Historique du kilogramme
« Qu’il n’y ait plus sur le territoire deux poids et deux mesures » Voilà la réclamation la plus fréquemment rencontrée dans les cahiers de doléances mis à la disposition du peuple par Louis XVI. Il faut attendre l’abolition de la royauté et la loi de l’Assemblée du 1er août 1793, pour que s’établisse l’uniformité des poids et mesures sur le territoire de la République [Guedj2000]. Dans le nouveau système des poids et mesures, l’unité de masse est reliée au mètre. Il reste à déterminer la matière qui permettra de peser un certain volume. L’eau fut choisie comme référence, car elle se trouve partout sur le globe, est aisément purifiable et qu’un liquide offre une grande homogénéité ce qui facilite le pesage. Cependant, comme tous les corps, l’eau se dilate avec la chaleur et se condense avec le froid. Pour éviter toute référence à la température, la définition de l’unité de masse est définie de la façon suivante : « l’unité de masse est le poids du décimètre cube d’eau distillée à son maximum de densité. » Ce maximum de densité est atteint à la température de 4°C [Davis2003]. En parallèle, des étalons courants du kilogramme sont établis en platine. Ce métal a été choisi parce qu’il est « le moins dilatable par la chaleur, le moins condensable par le froid, bref le moins susceptible de s’altérer d’aucune sorte » [Guedj2000]. Le kilogramme prototype en platine a été réalisé par Fortin. Le 22 juin 1799, les étalons prototypes du mètre et du kilogramme en platine sont présentés au corps législatif et déposés le jour même aux Archives de France. Ils sont toujours connus sous les noms de Mètre et Kilogramme des Archives. La Commission Internationale du Mètre, qui tint sa première réunion au mois d’août 1870, aborda rapidement les problèmes liés au kilogramme car on savait que la masse du Kilogramme des Archives n’était pas exactement égale à la masse d’un décimètre cube d’eau pure à son maximum de densité (ce n’est qu’en 1898 que Thiesen vérifia la formule acceptée de l’expansion thermique de l’eau et trouva une erreur [Guedj2000]). Cependant, des copies du Kilogramme et du Mètre des Archives avaient été distribuées aux différents pays ayant adopté le système métrique. La décision fut prise par la majorité de la Commission d’adopter un étalon international du kilogramme constitué par un étalon matériel ayant la même masse que le Kilogramme des Archives. Depuis de nombreuses années, les membres de la Section française, avec en chef de file le métallurgiste Sainte-Claire Deville, s’étaient longuement penchés sur les éventuels candidats à la réalisation d’un nouvel étalon. Leurs choix s’étaient restreints aux métaux et aux alliages de métaux. Le fer et l’argent furent immédiatement éliminés en raison de leur rapide altération. De même, l’acier était considéré comme instable, le cuivre trop mou, le laiton et le bronze ayant un coefficient de dilatation trop différent de celui du platine. Enfin, l’iridium fut écarté à cause des difficultés pour le fondre et éviter les bulles d’air. Au moment de leur fabrication, les étalons des Archives représentaient le dernier cri de la métallurgie (le platine ayant été découvert en 1735 en Colombie). Cependant, le platine pur était considéré comme trop mou et déformable. Ses alliages furent toutefois étudiés car la métallurgie du platine avait fait d’importants progrès depuis Janetty. Les alliages de platine avec le cuivre, l’or et l’argent furent éliminés parce qu’ils se stratifiaient en raison des différences de masse volumique [Plassa1996]. En 1875, la Commission Internationale du Mètre fut dissoute pour donner naissance à la Convention du Mètre [Davis2003]. Cette Convention créait le Comité International des Poids et Mesures (CIPM) et le Bureau International des Poids et Mesures (BIPM). Le CIPM assure l’unification des unités de poids et mesures en agissant directement ou en soumettant des propositions à la Conférence Générale des Poids et Mesures (CGPM). Il faudra attendre la 11ème CGPM en 1960 pour adopter le Système International d’unités (SI), définissant sept grandeurs de base, par rapport auxquelles toutes les autres unités sont reliées [BIPM1998]. Rapidement, Sainte-Claire Deville et Debray parvinrent à élaborer un alliage de platine avec 10% en masse d’iridium, qui présentait une dureté supérieure au platine pur et qui conservait les autres propriétés requises (résistance à la corrosion, forte densité, bonnes conductivités thermique et électrique, faible susceptibilité magnétique). Cet alliage fut définitivement adopté grâce au succès de la société Johnson Matthey dans la reproduction du procédé d’élaboration de Sainte-Claire Deville à l’échelle industrielle [McDonald1960].
