Alimentation des premiers stades de poissons marins en culture
De façon générale, les poissons marins produisent un nombre élevé d’œufs de petite taille (Jennings et al. 2001). Il en résulte de petites larves qui sont sensibles aux stress environnementaux et qui doivent se développer rapidement. En production aquacole, il est essentiel de répondre rapidement et adéquatement aux besoins nutritionnels des larves (Sargent et al. 1997), mais nos connaissances sur ceux-ci sont limitées (Lucas et Southgate 2003 ; Trushenski et al. 2006). Actuellement, les proies vivantes représentent la principale source d’ alimentation des larves de poissons marins en culture et leur utilisation reste répandue en absence d’ aliments artificiels pouvant répondre à eux seuls aux besoins des larves (Wanatabe et Kiron 1994; Trushenski et al. 2006). Cependant, une alimentation à base de moulée est l’ objectif à atteindre pour réduire les coûts, soutenir une production constante de juvéniles de qualité et assurer le succès à long terme de l’aquaculture (Cahu et Zambonino Infante 2001 ; Trushenski et al. 2006).
Les proies vivantes les plus couramment utilisées en aquaculture sont les rotifères, Brachionus plicatilis (Müller) (150-220 /um) et les artémies, Artemia fransciscana (Linne) (> 400 /um). Celles-ci sont utilisées par l’ industrie en raison de leur plasticité, de leur facilité de culture et de leur taille convenant à l’alimentation larvaire (Lucas and Southgate 2003; St0ttrup et McEvoy 2003). Cependant, ces proies vivantes ne font généralement pas partie du régime alimentaire naturel des larves de poissons marins et ne rencontrent pas tous leurs besoins nutritionnels (Watanabe et Kiron 1994; Sargent et al. 1999). Ainsi, leur composition en acides gras et en acides aminés peut être très différente de celle du plancton sauvage (Bell et al. 2003; Naess et al. 1995 ; Sargent et al. 1997). Les rotifères et les artémies peuvent être déficients en acides gras polyinsaturés à longue chaine essentiels pour les poissons marins (acide eicosapentanoïque (EPA) 20:5n-3; acide docosahexanoïque (DHA) 22:6n-3, acide arachidonique (A A) 20:4n-6) (Watanabe et Kiron 1994; Sargent et al. 1999; Bell et Sargent 2003; Bell et al. 2003). Ces acides gras sont nécessaires au maintien des membranes cellulaires et comme précurseurs des eicosanoïdes (Sargent et al. 1999). Ils doivent donc être présents dans l’alimentation afin d’ assurer une croissance et un développement normal, car les larves de poissons marins sont incapables de les synthétiser (Watanabe et Kiron 1994; Sargent et al. 1999; Bell et al. 2003). Cependant, il est particulièrement difficile d’obtenir un ratio adéquat d’acides gras essentiels (EPA : DHA: AA) par l’entremise des proies vivantes (Sargent et al. 1997). Par exemple, l’ enrichissement des artémies est problématique, car elles ont une propension à reconvertir le 22:6n-3(DHA) assimilé en 20:5n-3(EPA) (Navaro et al. 1999). De plus, les populations de rotifères en culture demandent une attention constante. Elles peuvent être instables et sont sujettes à chuter occasionnellement de façon imprévisible (St0ttrup et McEvoy 2003; Hagiwara et al. 2001).
La faible performance de la moulée comme première alimentation des larves de poissons marins peut être causée par une acceptabilité limitée pour des particules inertes ainsi que par des problèmes d’ ingestion et de digestion (St0ttrup et McEvoy 2003; L6pez-Alvarado et al. 1994; YUfera et al. 1995 ; Lucas et Southgate 2003). En aquaculture, l’arrêt complet de l’alimentation à partir de proies vivantes pour une alimentation basée exclusivement sur la moulée correspond au sevrage. Le sevrage est effectué en augmentant l’apport en moulée et en diminuant progressivement l’apport en proies vivantes (Lucas et Southgate 2003). Généralement, les poissons marins sont sevrés à la métamorphose alors que le développement du système digestif est avancé et que l’estomac est fonctionnel (Lucas et Southgate 2003).
Une alimentation mixte en aquaculture correspond à une alimentation à base de proies vivantes et de moulée. L’alimentation mixte permet de maintenir une croissance et une survie comparables à ce qui est obtenu avec les proies vivantes et amène une diminution des coûts de production (Koven et al. 2001; Lucas et Southgate 2003 ; Canàvate et Fernandez-Diaz 1999). Rosenlund et al. (1997) rapportent des essais concluants d’alimentation mixte chez plusieurs espèces de poissons marins dont le flétan Atlantique (Hippoglossus hippoglossus), le turbot (Scopthalmus maximus), le bar européen (Dicentrarchus labrax) et la dorade royale (Sparus aurata). La présence de proies vivantes permet d’augmenter l’ ingestion de la moulée et de devancer le sevrage (Canàvate et Fernandez-Diaz 1999; Watanabe et Kiron 1994; Rosenlund et al. 1997; Koven et al. 2001). Des études sur le sevrage des larves des espèces marines (Cynoglossus semilaevis (Chang et al. 2006), Solea senegalensis (Canàvate et Fernandez-Diaz 1999), Solea so/ea (Appelbaum 1985» montrent que plus longtemps elles sont alimentées uniquement avec des proies vivantes, plus il est difficile de les sevrer.
