La drépanocytose est la maladie monogénique la plus fréquente dans le monde et en France. C’est une hémoglobinopathie secondaire à une mutation du gène de la chaîne β de l’hémoglobine sur le chromosome 11. La mutation, localisée dans l’exon I, correspond au remplacement du 17ème nucléotide thymine en adénine responsable de la présence de valine, en place de l’acide glutamique, dans le sixième codon de la protéine(1). Cette mutation est responsable d’une chaîne d’hémoglobine anormale, appelée hémoglobine S, aux propriétés de polymérisation en condition d’hypoxie. Cela conduit à la déformation des globules rouges prenant un aspect de faucille. Cette anomalie structurale est responsable de vaso-occlusion et d’anémie hémolytique qui constituent les deux piliers de la pathologie. Il s’agit d’une maladie autosomique récessive . La forme la plus fréquente des syndromes drépanocytaires majeurs est l’homozygotie SS. L’hétérozygotie composite avec d’autres mutations de la chaîne β de l’hémoglobine, comme l’hémoglobine C ou D par exemple ou des β- thalassémies, constituent d’autres formes, moins fréquentes, de syndromes drépanocytaires majeurs. Les patients porteurs d’un seul allèle muté codant pour l’hémoglobine S (HbS), sont porteurs sains de la maladie et ne présentent qu’exceptionnellement des symptômes. Cette pathologie a été reconnue comme « problème de santé publique » par l’OMS en 2006 et par l’ONU en 2008. Il s’agit également d’un objectif prioritaire en France, instauré par la loi de Santé Publique de 2004, avec une volonté de réduction de la mortalité et d’amélioration de la qualité de vie.
Drépanocytose : une population vieillissante
Épidémiologie
En 2010, on estimait que plus de 300 000 enfants naissaient chaque année dans le monde avec un syndrome drépanocytaire majeur(2). L’hémoglobine S s’est initialement distribuée en Afrique sub-saharienne, au MoyenOrient et en Inde(3). Le Nigeria, l’Inde et la République démocratique du Congo représentent aujourd’hui la moitié de la population mondiale des patients drépanocytaires(4). Cette pathologie s’est répandue à travers le monde avec l’accroissement des flux migratoires. En France, on estimait à 20 000 personnes la population drépanocytaire en 2020, répartie majoritairement en Ile-De-France et dans les DOM-TOM(5). Par ailleurs, la prévalence observée à la naissance était de 1/2546 en 2012 (1/900 en Île-De-France et 1/400 dans les DOM-TOM)(5). La prise en charge des syndromes drépanocytaires est un enjeu prioritaire d’autant plus que la population mondiale est grandissante avec des prévisions de plus de 400 000 naissances annuelles d’enfants drépanocytaires en 2050(6).
Il existe des différences épidémiologiques fortes entre les pays en voie de développement et les pays à plus grandes ressources socio-économiques. En Afrique subsaharienne où l’on estime à plus de 240 000 le nombre de naissances annuelles d’enfants atteints de drépanocytose, 50 à 90% des enfants décèdent avant l’âge de 5 ans(8,9). Les infections et les complications aiguës de la drépanocytose sont les principales causes de décès des enfants en bas-âge dans ces régions(4,8). Dans les pays à niveau socio-économique élevé, avec la mise en place du dépistage néonatal, la vaccination anti-pneumococcique, la prophylaxie par pénicilline, l’utilisation d’hydroxyurée et la prévention des accidents vasculaires cérébraux, la situation épidémiologique s’est modifiée. En France, l’âge médian au décès est passé de 18 ans entre 1979 et 1986 à 36 ans sur la période 2003-2010(10).
Cette élévation de l’âge au décès est associée à une augmentation du nombre de décès annuels : 49 décès par an sur la période 2007-2010(10). La part des maladies infectieuses sur la mortalité a diminué « au profit » des maladies de l’appareil circulatoire (accidents vasculaires cérébraux et cardiopathies non ischémiques notamment) et de l’appareil digestif (pathologies hépatiques en particulier)(10). Une épidémiologie similaire est rapportée dans d’autres pays « du Nord » où plus de 94% des patients atteignent l’âge adulte(11–13). Dans une étude monocentrique sur 712 patients en Angleterre, une espérance de vie moyenne de 67 ans était retrouvée et de 58 ans dans une autre étude conduite aux États-Unis(13,14). Bien que l’espérance de vie soit plus élevée en Europe et en Amérique du Nord, elle reste inférieure d’au moins 20 ans à celle de la population générale(13).
Complications chroniques de la drépanocytose et physiopathologie
L’altération chronique des organes est continue au cours de la vie des patients. Initialement asymptomatique, sa rapidité d’installation varie selon la sévérité du syndrome drépanocytaire et son génotype, mais également selon des facteurs socioéconomiques et environnementaux. Le génotype SS est associé à une installation plus précoce de ces atteintes alors que le pourcentage élevé d’hémoglobine fœtale semble associé à un délai d’installation prolongé(17,19). Dans une étude de cohorte sur 1056 patients suivis entre 1956 et 2003 (suivi médian non connu), les auteurs retrouvaient que près de la moitié des patients présentait, au cours du suivi, au moins 1 atteinte irréversible d’organe impactant leur qualité de vie(20).