Les expériences de balance du watt actuelles
A l’heure actuelle, cinq projets de balance du watt sont réalisés ou en cours de réalisation : au Royaume Uni (National Physical Laboratory – NPL) [Kibble1990] [Robinson1997], aux Etats-Unis (National Institue of Standards and Technology – NIST) [Williams1998] [Olsen1991], en Suisse (Metrologie und akkreditierung schweiz – METAS) [Beer1999] [Beer2001] [Beer2003], et plus récemment en France au LNE [Lecollinet2001] [Geneves2003] et au BIPM. Chaque projet a ses propres spécificités de réalisation et les discussions fréquentes entre les différents instituts permet au projet français d’éviter certains écueils et de proposer des solutions innovantes. Le développement de l’expérience du NPL a débuté en 1977 (Figure I.13.). La balance est formée d’un fléau symétrique de 1,2 m de longueur. Le couteau central supporte une masse de l’ordre de 70 kg. Dans cette expérience, la bobine mobile est placée dans un champ d’induction magnétique radial de 0,5 T engendré par un aimant permanent. La masse étalon de 1 kg est en cuivre doré. Dans la phase statique, le courant dans la bobine est déterminé en mesurant la chute de potentiel créée aux bornes d’une résistance de 50 Ω. Il est de l’ordre de 13 mA. Lors de la phase dynamique, le déplacement total est de 30 mm à une vitesse d’environ 1 mm.s-1. La tension induite aux bornes de la bobine est de l’ordre de 0,5 V. L’ensemble du système est placé sous vide dans une enceinte régulée en température par circulation d’eau [Kibble1990]. Peu après le Royaume-Uni, vers 1980, le laboratoire américain NIST a développé sa propre expérience. Les principales différences avec la balance du NPL résident dans le remplacement du fléau par une roue permettant le déplacement vertical de la bobine et dans l’utilisation d’une bobine supraconductrice permettant, par circulation d’un courant, la production d’un champ magnétique de 0,1 T (Figure I.14). Pendant la phase statique, le courant circulant dans la bobine est mesuré en plaçant en série une résistance de 100 Ω. Il est de l’ordre de 10 mA. Dans la phase dynamique, la course totale est de 100 mm avec une vitesse de déplacement de 2,5 mm.s-1, et la tension générée est de l’ordre du volt. Comme pour l’expérience anglaise, la masse étalon est de 1 kg. A l’origine, la balance fonctionnait dansl’air. Elle a été modifiée depuis, afin de placer certaines parties sous vide.Le NIST a déjà obtenu des résultats significatifs avec une détermination de la constante de Planck avec une incertitude type relative combinée d’environ 9.10-8 [Taylor1999]. Ces résultats ont d’ailleurs fortement contribué à la détermination de la valeur de la constante de Planck lors du CODATA (Committee on Data for Science and Technology) de 1998. Le projet suisse a été développé beaucoup plus récemment (1997). L’expérience est significativement différente des deux précédentes puisque l’objectif est de raccorder une masse de 100g en or. La balance utilisée est un comparateur de masse modifié ayant une portée de 2,2 kg et possédant une résolution de 0,1 µg. La bobine est en forme de 8 et est placée dans l’entrefer d’un aimant permanent délivrant un champ magnétique longitudinal de 0,5 T (Figure I.15). Pendant la phase statique, la force s’exerce sur la partie linéaire de la bobine. Dans le mode dynamique, la bobine est désolidarisée de la balance. Le mouvement vertical est transmis à la bobine par un système de parallélogramme déformable. La course est de 30 mm avec une vitesse de 3 mm.s-1. L’ensemble de l’appareillage fonctionne sous vide.
