Le secteur des nanosatellites interplanétaires se développe et devra disposer de solutions de navigation autonome, au moins partiellement. Avant même des applications commerciales, des applications scientifiques ont été identifiées et l’Observatoire de Paris – Université Paris Sciences & Lettres (PSL) s’y intéresse de près. Pourtant, l’Observatoire de Paris et son laboratoire LESIA en particulier se concentrent d’habitude sur les instruments et laissent aux agences spatiales ou aux maîtrises d’œuvre industrielles les compétences de la plateforme. Était-il donc légitime de notre part d’explorer la fonction de navigation ? Y sommes-nous parvenus ? Devrons-nous poursuivre, en particulier dans le contexte du pôle spatial « Centre et Campus d’Etude et de Recherche pour l’Exploration Spatiale (C2eres) » de PSL ? Ma réponse sera sans surprise trois fois oui.
Applications scientifiques
La rupture technologique qu’a représentée le format de satellite CubeSat, standard de satellite répondant à la norme publiée par cubesat.org (CubeSat) en orbite basse terrestre, se propage désormais à l’espace extraterrestre. Mais son succès d’origine ne se confirmera que si les mêmes verrous qui ont sauté pour l’orbite basse sautent également pour l’interplanétaire. Le travail présenté ici est applicable à d’autres formats de satellites, mais nous présenterons les hypothèses directement héritées de la révolution CubeSat qui ont changé les pratiques du secteur et motivent la recherche d’une solution de détermination d’orbite qui soit embarquée et autonome, IFOD, telle qu’étudiée ici.
Ceci étant posé, des objectifs scientifiques ont motivé le projet de développement d’une solution IFOD. Le premier, dit contexte Cruise ou phase de croisière (Cruise), est la phase de croisière Terre-Mars pour réaliser de la météorologie de l’espace. Il sert de référence aux travaux présentés ici. Par sa relative simplicité il prépare le second contexte présenté, de géodésie spatiale à proximité d’astéroïdes, dit contexte Proximity Operations ou opérations de proximité (ProxOps).
Vers des CubeSats interplanétaires
Le CubeSat et le New Space se sont désormais durablement établis. En 1999, les universités américaines California Polytechnic State University, San Luis Obispo et le Space Systems Development Lab de Stanford University ont créé ce standard pour faciliter l’accès des étudiants à l’espace. Il a fallu une dizaine d’années pour que le succès s’installe au-delà du seul cadre de la formation des étudiants. Quelques idées majeures sont à l’origine du standard et de son succès :
• Proposer une taille minimaliste, comparée aux satellites classiques, qui justifie d’emporter ce satellite « en plus » (piggy-back) du client principal d’un tir de fusée et donc à coût très faible. Aux débuts, les missions de CubeSat devaient se contenter d’une orbite non choisie. Ensuite des exigences orbitales sont apparues, mais les CubeSats restent de taille petite pour être lancés en ride-sharing et doivent rester flexibles dans leur trajectoire.
• Standardiser les interfaces géométriques et fonctionnelles du satellite pour qu’il soit transporté pendant toute la phase de lancement dans un « déployeur », dont il est éjecté une fois dans l’espace. Une importante part de complexité est ainsi déportée sur le déployeur qui, lui, est spécifique à chaque lanceur envisagé. Le déployeur et le standard mis au point garantissent ensemble que ni le lanceur ni ses autres passagers ne sont mis en danger par un des CubeSats transportés.
• Permettre une liaison de télécommunication bon marché, d’une part sans imposer d’orientation complexe du satellite vers la station sol, d’autre part sans nécessiter les infrastructures sol complexes des missions spatiales traditionnelles.
Le résultat de ces réflexions a conduit à une « unité de base » du CubeSat, notée 1U et de masse maximum 1.33 kg, qui est un cube de 10 cm de côté, et un déployeur pouvant emporter 3 CubeSats 1U . Avec cet encombrement, il devenait possible dès cette époque (aujourd’hui toutes les performances sont meilleures qu’alors) de couvrir les faces du CubeSat avec des cellules photovoltaïques assurant environ 1W d’énergie disponible, éclipses comprises, et d’installer une carte et une antenne quasi-omnidirectionnelle de télécommunication en UHF/VHF suffisantes pour assurer la liaison entre le sol et les orbites basses terrestres. Il restait même encore un peu de place pour y installer, éventuellement, une « charge utile ». En fait, aux débuts de l’aventure, l’objectif était seulement de réussir un tel satellite et la charge utile pouvait n’être qu’un transpondeur capable d’envoyer son identification et de renvoyer ce qu’il recevait. Ce seul objectif a motivé des gouvernements de pays qui n’avaient pas d’industrie spatiale à faire leur premier satellite, via leurs universités et de bénéficier ainsi d’un impact fort de politique intérieure (PehuenSat 1, Argentine et Libertad-1, Colombie, premiers succès sud-américains en 2007, ITUpSAT-1, Turquie en 2009, F-1, Vietnam en 2012, ESTCube-1, Estonie en 2013, parmi d’autres succès de primo-entrants). De plus, la fonction de transpondeur a rencontré un enthousiasme fulgurant dans la communauté des radio-amateurs qui dispose justement d’une liberté d’attribution de fréquences dans des bandes UHF et VHF qui leur sont réservées.
