Eric and Karlsson-on-the-Roof
Selon Göte Klingberg, les traducteurs de livres d’enfants doivent avoir comme priorité principale la fidélité envers le texte de départ parce qu’ils contribuent, d’une certaine manière, à la transmission de nouvelles connaissances internationales aux jeunes lecteurs (Klingberg, 1977 : 84, ma traduction). Cependant, s’ils doivent faire des changements littéraires, il faut s’assurer que le texte d’arrivé soit le moins possible manipulé. L’auteur du livre Att översätta barn och ungdomsböcker, Göte Klingberg, a divisé les problèmes d’adaptation en différentes catégories: les noms (aussi bien les noms de personnes que les noms géographiques), les titres et les prénoms ; le mesurage ; les termes concernant la nature, la construction et la résidence ; les us et les coutumes ; les produits alimentaires et les repas ; les jeux et les caractéristiques linguistiques. Un autre auteur qui divise ces problèmes en phénomènes spécifiques, c’est Elisabeth Tegelberg. Dans son article intitulé « Réflexions sur deux traductions de Utvandrarna de Vilhelm Moberg », Elisabeth Tegelberg a divisé ces problèmes de traduction en plusieurs catégories: phénomènes naturels, phénomènes culturels (ceux-ci sont divisés en culture matérielle et organisation sociale), noms propres, dialogues et interférence. Dans ces traductions du livre Utvandrarna, Tegelberg a trouvé que les traducteurs ont eu des difficultés en traduisant les mots concernant les outils, le foyer et les vêtements, la nourriture et la boisson, les coutumes, la vie sociale, administrative et religieuse. En observant les problèmes mis en avant par Göte Klingberg et Elisabeth Tegelberg, on retrouve dans la traduction Eric and Karlsson-on-the-Roof des problèmes similaires comme par exemple les noms propres, la nourriture, la monnaie et la manière de saluer.
La monnaie
« Du ska få en krona av mej, Lillebror, ifall jag får se Karlsson på taket. » (Lillebror och Karlsson på taket, p.19) « I’ll give you a shilling, Eric, if you let me see Karlsson-on-the Roof. » (Eric and Karlssonon-the-Roof, p.14) Il revient au traducteur de choisir l’unité de mesure qu’il souhaite utiliser lors de la traduction. Si cette mesure est propre à un pays, dans notre cas la Suède, Göte Klingberg recommande de la traduire en transposant dans la langue d’arrivée (Klingberg, 1977 : 150, ma traduction). La couronne suédoise (krona) a été traduite par la monnaie anglaise: le shilling. Un shilling représente 1/20 de la livre sterling, ou 5 pence. Une couronne suédoise des années 1950 vaudrait aujourd’hui 17,15 couronnes suédoises. Pendant les années 1960, on pouvait acheter beaucoup de bonbons pour quelques centimes de couronnes. Il est probable que pour un shilling, les enfants anglophones pouvaient aussi acheter beaucoup de bonbons. Ceci expliquerait donc le choix de la traductrice. Pour un enfant de l’époque, une couronne ou un shilling valait beaucoup. Selon le dictionnaire de Norstedts, la couronne suédoise est traduite par Swedish crown. Dans les années 1950 et 1960, la crown (couronne) existait en Grande-Bretagne, mais une crown valait cinq shilling, soit aujourd’hui 10 pence. La traductrice a sûrement choisi de traduire la monnaie suédoise par la monnaie anglaise de l’époque afin de ne pas tromper les lecteurs de l’époque puisqu’il existait déjà une monnaie anglaise dénommée la crown (même s’il y avait un mot existant pour la monnaie suédoise).