Les étalons secondaires
Pour assurer la diffusion de la grandeur masse, les laboratoires nationaux de métrologie (LNM) doivent disposer d’étalons de référence multiples et sous multiples de kilogramme, raccordés métrologiquement aux prototypes nationaux en platine iridié. Lorsque l’on se penche sur le schéma de raccordement des multiples du kilogramme du prototype national (Pt 35) jusqu’à 50 kg au LNE (Figure I.18.), on s’aperçoit que la quantité de matière nécessaire est importante (~300 kg). De plus, ce schéma se limite au raccordement du kilogramme jusqu’à 50 kg. Or la gamme d’étalons de référence disponibles au LNE couvre la gamme de 1 mg à 5 tonnes. L’utilisation d’un matériau précieux comme le platine iridié n’est donc pas envisageable pour des raisons évidentes de coût.Les étalons utilisés actuellement sont pour la plupart réalisés dans des alliages commerciaux en acier inoxydable. Afin de servir d’étalon de transfert, le LNE-INM a aussi sélectionné un alliage à base de cobalt, l’Alacrite XSH, et le NPL un alliage à base de nickel développé dans les années 1950, le Nimonic 105 [Plassa1984] [Plassa1989] [Plassa1993]. Cependant, ce type d’alliages présente un certain nombre d’inconvénients, comme des susceptibilités magnétiques relativement élevées ou encore des duretés relativement faibles. En ce qui concerne le magnétisme, des forces parasites, non discernables des forces gravitationnelles lors de la détermination de la masse, risquent d’apparaître en raison d’interactions entre étalons de masse ou avec les comparateurs de masse. Au sujet des faibles duretés, l’obtention de surfaces présentant un aspect « poli miroir » est rendue délicate et l’usure des étalons lors des fréquentes manipulations est accrue. De plus, l’instabilité de leur masse est supérieure à celle des étalons en platine iridié. Si les résultats obtenus lors de comparaisons entre les différents types de matériaux sont similaires, en termes d’effets de surface, les différences de masse volumique permettent aux étalons en platine iridié de réduire par un facteur 2 (au moins) la surface en contact avec l’atmosphère environnante, et ainsi les phénomènes de réactivité de surface sont largement réduits [Davidson2003]. Et comme les laboratoires industriels demandent couramment des étalonnages réalisés avec une incertitude relative de 1.10-7, la stabilité des étalons des laboratoires nationaux de métrologie doit être la meilleure possible. Pour profiter de l’amélioration attendue de la conservation de l’unité de masse grâce à l’expérience de balance du watt et assurer son transfert aux multiples et sous-multiples du kilogramme, il faut donc améliorer la stabilité des étalons secondaires de référence utilisés par les laboratoires nationaux de métrologie en définissant de nouveaux matériaux.
Préparation des lames minces
Une carotte de 3 mm de diamètre du matériau considéré est prélevée par électroérosion. Cette carotte est découpée en tranches d’environ 200 µm et amincie mécaniquement avec du papier SiC de grade 1200 jusqu’à une épaisseur comprise entre 130 et 80 µm suivant la technique utilisée pour l’amincissement final. Les superalliages base nickel sont amincis par la méthode des jets alors que les matériaux plus nobles, difficilement attaquables chimiquement sont amincis par bombardement ionique.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. CONTEXTE DE L’ETUDE
I.1. Historique du kilogramme
I.2. Le prototype international du kilogramme et la nécessité de redéfinir l’unité de masse
I.3. Les voies pour la redéfinition du kilogramme
I.3.1. Introduction
I.3.2. Vers une métrologie électrique quantique ?
I.3.2.1. Introduction
I.3.2.2. Etalon de tension par l’effet Josephson
I.3.2.3. Etalon de résistance par l’effet Hall quantique
I.3.2.4. Triangle de la métrologie quantique
I.3.3. Les mesures électriques
I.3.3.1. La lévitation magnétique
I.3.3.2. La balance du volt
I.3.4. Le comptage d’atomes
I.3.4.1. Le projet Avogadro – la sphère de silicium
I.3.4.2. L’accumulation d’ions
I.4. La balance du watt
I.4.1. Principe
I.4.1.1. Phase statique
I.4.1.2. Phase dynamique
I.4.2. Définition du kilogramme basée sur la constante de Planck
I.4.3. Les expériences de balance du watt actuelles
I.4.4. La balance du watt du Laboratoire National de Métrologie et d’Essais
I.4.5. L’étalon de masse pour la balance du watt française
I.5. Les étalons secondaires
I.6. Références
II. TECHNIQUES EXPERIMENTALES
II.1. Observations et analyses
II.1.1. Polissage
II.1.2. Microscopie optique
II.1.3. Microscopie électronique à balayage
