Analyse bibliométrique de la littérature académique
En France, le nombre de réseaux d’entrepreneurs ne cesse d’augmenter depuis ces vingt dernières années et la littérature en entrepreneuriat accompagne cette évolution, avec un nombre croissant d’articles consacrés à l’analyse des réseaux d’entrepreneurs. Les réseaux d’entrepreneurs sont abordés de multiples façons, nous nous focalisons sur la question du capital social de l’entrepreneur dans le cadre d’une analyse bibliométrique qui permet de mieux cerner ce phénomène. En effet, la notion de capital social est caractéristique de l’analyse des réseaux d’entrepreneurs, les liens sociaux établis au sein des réseaux étant étudiés comme autant de moyens permettant d’accéder à des informations et à des ressources, d’acquérir des connaissances et des compétences, en d’autres termes, comme producteurs de capital social (Jack, 2010). Certains chercheurs ont ainsi mis en avant l’idée selon laquelle les réseaux permettraient aux entrepreneurs de renforcer leur capital social de naissance (famille, proches) et le capital social acquis lors des études et dans le cadre des premières expériences professionnelles. Les réseaux de pairs seraient même pour l’entrepreneur le vecteur privilégié de construction d’un capital social spécifique, voire indispensable, à leur pratique professionnelle d’entrepreneur dirigeant d’entreprise (Sexton et al., 1997; Chell et Baines, 2000).
Pourquoi s’intéresser à l’évolution dans le temps de la littérature académique consacrée aux notions d’entrepreneur, de réseau et de capital social ? L’analyse bibliométrique nous a semblé indispensable en raison de l’hétérogénéité des champs disciplinaires qui, au fil du temps, se sont intéressés à ces notions : l’entrepreneuriat (pour l’étude de l’entrepreneur), la théorie des réseaux en sciences de l’organisation et en sociologie (pour l’étude des réseaux) et la sociologie (pour l’étude du capital social). Lors des dernières décennies, l’entrepreneuriat a repris les notions de réseau et de capital social pour étudier l’activité de réseautage des entrepreneurs et la constitution de leur capital social, conçu comme fondamental pour la réussite entrepreneuriale (Stam, Arzlanian et Elfring, 2014). Néanmoins, cette transposition reste encore partielle quant à l’étude du fonctionnement et de la structure des réseaux d’entrepreneurs, d’une part, et quant à l’utilisation des réseaux par les entrepreneurs dans leur démarche de construction et de consolidation du capital social. Cette analyse bibliométrique permet de dégager les grandes lignes de cette évolution et d’en identifier les tendances majeures.
Le réseau de l’entrepreneur dans la littérature académique : reconnaissance croissante de sa contribution au capital social de l’entrepreneur
Collecte des données
Notre bibliométrie prend en compte les articles académiques publiés dans les bases de données Business Source Complete (BSC) et Entrepreneurial Supports Source (ESS), qui donnent accès à la grande majorité des publications en sciences de gestion et en entrepreneuriat. Nous avons recensé tous les résumés en anglais et en français qui 1/ mentionnaient l’un des mots-clés suivants : « entrepreneur » et « social capital » ou « capital social », « entrepreneur » et « network » ou «réseau»; 2/ mentionnaient deux des mots-clés ensemble : « entrepreneur » + «social capital » ; « entrepreneur » + « capital social » ; « entrepreneur » + «network » ; « entrepreneur » + « réseau » ; 3/ mentionnaient trois des mots-clés ensemble : « entrepreneur » + « network » + « social capital » ; « entrepreneur » + « capital social » + « réseau ».
Le croisement des notions de réseau et d’entrepreneur est nouveau, et on ne le retrouve pas à l’origine ni dans le champ de l’entrepreneuriat ni dans celui des sciences de gestion lorsqu’elles abordent les théories des réseaux. L’article le plus ancien identifié lors de notre recherche date de 1965, l’échelle du temps partira donc de cette date pour aller jusqu’en 2014 (la date du comptage final est le 7 août 2014).
Les résultats
Les résultats de l’analyse bibliométrique ont été regroupés par tranche de cinq ans afin d’en faciliter la lecture. Dans chaque tableau, la première colonne reprend le comptage effectué dans la base de données Business Source Complete, la deuxième colonne celui de la base de données Entrepreneurial Support Source et la troisième colonne fait la somme des deux premières.