Ces atteintes chroniques sont le résultat de l’ischémie secondaire à la vasoocclusion et à la vasculopathie. Les patients drépanocytaires présentent une anémie chronique du fait de la durée de vie courte des globules rouges malades (16-20 jours). La vaso-occlusion est secondaire à la polymérisation de l’hémoglobine S à l’état déoxygéné. Il en résulte une hémolyse et une obstruction vasculaire, en particulier des petits vaisseaux, avec une ischémie d’aval. L’hémolyse intravasculaire va entrainer une réduction de la production de monoxyde d’azote (NO) et, via l’hémoglobine libre intravasculaire, entrainer sa consommation. La vasculopathie résulte du déficit en NO responsable d’une activation plaquettaire et de dysfonction endothéliale(21). L’activation du système immunitaire inné par l’hémoglobine libre, responsable d’un état pro-inflammatoire, participe également à la vaso-occlusion(7).
De par l’amélioration de la qualité des soins et l’augmentation de l’espérance de vie, les complications chroniques d’organe surviennent chez une part grandissante des patients. Les complications cardiopulmonaires (arrêt cardio-circulatoire, embolie pulmonaire, insuffisance cardiaque, infarctus du myocarde…) sont la première cause de décès chez l’adulte(22). L’hypertension artérielle pulmonaire est retrouvée chez 6- 11% des adultes dans des cohortes françaises, brésiliennes et américaines(23–25). Une microalbuminurie a été rapportée chez 34% des 424 patients d’une cohorte anglaise, avec une incidence augmentant avec l’âge(26). Une maladie rénale de stade III ou IV était retrouvée chez ¼ des patients de plus de 60 ans dans la plus large cohorte publiée et l’insuffisance rénale chronique y était rapportée comme la cause du décès dans 45% des cas(27). Il est également intéressant de noter que l’âge médian de la dysfonction rénale chronique était de 37 ans dans la cohorte jamaïquaine de Powars(20). Dans une cohorte ancienne de 2590 patients, une ostéonécrose de la tête fémorale était observée chez plus de 25% des patients âgés de 35 ans ou plus(28). L’hémochromatose secondaire est également fréquente dans cette population et notamment chez les patients les plus âgés : elle représente 28% d’une cohorte de 45 patients âgés de plus de 40 ans publiée en 2015(29).
La douleur, et notamment la douleur chronique est également à considérer lors de la prise en charge de patients drépanocytaires. En 2008, dans une cohorte de 232 patients adultes drépanocytaires aux États-Unis, l’analyse de 31 017 patients-jours mettait en évidence des douleurs quotidiennes chez 29.3% des patients(30). Il est important de souligner que la douleur reste un des principaux facteurs altérant la qualité de vie des patients drépanocytaires(31,32). Une autre revue réalisée en 2010 rapportait que 29% des adultes présentaient des douleurs chroniques(33)
La population drépanocytaire va continuer à s’agrandir et à vieillir au niveau mondial, tout en gardant une espérance de vie réduite par rapport à la population générale et avec, pour une majorité de patients, une qualité de vie altérée. La prise en charge de la drépanocytose en tant que maladie chronique est donc un enjeu majeur de santé publique.
Au même titre que la vaccination anti-grippale et contre les germes encapsulés et l’antibioprophylaxie chez l’enfant, la prévention des autres complications aiguës et des complications chroniques est indispensable. Différentes mesures de prévention ont intégré les recommandations comme le dépistage de la vasculopathie cérébrale et l’évaluation du risque d’accident vasculaire cérébral chez l’enfant par réalisation de dopplers transcrâniens, un suivi ophtalmologique régulier, la recherche annuelle de protéinurie et la réalisation annuelle d’une échographie cardiaque associée à un dosage du NT-proBNP chez les adultes (34,35). L’utilisation de biomarqueurs prédictifs de phénotypes sévères de la pathologie est également un champ en développement mais encore peu utilisé en pratique clinique. Le taux d’hémoglobine fœtale cité plus haut apparait comme « protecteur » et l’association à une alphathalassémie semble réduire l’hémolyse et les complications qui en découle(36). A l’inverse, une anémie profonde et une hyperleucocytose marquée semblent davantage associées à des phénotypes plus sévères(37,38). L’action directe sur la vasoocclusion et la vasculopathie pour réduire voire empêcher les atteintes aiguës ou chroniques d’organe reste bien sûr la première mesure à envisager. Nous allons détailler dans la suite les traitements actuellement disponibles et d’autres en cours de développement .
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Table des matières
I- Introduction
1. Drépanocytose : une population vieillissante
2. Les avancées thérapeutiques
3. Les enjeux de l’allogreffe
II- Méthodes
1. Population
2. Recueil des données
3. Objectifs
4. Analyses statistiques
III- Résultats
1. Populations et allogreffes : caractéristiques
2. Survie globale
3. Survie sans événements
4. Mortalité liée à la greffe
5. Rejet et perte du greffon
6. Réaction aiguë du greffon contre l’hôte
7. Réaction chronique du greffon contre l’hôte
8. Chimérismes
9. Immunosuppression
10.Reconstitution hématopoïétique
11.Infections et autres complications post-allogreffes
12.Fertilité
13.Secondes greffes
IV- Discussion
Bibliographie
Annexes
Abréviations
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