Analyse bibliographique sur le rapport affectif
Les villes, qu’elles soient en toile de fond ou sujet principal d’une œuvre artistique, littéraire, cinématographique, etc., font appel au registre amoureux. La compréhension de ces phénomènes affectifs en lien avec l’organisation de l’espace intéressent les scientifiques et les sociologues depuis quelques siècles. La géographie s’est intéressée plus tardivement, au milieu du XXème siècle, à la dimension affective du rapport entre l’individu et son environnement, et elle s’est orientée plus spécifiquement vers l’analyse des attributs de l’objet spatial et leurs rôles dans la construction d’un lien affectif entre les individus et leurs lieux de vie. La question des affects est donc reprise par une nouvelle discipline émergeante, la psychologie environnementale, qui établit un nouveau concept : l’attachement au lieu. Les travaux de cette discipline démontrent ainsi l’importance des facteurs sociaux et des représentations sociales – même si l’environnement matériel reste influent – dans l’attachement des individus au lieu.
C’est dans ce courant que s’inscrivent les recherches effectuées par les urbanistes. Toutefois, sans nier les précédents travaux, le concept de rapport affectif à la ville reste très récent dans le domaine de l’aménagement du territoire. Développé plus particulièrement en 1999 par D.MARTOUZET, il est le fruit d’une expérience personnelle où son propre rapport positif à la ville s’est heurté au rejet de la ville de la part d’une population, celle de Fort de France . De cette expression intuitive ont suivi de nombreuses recherches que nous allons tenter de synthétiser dans cette partie afin de mettre en lumière les pistes de réflexion à explorer.
Le mémoire de B.BOCHET en 2000 pose les bases d’une recherche relativement novatrice. Elle fut la première à travailler sur des catégories d’éléments qui influenceraient le rapport affectif d’un individu à la ville. Elle entérine ainsi l’existence d’un lien d’ordre affectif entre la ville et les êtres humains et pose l’hypothèse que ce rapport affectif dépend soit des aménités, soit de l’urbanité, soit des deux. L’urbanité soit « l’ensemble des liens sociaux qui existent ou se créent dans la ville » renvoie aux notions de « savoir-vivre urbain » et d’art de vivre spécifiques aux villes. Ainsi, « l’amabilité, la sociabilité, la politesse, la convivialité, la tolérance, la liberté, l’intégration, la sympathie mais aussi l’indifférenciation, l’anonymat, l’exclusion, la solitude, l’isolement sont des valeurs sous- jacentes à la notion d’urbanité» .Cette notion renvoie aussi à l’histoire de la ville : ses changements, ses bouleversements, ses souvenirs, etc. Les aménités sont « l’ensemble des facilités offertes par la ville et des aspects concrets et matériels de celle-ci et les conséquences qui en découlent». Elles regroupent donc les nombreux avantages des lieux de vie urbains tels que l’accessibilité et la proximité des services mais également leurs conséquences négatives telles que la pollution phonique. Les aménités désignent donc le caractère physique de la ville. Régulièrement repris dans les projets qui suivront, le travail de fondation de B.BOCHET a réellement permis de construire de solides bases à cette recherche. Elle précisera en 2007 que le rapport affectif est lié autant à l’individu qu’à la ville. En soi, il dépend des facteurs individuels et sociaux culturels, et de la dimension sociale, spatiale et socio-politique de la ville (caractérisés respectivement par B.BOCHET, d’aménités, d’urbanité et de civilité). La civilité se définit « par la place occupée par un individu dans le groupe et par un ensemble de pratiques collectives et de modes de conduites partagées servant de support aux liens sociaux et permettant à chacun de trouver une place dans la société et de restaurer un sentiment d’appartenance à une même collectivité citadine » . Cette notion s’apparente donc à une relation de dépendance entre l’individu et le groupe. Le dernier type de déterminants est la lisibilité, ou « la clarté apparente du paysage urbain », intégré à la liste des catégories d’influence du rapport affectif par F.GUYOMARD (2005), inspiré de K.LYNCH (1960). Par-là, ce dernier sous-entend le fait de reconnaitre facilement les éléments constituant le paysage urbain et pouvoir les organiser en un schéma cohérent. « Bien que la clarté, ou lisibilité, ne soit nullement une propriété importante d’une belle ville, elle devient essentielle lorsqu’on se place à l’échelle de la ville, du point de vue de la taille, de la durée et de la complexité, pour examiner l’environnement. Pour comprendre cela, il ne faut pas considérer la ville comme une chose en soi, mais en tant que perçue par ses habitants » .