L’évolution générale des publications
Afin de faciliter la lecture des tableaux ci-dessus, nous proposons une représentation graphique superposant les différents résultats obtenus par mots-clés, afin de montrer, année par année, les publications recensées dans les deux bases de données .
Une augmentation constante du nombre de publications
Fort intérêt lors des cinq dernières années
Le premier constat que nous pouvons faire concerne l’intensification de la recherche académique consacrée à ces thématiques : entre 44 et 53 % de l’ensemble de la production de recherche se concentre sur les cinq dernières années (2010-2014). Ceci peut s’expliquer de différentes manières. Tout d’abord, l’entrepreneuriat dans son ensemble est un champ de recherche relativement récent et en plein essor (Carlsson et al., 2013), ce qui explique l’intérêt croissant des chercheurs pour des sujets dont l’importance est mise en avant aussi bien par les auteurs que par les accompagnateurs et les pouvoirs publics, tels le capital social et le réseau de l’entrepreneur. De plus, un nombre croissant de chercheurs en sciences sociales, qui s’intéressaient préalablement à ces thématiques commencent à les explorer sur des populations et dans des contextes entrepreneuriaux. Cependant, on peut se demander si l’analyse effectuée à partir de la numérisation des articles et du référencement des articles dans les bases de données est susceptible de générer des biais.
L’étonnante déconnexion entre les notions de capital social et de réseau
Dans cette bibliométrie, un résultat a attiré notre attention, il s’agit du nombre restreint d’articles abordant ensemble les notions de réseau et de capital social. Ainsi, en prenant en compte l’ensemble des articles publiés lors des quinze dernières années et recensés dans les bases de données étudiées, 630 articles parlent d’entrepreneur et de réseau, 225 d’entrepreneur et de capital social, et 93 d’entrepreneur, de réseau et de capital social . Les 93 articles qui mentionnent deux des mots-clés se superposent dans le comptage. Nous avons donc : 630 93=537 articles qui mobilisent la notion de réseau sans celle de capital social dans leurs résumés et 225-93=132 articles qui mobilisent la notion de capital social sans celle de réseau dans leurs résumés.
Deux pistes s’offrent à nous pour tenter d’expliquer cet écart. Tout d’abord, le comptage ne porte que sur les articles dont les mots-clés sont présents dans les résumés. On peut donc imaginer que la notion de capital social soit mobilisée dans le cœur des articles traitant des réseaux et viceversa. Une autre piste serait celle consistant à penser que les deux notions sont déconnectées dans la littérature entrepreneuriale, alors qu’en sociologie les réseaux sont envisagés comme une composante importante du capital social. C’est donc bien sur la notion de capital social qu’il faudra se focaliser dans le cadre de cette thèse en entrepreneuriat, afin de répondre à des questionnements de plus en plus soutenus relatifs au rôle des réseaux dans la constitution du capital social des entrepreneurs et au comportement des entrepreneurs dans un contexte de réseautage.
