ALIMENTATION DU NOUVEAU-NÉ
Aspects historiques et contexte actuel
Des choix concernant l’alimentation du nouveau-né ont toujours été faits. Depuis l’Antiquité, les conseils de Soranus d’Ephèse (médecin grec faisant carrière à Rome au IIème siècle après JC) ont perduré(2). Il considérait le colostrum comme dangereux car il était « épais, caséineux, et difficile à digérer ». Il conseillait le jeûne pour le nouveau-né deux jours après sa naissance, et de donner du miel avec le doigt afin de favoriser l’expulsion du méconium(3). Il identifiait les bonnes nourrices grâce au test de l’ongle (qualification de la digestibilité du lait maternel en fonction de la manière dont s’étale une goutte de lait sur l’ongle)(3).
Au XVIIIème siècle, en France, l’allaitement par une femme était la règle, car il n’y avait pas d’alternative. Les familles les plus aisées faisaient appel à des nourrices (10% environ(4)), car il n’était pas digne pour une femme de la haute société d’allaiter elle-même ses enfants ; ou alors, les femmes allaitaient elles-mêmes(5). En effet, donner autre chose que du lait maternel à un nouveau-né, notamment avant la pasteurisation, était dangereux pour lui(2). Une petite minorité d’enfant était nourri au biberon ou directement au pis de l’animal avec du lait de chèvre notamment(4). De plus, les femmes devaient appliquer les recommandations de leurs maris, leurs pères, des médecins ou de leur religion qui pouvaient leur imposer d’allaiter ou de laisser leur enfant à une nourrice(2).
Au XXème siècle, jusqu’à après la Seconde guerre mondiale, les médecins imposaient aux nouveau-nés un jeûne systématique de quelques jours, seule de l’eau sucrée leur était donnée(5). Les médecins du XIXème et du XXème siècle, qui ont observé les temps de digestion du lait animal, ont reproduit ce modèle avec le lait de femme. Les tétées sont donc à heure fixe, afin également d’éduquer l’enfant à contrôler ses besoins. Ces idées se sont largement répandues dans les maternités au XXème siècle. Dans les années 1980, on a appris que c’était la cause d’échec d’allaitement. Au XXème siècle, il y a une diminution de la fréquence de l’allaitement maternel expliqué par le travail des femmes, la fabrication du lait en poudre, à un effet de mode, à la pudeur, et au rejet du modèle de la femme allaitante(5). Les femmes allaitantes devaient suivre de nombreuses recommandations pour avoir du «bon lait » : éviter certains aliments diminuant la production de lait (persil notamment), ou affectant le goût (ail, chou) et manger ou boire des aliments galactogènes (bière)(4); elles ne devaient pas travailler dur, ou avoir des émotions fortes car cela affecterait la qualité du lait(4). A partir du développement du biberon, de l’amélioration qualitative des laits infantiles et des conditions d’hygiène, et encore actuellement, les femmes doivent choisir entre allaitement maternel ou artificiel, et de nombreuses influences interviennent dans ce choix(2).
Actuellement, plus de deux tiers des nouveau-nés reçoivent du lait maternel à la maternité que ce soit de façon mixte ou exclusive (69% en 2012)(6). La France est l’un des pays européens (avec Malte et l’Irlande), a avoir un taux d’allaitement le plus bas avec un sevrage précoce(7). De plus, les taux d’allaitement varient en France de manière régionale(7). Le Nord et l’Ouest, avec 58,75% d’allaitement maternel, sont les régions où l’on allaite le moins(7). La condition sociale, étant une influence ayant été toujours présente dans l’Histoire sur le choix du mode d’alimentation du nouveau-né, on observe l’émergence de nouvelles influences comme les conditions matérielles avec notamment le travail des femmes(7,8). Aujourd’hui, l’action du facteur économique n’est pas majeure(7). Paradoxalement, alors que l’utilisation du biberon engendre d’importantes dépenses (100 euros par mois(9)), ce sont les familles les moins aisées qui l’utilisent (7,10,11). Ceci peut s’expliquer par le fait que les familles les moins aisées économiquement, en achetant le matériel nécessaire pour l’enfant à venir, est pour eux, le moyen de montrer à l’extérieur, qu’ils sont capables d’assumer l’enfant(7,12). Le taux d’allaitement maternel augmente lorsque le niveau socio-économique augmente(7,13). L’étude Epifane a montré que le taux d’initiation d’allaitement maternel est de 74,7% chez les femmes ayant un niveau d’étude à Bac+1 et plus, contre 62,4% chez les femmes ayant un niveau d’étude inférieur ou égal au Baccalauréat(6). Les femmes non allaitantes mettent en avant la peur que l’allaitement change l’esthétique de leur poitrine. La beauté est, en effet, depuis l’Antiquité, rattachée aux seins (7,14). Associée à cette valeur esthétique, il existe une confusion avec l’érotisme du sein. Dans notre société, il existe une opposition entre la pudeur excessive associée aux femmes allaitant publiquement, et les corps féminins dévêtus (dans les magazines, sur