II.1.4. Microscopie électronique en transmission
II.1.4.1. Préparation des lames minces
II.1.4.2. Méthode des jets
II.1.4.3. Amincissement ionique
II.1.4.4. Observations et analyses
II.1.5. Microscopie en champ proche
II.2. Analyses thermiques
II.2.1. Thermodésorption
II.2.2. Thermogravimétrie
II.3. Analyses chimiques
II.3.1. Microanalyse X
II.3.2. Diffraction de rayons X (DRX)
II.3.3. Spectrométrie de photoélectrons X (XPS)
II.4. Mesure de la dureté
II.5. Mesure de la susceptibilité magnétique
II.5.1. Matériel
II.5.2. Principe de fonctionnement
II.6. Mesure de la masse volumique d’un alliage
II.7. Comparaisons de masse
II.8. Nettoyage des étalons de masse
II.8.1. Nettoyage/lavage du BIPM
II.8.2. Autres méthodes de nettoyage
II.8.3. Synthèse
II.9. Références
III. ETALON DE MASSE POUR L’EXPERIENCE DE LA BALANCE DU WATT
III.1. La référence internationale : le platine iridié Pt-Ir10
III.1.1. Elaboration de l’alliage
III.1.2. Microstructure et homogénéité de l’alliage
III.1.2.1. Echantillon A
III.1.2.2. Echantillon B
III.1.3. Propriétés physiques de l’alliage Pt-Ir10
III.2. Cahier des charges pour l’étalon de masse de la balance du watt
III.3. Alliages dentaires Au-Pt
III.3.1. Propriétés magnétiques des alliages Au-Pt
III.3.2. Composition des alliages dentaires Au-Pt
III.3.3. Elaboration des nouveaux alliages dentaires Au-Pt
III.3.4. Microstructure des nouveaux alliages dentaires Au-Pt
III.3.5. Synthèse
III.4. Etude des alliages Au-Pt du CECM
III.4.1. Introduction
III.4.2. Faisabilité d’un alliage homogène
III.4.3. Homogénéisation de la microstructure et durcissement de l’alliage
III.4.3.1. Etude de l’écrouissage
III.4.3.2. Etude de la recristallisation
III.4.3.3. Etude de l’adoucissement
III.4.4. Synthèse
III.5. Alliages d’or PX Group
III.5.1. Introduction
III.5.2. Alliage Au-Pt29
III.5.3. Alliages Au-Pt15 + additif
III.5.3.1. Au-Pt15-B
III.5.3.2. Au-Pt15-Ga
III.5.3.3. Au-Pt15-Ti
III.5.4. Alliages Au-Ag-Cu-Pt
III.5.4.1. Au75-Ag12-Cu9-Pt4
III.5.4.2. Au75-Ag9-Cu12-Pt4
III.5.5. Propriétés physiques des alliages PX Group
III.5.6. Synthèse
III.6. Autres candidats
III.6.1. Le silicium
III.6.2. L’iridium
III.7. Synthèse
III.8. Références
IV. DEFINITION D’UN NOUVEL ALLIAGE METALLIQUE POUR LA REALISATION D’ETALONS DE MASSE SECONDAIRES
IV.1. Introduction
IV.2. Matériaux actuels
IV.2.1. Les aciers inoxydables
IV.2.1.1. Aciers inoxydables austénitiques
IV.2.1.2. Traitements thermiques
IV.2.1.3. Alliages de l’étude
IV.2.1.4. Stabilité des aciers inoxydables
IV.2.1.4.1. Corrosion et oxydation
IV.2.1.4.2. Les effets de l’humidité et la sorption d’eau
IV.2.1.4.3. Le dégazage sous vide
IV.2.1.4.4. Les effets du nettoyage et la contamination de surface
IV.2.1.5. Synthèse
IV.2.2. L’Alacrite XSH
IV.2.2.1. Introduction
IV.2.2.2. Alliage de l’étude
IV.2.2.3. Stabilité de l’Alacrite XSH
IV.2.2.4. Synthèse
IV.3. Sélection de nouveaux alliages
IV.3.1. Alliages à base de cuivre
IV.3.2. Superalliages a base de nickel
IV.3.2.1. Généralités
IV.3.2.2. Superalliage monocristallin AM1
IV.3.2.3. Superalliages polycristallins
IV.3.2.3.1. PM1500
IV.3.2.3.2. Waspaloy
IV.3.2.3.1. Udimet 720
IV.4. Synthèse
IV.5. Références
V. REACTIVITE DE SURFACE
V.1. Introduction
V.2. Préparation des surfaces : Mise au point d’une procédure de polissage sur le monocristal
V.2.1. Introduction
V.2.2. Procédures de polissage
V.2.3. Influence de la suspension d’alumine
V.2.4. Influence de la suspension de silice colloïdale
V.2.5. Influence de la combinaison des deux suspensions
V.2.6. Polissage SESO
V.2.7. Evaluation de la rugosité
V.2.8. Synthèse
V.3. Essai « accéléré » d’oxydation de surface
V.3.1. Introduction
V.3.2. Modes opératoires
V.3.2.1. Thermogravimétrie
V.3.2.2. Diffraction des rayons X (DRX)
V.3.2.3. Spectroscopie des photoélectrons X (XPS)
V.3.3. Caractérisation des couches d’oxydes
V.3.3.1. Acier inoxydable X18M25W
V.3.3.2. Alliage à base de cobalt : Alacrite XSH
V.3.3.3. Monocristal à base de nickel : AM1
V.3.3.4. Polycristal à base de nickel : Udimet 720
V.3.3.5. Synthèse
V.3.3. Thermogravimétrie
V.4. Analyse de thermodésorption
V.4.1. Protocole expérimental
V.4.2. Analyses
V.5. Comparaisons de masse
V.5.1. Introduction
V.5.2. Réalisation des empilements
V.5.3. Protocole expérimental et résultats
V.6. Synthèse
V.7. Références
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
ANNEXES
Attaques chimiques utilisées pour la mise en évidence des microstructures
Théorie de la détermination de la susceptibilité magnétique volumique
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