Le partenaire végétal : les plantes actinorhiziennes
On regroupe sous le nom de plantes actinorhiziennes toutes les plantes vivant en symbiose avec l’actinomycète du sol Frankia (Torrey & Tjepkema, 1979 ; Baker & Schwintzer, 1990 ; Baker, 1992). En étymologie, le terme “ actino ” signifie étoile en grec et désigne l’actinomycète et le mot “ rhiza” se rapporte aux racines (Baker & Mullin, 1992). Ce sont des espèces ligneuses à l’exception du genre Datisca. Les plantes actinorhiziennes constituent, après les légumineuses, le deuxième groupe de plantes capables de fixer biologiquement l’azote atmosphérique.
Les plantes actinorhiziennes constituent un groupe disparate composé de 260 espèces dont 24 genres répartis en 8 familles d’angiospermes dicotylédones au contraire des Légumineuses qui appartiennent à une seule superfamille. Elles se distinguent aussi des Légumineuses par leur large répartition taxonomique. Ces différentes familles de plantes actinorhiziennes ne présentent pas de caractères communs apparents permettant de les identifier en tant que plantes capables d’établir une symbiose fixatrice d’azote avec Frankia, ce qui suggèrerait que la relation symbiotique est apparue très tôt au cours de l’évolution et que les divergences se sont manifestées ultérieurement. Compte tenu de la disparité et de la diversité taxonomique des genres et des familles, ce groupe fut longtemps considéré comme hétérogène. Cependant, des analyses de phylogénie moléculaire basées sur la comparaison des séquences des gènes rbcL codant pour l’enzyme clé de l’assimilation du carbone par photosynthèse (Chase et al., 1993), tendent à montrer que les taxons actinorhiziens forment quatre sous clades, qui eux-même appartiennent au clade des Rosid I (Figure 2) regroupant tous les angiospermes formant des nodules racinaires fixateurs d’azote (Soltis et al., 1995). Il a également été montré qu’il existait une forte corrélation entre la divergence taxonomique de ces familles et leur degré d’association avec Frankia (Maggia & Bousquet, 1994). Des genres ayant divergé récemment au point de vue taxonomique établissent une relation symbiotique avec les souches de Frankia les plus spécifiques. Ce résultat suggère que toutes les plantes fixatrices d’azote aussi bien actinorhiziennes que légumineuses possèdent un ancêtre commun. Par ailleurs, ce clade contient des plantes non-nodulées, ce qui indique que l’ancêtre commun ne devait pas être lui-même symbiotique mais devait posséder une certaine prédisposition à la symbiose.
Les potentialités fixatrices d’azote des plantes actinorhiziennes sont comparables à celles des Légumineuses ; Casuarina equisetifolia, plante de la famille des Casuarinaceae peut fixer jusqu’à 100 kg d’N2.ha-1 .an-1, soit l’équivalent du soja. Du fait de leur association symbiotique avec Frankia et des champignons mycorhiziens, les plantes actinorhiziennes présentent des dispositions exceptionnelles leur permettant de se développer dans des conditions extrêmes. Elles sont de véritables plantes pionnières qui colonisent les sols pauvres. Elles sont distribuées sur tous les continents (Tableau 3), excepté l’Antarctique (Berry, 1994) et dans la plupart des zones climatiques, mais elles sont plus fréquentes dans les zones tempérées froides (Moiroud, 1996). Après les périodes de glaciation, ces plantes ont notamment accéléré l’enrichissement des sols par l’apport d’azote et de matière organique, puis elles ont laissé la place à des plantes non fixatrices plus compétitives (Silvester, 1977). L’étude des pollens fossiles a, par exemple, montré qu’au début de la période Holocène, Alnus était l’espèce dominante en Amérique du Nord et en Europe, la quantité de pollen fossile pouvant représenter jusqu’à 40% des grains de pollen d’arbres retrouvés en Europe et en Amérique du Nord. En Scandinavie, Hippophaë et Alnus ont précédé les actuelles forêts de conifères, et on pense qu’au Canada Shepardia a joué un rôle similaire.
Les plantes actinorhiziennes initient et favorisent les processus pédogénétiques. Par ailleurs, elles peuvent faire face à une grande variété de stress : forte salinité, pH extrêmes ou forte teneur en métaux lourds. Par leur nature principalement ligneuse, elles enrichissent rapidement le sol où elles poussent par apport d’une litière riche en azote et en composés azotés hydrosolubles. Cette litière, souvent très abondante, atteignant parfois 30 tonnes. ha-1. an-1, est rapidement dégradable à l’exception des cônes (Domenach et al., 1994). Les plantes actinorhiziennes, grâce à leur enracinement profond, ramènent en surface les nutriments des horizons profonds ; ils protègent les sols contre l’érosion hydrique et éolienne ; ils modifient favorablement le microclimat et apportent au sol des quantités élevées de carbone sous forme de résidus racinaires. Ce sont des plantes édificatrices qui jouent un rôle prépondérant dans l’évolution de la roche mère vers un sol véritable. Ce sont les premières à coloniser les endroits affectés par les désastres naturels ou les environnements perturbés tels les glissements de terrains, les sols issus d’éruptions volcaniques, les sols miniers, les sols sableux, les délaissées torrentielles et les moraines abandonnées par le retrait des glaciers (Crocker & Major, 1955).
