Analyse archéozoologique du site méroïtique de Mouweis (Soudan)

Cette étude porte sur un assemblage osseux provenant du site de Mouweis, au Soudan. Extrait d’anciennes unités stratigraphiques du site, cet ensemble pose le problème de l’exploitation de la faune au cours des premières installations humaines à Mouweis. En effet, si les fouilles organisées depuis 2007 par le Musée du Louvre nous ont permis d’apprendre beaucoup sur la ville en elle-même (voir à ce propos la synthèse de Millet 2018), il reste beaucoup à faire du côté de l’archéobiologie. C’est là tout le but de cette présente analyse, où les principales problématiques seront les usages de consommation et d’utilisation de la vie animale à l’époque méroïtique sur ce site. L’ensemble sera alors mis en rapport avec le contexte architectural de sa découverte, pour approfondir le lien existant entre la faune et la ville.

Contexte géographique et chrono-culturel

Le site de Mouweis se trouve au cœur du territoire de Méroé. Proche du Nil (1km environ aujourd’hui), la ville se trouvait au sein d’une savane, un milieu typique des pays subtropicaux se développant en réponse à de longues saisons sèches et fournissant des hautes herbes pouvant servir de nourriture aux grands herbivores (Millet 2018, p. 4). La distance par rapport au fleuve à l’époque n’était bien entendu pas identique, et la question de son emplacement n’est pas anodine (Illustration 01). Du fait des nombreux bras subsidiaires pouvant se créer sur le Nil – son Delta en est l’exemple le plus voyant – le paysage pouvait s’en retrouver bouleversé, en créant notamment des zones marécageuses. Ce changement peut avoir un impact sur la faune locale, c’est pourquoi cette problématique mérite d’être rappelée.

Le site fut cartographié et sondé entre 2007 et 2012, ce qui donna lieu à la publication de l’article de Marie Millet, La recherche au musée du Louvre 2013 (Millet 2015, p. 116), permettant d’avoir une vue d’ensemble de la ville. Le secteur 1, visible sur la deuxième illustration, qui nous intéresse pour notre étude, comporte une grande structure en briques crues de 59,5m (nord-sud) sur 63m (est-ouest), observable sur la troisième illustration. Le dégagement de ce bâtiment s’est fait en 2013 et 2014, accompagné d’un tamisage systématique des sédiments, qui permirent de mettre à jour les ossements de notre étude (voir Annexe 1, 2 et 3). Plus précisément, les ossements furent trouvés dans une pièce de la structure, fouillée plus profondément pour obtenir les différentes phases stratigraphiques de construction. Cette fouille a permis d’établir que le bâtiment reposait sur une occupation antérieure datée du IIIe au Ier siècle avant J-C, soit en pleine apogée du royaume de Méroé (Baud et al. 2010, p. 51) permettant donc de dater nos échantillons.

Matériel et méthode

Pour réaliser cette étude, je me suis fondé principalement sur les méthodes de l’archéozoologie au travers de trois grands axes : l’identification des taxons, les parties squelettiques présentes et le contexte taphonomique. Ma base de travail fût l’ensemble d’ossements provenant du secteur 1 (fouillé en 2013), de l’unité stratigraphique (US) n°1265 à 1230, ainsi que la n°1014 – la plus récente. Cette dernière fut choisie et analysée en premier, d’une part pour voir l’état des restes osseux sur le site, et d’autre part pour avoir un aperçu de l’aspect des niveaux les plus récents pour comparaison. Le choix de l’échantillon fut dicté par le temps qui m’était imparti, trois semaines, et la nécessité de commencer par la couche la plus reculée chronologiquement.

Le tri et l’analyse de ces éléments se sont faits en dispatchant les ossements, US par US, selon plusieurs catégories : le taxon identifié, le type d’os, leur nombre, la partie de l’os retrouvé, sa latéralisation au sein du squelette et sa taille. Ce classement permet une meilleure vision d’ensemble de la qualité et de la quantité des échantillons, tout en facilitant grandement les analyses plus précises croisant des données ciblées (comme la comparaison des tailles de fragments entre US par exemple). Ensuite, au moment d’identifier taxons et parties squelettiques, je me suis aidé de la collection de référence des collections d’Anatomie Comparée du Muséum d’Histoire naturelle de Paris (très fournie), et du livre de Robert Barone : Anatomie comparée des mammifères domestiques (Barone 1976), pour latéraliser et identifier correctement les différents types d’os. La présence d’espèces particulières et leur traitement post-mortem pouvant être un indice de traitement anthropique, ou d’altérations liés à des charognards opportunistes, il était indispensable de les cataloguer. Après nettoyage et comptage, l’ensemble du matériel s’est révélé comporter un nombre de restes (NR) de 3299 éléments, ce dernier se calculant tout simplement en additionnant les parties d’os présentes. Une fois obtenu le NR, il m’a été permis de quantifier le nombre minimal d’individu (NMI) en regardant l’élément anatomique le plus fréquent situé sur un même côté d’un squelette théorique (Poplin 1976). Ce NMI permet d’éviter au maximum les erreurs sur le nombre d’animaux présents, notamment en empêchant de compter plusieurs fois le même individu, aidant ainsi à pondérer le spectre faunique réalisé via les identifications osseuses.

