951 (3) à partir de calculs théoriques. Elle a ensuite été observée pour la première fois en 1958 dans la myoglobine, en huit exemplaires impliquant environ 75% des acides aminés de la protéine. La structure tridimensionnelle de cette dernière fut la première élucidée par cristallographie des protéines.
Le feuillet bêta est une structure régulière dans laquelle la chaîne principale de la protéine adopte un repliement étendu périodique. Le feuillet β est composé de plusieurs brins β qui établissent des liaisons hydrogène entre eux afin de stabiliser la structure. De ce fait, les ponts hydrogènes qui le stabilisent se font entre résidus distants plutôt qu’entre résidus consécutifs comme c‟est le cas dans une hélice α. Dans un feuillet β, les chaînes latérales des acides aminés sont situées alternativement en dessus et en dessous du plan du feuillet. Le repliement β est favorisé par des acides aminés portant des petits groupements latéraux «R» non chargés. De la même manière que pour la structure de l’hélice α, la structure du feuillet β a été prédite par Pauling et Corey en 1951 (6). Les feuillets β sont représentés par des flèches (Fig. I. 4) correspondant aux chaînes polypeptidiques qui les constituent. Ces dernières sont plissées et peuvent être alignées de manière parallèle et dans ce cas elles ont la même orientation, ou de manière antiparallèle avec des orientations opposées. Le sens est déterminé par la polarité des chaînes latérales des acides aminés. Lorsque deux brins β s’organisent de manière antiparallèle, les groupements -NH et -CO d’un résidu i du premier brin forment des liaisons hydrogène avec les groupements -CO et -NH d’un résidu j appartenant au second. Typiquement, deux brins β consécutifs reliés par un coude forment un feuillet β antiparallèle. Lorsque deux brins β sont orientés dans le même sens, ils s‟organisent en un feuillet parallèle. Les groupements -NH et -CO d’un résidu d’un brin A forment alors des liaisons hydrogène avec les groupements -CO d’un premier résidu et -NH d‟un second résidu appartenant tous les deux à un brin B. Le feuillet β antiparallèle est plus stable que le feuillet parallèle car les ponts hydrogène sont dans un alignement parfait.
Les coudes ne sont pas des structures régulières et périodiques. Il s’agit plutôt d’un repliement particulier de la chaîne principale localisé sur trois ou quatre résidus consécutifs. Les coudes permettent bien souvent de relier deux structures secondaires périodiques telles que les hélices et/ou les brins.
Les hélices α, les feuillets β et les coudes ne sont pas les seuls motifs structuraux secondaires, mais sont ceux qui sont le plus fréquemment rencontrés. Il existe une grande variété de motifs moins courants qui ne seront pas détaillés dans ce manuscrit.
Structure tertiaire
La structure tertiaire d‟une protéine correspond à sa structure tridimensionnelle d‟ensemble. Il s‟agit de la structure finale adoptée par une protéine après le repliement dans l‟espace des hélices α, feuillets β et autres éléments de la structure secondaire.
Bien que la plupart des protéines néosynthétisées aient la capacité de se replier correctement, certaines en sont incapables sans l‟intervention de protéines dîtes chaperonnes. Une protéine chaperonne est donc une protéine particulière dont une des fonctions est d’assister d’autres protéines dans leur maturation, en leur assurant un repliement tridimensionnel adéquat. Le repliement dans l‟espace des chaînes polypeptidiques est un processus co-traductionnel (7). Les protéines chaperonnes ont été co-découvertes en 1989 par Arthur L. Horwich et Franz-Ulrich Hartl (8-9).
La structure tertiaire donne une forme particulière à la protéine la rendant ainsi fonctionnelle. Pour cela, elle façonne la surface des protéines de manière complexe leur permettant d‟interagir spécifiquement avec des ligands ou d‟autres macromolécules comme des protéines partenaires (10). La structure tridimensionnelle est thermodynamiquement stable dans un domaine restreint de température, pH et force ionique. Au-delà de ce domaine, une protéine peut se déplier et perdre son activité biologique, on dit alors qu‟elle est dénaturée. A l‟intérieur des cellules, ce sont les protéines chaperonnes qui interviennent. Elles préviennent les dommages potentiels causés par de telles variations des conditions physicochimiques et règlent la perte de fonction due au mauvais repliement tridimensionnel pouvant conduire à une variété de pathologies telles que la maladie d‟Alzheimer ou les maladies à prion (11). L‟étude de la structure tridimensionnelle des protéines est donc un élément clé dans la compréhension de leurs fonctions biochimiques. Son importance est aussi retrouvée dans l‟industrie biopharmaceutique, notamment dans le contrôle de la conception de protéines pharmaceutiques. Il faut noter par ailleurs, que la structure tridimensionnelle d‟une protéine en solution n‟est pas totalement rigide mais dynamique (12-13). En effet, la chaîne polypeptidique subit des mouvements thermiques et est susceptible de se déformer lors d‟interactions avec d‟autres molécules. Ces fluctuations de conformations sont souvent considérées comme une condition préalable à la fonction biologique (14-15).