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Table des matières
Introduction
PARTIE I LE CADRE CONCEPTUEL
CHAPITRE I LES RESEAUX EN ENTREPRENEURIAT : TYPOLOGIE ET APPORTS A TRAVERS LA NOTION DE CAPITAL SOCIAL
I. Analyse bibliométrique de la littérature académique
I.1. Le réseau de l’entrepreneur dans la littérature académique : reconnaissance croissante de sa contribution au capital social de l’entrepreneur
I.1.1. Collecte des données
I.1.2. Les résultats
I.1.3. L’évolution générale des publications
I.2. Une augmentation constante du nombre de publications
I.2.1. Fort intérêt lors des cinq dernières années
I.2.2. L’étonnante déconnexion entre les notions de capital social et de réseau
I.2.3. Le décrochage de 2013
I.3. Le réseau de l’entrepreneur dans la presse : reconnaissance unanime de son importance
II. Du « réseau de l’entrepreneur » aux « réseaux d’entrepreneurs » : structure, évolution et retombées des réseaux en entrepreneuriat
II.1. Les thèmes de recherche sur les réseaux en entrepreneuriat : la méta-analyse de Jack (2010) actualisée
II.2. Le caractère contingent des réseaux en entrepreneuriat : la méta-analyse de Stam, Arzlanian et Elfring (2014)
II.3. Caractéristiques des réseaux formels d’entrepreneurs
II.3.1. Vers une définition du réseau formel : un réseau utilitaire spatialisé
II.3.2. Le fonctionnement des réseaux formels d’entrepreneurs
II.3.3. La complexité des relations au sein des réseaux formels d’entrepreneurs
II.3.4. L’évolution de la notion de réseau formel d’entrepreneurs dans le temps
CHAPITRE II L’ELABORATION D’UN CADRE THEORIQUE POUR L’ETUDE DES RESEAUX FORMELS D’ENTREPRENEURS
I. L’évolution des réseaux dans le temps : modèles et enjeux
I.1. Critique de la littérature sur l’évolution des réseaux
I.2. Les approches processuelles du réseau de l’entrepreneur et du réseau de son entreprise
II. Modèles d’évolution du réseau de l’entrepreneur
II.1. Les phases d’évolution des réseaux : la perspective de Jack, Drakopoulou Dodd et Anderson (2008)
II.2. L’évolution des relations entre membres, selon la confiance interpersonnelle : la perspective de Smith et Lohrke (2008)
III. Modèle d’évolution des réseaux fermés
III.1. Les réseaux formels d’entrepreneurs comme communautés de pratique
III.2. Les retombées des réseaux fermés: la création de valeur pour les membres
IV. Les flux d’échange entre les membres dans les réseaux formels d’entrepreneurs : le contenu de l’activité de réseautage
IV.1. Le capital social au cœur de l’échange
IV.1.1. Le capital social : définition
IV.1.2. La constitution du capital social
IV.2. La nature des flux dans les réseaux formels d’entrepreneurs
IV.2.1. Les flux de conseils relatifs aux connaissances organisationnelles
IV.2.2. Les flux d’opportunités d’affaires
IV.2.3. Les flux de ressources tangibles
PARTIE II LA METHODOLOGIE
CHAPITRE III PROPOSITION D’UN MODELE DE RECHERCHE
I. Le design de recherche
II. Enjeux épistémologiques et implications méthodologiques
CHAPITRE IV L’APPROCHE METHODOLOGIQUE
I. Mobiliser l’analyse des réseaux sociaux en entrepreneuriat
II. La prise en compte du temps dans l’étude des réseaux formels d’entrepreneurs
III. L’opérationnalisation des variables indépendantes relatives au profil de l’entrepreneur et de son entreprise
III. Synthèse du cadre méthodologique
CHAPITRE V TERRAIN ET COLLECTE DES DONNEES
I. Présentation du terrain de recherche : activités et mode de fonctionnement du CJD La Défense
II. Le déroulement de la collecte des données et les phases de la recherche
CHAPITRE VI ANALYSE DES DONNEES
PARTIE III LES RESULTATS
CHAPITRE VII ANALYSE DESCRIPTIVE DES DONNEES DU QUESTIONNAIRE
I. Les variables indépendantes
I.1. Les caractéristiques personnelles des membres
I.2. Les profils d’entrepreneurs : Novices / Experts / Expérimentés
I.3. Les profils de réseauteurs : Expert / Novice / Néo-réseauteur
I.4. Les types d’entreprises : Secteur technologique / Non technologique
I.5. La synthèse des résultats relatifs aux variables indépendantes
II. Les variables dépendantes
II.1. La participation et l’implication
II.2. Matrices de flux
II.2.1. Flux d’opportunités
II.2.2. Flux de Ressources
II.2.3. Flux de Conseils
II.2.4. Les motivations des membres du CJD La Défense
CHAPITRE VIII RESULTATS DU TRAITEMENT STATISTIQUE DES DONNEES
I. Résultats relatifs au positionnement des membres dans les réseaux de flux
I.1. Les scores de centralité des membres
I.2. Les Clusterisations des membres par type de flux
I.3. La visualisation du réseau et des flux : les sociogrammes
II. Les résultats de l’analyse factorielle
II.1. Les résultats de l’ACM
II.2. Les résultats de l’Analyse Canonique Non Linéaire (ACNL)
CHAPITRE IX LA CREATION DE VALEUR PERCUE AU SEIN DU RESEAU
CHAPITRE X REPONSE AUX PROPOSITIONS ET DISCUSSION
Conclusion