Par la suite, le CubeSat s’est adapté à des dimensions plus grandes par combinaison de plusieurs « unités » de volume 10 × 10 × 10 cm³ : les standards 1.5 U (longueur 15 cm), 2 U (20 cm), 3 U / 3 U+ (30 cm + éventuellement une « Tuna Can » en bas de structure) étaient déjà spécifiés par cubesat.org en 2013 dans sa révision 13 avec un déployeur 3 U. Aujourd’hui, des déployeurs pour 4 U (4 unités en ligne) sont qualifiés pour des lancements depuis la Station Spatiale Internationale par la société américaine NanoRacks ou encore des déployeurs 12 U (3 × 2 × 2 unités) sont qualifiés pour divers lanceurs par la société néerlandaise Isis. Des panneaux solaires déployables sont apparus, ainsi que des systèmes de contrôle d’attitude, des solutions de télécommunication en bande S ou X, et bien d’autres systèmes encore.
Toute une industrie s’est ainsi développée autour de ce standard car il a pu sortir du strict cadre universitaire en bousculant les pratiques établies du secteur spatial. À « l’excellence à n’importe quel prix » des pionniers de la conquête spatiale que sont les agences et les grands industriels, a succédé le « juste-assez à prix réduit» des nouveaux entrants. Cela ne s’est pas fait sans résistance des acteurs traditionnels ni sans errance de ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler le New Space. Il faut ici en faire une courte analyse en relation avec la solution d’IFOD proposée. L’IFOD présentée ici fait trois hypothèses centrales directement inspirées de la révolution CubeSat, en jugeant qu’elles sont les raisons mêmes du futur succès des nanosatellites interplanétaires :
• La plateforme doit rester petite et favoriser les standards : le volume contraint force à des instruments plus petits, si besoin au profit d’une instrumentation répartie entre plusieurs satellites ; les systèmes doivent privilégier la série au sur mesure, ils sont alors dits Commercial Off-The-Shelf (COTS), et le nanosatellite lui même doit offrir une flexibilité d’intégration par recours au principe du déployeur. À ces conditions les opportunités d’emport en piggy-back de missions traditionnelles se multiplieront. Dans la recherche d’une solution d’IFOD, cela se traduit par le besoin d’un capteur optique compact, si possible issu du marché, intégré dans une structure de type CubeSat, avec une seule ligne de visée solidaire du corps de la plateforme. Quant au processing embarqué, l’idéal sera de l’intégrer à la carte principale On-Board Computer (OBC). En cas de ressource trop limitée, une deuxième carte OBC sera à prévoir, toujours en COTS.
• Les développements doivent être plus courts qu’aujourd’hui, sans toutefois tomber dans le dogme des « trois ans » qui prévalait pour un CubeSat étudiant. À cette époque et parfois encore aujourd’hui, la charge utile et la mesure collectée étaient vues moins prioritaires que l’ingénierie de la plateforme et qu’un planning compatible avec les cursus universitaires, ce qui ne sera plus acceptable dans le futur. Là encore, le recours à des systèmes COTS, certes adaptés à l’espace profond, est déterminant pour offrir une phase d’intégration rapide. Mais la polyvalence des concepts de mesure doit devenir une priorité afin de profiter des opportunités de missions : une solution IFOD doit pouvoir analyser facilement un nouveau contexte de vol et caractériser les limites de performances sans avoir à re-développer toute une chaîne de test du logiciel. Il faut donc un banc de test, banc end-to-end, qui teste aussi le capteur physique et la carte OBC, et qui soit réutilisable dans divers contextes.