|
Table des matières
Introduction générale
Chapitre I : Introduction
I.1. Analyse de complexes protéiques
I.1.1. Structure des protéines
I.1.1.1. Structure primaire
I.1.1.2. Structure secondaire
I.1.1.3. Structure tertiaire
I.1.1.4. Structure quaternaire
I.1.2. Méthodes d’analyse physico-chimique
I.1.2.1. Méthodes classiques pour l‟étude de la structure tridimensionnelle des protéines
I.1.2.1.1. Cristallographie des protéines
I.1.2.1.2. Spectroscopie RMN
I.1.2.2. Méthodes pour l‟étude de la structure quaternaire des protéines et des assemblages macromoléculaires
I.1.2.2.1. Diffusion aux petits angles
I.1.2.2.2. Cryomicroscopie électronique
I.1.2.2.3. Chromatographie d‟exclusion stérique
I.1.2.2.4. Résonance plasmonique de surface
I.1.2.2.5. Spectrométrie de masse
I.1.3. Méthodes d’analyse biochimique
I.2. Méthode associant les échanges hydrogène/deutérium à la spectrométrie de masse pour l’étude de la dynamique structurelle des protéines en solution
I.2.1. Principe des échanges isotopiques hydrogène/deutérium appliqués aux protéines en solution
I.2.1.1. Quel type d‟hydrogène va-t-on sonder dans nos expériences HDX ?
I.2.1.2. Des échanges isotopiques dépendant de la structure et de l‟accessibilité des protéines
I.2.1.3. Mécanismes de la réaction d‟échange hydrogène/deutérium dans les protéines et peptides
I.2.1.3.1. Définition du facteur chimique
I.2.1.3.2. Facteurs influençant le facteur chimique
I.2.1.3.3. Catalyse de la réaction
I.2.1.3.4. Cinétique d‟échange au niveau de la protéine et définition du facteur de protection
I.2.1.3.5. Deux modèles de cinétique d‟échange en fonction de la vitesse de dépliement et repliement des protéines
I.2.2. Techniques d’incorporation des deutériums dans les protéines
I.2.2.1. Marquage continu
I.2.2.2. Marquage pulsé
I.2.3. Analyse de l’incorporation des deutériums dans les protéines par spectrométrie de masse
I.2.3.1. Analyse des échanges : avantages de la MS vs. RMN
I.2.3.2. Approche classique « bottom-up »
I.2.3.2.1. Digestion protéolytique et analyse par LC-MS
I.2.3.2.2. Fragmentation en phase gazeuse des peptides protéolytiques
I.2.3.3. Approche moderne « top-down » ECD ou ETD
I.2.3.3.1. Méthodes de fragmentation de protéines intactes par ECD ou ETD
I.2.3.3.2. Approches top-down et HDX
I.2.3.3.3. Limitations des approches top-down HDX
I.3. Bibliographie
Chapitre II : Analyse de peptides modèles : validation de l’approche combinant échanges H/D et fragmentation ECD
II.1. Introduction
II.1.1. Spectrométrie de masse en tandem et HDX
II.1.2. Principe des peptides modèles développés par T. Jørgensen
II.2. Résultats
II.2.1. Système d’introduction des échantillons
II.2.2. Marquage des peptides de référence
II.2.3. Influence des paramètres de source sur le « scrambling »
II.3. Conclusions
II.3.1. Conclusion sur l’APEX III
II.3.2. Autres instruments FT-ICR
II.4. Bibliographie
Chapitre III : Développement de l’approche « HDX top-down ECD »
III.1. Pourquoi faire une analyse « top-down » des échanges H/D ?
III.1.1. Problèmes et limitations de l’approche « bottom-up »
III.1.2. Etat de l’art de la stratégie « top-down »
III.2. Comparaison des différentes techniques de fragmentation lors d’études HDX/MS par approche « top-down »
III.2.1. Développement de l’approche « top-down » HDX
III.2.1.1. Protéines d‟étude
III.2.1.2. Protocole d‟analyse HDX/MS
III.2.1.3. Instruments utilisés
III.2.2. Fragmentation par ECD
III.2.2.1. Analyse de la sous-unité aIF2α3
III.2.2.1.1. Spectre de masse
III.2.2.1.2. Résultats obtenus en ECD
III.2.2.1.3. Résultats en HDX/ECD
III.2.2.1.4. Analyse des données
III.2.2.2. Analyse du sous-complexe aIF2α3/γ
III.2.2.2.1. Optimisation du protocole d‟analyse
III.2.2.2.2. Résultats obtenus en HDX/ECD
III.2.3. Fragmentation par ETD
III.2.3.1. Spectre de masse
III.2.3.2. Résultats obtenus en ETD
III.2.3.3. Résultats en HDX/ETD
III.2.3.4. Analyse de données et comparaison avec les résultats d‟ECD
III.2.3.5. Conclusion
III.2.4. Fragmentation par CID
III.2.4.1. Analyse de la protéine aIF2α3
III.2.4.1.1. Spectres de masse
III.2.4.1.2. Résultats obtenus en HDX/CID
III.2.4.2. Analyse de la protéine aIF2α3 avec une étiquette poly-histidines
III.3. Détermination du taux maximal de deutération : mise en évidence du phénomène d’échange inverse
III.4. Conclusion
III.5. Bibliographie
Conclusion générale
Télécharger le rapport complet