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Allergie aux viandes de mammifères : rapide historique
Le Cétuximab est un anticorps monoclonal chimérique dirigé contre le récepteur du facteur de croissance épidermique qui est utilisé dans le traitement des cancers colorectaux, les cancers épidermoïdes de la tête et du cou et que l’on administre par voie intraveineuse. Lors de sa commercialisation dans les années 2000, plusieurs patients ont développé des réactions d’hypersensibilité immédiate, parfois sévères, aux États-Unis. (4).
Ces réactions avaient une prévalence géographique plus de 20 fois supérieure dans les régions du sud-est des États-Unis (États du Tennessee et Caroline du Nord)comparées aux régions du nord-est (les centres de NewYork et Boston) (4-5).
Fait intéressant, ces patients présentaient des réactions d’hypersensibilité dès leur premier contact avec le Cétuximab, et après vérification, ils avaient développé des IgE contre celui-ci préalablement à l’exposition. Ces IgE étaient spécifiques d’un oligosaccharide présent sur la partie Fab de la chaîne lourde du Cétuximab : l’alpha 1- 3 galactosidase (alpha gal) (5-6).Suite à l’identification de cet allergène, Commins et al. ont mis en évidence la présenced’IgE alpha-gal chez des patients qui rapportaient des réactions d’anaphylaxie après consommation de boeuf. Ces réactions survenaient de manière retardée,3 à 6 heures après la consommation de boeuf, de porc ou d’agneau(7). Unfacteur environnemental de sensibilisation préalable à l’exposition a été suspecté par la distribution géographique particulière de ces réactions d’hypersensibilité.Ainsi, les facteurs fongiqueset les helminthes ont d’emblée été éliminés.
Dans un second temps, l’hypothèse des morsures de tiques comme facteurs de sensibilisation primaire a été émise, car ces réactions survenaient sur le même territoire géographique que la fièvre pourpre des montagnes Rocheuses qui correspond à la zoneendémique de la tique étoilée (en anglais « lone star tick ») (Amblyomma americanum) (Figure 1).
En outre, Commins et son équipe ont constaté une multiplication par 20 ou plus des taux IgE Alpha Gal chez trois sujets suivis de manière prospective, après morsure de tique (8). Enfin, dans le même temps, une équipe australienne décrivait une série de patients développant une allergie retardée à la viande rouge secondairement à des morsures de tiques (9), confortant cette hypothèse.
Alpha gal
Alpha gal était jusque récemment surtout connu pour son rôle de barrière antigénique dans la xenotransplantation(26).Cet épitope présente une distribution particulière. Bien que présent en quantité chez la plupart des mammifères, il est absent chez l’homme et les primates de l’Ancien Monde (grands singes d’Afrique). Cette absence est due à un évènement évolutif répondant à une pression sélective chez les primates ancestraux ayant conduit à l’inactivation d’une enzyme, l’alpha 1-3 glycosyltransférase, nécessaire à la production d’alpha gal. On suppose que les individus qui n’exprimaient pas Alpha Gal pouvaient développer des anticorps contre celui-ci permettant de mieux résister à un pathogène qui exprimait alpha gal leur conférant donc un avantage évolutif transmit à la descendance(27).
Chez l’homme,l’antigène B, présent sur les hématies, a une similitude structurelle avec alpha gal (Figure 2) et semble être un facteur protecteur pour l’allergie à la viande rouge médiée par alpha gal(28-30).Alpha gal est également absent chez les autres vertébrés non mammifères, volailles, reptileset poissons. Chez les mammifères non primates, alpha gal aune expression qui varie suivant les tissus, le plus riche étant le rein. On peut retrouver alpha gal dans d’autres produits alimentaires d’origine animale comme la gélatine ou le lait, comme l’a démontré un équipe flamande (31).
Certains médicaments peuvent également contenir de l’alpha gal, en dehors des anticorps monoclonaux chimériques (Cétuximab), notamment certains vaccins contre le Zona et le vaccin combiné contre Rougeole-Oreillons-Rubéole (32).
Guyane
La Guyane est un territoire français d’Amérique du Sud situé au coeur de l’Amazonie qui possède une diversité culturelle très importante de par ses populations de toutes origines. Bien d’approximative, la figure 3, établie à partir des données du groupe joshua project, donne une idée de la diversité de la population guyanaise. La Guyane possède également une diversité biologique importante, étant couverte àplus de 90% de forêt vierge équatoriale.De nombreuses espèces de tiques y sont présentes exposant la population guyanaise à de potentielles morsures.