la plage …). L’allaitement en public provoque ainsi des sentiments négatifs (gêne, honte)(7,15). De plus, les mères allaitantes mettent en avant la « relation de plaisir », liée à la satisfaction de l’enfant, sa sécurisation, son réconfort, et la « prolongation de la relation privilégiée avec le bébé allaité »(7,16). Les mères non allaitantes, argumentent leur choix «l’indépendance, d’autonomie et la socialisation précoce du bébé » (7,16,17). Elles ont peur de « prolonger la relation de dépendance entre elles et leur bébé », et « du pouvoir de vie ou de mort » sur celui-ci en cas l’allaitement maternel(7,16). Actuellement, on note une influence du père de l’enfant quand au mode d’alimentation du nouveau-né (7,18). L’attachement entre la mère allaitante et son enfant peut apparaître comme menaçante pour la relation entre les conjoints (7,18,19). Ils peuvent également craindre d’être rejeté dans la relation au bébé (7,11). Le choix d’allaitement maternel ou artificiel est fortement influencé par la manière dont la femme se perçoit au plan identitaire (7). Ainsi les femmes au foyer ou ayant un faible niveau-socioéconomique peuvent choisir l’allaitement artificiel afin d’être individualisées de l’enfant. Cela semble donc une quête identitaire (7,13). L’Etat joue également un rôle dans le choix du mode d’alimentation (7). En effet, il donne les moyens ou non de choisir tel ou tel mode d’alimentation en définissant les règles et lois, et en permettant leur application. Par le code du travail, une femme allaitante « dispose d’une heure par jour durant les heures de travail pour allaiter son enfant », du jour de la naissance, à ses un an(20). De plus, toute société de plus de 100 salariés doit disposer de locaux dédiés à l’allaitement(21). On peut noter également que malgré la signature du Code de commercialisation des substituts de lait maternel(22), qui interdit la promotion des produits remplaçant le lait maternel, on voit peu de publicité pour l’allaitement maternel(7).
Les représentations de l’alimentation du nouveau-né
Une étude comparative entre les représentations des mères allemandes et mères françaises montre que les mères allemandes ont plus d’intérêt pour les avantages psychologiques et physiologiques de l’allaitement pour l’enfant, ainsi que ceux pour la santé de la mère, et les consommations de tabac, d’alcool ou de médicaments pendant l’allaitement leur importent moins que pour les mères françaises. Les conséquences de l’allaitement maternel dans le couple et la relation entre le père et l’enfant par le biberon concernent également moins les mères allemandes que les mères françaises. Les mères allemandes se sentent moins concernées par les inconvénients de l’allaitement maternel comme la fatigue, cela peut probablement expliquer que les mères françaises pensent le biberon sans contrainte donc pratique. Les femmes françaises ayant choisi l’allaitement artificiel pour l’enfant ont tendance à insister sur les difficultés de l’allaitement pour le couple, et sur les inconvénients de l’allaitement pour la mère, et diminue les effets bénéfiques de l’allaitement pour le nourrisson. Il existe plus d’erreur dans les représentations de l’allaitement chez les femmes françaises que chez les allemandes : les françaises connaissent les bénéfices de l’allaitement pour la santé du bébé, mais pas pour leur propre santé comme la perte de poids ou le facteur protecteur contre le cancer du sein. Les françaises accordent plus d’importance aux « interdits de l’allaitement (tabac, alcool, médicaments) ainsi qu’aux inconvénients de l’allaitement tels que la fatigue »(17). Cela peut donner une image « contraignant[e] et rigide » à l’allaitement maternel(17).
SPÉCIFICITÉ DE L’ADOLESCENCE
Définition de l’adolescence
Selon l’OMS, l’adolescence est définie comme la période allant de 10 à 19 ans. Cependant, sa durée peut varier en fonction de la culture et selon les conditions socio-économiques(23). « Adolescence » vient du latin adolescere qui signifie grandir, croître, et correspond à la « période de passage entre l’enfance et la vie adulte » comme le décrit le Pr Philippe Jeammet(24). La puberté marque l’entrée dans cette période(24). Elle se caractérise par des transformations physiques qui prennent environ 18 mois à 2 ans, à partir de 11 ans chez la fille, et de 12 ans et demi chez le garçon. Chez la fille, la puberté peut survenir entre 8 et 14 ans, avec en moyenne, un âge des premières règles à 12 ans et demi-13 ans, et chez le garçon, elle survient entre 10 et 16 ans(25). La fin de l’adolescence ne coïncide pas avec la fin de la puberté. Pendant longtemps, la fin de l’adolescence était définie par des rites de passages(24) : le service militaire pour les hommes, la préfiguration au mariage pour les femmes, le certificat d’études au XXème siècle qui signifiaient l’entrée dans la vie active pour de nombreux écoliers, et le baccalauréat plus récemment.