La manière de saluer, le vouvoiement, le tutoiement et le titre de « Madame »
Concernant la manière de saluer (paragraphe 2.1.4), on trouve comme exemples dans les versions françaises :
1a. « Salut! dit-il. Tu me permets que j’atterrisse ici? » – Bien sûr! » (Vic le Victorieux, p. 13)
1b. « Tiens! T’es là toi? dit-il. Est-ce que je peux me poser un instant? – Je t’en prie, répondit Petit-Frère. » (Karlsson sur le toit, p. 12)
1c. « Hejsan, hoppsan », sa han. (Lillebror och Karlsson på taket, p.10)
2a. « Tu tombes bien mon chéri, dit-elle. On va passer à table. » (Karlsson sur le toit, p. 27)
2b. « Nous nous mettons à table dans une minute Michel! » (Vic le Victorieux, p. 28)
2c. « Hej, Lillebror », sa mamma. (Lillebror och Karlsson på taket, p.25)
En regardant ces exemples, on voit que les traductrices ont utilisé des expressions spécifiques à la langue d’arrivée (Klingberg, 1977 : 163). Comme on a vu précédemment dans le paragraphe 2.1.4, la traductrice a tout d’abord utilisé (comme la traductrice de la version anglaise) une exclamation caractérisée par le sentiment de surprise dans la version Karlsson sur le toit, à savoir « Tiens! T’es là toi? ». Ce genre d’appel est aussi utilisé dans la version originale. Dans la version Vic le Victorieux, on ne trouve pas cet appel mais au contraire, on retrouve simplement le mot « Salut! ». Dans l’exemple numéro deux, on voit que la salutation que la mère donne à Petit-frère est omise dans la version Vic le Victorieux. Une raison de cette omission pourrait être que la traductrice a opté pour mettre le prénom du personnage à la fin de la phrase, et que de ce fait elle n’a pas ni voulu répéter le prénom du personnage, ni juger nécessaire d’insérer une nouvelle forme de salutation dans le texte. Dans la version Karlsson sur le toit, on voit que la mère au lieu de dire le prénom comme dans la version suédoise et anglaise, observé dans l’exemple numéro deux dans le paragraphe 2.1.4, utilise le mot « mon chéri ». Les traductrices ont ici essayé de faire la différence entre un dialogue familier et le dialogue soutenu qui est plutôt adopté lors d’une conversation avec une personne inconnue. D’autres exemples concernant la façon de parler peuvent être observés :
3a. « Et vous, quel âge avez-vous ? » (Vic le Victorieux, p. 14)
3b. « Et toi, quel âge as-tu ? » (Karlsson sur le toit, p. 14)
3c. « And how old are you? » (Eric and Karlsson-on-the-Roof, p.7)
3d. « Hur gammal är du då » (Lillebror och Karlsson på taket, p.12)
4a. « Votre visite m’a fait grand plaisir, dit Michel, sauf pour ce qui est de l’accident… Vous reviendrez ? » (Vic le Victorieux, p. 18-19)
4b. « J’ai été content de te rencontrer, dit Petit-Frère, mais ma machine a vapeur… Tu reviendras un jour ? » (Karlsson sur le toit, p.18)
4c. « « I’m glad you came » said Eric, « thought the steam engine… Will you come back another time? » » (Eric and Karlsson-on-the-Roof, p. 11)
4d. « « Det var roligt att du kom », sa Lillebror, « fastän ångmaskinen… Kommer du tillbaka nån mer gång? » « (Lillebror och Karlsson på taket, p. 16)
5a. « Et Michel esquisse un geste insouciant, copié sur celui de son ami, pour faire admettre à sa mère qu’il n’y a pas lieu de se désoler pour une petit brûlure. Mais Mme Sanderson ne se laisse pas impressionner. » (Vic le Victorieux, p. 22)
5b. « Petit-Frère fit un geste nonchalant de la main à la manière de Karlsson pour que sa mère comprenne à quel point il était inutile de faire tant d’histoires pour une étagère. » (Karlsson sur le toit, p. 21)
5c. « Eric spread his hand in a superior manner, exactly as Karlsson had done, as thought to say to his mother that talking about the bookshelf was a lot of fuss over nothing. But she was not impressed. » (Eric and Karlsson-on-the-Roof, p. 14)