• Le segment sol doit se dispenser le plus possible de moyens lourds spécialisés tels que les antennes Deep Space (DSN américain ou ESTRACK européen, par exemple) ou le support d’une équipe de Flight Dynamics. On touche ici à la nécessité de l’autonomie, mais aussi aux pratiques traditionnelles. Le pilotage pas à-pas depuis le sol semble bien naturel pour une mission qui a coûté plusieurs centaines de millions voire quelques milliards d’euros sur deux décennies. Mais la mobilisation d’une chaîne d’opérations Deep Space pour piloter un CubeSat paraîtrait à juste titre sur-dimensionnée, sauf s’il est vu comme n’importe quel autre instrument dans le pipeline d’opérations d’une mission principale. Mais alors il y a deux risques. Le premier est de retomber dans les développements longs par intégration trop forte à la mission mère avec des processus lourds et spécifiques de planification à long, moyen et court termes : au contraire l’IFOD ne doit nécessiter qu’une ressource TélémesureTélécommande (TMTC) minimaliste de type data-relais simple. Le deuxième risque est de manquer l’occasion de prendre des risques : sans autonomie locale du CubeSat point de réactivité, mais en contrepartie les opérations devront rester simples car le CubeSat n’est pas en pilotage à vue ni temps-réel.
À l’opposé, l’IFOD doit profiter du New Space sans tomber dans ses fragilités. Justement, la position des laboratoires spatiaux est stratégique dans le succès futur des nanosatellites interplanétaires. Si l’IFOD est un problème d’abord technique, il lui faut toutefois aussi un environnement institutionnel. Les laboratoires sont bien placés pour convaincre les acteurs traditionnels, parfois leurs propres équipes mais surtout les agences spatiales, que le changement de pratiques est possible pour le Deep Space comme il l’a été pour l’orbite basse. Ils sont porteurs d’idées scientifiques nouvelles, ils ont le savoir-faire instrumental (déjà à l’échelle CubeSat), ils veulent éviter le simple « revol » d’instruments passés et profiter de plus d’opportunités. En revanche, ils doivent apprendre à concevoir une mission complète, et non plus seulement l’instrument, à choisir la plateforme, à intégrer tout le satellite et notamment par recours à des COTS qui bouleversent leurs habitudes d’achat et de test, puis à conduire les opérations en vol.
En un mot, la fonction d’IFOD doit elle-même devenir un « COTS », une fonction sur étagère, prête à être intégrée à une architecture matérielle particulière, une fonction à haute crédibilité et testable pour les futurs nanosatellites interplanétaires.
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Table des matières
1 Introduction
2 Applications scientifiques
2.1 Vers des CubeSats interplanétaires
2.2 Météorologie de l’espace en interplanétaire
2.3 Géodésie spatiale d’astéroïdes
2.4 D’autres applications
2.4.1 Tour interplanétaire vers plusieurs astéroïdes
2.4.2 Interférométrie radio-basse fréquence
3 Détermination de position en interplanétaire
3.1 Nanosatellites en interplanétaire
3.2 Techniques de localisation depuis le sol
3.3 Solutions embarquées en vol
3.3.1 Expériences AutoNav de la NASA
3.3.2 XNAV ou Radio-Nav
3.3.3 Navigation de proximité
3.4 Algorithmique utile
3.4.1 Modèles de dynamique du vol
3.4.2 Filtrage de Kalman
3.4.3 Traitement d’image
3.4.4 Logiciel scientifique et logiciel embarqué
4 Pré-requis
4.1 Capteur embarqué : un « Object Tracker » (OT)
4.1.1 Un nouvel instrument d’astrométrie
4.1.2 Algorithme de Multiple Cross-Correlation (MCC)
4.1.3 Nombre d’étoiles disponibles
4.1.4 Objets d’avant-plan disponibles
4.2 « Propagateur DOCKS » en préparation de mission
5 Démarche initiale
5.1 Triangulation asynchrone
5.1.1 Inversion par la méthode des moindres carrés .
5.1.2 Pondérations et redimensionnements
5.2 Filtre de Kalman Linéraire
5.3 Architecture de simulation
5.3.1 Langage
5.3.2 Scénario de validation
5.3.3 Premiers résultats
5.3.4 Domaine de validité
6 Améliorations de la démarche
6.1 Processus d’évaluation
6.1.1 Des Monte-Carlo à l’analyse de covariance
6.1.2 Intégration à l’approche MBSE
6.2 Limites du filtre linéaire
6.3 Filtre de Kalman séquentiel
6.3.1 Implémentation du filtre séquentiel
6.3.2 Résultats intermédiaires
6.4 Filtre par maillage, dit « unscented »
6.4.1 Modèles non linéaires
6.4.2 Implémentation du filtre par maillage
6.5 Limites de validité
6.6 Résultats améliorés
7 Coût CPU du logiciel embarqué
8 Conclusion