Le point de départ de notre réflexion repose sur plusieurs interrogations que nous avons pu rencontrer tout au long de notre pratique professionnelle lors de ces deux dernières années de formation. Ces doutes, concernant le système de notation des performances scolaires, sont arrivés lorsqu’il nous fallait évaluer les élèves. Nous avons petit à petit développé une certaine méfiance quant à l’utilisation de la note et de ses significations. Cependant pour que notre travail, malgré un enjeu politique inévitable, ait également une visée ontogénique, autrement dit pour qu’il puisse nous apporter des savoirs utiles à notre pratique future, nous ne pouvions pas tout simplement nous attaquer à la note en étant ensuite contraint de l’utiliser. En étudiant les lois scolaires jurassienne et bernoise, nous avons constaté que la moyenne arithmétique appliquée par une grande majorité des enseignants n’était alors prescrite nulle part. Son emploi est même déconseillé dans le canton de Berne : Il ne s’agit pas de calculer une moyenne arithmétique des épreuves et tests à caractère sommatif, mais bien d’intégrer l’ensemble des observations et résultats et de les traduire en une appréciation globale. (Merkelbach & Werner, 2013, p. 29).
La moyenne constituant pour nous un des désavantages de la note chiffrée, notre réflexion s’est donc limitée à cet aspect.
Le problème abordé fait l’objet depuis plusieurs années de très nombreuses discussions. La note comme objet de certification des apprentissages fait débat en Suisse (Genève) mais également aussi en France depuis plusieurs décennies. Même si la moyenne n’est qu’un emploi possible de la note chiffrée et qu’elle déchaîne un peu moins les passions, elle ne constitue pas pour autant un instrument à l’efficacité indiscutée. Les dérives possibles de l’usage de la moyenne sont connues dans le milieu enseignant. Cependant la grande majorité des praticiens l’utilisent au quotidien alors que même certaines ordonnances scolaires déconseillent cette pratique. Dans les cantons de Berne et du Jura, très peu d’alternatives à l’usage de la moyenne scolaire existent.
La mesure : origine et histoire
Comme le rappellent Demeuse, Danvers & Cnudde (2004), c’est Descartes qui à partir du XVIIe siècle suggère l’utilisation de la mesure comme langage de la science. Appliquée d’abord à la physique elle le sera ensuite à l’homme lui-même. Ces auteurs nous informent de ce changement : En psychologie, l’idée, qui apparaît vers 1880, c’est l’idée que l’accès à la connaissance au sens strict, c’est-à-dire au sens scientifique, est la possibilité d’établir une échelle numérique sur laquelle pourront être positionnés les phénomènes observés afin de les appréhender de manière rationnelle. (Demeuse, Danvers, & Cnudde, 2004, cité par Mottier Lopez, 2013, p. 941) .
Autrement dit, tout attribut humain physique comme psychique pouvait être objet de mesure (Dauvisis, 2006). C’est alors tout naturellement que cette démarche se répandit dans les milieux éducatifs. Mottier Lopez (2013) nous l’explique en ces mots: En éducation l’usage de la mesure a émergé au début du XXe siècle avec la préoccupation de devoir assurer une qualité à la notation scolaire, dans le cadre plus spécialement des examens. En lien avec les buts de massification et de démocratisation de l’accès à la formation, la note, par laquelle l’école a la responsabilité de signifier les réussites ou les échecs scolaires, se doit d’être juste et objective. (p. 941)
C’est donc dans une volonté rationnelle de quantification des résultats scolaires propre à l’époque décrite ci-dessus que la mesure, sous forme de notes, a été introduite à l’école.
Une nouvelle science tirée de ces différentes études appelée docimologie est alors apparue dans les années 20. Selon Morandi (2006), « la docimologie (de dokimé, épreuve, science des examens, Piéron 1963) est l’étude des systèmes de notation en terme de mesure. Les études docimologiques montrent les incertitudes de la notation » (p. 128). Diverses et nombreuses études (Piéron (1963) ; Laugier et Weinberg (1935) ; Bonniol (1972) ; Caverni (1975) ;…) ont alors été menées aux États-Unis et en Europe et ont montré les biais qui pouvaient apparaître dans l’exercice de notation des enseignants.