Cette capacité à se développer sur des sols marginaux a donné à ces plantes une importance économique et écologique considérable et a entraîné l’exportation de certains genres hors de leurs zones de répartition naturelle. Ainsi, les arbres de la famille des Casuarinaceae sont utilisés avec succès dans de nombreux types d’aménagement comme les systèmes sylvopastoraux, plus particulièrement pour la fixation des dunes, la protection contre le vent et la lutte contre l’érosion. Elles sont aussi utilisées comme plantations de réhabilitation en culture mixte (Reddell et al., 1986b) et pour la revégétalisation des remblais et la phytorémédiation. Casuarina peut constituer un filtre biologique efficace capable d’arrêter des poussières industrielles (Salt et al., 1995). Certaines espèces peuvent servir de source de bois de chauffe, de construction, de pâte à papier ou encore de plantes ornementales (Dawson, 1990 ; Dommergues et al., 1999).
Certaines des plantes actinorhiziennes, présentant des caractéristiques particulières ont déterminé le choix qui s’est porté sur elles en tant que plantes modèles pour étudier les aspects moléculaires .
Allocasuarina verticillata (Lam) L. Johnson
Cette espèce appartient au genre Allocasuarina qui comprend 59 espèces d’arbres ou arbustes localisés en Australie. A. verticillata est une espèce dioïque. Elle se présente sous forme d’un arbre de 4-10 m de hauteur qui porte des rameaux photosynthétiques retombants ou pendants pouvant atteindre 40 cm de long. Ses feuilles sont en réalité des écailles ou verticilles qui ont 9-13 dents étalées de 0,7-1,2 mm de long. Elle peut se développer dans des régions côtières sableuses pauvres et sur des sols salés. Elle tolère le vent et les embruns marins.
A. verticillata est nodulé au champ aussi bien en Australie (NRC, 1984) que dans différents pays où l’espèce a été introduite comme en Tunisie (Diem & Dommergues, 1990) ou en Uruguay (Frioni et al., 1991). Les nodules portés par A. verticillata sont de type Alnus et les lobes nodulaires sont dépourvus de racine nodulaire. A la base de chaque lobe nodulaire, de nouveaux lobes se développent de façon endogène à travers les tissus corticaux infectés. A long terme, les anciens lobes se nécrosent et de nouveaux lobes apparaissent. Ainsi, le nodule est perpétué par l’induction permanente de lobes emboîtés les uns dans les autres, constituant un système complexe de ramification. Le nodule formé, qui sera le siège de la fixation biologique de l’azote, présente donc une structure pérenne, constituée de plusieurs lobes nodulaires agglomérés. Il se lignifie en sa partie centrale, après nécrose, et se renouvelle en périphérie. Les nodules peuvent atteindre chez A. verticillata près de 50 cm de diamètre et le poids des nodules représente parfois 1 à 3% de la biomasse des arbres (Duhoux et al., 1996b). A. verticillata conserve son aptitude à noduler après avoir été transformé par l’ADN-T d’Agrobacterium rhizogenes 2659 (Franche et al., 1994) et d’Agrobacterium tumefaciens. Cette dernière transformation n’entraîne pas des anomalies du phénotype observées avec A. rhizogenes (Franche et al., 1997).