Mise en contexte de l’aquaculture
L’aquaculture est en constante progression, tandis que l’industrie des pêches semble plafonner. L’aquaculture est probablement le secteur de production alimentaire dont la croissance est la plus rapide. Mondialement, près de 50% des poissons destinés à l’alimentation humaine proviennent de l’aquaculture (FAO 2006). L’aquaculture est donc une alternative intéressante pour remédier à l’ épuisement des stocks par les pêcheries.
Les principales provinces pratiquant l’aquaculture au Canada sont la ColombieBritannique et le Nouveau-Brunswick. L’élevage de saumons sur la côte ouest canadienne domine l’ industrie avec 24 362 tonnes produites en 2006. Dans les maritimes, l’ aquaculture repose principalement sur la production de saumons, de moules et de pétoncles (Statistique Canada 2007). L’industrie aquacole canadienne tente de se diversifier et cherche à développer de nouveaux secteurs de production. Au Québec, l’ aquaculture de truite arc-en-ciel et d’omble de fontaine représente la production la plus importante suivie de l’élevage de la moule. Aucune espèce de poissons marins n’ est élevée de façon commerciale dans la province (Statistique Canada 2007). Selon le règlement sur l’aquaculture et la vente des poissons en vertu de la loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune (C-61.1), une espèce peut être élevée sur un site seulement si elle y est présente à l’état naturel. La province est divisée en zones pour lesquelles l’ élevage, le transport et l’ensemencement de certaines espèces sont permis. Il s’ agit d’une législation qui a pour but de protéger l’ intégrité de la faune sauvage. La capacité de survivre aux conditions extrêmes de l’ hiver québécois à l’état naturel est donc une condition nécessaire pour le choix d’ espèces propices à l’aquaculture.
La plie rouge est une espèce maintes fois qualifiée de prometteuse pour la diversification de l’aquaculture dans l’ Est canadien (Litvak 1996; 1999). II s’ agit d’une espèce adaptée aux conditions locales difficiles et qui peut survivre à des températures sous le point de congélation (Ouman et Oevries 1974; Fletcher 1977). Il serait donc possible d’ élever la plie rouge le long des côtes canadiennes, là où la température hivernale est létale pour d’ autres espèces. La plie rouge possède une fécondité élevée et une croissance rapide, des caractéristiques intéressantes en aquaculture (Litvak 1999). Les filets de plie rouge sont les plus épais parmi les différentes espèces de plies communes de la côte Nord-est américaine (Bigelow et Shroeder 1953). Elle s’ adapte bien à la captivité et pour une même longueur, sa masse y est plus importante qu’ à l’ état sauvage (Litvak 1994). L’élevage de la plie rouge est aussi économiquement viable (Litvak 1996; 1999). Selon les relevés des marchés de poissons frais de la NouvelleAngleterre, la plie rouge ou » blackback » avait une valeur marchande comparable aux autres poissons de fond populaires comme la morue et l’aiglefin (NMFS 2008).
Biologie de la plie rouge
La plie rouge (Pseudopleuronectes americanus) appartient à l’ordre des Pleuronectiformes et à la famille des Pleuronectidae (Scott et Scott 1988). C’est une espèce côtière de l’Atlantique Nord présente du Labrador jusqu’à la Géorgie (Bigelow et Schroeder 1953; Scott et Scott 1988; MPO 2005). Elle vit à des profondeurs généralement inférieures à 40 mètres sur des fonds meubles ou modérément durs (Bigelow et Schroeder 1953; Scott et Scott 1988). La plie rouge est une espèce euryhaline et eurytherme. Elle tolère une large gamme de salinité allant de 8 à 40 %0 (Bigelow et Schroeder 1953; McCraken 1963; Pereira et al. 1999) et des températures allant de -lA oC jusqu’à 27 oC (Bigelow et Schroeder 1953; McCraken 1963; Duman et Devries 1974). La plie rouge peut survivre à des températures sous le point de congélation grâce à la production de protéines antigel (Duman et Devries 1974; Fletcher 1977). Les migrations de cette espèce sont plus ou moins régulières et sont initiées en fonction de la température, des ressources trophiques et de l’état de maturation des gonades (McCraken 1963; Van Guelpen et Davis 1979). Dans l’ estuaire du SaintLaurent, la plie rouge migre près des côtes au printemps pour se reproduire et pour profiter de l’ abondance de nourriture (Vaillancourt et al. 1985).
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Table des matières
1. INTRODUCTION
1.1 Alimentation des premiers stades de poissons marins en culture
1.2 Mise en contexte de l’aquaculture
1.3 Biologie de la plie rouge
1.4 Élevage de la plie rouge
1.5 Problématique
1.6 Objectifs
2. MATÉRIEL ET MÉTHODES
2.1 Conditions expérimentales
2.2 Obtention des juvéniles
2.3 Traitements expérimentaux
2.4 Échantillonnage
2.5 Analyses
3. RÉSULTATS
3.1 Analyse de la survie,
3.2 Données morphométriques
3.3 Indices d’état
3.4 Grandes classes de lipides
3.5 Acides gras
4. DISCUSSION
4.1 Influence du moment du sevrage sur la survie des juvéniles
4.2 Influence du sevrage sur la croissance des juvéniles
4.3 Utilisation de rotifères enrichis comme seules proies vivantes
5. CONCLUSION
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