Aléa sismique et sismicité française
La France est un pays dont la sismicité est considérée comme faible à modérée. Cependant, d’importants événements peuvent survenir sur le territoire français, causant de nombreuses pertes humaines et d’importantes destructions, comme ce fut le cas historiquement (séisme de Bâle en 1356, séisme de Lambesc en 1909, séisme d’Arette en 1967…). D’autres séismes récents, comme ceux de Rambervillers en 2003 et du Teil en 2019, n’ont pas fait de victime, mais ont causé des dégâts modérés, notamment sur des constructions anciennes et ont engendré des coûts de réparation importants. Dans le but d’anticiper les mouvements forts à venir et de protéger la population, une estimation précise du risque sismique s’avère nécessaire. Le risque sismique donne l’impact possible d’un séisme sur la population humaine d’une région donnée. L’estimation du risque dépend de plusieurs facteurs : (1) la densité de population (ou la densité de constructions pouvant être affectées par des séismes), (2) la vulnérabilité des constructions et (3) l’aléa sismique, qui peut être défini comme la probabilité que l’accélération du sol dépasse un certain seuil sur une période donnée (e.g. Pagani et al., 2014; Silva et al., 2020). Bien entendu, il est important d’évaluer correctement l’aléa sismique pour pouvoir anticiper le mieux possible des séismes destructeurs. Pour cela, des projets de recherches, comme SIGMA, SI Hex, EPOS ou plus récemment SIGMA2 ont été financés.
Ce travail s’inscrit dans le cadre du projet de recherche SIGMA2 (Seismic Ground Motion Assessment). SIGMA2 est un projet de recherche financé par un consortium de plusieurs entreprises françaises et étrangères (EDF, CEA, Orano, Swissnuclear, PG&E, CRIEPI et CEZ Group), dont le but est d’améliorer la connaissance sur l’aléa sismique en France Métropolitaine et d’en réduire les incertitudes associées (http://www.sigma-2. net). Ce projet se décompose en 6 thématiques diérentes, appelées « work packages » qui sont :
— WP1 : Tectonique et étude des failles sismogènes
— WP2 : Paramètres sismologiques
— WP3 : Modèles de prédiction du mouvement du sol
— WP4 : Caractérisation des eets de site
— WP5 : Évaluation de l’aléa sismique probabiliste (modèles PSHA)
— WP6 : Caractérisation du mouvement du sol pour l’ingénierie.
En l’occurrence, cette thèse est une contribution au work package 2 de SIGMA2, qui vise à réduire les incertitudes sur l’estimation des paramètres sismologiques sur les séismes historiques et récents (source, propagation et site) dans les zones de sismicité faible à modérée. Notre objectif est d’extraire la magnitude des séismes à partir de données sismiques de haute fréquence, en modélisant correctement les eets de propagation. Dans ce document, nous présenterons une approche basée sur la modélisation physique de la propagation de l’énergie sismique dans un modèle simple mais réaliste de la lithosphère terrestre, prenant notamment en compte son caractère hétérogène.
L’estimation de l’aléa sismique repose essentiellement sur la mesure du mouvement du sol (déplacements, vitesse ou accélération du sol) par des stations sismiques, et dans une moindre mesure, sur des données historiques (basées sur des témoignages écrits) pour caractériser les mouvements forts de séismes importants de la période pré-instrumentale. Un exemple d’enregistrement est donné sur la Fig. 1.1. On suppose, pour un séisme i enregistré à une station j, que le déplacement mesuré uij (f, t) en fonction de la fréquence f et du temps t est une convolution d’un terme de source Si(f, t), de propagation (caractérisé par la fonction de Green Gij (f, t) qui est la réponse du milieu à une source impulsionnelle) et de site Rj (f) :
uij (f, t) = Si(f, t) ú Gij (f, t) ú Rj (f). (1.1)
Par la suite, on va supposer que ces trois termes sont indépendants et que le milieu dans lequel les ondes se propagent agit comme un système linéaire. Le terme de propagation Gij (f, t) dépend largement de l’atténuation des ondes sismiques, qui est causée par 2 mécanismes :
(1) l’absorption intrinsèque, qui entraîne la décroissance de l’énergie des ondes sismiques à mesure que celles-ci se propagent dans le milieu, en se transformant en énergie thermique par exemple.