Casuarina glauca Sieb. ex Spreng
C. glauca est un arbre de 10-14 m de hauteur, susceptible d’atteindre 30 m de hauteur en conditions favorables. Le tronc peut comporter des contreforts et être cannelé. Les rameaux décidus (0,9-1,2 mm de diamètre) sont étalés ou pendants. Les feuilles sont groupées en verticilles comportant 12-17 parfois 20 dents, érigées, d’habitude marcescentes. Les rameaux décidus sont nettement plus épais et un peu plus longs que ceux des autres Casuarinas (Dommergues et al., 1999). Dans son aire d’origine, C. glauca affectionne les eaux saumâtres et est commun en bordure des mangroves, dans les estuaires et quelquefois les bordures de plages. Lorsque les conditions environnementales sont favorables, la nodulation de C. glauca est prolixe. Le tronc peut même porter des nodules aériens (Prin et al., 1991). Mais les nodules portés par le système racinaire de C. glauca sont de type Myrica. En effet, chaque lobe nodulaire est prolongé dans sa partie distale par une racine nodulaire blanchâtre. La racine nodulaire ne renferme pas de microsymbiote et n’intervient donc pas dans le processus de fixation d’azote. Elle possède un aérenchyme bien développé, une coiffe réduite et est dépourvue de poils absorbants. Les racines nodulaires, qui présentent un fort géotropisme négatif, s’allongent de 5 à 6 cm puis s’arrêtent de croître (Duhoux et al., 1996a). On pense qu’elles joueraient un rôle dans la diffusion de l’oxygène et des gaz dans le lobe nodulaire, lorsque les nodules sont soumis à de faibles tensions d’oxygène (Callaham & Torrey, 1977). Pour faciliter l’étude des mécanismes qui contrôlent l’expression des gènes de la symbiose actinorhizienne, une méthode permettant d’obtenir des nodules transgéniques sur des racines de C. glauca transformées à l’aide d’Agrobacterium rhizogenes a aussi été mise au point (Diouf et al., 1995).
|
Table des matières
INTRODUCTION
PRESENTATION DES TRAVAUX DE THESE
1. Importance de la famille des Casuarinacées pour les pays du Sud
2. Le nodule actinorhizien : un modèle original pour la fixation biologique de l’azote et la rhizogénèse
3. Objectifs des travaux de recherche
ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
1. Le partenaire végétal : les plantes actinorhiziennes
1.1 Allocasuarina verticillata (Lam) L. Johnson
1.2. Casuarina glauca Sieb. ex Spreng
2. Le partenaire bactérien : le microsymbiote Frankia
2.1. Morphologie
2.2. Spécificité de nodulation
2.3. Génétique de Frankia
3. Mise en place et formation des nodules actinorhiziens
3.1. Mécanismes de reconnaissance entre les deux partenaires
3.2. Infection et développement du lobe nodulaire actinorhizien
3.3. Organogenèse et morphologie du nodule actinorhizien
3.4. Les gènes végétaux impliqués dans la symbiose actinorhizienne
4. Contribution de la transgenèse à l’étude de la symbiose actinorhizienne
4.1. Principe
4.2. Transfert des transgènes par un vecteur biologique
4.3. Notion de gène chimère : «promoteur-gène rapporteur»
4.4. Les acquis de la transformation génétique chez les espèces ligneuses
Partie A. MISE AU POINT D’UN SYSTEME DE NODULATION IN VITRO
1. Introduction
2. Etude bibliographique : Facteurs de nodulation des Casuarinacées
2.1. Les facteurs biologiques
2.2. Les facteurs environnementaux
2.3. La fixation d’azote
2.4. Contrôle de la symbiose par la plante
2.5. Fonctions diverses de la symbiose
3. Résultats
3.1. Cinétique d’apparition des nodules chez Allocasuarina verticillata
3.2. Croissance des organes principaux chez A. verticillata
3.3. Cinétique d’apparition des nodules chez Casuarina glauca
3.4. Croissance des organes principaux chez C. glauca
4. Conclusion
Partie B. ETUDE DE PROMOTEURS DE GENES EXPRIMES LORS DE L’INITIATION DES RACINES LATERALES
Chapitre I : Etude du promoteur HRGPnt3::GUS chez une plante actinorhizienne
1. Introduction
2. Etude bibliographique
2.1. Les HRGPs chez les végétaux : rôle et fonction
2.2. PHRGPnt3 chez Nicotiana tabacum
3. Transformation d’A. tumefaciens par la fusion transcriptionnelle PHRGPnt3::GUS
3.1. Les souches bactériennes
3.2. Le plasmide pBI-PHRGPnt3
3.3. Introduction du plasmide pBI-PHRGPnt3::GUS dans A. tumefaciens
4. Expression de PHRGPnt3::GUS chez Nicotiana tabacum
4.1. Transformation génétique de Nicotiana tabacum par la fusion transcriptionnelle PHRGPnt3::GUS