5d. « Lillebror sprätte överlägset ut med handen precis som Karlsson hade gjort, för att mamma skulle förstå att det där med bokhyllan verkligen inte var något att bråka om. Men det bet inte på mamma. » (Lillebror och Karlsson på taket, p. 19) En observant les différentes versions de ce livre suédois pour enfants, on remarque une grande différence entre le suédois, le français et l’anglais: le vouvoiement et le tutoiement. Concernant les exemples trois et quatre, on découvre dans la version originale suédoise le pronom personnel « du » (« tu » en français), alors que dans les versions françaises, on trouve le tutoiement dans Karlsson sur le toit, et le vouvoiement dans Vic le Victorieux. Les exemples du livre Karlsson sur le toit sont ici correctement traduits par rapport à la langue de départ, c’est-à-dire le suédois. Que nous dit l’auteur Rune Ingo sur ce sujet ? Dans son livre, on peut lire: « Le vouvoiement général dans la culture française signifie évidemment que le pronom tu « du » n’existe que dans des situations familières, sinon c’est vous « ni » qu’on utilise. Une adaptation de la manière de saluer suédoise est donc nécessaire lors de la traduction de dialogues et autres textes que contiennent l’adresse de parole directe (à une personne). » (2007 : 211, ma traduction) Selon la théorie de Rune Ingo, la traduction de Vic le Victorieux semble être bonne puisqu’une adaptation a été réalisée. Par contre, dans l’exemple numéro un du même livre, on retrouve le tutoiement. Mais, rappelons que cette version a été traduite directement de la version anglaise, qui utilise « you », et que en français, ce « you » peut être traduit autant par « tu » que par « vous ». Y-a-t-il une théorie pouvant nous expliquer quelle forme il faut utiliser dans ce cas ? Vinay et Darbelnet (1968 : 85) nous l’expliquent comme cela: « L’anglais ne dispose ni de tutoiement ni de la troisième personne employée pour la deuxième. Le traducteur devra donc procéder par compensation, employer par exemple le prénom comme équivalent du tutoiement, mais en tenant compte de ce que l’emploi du prénom est plus généralisé dans les pays anglo-saxons, surtout en Amérique, que le tutoiement ne l’est en France. La note familière ou formaliste devra donc être rétablie autrement, en fonction du contexte. » L’exemple numéro un (1a., 1b., 1c.) est la première phrase que nous pouvons lire lors de la première rencontre entre Karlsson et Petit-Frère. Dans ce cas, ils ne se connaissent pas, et pour cette raison le traducteur ne peut pas utiliser le prénom d’un des personnages principaux. À mon avis, cette question relève du propre choix du traducteur. Dans l’exemple numéro cinq, on découvre dans le texte de Vic le Victorieux (5a.) l’utilisation du mot « Madame». Dans la version anglaise (5c.), il est traduit par le pronom « she » (elle, en français) et dans la version originale (5d.) on trouve le substantif « mamma » (maman ou mère, en français). Dans le livre Karlsson sur le toit (5b.), le mot ne figure pas. La raison pourrait être due au fait que la phrase suivante décrit un moment où la mère de Petit-Frère est fâchée et menace de lui faire « un bon graissage qu’il n’oubliera pas de si tôt » (p. 21). Cette phrase explique indirectement aux lecteurs qu’elle ne se laissait pas impressionner par le geste de Petit-Frère. Une explication sur la raison pour laquelle la traductrice a utilisé le mot « Madame » peut être trouvée dans le livre de Rune Ingo (2007) : « Les objectifs de la Révolution française résumés dans la devise de la République française, « Liberté, égalité, fraternité », a atteint un des résultats qui est probablement l’un des plus importants et plus durables d’un point de vue linguistique (parlé) concernant les mots d’égalité « Madame » et « Monsieur » en adressant la parole, qui, aujourd’hui, peuvent encore être utilisés en toute sécurité, peu importe le niveau de langue utilisé. Un traducteur vers le français se retrouve donc dans des situations où un poli Madame ou Monsieur peut ou devrait être placé devant un nom de famille suédois. À l’inverse, beaucoup de Madame et Monsieur ne se traduisent pas dans la version suédoise, ou bien sont remplacés par le titre de la personne. On pourrait dire que le Français ont obtenu l’égalité en « élevant » toutes les personnes avec Madame ou Monsieur, et que le Suédois a « réduit » toutes les personnes au rang de tu ». (p. 213-214, ma traduction et mon soulignage) En résumé, on pourrait répondre à la question posée ci-dessus sur le tutoiement et le vouvoiement. La traductrice de Vic le Victorieux a fait une adaptation en utilisant la manière française pour que les enfants de l’époque puissent mieux comprendre le contexte du livre, par contre, les traductrices de Karlsson sur le toit ont préféré utiliser le tutoiement puisque leur but est de montrer la culture suédoise aux jeunes lecteurs d’aujourd’hui.