Une fois ces analyses préliminaires faites, j’ai réalisé une analyse taphonomique de l’ensemble des ossements, pour comprendre l’impacte du milieu d’enfouissement sur leurs états et dispositions. Tout d’abord, il a fallu les ranger par taille et type de fracturation pour juger de l’état de fragmentation de ceux-ci. Pour cela, je les ai échelonnés selon plusieurs gammes de taille en ordre croissant : 1, 2, 3-4, 5-6, 7-8 et 9-10 cm. Puis, j’ai étudié la fréquence des parties squelettiques retrouvées via mon classement préalable des os selon leur nature (os longs, axiaux, autopodes et membres supérieurs et inférieurs), avec une séparation plus précise des parties crâniennes (notamment les dents labiales et jugales) et des os non identifiés. C’est une étape indispensable pour identifier les dépôts venant d’une potentielle déposition anthropique (indiquant une sélection des parties animales employées), ou bien un hasard lié à l’altération naturelle post-dépositionnelle.

Dans cette optique, quand un ossement n’était pas identifiable, j’ai choisi de les différencier, en fonction de leur état, selon qu’il s’agissait de fragments de diaphyse, d’os plats ou d’autres types d’os spécifiques mais d’aspect trop incertain. J’ai également indiqué si l’on retrouvait des traces de brûlures, de dents, de découpes, qui pourraient donner des indices sur l’usage des ossements. Enfin, j’ai indiqué spécifiquement quand les os provenaient de jeunes individus, via les marques d’épiphysation incomplète (les os longs des jeunes s’épiphysent progressivement jusqu’à l’âge adulte). En effet leur surnombre, ou au contraire leur absence, serait la preuve d’une sélection anthropique délibérée qu’il conviendrait d’analyser.

Résultats

Après le comptage de l’ensemble des ossements, on trouve que le nombre de restes se situe à 3299 éléments. Mais, si on retranche à ce nombre les os indéterminés, soit 2488, il n’y a que 811 restes identifiés (pour le détail par unité stratigraphique, qui serait fastidieux à faire ici, se reporter à l’Annexe 1). Concernant la fragmentation de l’ensemble, on remarque tout de suite que la grande majorité est constituée d’éléments de très petites tailles. En effet, 68% font moins d’un centimètre et 22% sont autour de deux centimètres, soit plus des trois-quart des ossements. De même, les éléments au-delà de 6cm ne représentent même pas 1% sur l’ensemble des US analysées. Les graphiques (illustration 04) montrent par ailleurs que cette répartition de la fragmentation se maintient uniformément sur toute la stratigraphie, même la partie la plus récente. On se rend compte ainsi du très mauvais état de ces échantillons qui n’évoluent pas de façon importante dans le temps, et de faite ne permettent pas une identification importante des taxons et parties squelettiques. On ne peut également pas observer l’influence humaine à ce stade, les altérations taphonomiques responsables de cette destruction brouillant trop les traces. Aucune trace de découpe ou de traitement avec outil n’a d’ailleurs pu être retrouvée sur les os, sans doute dû à l’extrême fragmentation de l’ensemble. Néanmoins, cette forte fragmentation laisse un schéma de fracturation très instructif (illustration 05). En effet, près de 78% des ossements sont cassés de façon spiralée ce qui laisse penser à une fracturation sur os frais (Lyman 1994, p. 319), contre 18% pour des cassures irrégulières perpendiculaires indiquant une brisure de l’os sec longtemps après la mort de l’animal (illustration 05). Hormis une dizaine de fragments présentant de possible traces de dents (mais ce n’est pas certain au vu de l’état des dits fragments), aucune trace tangible n’a été observée d’une intervention animale. Si celle-ci est intervenue, ce fut dans des cas de charognages très ponctuels, qui ne peuvent expliquer la sur-représentation des fractures sur os frais (spiralés, dentelés, étagés, taillés en V et friables) par rapport aux os secs (perpendiculaires et longitudinaux). La fracturation sur des os séchés tend à les casser en deux facilement, ce qui les coupe plus nettement ou les écrase, notamment dans les cas d’ altérations taphonomiques. De fait, nous sommes clairement dans un cadre anthropique, comme le laissait fortement supposer le lieu urbain où les restes furent retrouvés. On ne peut pas, cependant, connaître la finalité de leur traitement de la faune au vu de notre seule sélection.