Une étude publiée en début 2019 répertoriait 22 espèces de tiques en Guyane (Annexe 2) dont la moitié avait été récolté sur l’Homme. Les deux espèces les plus abondantes étaient Amblyommacajennense (figure 4) et, dans une moindre mesure,Amblyomma oblongoguttatum, toutes deux retrouvées fréquemment chez l’homme (35). Ces deux espèces de tiques appartiennent au même genre et font partie, au même titre que A. americanum(la fameuse tique étoilée ou lone star tick, qui n’a en revanche pas été retrouvée en Guyane), des Ixididae, la famille des tiques dures.
Une étude un peu plus ancienne datant de 2006répertoriait également 28 espèces d’Ixodidae qui avaient été retrouvées chez l’homme en Amérique du Sud, dont 3 étaient retrouvées fréquemment, Amblyomna ovale s’ajoutant aux deux précédemment citée.
Type d’étude
Il s’agit d’une étude descriptive observationnelle prospective réalisée en Guyane auprès de patients rapportant une suspicion d’allergie suivant l’ingestion de viandes de mammifères.
Population d’étude
Les patients de l’étude ont été recrutés par plusieurs biais. Certains avaient déjà consulté dans le service des maladies infectieuses et tropicales pour une autre pathologie. Certains avaient été identifiés par les investigateurs au préalable via le bouche-à-oreille.
Par la suite, pour identifier le plus grand nombre possible de patients, deux méthodes ont été utilisées. La première a consisté à écrire aux médecins libéraux de Guyane (~105 personnes) ainsi qu’à ceux du centre hospitalier de Cayenne (~205 personnes), pour leur demander s’ils avaient déjà eu affaire à un patient présentant une allergie à la viande, via des mailing listes préexistante. La seconde a été de passer par des réseaux non médicaux. Ainsi un appel à participation a été lancé via des mailing liste de réseaux naturalistes (ornithologues, mammologues chiroptérologues et herpetologues : ornithoguyane@yahoo.fr(~261 personnes), herpetoguyane@yahoo.fr(~93 personnes) et chiroguyane@yahoo.fr(~63 personnes)).
Enfin, un appel à contribution a été réalisé par l’intermédiaire des réseaux sociaux, avec le groupe Facebook « LVG – la vie en Guyane » qui atteint plus de 31.000 personnes au 4 aout 2019, vivant principalement en Guyane, et venant de tous horizons ethniques (Annexe 3).
Recrutement
Les patients ont été recrutés entre septembre 2017 et juillet 2019. Il s’agit de patients rapportant des réactions allergiques secondaires quelle qu’elle soit, consécutives à l’ingestion de viande.
Les critères d’inclusions :
– Réactions après ingestion de viande
– Apparition des premiers signes en Guyane
Les critères d’exclusion :
– Patient n’ayant pas donné suite et donc sans dossier médical
– Patient dont l’histoire clinique n’était pas concordante
– Patient dont les premiers signes avaient débuté avant le séjour en Guyane
Les patients perdus de vus étaient les patients qui n’ont pas donné suite après un premier contact.
Définition des cas :
Les cas prouvés étaient les individus rapportant une symptomatologie clinique compatible avec le tableau d’allergie à l’alpha gal décrit dans la littérature et confirmé par les examens paracliniques.
Les cas probables étaient les individus rapportant une symptomatologie clinique compatible sans avoir pu réaliser les examens biologiques.
Le tableau clinique retenu était une symptomatologie cutanée, digestive et/ou respiratoire apparaissant après l’ingestion de viande de mammifère sans notion de délai.
Recueil des données
Une fois les patients identifiés par les différentes voies détaillées ci-dessus, ils ont été vus en consultation dédiée, dans le service de maladie infectieuse du centre hospitalier de Cayenne et ont répondu à un questionnaire standardisé (Annexe 4), après signature d’un consentement suite à une information claire, loyale et éclairée.