(2) le scattering, processus par lequel les ondes changent de direction de propagation une ou plusieurs fois à cause des hétérogénéités de petite échelle présentes dans le milieu et redistribuant l’énergie des ondes directes dans la coda sismique .
Magnitude des séismes
Il existe plusieurs échelles de magnitude pour évaluer la taille de la source. Les échelles les plus courantes sont :
(1) la magnitude de moment Mw, calculée à partir du moment sismique M0 (Kanamori, 1977). Le moment sismique M0 est défini par les paramètres de glissement de faille avec M0 = µS¯D, ¯ (1.2)
où µ le module de cisaillement des roches entourant la faille, S¯ la surface de rupture et D¯ le déplacement relatif des 2 blocs entourant la faille. Il a été observé que le spectre de source (en déplacement) est plat à basse fréquence, puis décroît en f ≠n avec n > 0 à haute fréquence (Aki, 1967; Brune, 1970). M0 est directement liée au plateau du spectre de source à basse fréquence. Mw est relié à M0 (exprimé en N.m) par la relation suivante :
Mw = 2/3 log10(M0) ≠ 6.07.(1.3)
(2) la magnitude locale (également appelée magnitude de Richter) ML, qui a été originellement définie par Richter (1935). ML est calculée empiriquement à partir du logarithme de l’amplitude maximale et corrigée empiriquement par un terme d’atténuation en fonction de la distance épicentrale. Cette échelle de magnitude doit être calibrée selon la région d’étude.
(3) la magnitude des ondes de volume Mb qui se base sur le logarithme de l’amplitude des arrivées directes des ondes P.
(4) la magnitude des ondes de surface MS qui se base sur le logarithme de l’amplitude des ondes de surface mesurée à distance télésismique.
(5) la magnitude de durée MD qui se base sur le logarithme de la durée du signal sismique (Lee et al., 1972).
On remarque que, dans cette liste, Mw est la seule échelle de magnitude à ne pas être construite de manière empirique. En eet, le moment sismique M0 a été défini par les paramètres de glissement de la faille (Eq. (1.3)). Comme M0 est lié à un modèle phénoménologique de rupture de faille et que cette grandeur ne sature pas pour les plus grands séismes (contrairement à ML, Mb et MS), Mw est considérée comme l’échelle de magnitude la plus précise pour mesurer la taille d’un séisme. Cependant, la détermination de Mw est souvent impossible pour les petits séismes, car les basses fréquences du spectre de la source sont noyées sous le niveau de bruit et le contenu à hautes fréquences est aecté par d’importants eets de propagation causés par des hétérogénéités de petite échelle mal connues. Pour cette raison, seule l’échelle ML peut être utilisée pour mesurer la magnitude des petits séismes. Cependant, l’échelle ML (comme Mb et MS) est souvent imprécise, car elle est calibrée sur un modèle moyen d’atténuation pour une région ou un pays et ne tient pas compte des variations régionales des paramètres d’atténuation. De même, les amplitudes maximales servant à l’estimation de ces magnitudes peuvent aussi être impactées par la radiation de l’énergie à la source et par des eets de propagation aectant largement les ondes directes.