Concernant les traces de brûlures, plusieurs os sont calcinés (39), voir carbonisés (83), non-identifiables, répartis de façon diffuse sur l’ensemble de la stratigraphie essentiellement sur les Bos taurus et mammifères moyens (illustration 06), avec même la présence de charbon à l’US 1237. L’analyse montre qu’il s’agit, si on passe outre le pourcentage élevé d’os indéterminés touchés, d’un traitement réservé aux bovins et à des mammifères de taille moyenne. Les types d’os les plus concernés sont essentiellement les os longs et quelques os axiaux (côtes et vertèbres) ce qui peut correspondre à une cuisson des parties comportant le plus de viande et de graisse. Cela indique, encore une fois, l’origine (du moins partielle) anthropique de l’assemblage, le feu n’étant naturellement usé de cette façon que par les habitants du site.

Les taxons identifiés sont, dans la continuité logique de l’état des ossements, peu précis. Sur l’ensemble de la faune présente,le NR indique que 22% des ossements sont identifiables (illustration 07). Parmi ceux-ci, 52% sont attribuables à des mammifères de moyenne taille, 28% à des bovidés de moyenne stature et 11% de grands mammifères (illustration 08). De plus, si on se concentre sur le nombre seul d’espèces clairement établies (donc en excluant les Bovidae et mammifères incertains), on arrive à seulement 35 restes. Au final, les espèces précises sont extrêmement rares, avec 1% de Caprinae et 4% de Bos taurus, et une présence anecdotique de bivalve, gastéropode, d’une Gazella dama et d’un Camelus dromedarius (ces deux derniers se trouvant dans la dernière US 1014) visible sur l’Annexe 1. De la même manière, le nombre minimum d’individus n’est pas très élevé : 31 individus répartis sur 11 US, dont la majorité se trouve à l’US 1041. L’absence de certaines US s’explique par le manque d’os utilisables (les membres latéralisables) en leur sein. Si la grande fragmentation des restes empêche une grande précision, cela montre au moins que les animaux n’étaient pas nombreux par niveau, et ce en restant constant dans le temps.

Ce qui peut être retenu de cette étude peut se diviser en deux grands points principaux. Tout d’abord elle montre une nette prédominance des bovidés, principalement le boeuf Bos taurus, au sein des restes retrouvés. Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que la proportion était même plus importante, du fait de la forte présomption de qualification des restes de mammifères non-identifiés comme des bovidés. Ce faisceau d’hypothèses est renforcé par le travail sur os frais, rapidement après l’abattage, les traces de cuissons et brûlures, les recherches antérieures qui ont montré la présence de Bos taurus et de caprinés à toutes les unités stratigraphiques, et la proximité avec un bâtiment très imposant de la ville. On ne possède donc pas de preuve absolue de la fonction et de la raison de la présence de ces ossements en ce lieu, mais les indices récoltés tendent à montrer qu’il s’agit de restes liés à la consommation et l’exploitation animale.

Dans un deuxième temps, notre étude a mis en lumière que les restes osseux restent proportionnellement très proches dans leur composition et fragmentation, montrant ainsi une certaine constance dans l’usage de la faune et sa méthode de traitement. La fragmentation liée à la taphonomie n’est pas à oublier, mais les traces d’utilisation anthropique sont assez claires pour montrer qu’il s’agit d’une accumulation volontaire et étendue dans le temps. Le doute persiste néanmoins de savoir si cet accumulation d’ossements augmentait avec le temps, comme le montre légèrement l’US 1014, mais il peut aussi s’agir plus simplement d’une meilleure conservation liée à l’époque la plus récente. Il s’agirait sans doute d’une piste d’analyse intéressante pour les études futures, en même temps que la recherche de nouveaux spécimens autour du site pour confirmer les usages possibles de ces animaux, et une éventuelle spécialisation spatiale de l’industrie alimentaire sur un point de la ville.

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Table des matières

I) Introduction
1- Contexte géographique et chrono-culturel
2- Matériel et méthode
II) Résultats
III) Analyse
1- Discussion
2- Conclusion
Conclusion
Bibliographie
Table des Illustrations
Annexe

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