Le questionnaire, établi en fonction de la littérature disponible, et validé par le Dr Angèle Soria, MCU-PH dans le service de dermatologie et allergologie du CHU Tenon, Paris 20ème comprenait les variables suivantes : auto évaluation sur les réactions survenant après consommations de viande rouge, les antécédents d’allergie, l’exposition aux tiques ainsi que le mode de vie.Les patients ayant eu du mal à estimer la date de leurs premières morsures, la date d’arrivée en Guyane a été prise en compte pour estimer le délai entre les morsures de tique et l’apparition des premiers symptômes allergiques.
Les patients ont ensuite été explorés par examen biologique comprenant un bilan standard et un dosage des IgE spécifiques contre les viandes de mammifères les plus fréquentes (boeuf, porc, mouton), les viandes de volaille (poulet canard ou dinde), les protéines lait de vache et chèvre et ainsi les IgE spécifiques anti Alpha gal. Ce prélèvement a été réalisé soit par le laboratoire du Centre hospitalier de Cayenne, soit en laboratoire de ville et l’analyse des IgE spécifiques a été confiée au laboratoire Biomnis de Lyon.
Méthodes microbiologiques
Les IgE spécifiques ont été mesurés à l’aide de test immunoCAP disponible dans le commerce (thermo fischer / Phadia, Hycor) et les résultats exprimés en kU/l.
Pour la technique Thermo Fischer / Phadia, les IgE spécifiques sont quantifiables entre 0,1kU/l et 100 kU/l. Un résultat supérieur ou égal à 0,1 kU/l traduit une sensibilisation à l’allergène testé, les seuils de positivités retenus par le laboratoire sont donc des IgE supérieurs à 0,1kU/l.
La technique Hycor utilisée pour tester les IgE contre la viande de canard à un seuil de positivité à 0,35kU/l.
Le rapport entre IgE spécifiques anti alpha Gal et IgE totale a été calculé pour 6 patients et exprimé en pourcentage.
Analyse des données
Les variables continues ont été analysées en donnant la médiane, les interquartiles 25 et 75 et le minimum et maximum. Les variables catégorielles ont été décrites par des pourcentages.
Éthique
Les patients ont été informés de façon loyale et éclairée des objectifs de l’étude, réalisée en soins courants, et ont tous signé une feuille de consentement. Les données ont été secondairement anonymisées pour être analysées. Les patients ont été informés de leurs résultats par une consultation de retour ou par mail ou par téléphone si tel était leur souhait.
Résultats
Caractéristiques démographiques de la population d’étude
Entre septembre 2017 et août 2019, 15 patients ont répondu à l’appel à témoin, 2 patients n’ont plus donné suite après le premier contact (perdu de vue), 2 patients avaient une histoire clinique qui ne concordait pas, une patiente n’a présenté des symptômes d’intolérance de manière épisodique que pendant sa grossesse, le deuxième patient présentait une intolérance seulement au poulet. Les caractéristiques des patients sont détaillées dans les tableaux 1-3. Onze patients ont été inclus, avec un sexe-ratio de 6 femmes pour 5 hommes (sex ratio H/F = 0,46), présentant des réactions après ingestion de viande rouge avec des symptômes ayant été révélés en Guyane.
La totalité (11/11) des patients inclus dans l’étude était originaire de France métropolitaine, avec une médiane de 38 ans (interquartile IQR 33 – 39,5) et des extrêmes de 30 à 54 ans.
Quatre patients déclaraient une intolérance au lactose, trois présentaient des réactions locales aux piqûres guêpes et une déclare une allergie à la pénicilline.
Seul le patient numéro 2 présente des antécédents d’atopie Asthme et eczéma.
Manifestations cliniques
Les onze patients inclus ont tous rapporté des réactions classiquement retrouvées dans les allergies alimentaires, associant à des degrés divers des symptômes cutanés, digestifs et dans une moindre mesure des symptômes respiratoires.
Ainsi, la plupart des patients interrogés, 9/11 soit 82%, déclaraient avoir eu des douleurs abdominales, associées à des diarrhées ou vomissements pour 7 d’entre eux. Quatre de ces 7 patients déclaraient également des symptômes cutanés de type urticaire (3/4) ou angio-oedème (3/4). Un patient déclarait quant à lui n’avoir eu que des symptômes cutanés, urticaire et angiooedème. Enfin, trois patients des onze inclus déclaraient avoir eu des symptômes respiratoires type dyspnée et un patient déclarait un oedème de Quincke.