De telles études ont fait leurs chemins, et les avis ont progressivement changé sur le bien fondé de l’utilisation prétendue rationnelle de la mesure en éducation. Nous pouvons le constater dans les propos suivants :Le nombre dans son expression ne peut être le symbole d’un apprentissage. La note représente une quantité et non une qualité. En l’utilisant comme nous le faisons, nous dénaturons la question de certification, puisque nous faisons croire que l’on peut décrire les apprentissages à travers un chiffre. (Berthaupt, 2015, p. 5) .
Nous allons définir dans le sous-chapitre suivant la notion d’évaluation avant d’exposer les différentes incertitudes de la notation découvertes au travers des études docimologiques les plus importantes.
En sciences humaines, il est usuel d’analyser des phénomènes et d’examiner la signification de concepts qui semblent, d’un premier abord, tomber sous le sens commun. Ces objets qui ne paraissent pas mériter une remise en question sont souvent bien plus complexes qu’on ne le pense. En recherche, ils peuvent être traités de deux manières différentes. Soit on considère que le sujet et l’objet de l’étude sont intimement liés ; soit, au contraire, on part du principe qu’ils sont totalement indépendants l’un de l’autre. C’est exactement ce que nous disent Pourtois et Desmet (1997) en ces termes : À propos de cette question de relation entre sujet et objet, deux thèses importantes s’affrontent. […] La première thèse considère qu’il n’existe pas de relation entre le sujet et l’objet, c’est-à-dire que les faits, qui découlent exclusivement de l’observation et de l’expérimentation, peuvent être analysés de façon neutre et objective. Cette perspective se rattache au courant positiviste. La deuxième thèse, au contraire, insiste sur l’idée que la réalité n’est jamais extérieure au sujet qui l’examine, qu’il existe donc une relation entre le sujet et l’objet. Cette orientation relève du courant que l’on qualifie de phénoménologie .
Les sciences positivistes s’occupent de tout ce qui peut se manifester, par exemple, les faits apparents. On peut apparenter ce courant à une démarche d’investigation scientifique traditionnelle à laquelle appartient la méthode expérimentale. Selon Pourtois et Desmet (1997), la méthode expérimentale consiste à : l’élaboration et la mise en œuvre de plans expérimentaux stricts, la mise en place de procédures de recueil de données nécessairement quantifiables et mesurables, l’objectivation de l’observation ainsi qu’un traitement statistique des données, cela en vue d’établir des lois, des explications de portée générale. (p. 28)
Cette méthode, de par les données mesurables récoltées, s’apparente donc plutôt au type de recherches quantitatif.
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Table des matières
Chapitre 1. Problématique
1.1 Définition et importance de l’objet de recherche
1.1.1 Raison d’être de l’étude
1.1.2 Présentation du problème
1.1.3 Intérêt de l’objet de recherche
1.2 État de la question
1.2.1 La mesure : origine et histoire
1.2.2 Champs théoriques et concepts
1.2.2.1 Évaluer ?
1.2.2.2 Docimologie
1.2.2.5 La moyenne arithmétique
1.2.2.5 Le jugement professionnel
1.3 Question de recherche et objectifs de recherche
1.3.1 Identification de la question de recherche
1.3.2 Objectifs de recherche
Chapitre 2. Méthodologie
2.1 Fondements méthodologiques
2.1.1 Recherche qualitative
2.1.2 Approche inductive
2.1.3 Démarche compréhensive
2.1.4 Enjeu de la recherche
2.1.5 Objectif de la recherche, approche à visée heuristique
2.2 Nature du corpus
2.2.1 L’outil de récolte des données : l’entretien semi-directif
2.2.2 La procédure et le protocole de recherche
2.2.3 La population et le choix de l’échantillonnage
2.3 Méthodes et/ou techniques d’analyse des données
2.3.1 Transcription
2.3.2 Traitement des données
2.3.3 Méthodes et analyse thématique
Chapitre 3. Analyse et interprétation des résultats
3.1 Cadre de l’analyse
3.1.1 Population de l’enquête
3.2 Analyse et présentation des résultats
3.2.1 Les différents outils d’évaluation utilisés
3.2.2 Le processus de fabrication du résultat certificatif
3.2.2.1 Correction et codification du résultat de l’épreuve
3.2.2.2 Élaboration du bilan final des apprentissages de l’élève
3.2.3 La satisfaction personnelle du processus
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