Données chiffrées
En 2011, il y avait 537226 adolescents (de 10 à 19 ans) dans la région Nord-Pas-de-Calais, dont 261778 femmes(26). En 1998, le taux de grossesse à l’adolescence était de 24 pour mille, dont un tiers sont menées à terme (8,6 pour mille)(27). Dans le réseau Bien-naître en Artois, en 2013, il y a eu 13345 naissances vivantes. Parmi ces naissances, le réseau a pu récupérer 11241 fiches « Issues de grossesse » afin de réaliser des statistiques. Il y a eu 196 accouchements d’adolescentes cette année-là, soit 1,74%, dont 19% d’allaitement maternel (données du réseau). De plus, la sexualité à l’adolescence est marquée par des rapports non planifiés (63% ont lieu pendant les vacances scolaires) et sporadiques (5/15 par an)(27).
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Table des matières
INTRODUCTION
1. PREMIÈRE PARTIE
1.1. ALIMENTATION DU NOUVEAU-NÉ
1.1.1. Aspects historiques et contexte actuel
1.1.2. Les représentations de l’alimentation du nouveau-né (17)
1.2. SPÉCIFICITÉ DE L’ADOLESCENCE
1.2.1. Définition de l’adolescence
1.2.2. Données chiffrées
1.2.3. Le psychisme à l’adolescence
1.2.4. La grossesse et l’élaboration de la parentalité à l’adolescence
1.2.4.1. Physiologie de la grossesse à l’adolescence
1.2.4.2. Le sens des grossesses à l’adolescence
1.2.4.3. Législation
1.2.4.4. L’élaboration de la parentalité à l’adolescence
1.2.4.5. Violence et grossesse précoce
1.2.4.6. Les difficultés rencontrées par les jeunes femmes
2. DEUXIÈME PARTIE
2.1. PRÉSENTATION DE L’ÉTUDE
2.1.1. Problématique et hypothèses
2.1.2. Méthodologies
2.1.2.1. Etude
2.1.2.2. Le guide d’entretien
2.1.2.3. Entretiens exploratoires
2.1.2.4. Sélection des patientes
2.1.2.5. Recueil de données
2.2. EXPOSITION DES RÉSULTATS
2.2.1. Contexte des entretiens (N=11)
2.2.2. Mode de vie (N=11)
2.2.3. Contexte de la grossesse (N=11)
2.2.4. Explication du choix (N=11)
2.2.5. Au sujet de l’allaitement maternel
2.2.6. Au sujet de l’allaitement artificiel
2.2.7. Image du corps (N=10)
2.2.8. Société (N=11)
2.2.9. Vision de l’entourage
2.2.9.1. Le père du bébé (N=10)
2.2.9.2. La famille de l’adolescente (N=11)
2.2.9.3. Les professionnels de santé (N=11)
2.2.9.4. Renseignements personnels (N=4)
3. TROISIÈME PARTIE
3.1. LIMITES ET POINTS FORTS
3.1.1. Limites
3.1.2. Points forts
3.2. ANALYSE
3.2.1. Hypothèse n°1 : le manque d’information sur l’allaitement maternel entraîne le choix de
l’alimentation artificielle
3.2.2. Hypothèse n°2 : L’entourage de l’adolescente l’oriente vers l’allaitement artificiel
3.2.3. Hypothèse n°3 : Le mode de vie de l’adolescente conduit vers le choix de l’allaitement artificiel
3.2.4. Hypothèse n°4 : La pudeur de l’adolescente et ses représentations corporelles entraine le choix de l’allaitement artificiel
3.2.5. Hypothèse n°5 : Ses représentations positives de l’allaitement maternel l’orientent vers ce mode d’alimentation pour son enfant.
3.3. DISCUSSION ET PROPOSITIONS
3.3.1. Comparaison avec d’autres études
3.3.2. Propositions
3.3.2.1. Trouver un moyen de faire passer les informations efficacement
3.3.2.2. Communiquer sur le tabac et l’allaitement maternel
3.3.2.3. Recherches complémentaires
3.3.2.4. Réassurance des jeunes femmes
CONCLUSION
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