Exposition aux Tiques
Tous les patients inclus déclaraient de nombreuses sorties en forêt amazonienne, zone de très forte exposition aux tiques de Guyane, la moitié (6/11) vivait également en milieu rural. Tous (11/11) déclaraient avoir été régulièrement mordus par de nombreuses tiques. Six des onze patients inclus déclaraient avoir déjà eu une réaction cutanée locale au point de morsure.
Pour tous les patients, il existait un lien de temporalité entre début des morsures de tiques et début des réactions allergiques, celles-ci ayant commencé après de nombreuses morsures de tiques.
Bilans biologiques
Les résultats sont disponibles dans les tableaux 2 et 4.
– Alpha Gal
Sur les onze patients inclus, sept ont pu bénéficier d’une analyse de sérum avec un dosage des IgE spécifiques. Tous se sont révélés positifs pour Alpha Gal à des degrés divers avec un seuil de positivité >0,10kU/l. Médiane a 6,5kU/l (IQR 5,5kU/l – 11,2 ; min-max 1.7-56). Le rapport entre IgE total et Alpha gal a pu être calculé pour 6 patients et varie entre 1 et 20%, 5 des 6 patients ayant un rapport < ou égal à 5%.
– IgE Spécifiques des viandes
La totalité des sérums analysés (7/7) avait des IgE positives à la viande de boeuf (de 0,32kU/l à 63,2kU/l) et à la viande de porc (de 0,17kU/L à 58,6kU/l). Les trois patients ayant bénéficié d’un dosage des IgE spécifique au mouton étaient positifs (de 0,29 à 1,91 kU/l). Un patient a également eu un dosage des IgE spécifique pour le chien, positif à 3,95 kU/l. Étonnamment, un des patients (1/6) s’est révélé avoir des IgE spécifique positif au poulet (2,23kU/L) avec néanmoins un titre bien inférieur aux viandes rouges (Boeuf = 63,2kU/l et Porc = 58,6kU/l). La totalité des sérums analysés pour les IgE spécifique au canard (5/5) était négatif, y compris le patient ayant des IgE spécifique contre le poulet. Par ailleurs, le test Phadiatop testant les pneumallergènes a été réalisé pour 5 patients. Il était positif pour 3 d’entre eux.
– Groupe ABO Neuf patients ont déclaré un groupage ABO, 6/9 sont du groupe A, 3/9 du groupe O, aucun n’est du groupe B.
– Prick test Les tests cutanés n’ont pas été réalisés dans notre étude, cependant le patient numéro 2 avait fait par ailleurs des tests cutanés à la viande de porc qui étaient revenus négatifs.
Discussion
Originalité de ce travail
Nous rapportons ici une série de 11 cas de patients présentant une allergie à la viande de mammifères, c’est-à-dire principalement boeuf, porc et mouton, acquise en Guyane, dont une majorité a été confirmée biologiquement.
Cette étude, originale par son sujet, est à ce jour, la première réalisée en Guyane, et également la plus grosse série en Amérique latine ou il existe à notre connaissance seulement 6 cas décrits, de façon plus ou moins complète (19-21). Nous rapportons ici une symptomatologie détaillée pour chaque patient inclus ainsi qu’un dosage des IgE spécifiques pour plus de la moitié, permettant d’établir une première description de la pathologie en Guyane.
Il est maintenant montré que Alpha Gal tient une place importante dans l’allergie alimentaire. Néanmoins l’allergie à alpha gal est une pathologie méconnue, de description récente datant d’une dizaine d’années et bien que de plus en plus de cas soient rapportés, la plupart des observations disponibles dans la littérature sont des case report ou des études concernant de petites séries , la plupart venant des États Unis (38). En France, une vingtaine de cas seulement ont été décrits. Le tableau 6 est un récapitulatif de la littérature existante sur le sujet, pays par pays.