4.2. Régénération des plantes transgéniques
5. Expression de PHRGPnt3 chez les Casuarinacées
5.1. Transformation d’A. verticillata par la fusion transcriptionnelle PHRGPnt3::GUS
5.2. Analyse de l’activité de PHRGPnt3::GUS dans les cals et les bourgeons transgéniques d’A. verticillata
5.3. Analyse de l’activité de PHRGPnt3::GUS dans les racines de plantes transgéniques d’A. verticillata
5.4. Analyse de l’activité de PHRGPnt3::GUS dans des nodules transgéniques d’A. verticillata
6. Conclusion
Chapitre II : Etude du promoteur spécifique du cycle cellulaire cdc2aAt::GUS chez une plante actinorhizienne
1. Introduction
2. Etude bibliographique
2.1. Progression du cycle cellulaire chez les plantes
2.2. Points de contrôle du cycle cellulaire
2.3. Les régulateurs clés du cycle cellulaire : CDK et cyclines
2.3.1. Les kinases dépendantes des cyclines végétales (CDK)
2.3.2. Les cyclines végétales
2.4. Cycle cellulaire et primordium de racine latérale
2.5. Cycle cellulaire au cours de l’organogenèse du nodule des légumineuses
2.7. Pcdc2a chez Arabidopsis thaliana et les végétaux
3. Analyse de l’expression de Pcdc2aAt chez les Casuarinacées
3.1. Transformation d’A. tumefaciens avec la fusion transcriptionnelle Pcdc2aAt::GUS
3.2. Transformation d’A. verticillata par la fusion transcriptionnelle Pcdc2aAt::GUS
3.3. Analyse de l’activité de Pcdc2aAt::GUS dans les plantes transgéniques d’A. verticillata
4. Conclusion
Partie C. ETUDE DE PROMOTEURS DE GENES SYMBIOTIQUES DE LEGUMINEUSES DANS LES PLANTES ACTINORHIZIENNES
1. Introduction
2. Etude bibliographique
2.1. Définition des gènes de nodulines
2.2 Caractérisation des promoteurs de gènes de nodulines précoces
2.3. Profil d’expression au cours des phases précoces
2.4. Profil d’expression dans le nodule des légumineuses
2.5. Expression au cours d’une symbiose mycorhizienne arbusculaire
2.6. Expression non symbiotique
2.7. Rôle et fonction
Chapitre I : Etude du promoteur PsENOD12B::GUS chez une plante actinorhizienne
1. Transformation d’A. tumefaciens par la fusion transcriptionnelle PPsENOD12B::GUS
1.1. Le plasmide pBI-PPsENOD12B::GUS
1.2. Introduction du plasmide pBI-PPsENOD12B::GUS dans A. tumefaciens
2. Expression de PPsENOD12B chez les Casuarinacées
2.1. Transformation génétique d’A. verticillata et de C. glauca par la fusion transcriptionnelle PPsENOD12::GUS
2.2. Analyse de l’activité de PPsENOD12B::GUS dans les rameaux transgéniques
2.3. Analyse de l’activité de PPsENOD12B::GUS dans les racines non inoculées de plantes transgéniques d’A. verticillata
2.4. Analyse de l’activité de PPsENOD12B::GUS dans des nodules transgéniques d’A. verticillata et de C. glauca
2.5. Inoculation des racines transgéniques d’A. verticillata par la souche de Rhizobium NGR234
3. Conclusion
Chapitre II : Etude du promoteur MtENOD12::GUS chez une plante actinorhizienne
1. Transformation d’A. tumefaciens par la fusion transcriptionnelle PMtENOD12::GUS
1.1. Le plasmide pLP-PMtENOD12::GUS
1.2 Analyse PCR de l’ADN bactérien issu de souches d’ E. coli
1.3 Introduction du plasmide pLP-PMtENOD12::GUS dans A. tumefaciens
1.4. Analyse PCR de l’ADN de colonies d’A. tumefaciens
2. Expression de PMtENOD12 chez les Casuarinacées
2.1 Transformation génétique d’A. verticillata et de C. glauca par la fusion transcriptionnelle PMtENOD12::GUS
2.2 Analyse de l’activité de PMtENOD12::GUS dans les cals transgéniques d’A. verticillata et de C. glauca
3. Conclusion
Chapitre III : Etude du promoteur MtENOD11::GUS chez une plante actinorhizienne
1. Transformation d’A. tumefaciens par la fusion transcriptionnelle PMtENOD11::GUS
1.1. Le plasmide pLP-PMtENOD11::GUS
1.2. Analyse PCR de l’ADN bactérien issu de souches d’E. coli
1.3. Introduction du plasmide pLP-PMtENOD11::GUS dans A. tumefaciens
1.4 Analyse PCR de l’ADN bactérien
2. Expression de PMtENOD11 chez les Casuarinacées
2.1 Transformation d’A. verticillata et de C. glauca par la fusion transcriptionnelle PMtENOD11::GUS
2.2. Analyse de l’activité de PMtENOD11::GUS dans les cals transgéniques d’A. verticillata et de C. glauca
2.3 Analyse de l’activité de PMtENOD11::GUS dans les rameaux transgéniques d’A. verticillata
2.4. Analyse de l’activité de PMtENOD11::GUS dans les racines transgéniques d’A. verticillata
3. Conclusion
CONCLUSION