Il est donc nécessaire de structurer et d’identifier son environnement afin de l’examiner plus précisément et de se familiariser avec. Cet examen, à travers l’utilisation des indications sensorielles, va influencer l’image que se fait chaque habitant de son quartier. Cette lisibilité est sous-jacente de cinq entités qui structurent la ville : les voies, les limites, les quartiers, les nœuds et les points de repères.
En se basant sur le travail de B.BOCHET, on suppose que le rapport affectif peut être abordé selon différents « angles d’attaque » : celui du lieu et de l’espace matériel, celui de l’aspect social avec l’individu et la société, et enfin celui de l’interaction qu’il existe entre ces deux derniers, entre l’espace et les êtres humains. Aussi, nous allons nous attacher à détailler ces trois aspects à travers les précédentes recherches pour brosser un portrait le plus complet possible du rapport affectif en lien avec notre propre sujet d’étude.
L’influence du lieu
Les précédentes recherches sur le rapport affectif s’accordent sur la notion de complexité du lieu de vie urbain. L’une des premières à aborder cette dimension est S.POLLEAU en 2008. Partant du constat qu’une ville est un système complexe et que le domaine du rapport affectif est nouvellement pris en compte dans la construction d’un projet urbain, la notion de complexité, vue comme une vision nouvelle de la connaissance, est alors pertinente pour le projet de recherche. Elle choisit alors de faire l’hypothèse que le niveau de complexité d’une ville influence le rapport affectif. Un lieu complexe, puisque sujet aux interactions aléatoires, serait un lieu avec une forte identité et un lieu de créativité urbaine. En ce sens, plus un lieu est complexe, plus il est susceptible d’influencer le rapport affectif.
Ces éléments complexes peuvent être hiérarchisés, classifiés à travers ce qu’on appelle les affordances, ou prises. Il s’agit de toutes les possibilités d’actions sur un objet. Si nous appliquons cette notion au rapport affectif d’un individu à un lieu, on peut considérer « le lieu comme autant d’éventuelles prises sur lesquelles les individus « s’appuient *…+ (et) se saisissent pour construire leur relation affective envers le lieu » . Les prises forment en quelque sorte des points d’accroche « qui donnent aux individus les moyens de s’approprier le lieu ou de le rejeter » . Ces prises étant parties prenantes du lieu, sur lequel l’urbaniste peut agir, l’un des principaux enjeux pour ce dernier se trouve donc dans la réflexion sur les formes d’application concrètes de ces prises. Toutefois, « il n’est pas en mesure de « dicter» à l’individu la nature et la valence de la relation qu’il doit entretenir avec un lieu * +. Il peut tout au plus contribuer à créer les conditions d’une appropriation affective.» . Ce sujet a été approfondi par N.AUDAS dans sa thèse en 2011. Elle définit ainsi six types de prises affectives qui « font écho à diverses postures urbanistiques symbolisant des manières différentes de concevoir la « fabrique » de la ville » , dont nous rapportons ci-dessous les éléments principaux :
♦ Le délassement – la relaxation – l’amusement – la distraction : « La fonction du lieu semble recouvrir une importance et est loin de paraître anodine dans le jugement émis par les individus. En effet, les lieux qui réunissent une dimension de détente et de loisirs génèrent une relation affective positive dans laquelle les émotions, les sentiments et les humeurs associées présentent des connotations relatives au bien être et au plaisir. »
♦ La praticité – la fonctionnalité : La fonction pratique d’un lieu reste néanmoins aussi important. « Les habitants/usagers de l’espace apprécient l’existence de lieux pratiques et fonctionnels pour satisfaire un besoin et non pas nécessairement pour tendre vers un bien-être, ce qui n’empêche d’ailleurs pas que cela y contribue. »
♦ L’originalité – la spécificité : Les individus peuvent également apprécier « les lieux qui se démarquent en recherchant l’originalité et une spécificité propre ». Toutefois, cette différenciation peut parfois « entrer en contradiction avec les normes de ce qu’il « faut » pour qu’un lieu soit apprécié voire aimé » . L’originalité passe souvent par l’investissement de la dimension artistique et culturelle par les politiques urbaines, on peut parler d’une certaine forme d’instrumentalisation de la culture et de l’art afin de modifier l’image des espaces.