Description clinique de la pathologie
L’étude présentée ici montre qu’il existe deux principales classes de symptômes chez les patients présentant une allergie à la « viande rouge » : d’une part des symptômes de la série purement anaphylactique, et d’autre part des symptômes digestifs, offrant un profil plutôt comparable à celui de la maladie coeliaque. Ces symptômes apparaissent généralement plusieurs heures après le repas incriminé pouvant rendre l’identification des aliments responsable difficile. Une étude américaine montrait d’ailleurs que le délai diagnostique moyen de l’allergie à la viande de mammifère était pour 80% des patients de leur cohorte de 7,1ans, les 20% restant étaient diagnostiqués dans l’année (39). Dans notre série on constate une prépondérance des symptômes digestifs associant douleurs abdominales, vomissements et diarrhée soit isolée, soit associé aux signes cutanés tel que l’urticaire ou angiooedème.
La plupart des cas décrits dans la littérature sont des case report ou de très petites séries portant sur des réactions sévères se manifestant par de l’urticaire, oedème de Quincke et anaphylaxie. La littérature rapportant de plus larges séries montre en revanche une plus forte prévalence pour des manifestations digestives isolées ou non (40-41), comme retrouvée dans notre étude. Ceci pouvant laisser penser que ces réactions peu spécifiques sont sous-déclarées ou confondues et/ou associées à d’autres pathologies comme l’intoxication alimentaire ou la maladie coeliaque.
En outre, dans notre étude, on constate une variabilité importante dans la quantification des IgE spécifiques pour les patients ayant pu bénéficier du dosage, avec des IgE Anti alpha gal variant entre 1,66Uk/l et 56Uk/l sans être associé à la gravité des symptômes. Les cas rapportés dans la littérature vont également en ce sens avec de grandes variations dans les taux d’IgE anti alpha gal (42-43). Une étude américaine sur une grande cohorte de 245 patients retrouvait les mêmes résultats et constatait que les patients présentant des symptômes digestifs isolés avaient des titres IgE anti Alpha gal relativement plus faible (43).
Classiquement il a été montré que l’allergie a la viande de mammifère se caractérise par une apparition retardée des symptômes allergique, entre 3 et 6 heures après l’ingestion de l’aliment. Dans notre étude, quatre sujets avec des titres positifs pour les IgE alpha gal ont eu des réactions plus précoces (de 1h30 à 2h30) montrant que le retard dans la réaction allergique n’est pas systématique. Cela a déjà été rapporté dans la littérature (7,12,15). Les causes pouvant associer la quantité d’alpha gal présent dans l’aliment (rognon de porc riche en alpha gal), la présence de cofacteurs tel que l’alcool, AINS, ou l’exercice, un rôle des hormones sexuelles ou autres facteurs biologiques variant entre homme et femme.
Enfin, conformément aux données disponibles dans la littérature, notre cohorte ne comportait pas d’individu du groupe B, ce qui va dans le sens du caractère protecteur du groupe B, même si le faible effectif de notre étude ne permet bien entendu pas de conclure. Il est à noter que le groupe B est pratiquement absent aux Amériques, ce qui pourrait affecter l’interprétation de nos résultats, mais 100% de nos patients sont originaires de France métropolitaine.
Particularités de la population d’étude
Étonnement, la totalité des patients de notre cohorte sont originaires de France métropolitaine et ont des caractéristiques démographiques similaires. Cela n’est pas retrouvé dans la littérature, des rapports de cas, bien qu’encore peu nombreux, sont disponibles sur les cinq continents (tableau 4), de plus, plusieurs cas ont déjà été constatés chez l’enfant ou les personnes âgées (44).
Par ailleurs, un des investigateurs a eu connaissance d’un chasseur originaire du Suriname présentant un tableau clinique compatible, qui n’a malheureusement jamais voulu consulter.
Une des explications serait un biais de recrutement. Si les mailing list des naturalistes sont essentiellement composées de personnes originaires de France métropolitaine, les autres méthodes de recrutement s’adressaient à toute la population guyanaise. En effet, les médecins contactés s’occupent de l’ensemble de la communauté guyanaise. Le groupe Facebook LVG (la vie en Guyane) où l’appel à contribution a été lancé, est composé de guyanais venant de tout horizon (annexe 3). La méconnaissance de cette pathologie de la part de la communauté médicale et de la population générale a pu être un frein au signalement des cas, de même que la faible spécificité des symptômes digestifs isolés. Il est possible également que des personnes atteintes n’aient pas voulu consulter.