En pratique, pour une région donnée, les magnitudes sont souvent déterminées par plusieurs méthodes diérentes, selon la taille de l’événement. Par conséquent, le catalogue de magnitudes correspondant à cette région est souvent décrit par plusieurs échelles de magnitudes (e.g. Shelly et al., 2021). Cependant, il existe des écarts plus ou moins importants entre les diérentes échelles de magnitude (e.g. Lolli et al., 2014; Cara et al., 2015; Shelly et al., 2021). Pour pouvoir exploiter correctement l’ensemble des magnitudes, des lois de conversion entre les diérentes échelles sont nécessaires (Braunmiller et al., 2005). Dans le cas de la France Métropolitaine, il a été décidé de convertir toutes les magnitudes locales du LDG (Laboratoire de Détection et de Géophysique) des événements de magnitude ML ≤ 4.0 du catalogue de référence de SI-Hex (Sismicité Instrumentale de l’Hexagone) en magnitude Mw, par les relations linéaires suivante (Cara et al., 2015, 2017) :
Mw = ML – 0.6 pour 3.1 ≤ ML ≤ 4.0
Mw = 0.664ML + 0.45 pour ML < 3.1.
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Aléa sismique et sismicité française
1.2 Magnitude des séismes
1.3 Problèmes sur l’estimation des magnitudes des petits séismes en France
1.4 Plan du manuscrit
2 Magnitude des petits événements sismiques
2.1 Approches basées sur les ondes directes
2.2 Approches empiriques non-paramétriques
2.2.1 Approches basées sur la normalisation de la coda
2.2.2 Ratio spectraux de la coda
2.3 Approches empiriques paramétriques
2.3.1 Magnitudes à partir d’une calibration empirique de la coda
2.3.2 Magnitudes à partir de la coda, en prenant en compte les variations latérales de propriétés d’atténuation
2.3.3 Magnitudes à partir de la coda des données brutes en domaine temporel
2.4 Approches basées sur une modélisation physique de l’enveloppe énergétique
2.5 Apports de notre travail sur l’estimation des magnitudes
3 Propagation des ondes élastiques dans un milieu inhomogène, transfert radiatif et simulations de Monte-Carlo
3.1 Description du milieu hétérogène
3.1.1 Milieu aléatoire à fluctuations continues
3.1.2 Libres parcours moyens
3.1.3 3 régimes de propagation des ondes sismiques
3.2 Théorie du transfert radiatif
3.2.1 Transfert radiatif des ondes élastiques polarisées
3.2.2 Approximations de l’équation de transfert radiatif, régime de diusion
3.2.3 Principes découlant de la multidiusion : équipartition et normalisation de la coda
3.3 Méthode de monte-Carlo
3.4 Décroissance de la coda sismique
3.5 Extraction des propriétés d’atténuation des ondes sismiques
3.5.1 Approche physique basée sur l’approximation de diusion
3.5.2 Approches physiques basées sur la théorie du transfert radiatif
4 Diffusion multiple dans un guide d’onde crustal
4.1 Points clés de l’article
4.2 Introduction
4.3 Radiative transfer in a multiple-scattering crustal waveguide
4.3.1 Model presentation and important scale lengths
4.3.2 Radiative transfer theory
4.3.3 Stokes vector and polarization
4.3.4 Scattering and Mueller matrix for volume scattering
4.3.5 Mueller matrix for interface scattering
4.3.6 Stokes vector for double couple sources
4.3.7 Monte-Carlo implementation
4.4 Examples of numerical simulation results
4.5 Leakage
4.6 Angular distribution of energy fluxes in the waveguide
4.7 Energy partition
4.7.1 P-to-S energy ratios
4.7.2 SV -to-SH energy ratios
4.7.3 Role of intrinsic attenuation
4.8 Eects of the source mechanism on the coda excitation
4.9 Conclusion
4.10 Eets du guide d’ondes sur le transport d’énergie
4.11 Eets de la polarisation des ondes S sur le transport d’énergie
4.12 Eets de la profondeur de la source dans le guide d’ondes sur le transport d’énergie
4.13 Ratios énergétiques en fonction de la profondeur dans le guide d’ondes
5 Conclusion