♦ L’inattendu – l’imprévisible – la nouveauté : Au travers de ses enquêtes, N. AUDAS a montré que « l’imprévu, l’inattendu ou la nouveauté sont des qualités que revêtent certains espaces urbains et qui sont fréquemment mentionnées par les individus interrogés comme la source de l’établissement d’une relation agréable. *…+. Est ainsi mis en lumière le rôle des temporalités urbaines qui participent à faire que la ville ne soit jamais figée mais toujours en évolution, en attente, dans l’imprévisibilité.» Notre société serait ainsi « qualifiée par le mouvement » avec des changements constants qui transforment les solutions proposées à une époque en problème à une époque ultérieure.
♦ La dimension historique et patrimoniale – l’authenticité : « Le poids du temps semble être ce qui permet à un espace d’être reconnu et identifié par les individus qui l’habitent et lui attribuent une valeur particulière. »
♦ La diversité – l’animation : « Ce que les individus recherchent également dans un lieu urbain ce sont ses caractéristiques propres qui peuvent se définir par des termes comme la diversité, l’animation, la convivialité, les rencontres, l’anonymat etc., » en bref les termes qui englobent les caractéristiques de l’urbain. Ces caractéristiques sont notamment l’objet de plusieurs possibilités de comportements, de façons d’être et de faire, en fonction du lieu et de ses possibilités.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I : Cadre théorique
1. Analyse bibliographique sur le rapport affectif
1.1. L’influence du lieu
1.2. L’influence exercée sur l’individu
1.3. L’influence de la temporalité du lieu et de l’individu
2. Définition des états affectifs
3. Notion d’image et de représentation
3.1. Image visuelle et image mentale
3.2. Représentation individuelle et représentation sociale
PARTIE II : Présentation de notre recherche
1. Description des quartiers
1.1. Le quartier du Vieux-Tours
1.2. L’éco-quartier Monconseil
2. Notions spécifiques à notre étude
2.1. Le patrimoine
2.2. Éco-quartier : un concept flou qui tend à se préciser
3. Hypothèses
3.1. Quartier du Vieux-Tours
3.2. Quartier Monconseil
3.3. Hypothèse commune aux deux quartiers
PARTIE III : Méthodes de recherche employées
1. Choix de la méthode
2. Ciblage et approche des habitants
2.1. Profil cible
2.2. Prise de contact pour les entretiens
3. Explication de la trame d’entretien
4. Retour critique sur la méthode
4.1. La méthode
4.2. Ciblage et approche des habitants
4.3. Trame d’entretien
PARTIE IV : Analyse des résultats
1. L’analyse par catégories d’influence
1.1. L’espace
1.2. L’interaction entre l’individu et le lieu
1.3. L’aspect social
2. Des ébauches de figures de ville
2.1. La ville saine
2.2. La ville en mouvement
2.3. La ville concentrée
2.4. La ville paradoxe
2.5. La ville diversifiée
2.6. La ville labo
3. Conclusion sur les hypothèses
3.1. Résultats des hypothèses
3.2. Reformulation des hypothèses
4. Questionnaire
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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