Lien entre l’allergie à la viande et les morsures de tiques et mise en perspective des maladies vectorielles à tiques
Cette étude ne permet pas d’établir un lien évident de causalité entre morsures de tiques et l’allergie a la viande de mammifère, en effet un biais important de notre étude est l’absence de groupe témoin apparié sur les mêmes caractéristiques démographiques et géographiques qui aurait éventuellement pu permettre de faire ressortir la variable morsure de tique. Néanmoins, la totalité de la cohorte était régulièrement exposée aux tiques et tous ont été mordus préalablement à l’apparition des symptômes, comme la plupart des cas décrits dans la littérature. De plus, plusieurs études montrent une sensibilisation Alpha Gal apparaissant après morsure de tiques. Il existe aussi une sensibilisation asymptomatique pour alpha gal (45), une étude allemande retrouvait une prévalence de sensibilisation a Alpha Gal >0,35Ku/L de 19,6% contre seulement 8,6% réellement allergique à la viande de mammifère dans une population exposée aux morsures de tiques (11). De même, une équipe suédoise a montré que 10% des donneurs de sang étaient sensibilisés à alpha gal (14), enfin, une autre étude a montré une sensibilisation dans la population générale de 5,5% au Danemark et 8,1% en Espagne (46).
Fait intéressant, des études suggèrent que cette sensibilisation semble décroître avec le temps et augmenter à nouveau après de nouvelles morsures (47), suggérant qu’une exposition récente ou continue aux tiques est un facteur important dans la sensibilisation à Alpha gal. Enfin, une étude récente montrait que certaines personnes développant l’allergie à la viande de mammifère débutaient la réaction allergique par une urticaire qui se développait à partir de la zone pour ils avaient été mordus par la tique, ce signe est appelé urticaire de rappel (48). Nous ne l’avons pas recherché dans notre étude et aucun ne nous en a parlé spontanément.
Comme nous l’avons évoqué plus haut, plusieurs espèces de tiques ont été incriminées à travers le monde, A. americanum en Amérique du Nord, I. ricinus en Europe, et I. holocyclus et I. australiensis en Australie (49). Bien que dans notre étude aucune espèce de tique n’ait été formellement identifiée, on sait que de nombreuses espèces de tiques sont présentes sur le territoire guyanais (35), avec une prépondérance de A. cajennense qui a également été retrouvée sur l’homme. Cette espèce a également été incriminée dans les études répertoriant les cas panaméens (19). Toutes les espèces de tiques identifiées font partie de la famille dite des tiques dures.
En outre, en 2017, une équipe brésilienne a montré que l’injection de salive de A. sculptum, qui est une sous-espèce de A. cajennense, chez des souris dont alpha 1-3 galactosyltrasferase était inactivée, produisait des IgG et IgE anti alpha gal, suggérant que cette espèce de tique endémique de l’Amazonie pouvait être vecteur de cette allergie (23). Toutes ces constatations suggèrent que la Guyane possède au moins une espèce de tique pouvant être pourvoyeuse de cette allergie.
Les tiques sont vectrices de nombreuses maladies infectieuses bactériennes (borrélioses, rickettsioses, ou ehrlichioses) virale ou parasitaire. Une étude publiée en 2017 montrait que la sensibilisation aux IgE Alpha gal était fréquente dans une zone d’endémie de tiques en Suède, mais qu’il n’existait pas de relation avec un antécédent de borréliose de Lyme (47). La maladie de Lyme est actuellement l’un des principaux sujets chauds concernant les pathologies infectieuses à l’origine de polémiques innombrables à la fois au sein du monde médical et entre sociétés savantes, médecins pour ou contre et associations de patients (50). Le diagnostic de maladie de Lyme est souvent compliqué et parfois établi par défaut, avec des tests sérologiques pouvant être négatifs entraînant la prescription par certains médecins, renommés « Lyme doctors » de protocoles antibiotiques lourds, souvent inutiles, notamment chez les patients ayant des symptômes persistant après un traitement initial bien conduit. Chez 80% d’entre eux, un autre diagnostic que la borréliose de Lyme est porté, et les dernières recommandations de la Société de Pathologie infectieuse de Langue française (SPILF) publiées en 2019 recommandent de ne plus traiter, passé le traitement initial (51). Ces patients peuvent présenter des symptômes polymorphes associant asthénie, douleur articulaire, symptômes digestifs dans un contexte de morsures de tiques. Ces symptômes se recoupant avec ceux de l’allergie a alpha gal, Commins et al. ont utilisé un régime d’éviction de la viande de mammifère chez ces patients dont plusieurs ont constaté une amélioration remarquable des symptômes voire une résolution des symptômes chroniques, conduisant à établir l’hypothèse selon laquelle de nombreux les patients ayant une maladie de Lyme persistante ont en fait une intolérance voire allergie franche a alpha gal (52).