Conclusion
L’objet de l’analyse de ce mémoire a été une comparaison entre deux versions françaises, dont une a été traduite au travers d’une langue intermédiaire (l’anglais), du livre d’enfant suédois Lillebror och Karlsson på taket. La première partie de cette analyse a consisté à répondre aux questions posées dans l’introduction concernant la version anglaise Eric and Karlsson-on-the-Roof. Dans l’analyse, on a remarqué que le livre anglais est une traduction assez exacte du livre original suédois d’Astrid Lindgren. La traductrice, Marianne Turner, a trouvé des problèmes de vocabulaire, surtout concernant les mots des noms propres, de la nourriture, de la monnaie et de la manière de saluer. Quelques exemples étudiés ont été les noms propres de Svante Svantesson, Krister, Gunilla et Ricki, la nourriture « köttbullar », « ärter och plättar » et « fruktsoppa », la monnaie « krona » et la manière de saluer « Hejsan, hoppsan ! ». La traductrice a résolu ces problèmes en utilisant des mots ou expressions spécifiques à l’anglais, en changeant le mot parce qu’il était inconnu aux jeunes lecteurs, ou encore en transférant et modifiant les noms en essayant de rester le plus fidèle possible à la version originale. Le livre français nommé Vic le Victorieux (1980), traduit par Sylvette Brisson-Lamy, est la version française qui a été traduite à partir d’une langue intermédiaire, c’est-à-dire de la version anglaise Eric and Karlsson-on-the-Roof. Dans cette traduction, on trouve de nombreuses différences avec la traduction anglaise. La traductrice Sylvette Brisson-Lamy a fait plus d’omissions et de suppléments que la traductrice Marianne Turner, concernant le livre original. Ces omissions et suppléments sont cependant moins nombreux que ceux que l’auteur Christina Heldner (1993) avait remarqués dans le livre Fifi Brindacier. Les problèmes de traduction trouvés par Sylvette Brisson-Lamy sont les mêmes que ceux rencontrés par la traductrice Marianne Turner. En plus de cela, Heldner a aussi trouvé d’autres différences concernant les modulations, les équivalences, les adjectifs, un nom géographique et le style narratif. Le style narratif de Marianne Turner est le même style que celui d’Astrid Lindgren, c’est-à-dire plus proche du lecteur avec beaucoup de dialogues mélangés avec de l’humour et surtout la sensation que le livre nous est lu à haute voix. En revanche, Sylvette Brisson-Lamy a essayé d’avoir cette narrative à haute voix en utilisant des caractéristiques typiques de la langue française comme les différences entre le vouvoiement et le tutoiement, et en essayant de garder l’humour du texte original, ce qui est, à mon avis, plutôt bien réussi. Les méthodes et manières utilisés par la traductrice Brisson-Lamy pour résoudre les problèmes seront expliquées dans le paragraphe suivant.
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Table des matières
1. Introduction
1.1 Méthode et matériaux
1.2 Études précédentes
1.3 Objectifs
2. Analyse
2.1 Eric and Karlsson-on-the-Roof
2.1.1 Noms propres
2.1.2 La nourriture
2.1.3 La monnaie
2.1.4 La manière de saluer
2.2 Vic le Victorieux versus Karlsson sur le toit
2.2.1 Les modulations, les équivalences et les adjectifs
2.2.2 Noms propres et un nom géographique
2.2.3 La nourriture
2.2.4 La monnaie
2.2.5 La manière de saluer, le vouvoiement, le tutoiement et le titre de « Madame »
2.2.6 Le style narratif
2.2.7 Les omissions et les suppléments
3. Conclusion
Bibliographie
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