Quel traitement pour ces patients ?
Le traitement de l’allergie à la viande de mammifère consiste en un régime d’éviction de toute viande rouge et a porter un auto-injecteur d’adrénaline pour ceux qui ont déjà présenté une réaction anaphyactique sévère (53). Comme dans les autres allergies alimentaires, la cuisson ne modifie pas la capacité d’induire des réactions allergiques. Les personnes tolérant les produits laitiers ou à base de gélatine peuvent continuer à les consommer.
On ne connaît pas encore précisément l’histoire naturelle de l’allergie à alpha gal, les titres d’alpha gal semblent diminuer en l’absence de nouvelles morsures de tiques pouvant faire régresser les symptômes allergiques.Dans notre étude, trois patients nous ont par la suite rapporté avoir pu consommer de la viande rouge sans déclencher de réaction allergique. Deux de ces patients avaient déménagé vers la France métropolitaine, moins exposés aux morsures de tique. Les autres patients ne constatant plus de réactions allergiques continuent leur régime d’éviction rendant difficile l’évaluation de cette caractéristique.
Par ailleurs, 3 cas de désensibilisation sont rapportés dans la littérature. Néanmoins ce sont des protocoles lourds consistant en l’administration répétée d’extrait de viande bouillie et diluée sur plusieurs jours jusqu’à tolérance de quantité plus importante. Par la suite, la désensibilisation doit être maintenue par la consommation quotidienne de viande (54-55).
Limites de l’étude
Plusieurs limites sont à prendre en compte. Notre étude permet d’affirmer la présence de la pathologie sur notre territoire cependant il n’est pas possible d’en estimer la prévalence. Les différentes méthodes de recrutement s’adressent à de petits groupes de personnes d’une part et d’un groupe plus large (« la vie en Guyane ») mais dont les membres ne sont pas tous résidents de Guyane et pas nécessairement représentatifs de la population guyanaise. En outre, la méconnaissance de cette pathologie nouvelle entraîne obligatoirement un sous-diagnostic par les médecins.
Bien que la totalité de nos patients ait signalé des réactions allergiques suivant la consommation de viande de mammifère, une partie d’entre eux (36%) n’ont pas pu bénéficier d’analyse du sérum appuyant le diagnostic de syndrome alpha gal. De plus, la sensibilisation à Alpha gal chez des sujets asymptomatiques semble fréquente dans les zones d’endémie de tiques (14), il aurait été intéressant d’inclure un groupe témoin appareillé au groupe cas de notre étude. Bien que les tests cutanés avec les extraits de viande du commerce aient une très faible sensibilité, il existe d’autres méthodes diagnostiques qui semblent apporter une aide pour différentier les sujets réellement allergiques des sujets sensibilisés asymptomatiques comme le test d’activation des basophiles (45-56) ou le test cutané au Cétuximab (57). Ceux-ci permettent d’éviter d’avoir recours au test de provocation orale, long et potentiellement risqué compte tenu des réactions qu’ils peuvent provoquer.
Enfin, le recueil des données cliniques ayant été réalisé de manière rétrospective, se basant sur l’auto-évaluation peut poser problème, les patients pouvant donner des informations incomplètes ou manquant de précision. Il serait intéressant de réaliser une étude prospective
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Table des matières
Introduction
Préambule
a) Allergie aux viandes de mammifères : rapide historique
b) Alpha gal
c) Guyane
d) Objectif
I – Matériel et Méthode
a) Type d’étude
b) Population d’étude
c) Recrutement
d) Recueil des données
e) Analyse des données
f) Éthique
II – Résultats
a) Caractéristiques démographiques de la population d’étude
b) Manifestations cliniques
c) Viandes incriminées
d) Exposition aux Tiques
e) Bilans biologiques
– Alpha Gal
III – Discussion
IV– Conclusion
Références :
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